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littérature, traduction - Page 12

  • Création versus raison.

    creat.jpgLes créationnismes
    Une menace pour la société française ?
    De Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau
    Editions Syllepse, mai 2008

    Un ouvrage que je n'aurai pas le temps de compulser, mais dont je tiens à signaler la publication, ne serait-ce que pour rappeler que les élucubrations des créationnistes américains ou canadiens gagnent du terrain - il m'est arrivé de lire certaines parutions (pseudo) scientifiques (parfois commises par des chercheurs et des neurologues...) dont l'objectif est de prouver "scientifiquement" l'existence d'un dieu, et de concilier esprit scientifique et obscurantisme (histoire de brouiller les pistes...) ; des positions rationnellement intenables, on l'aura compris, mais les fondamentalistes / intégristes ne sont pas à une contradiction près... soutenant que le livre de la Genèse serait un traité historique (mais si...), niant la théorie darwinienne de l’évolution, tout en s'opposant à son enseignement afin de formater les esprits à leur guise.

    www.syllepse.net/lng_FR_srub_37_iprod_379-Les-creationnismes.html

    4e de couv : "Les récentes prises de position anti-évolutionnistes de plusieurs ministres européens de l’éducation ont poussé le Conseil de l’Europe à traiter de « cette question d’actualité politique », afin d’appeler les gouvernements « à s’opposer fermement à toutes les tentatives de présentation du créationnisme comme discipline scientifique ». (...) Sommes-nous véritablement à l’abri de ces mouvements ? Quelles sont les implications sociales et politiques de ces démarches obscurantistes ? En quoi la volonté affichée du président de la République Nicolas Sarkozy de redéfinir la loi de séparation des Églises et de l’État est-elle susceptible d’augmenter l’influence des structures créationnistes ?"

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  • Déclinaisons du silence

    L’enfant silence, de Cécile Roumiguière et Benjamin Lacombe
    Seuil jeunesse, 2008

    Litli Soliquiétude, de Catherine Leblanc et Séverine Thevenet
    Editions Où sont les enfants ? 2008

    enfantsilence3.jpgUne enfant choisit de se taire afin de protéger ceux dont elle craint d’être séparée : ses géniteurs, parfois doux, souvent féroces, qu’elle associe à des loups et qu’elle retrouve le soir après l’école dans une tanière tantôt chaleureuse, tantôt hostile. Un silence choisi, à défaut de pouvoir trouver d’autres armes. Un silence refuge assumé et entêté, pour ne pas avoir à trahir ceux qui la maltraitent et la privent en partie d’enfance. Un silence prison (tel qu’il s’incarne dans la cage qui revient dans certaines illustrations) qui, paradoxalement, attire l’attention sur la fillette et sur ce qu’elle tait, et qui inquiète la maîtresse - « alors le matin, parfois, on l’assoit devant une dame qui sent bon la banane et le pain grillé. » Mais là encore, elle ne sait que dire, ni comment. Le mutisme de la petite fille (qui, sous les pinceaux de Benjamin Lacombe, apparaît le visage grave, tandis que ses grands yeux tristes et fatigués « boivent le monde ») est mis en mots avec simplicité par Cécile Roumiguière, une simplicité qui n’exclut pas la poésie et la complexité des émotions qui traversent ce récit poignant. Les illustrations, d’une grande finesse, s’accordent aux mots sans les singer, les interprétant et les complétant avec originalité, enrichissant le texte touffu - malgré son apparente limpidité.

    Car cet album raconte un dilemme difficile à résoudre, même vu de l’extérieur, une histoire de résilience et d’étouffement, d’une souffrance qui demeurerait invisible si l’on n’acceptait pas de s’y pencher. Le mérite de l'ouvrage est de proposer un regard suffisamment détaché - qui n’empêche par l’empathie - sur le parcours de l’enfant, permettant ainsi d’en saisir toutes les facettes : il y a certes une victime, identifiable, mais ses bourreaux ne sont pas rejetés en bloc et l’on comprend, à travers quelques phrases seulement, que ces derniers ne sont pas les monstres qu’on pourrait penser. Et si l’enfant n’a que son silence à offrir au départ, c’est pour dire aussi combien elle a peur pour eux.

    litli3.jpgLe silence de Litli, petite marionnette qui explore le monde en solitaire, à sa manière, est d’une tout autre nature - un silence paisible en apparence, même si Litli (son nom signifie « petit » en islandais) se réveille d’abord dans un univers terne et gris, en noir et blanc. Elle se lève malgré tout et part à la recherche d’autre chose, d’un ailleurs en couleurs. Un voyage initiatique parsemé de dangers, de fissures, voire de gouffres, que la petite parvient cependant à franchir, comme si une petite voix intérieure la soutenait régulièrement dans sa quête. Car l’histoire de Litli est d’abord silencieuse, une succession de photographies lumineuses de Séverine Thevenet, que la marionnette Litli a accompagnée jusqu’en Islande. Les mots économes de Catherine Leblanc, qui apparaissent de temps à autre en surbrillance sur quelques-unes des pages - des mots qui guident et incitent le petit personnage à aller de l’avant, à ouvrir les yeux sur le monde - sont venus se superposer plus tard, non pas pour troubler le silence d’un récit en images qui aurait presque pu se suffire à lui-même, mais pour lui donner une résonance nouvelle.

    « Seuls les mots de Catherine Leblanc ont su faire leur place : ils ouvraient de nouvelles portes dans mes images et dans l’histoire », explique celle qui se dit « mariographe », refusant de choisir entre la photographie et les marionnettes, deux passions qu’elle est parvenue à conjuguer dans ce beau livre. Des mots qui se font leur place mais savent aussi se taire quand il le faut. La « soliquiétude », sous-titre de l’album ? Un néologisme qui sonne juste, un terme qui combine solitude et quiétude, « la tranquillité douce de celui qui marche et fait naître le monde en chemin. » Le mutisme pour mieux dire les choses, un texte réduit au minimum afin de laisser parler le silence et de ne pas empiéter sur le territoire des photographies qui se succèdent.

    Dans chacun de ces deux albums dont la démarche esthétique est fort différente l'une de l'autre, les parcours respectifs de l’enfant et de Litli ne sont pas similaires au prime abord, mais le silence (apaisant ou étouffant) et la place des mots (libérateurs ou alliés) sont au cœur de chacun d’eux, en lien avec une renaissance au monde et à la vie (« Viens au monde », disent les mots à Litli, qui redécouvre enfin les couleurs). Une vie devenue grise et sans éclats pour la marionnette, une vie qui n’en était plus une pour l’enfant silence, qui se contentait de murmurer quelques lettres, à l’image des petits pas indécis de Litli au tout début de son aventure. Des albums qui disent l’indicible avec délicatesse, et qui rappellent que tous nous tendons peut-être, en fin de compte, à la quiétude.

    (B. Longre)

    http://www.cecileroumiguiere.com

    http://www.benjaminlacombe.com

    http://ousontlesenfants.hautetfort.com

    http://catherineleblanc.blogspot.com

    http://shashi.club.fr/index.html

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  • De la Chine à la France et vice-versa...

    shanghai.jpgLa Revue littéraire de Shanghai, animée par Tang Loaëc (fondateur de La Vénus littéraire, qui signe aussi la rubrique L’Enfer sur Bibliobs), Cécile Oberlin (la webmistress) et Fabienne Trunyo (qui partage son temps entre France et Chine) a pour objectif avoué d' « ouvrir un espace propice à la réinvention d’une vie littéraire mettant en résonance la langue française et une réalité chinoise mithridatisée par le creuset Shanghaien. » Une belle passerelle, donc, qui permet des échanges fructueux et promet de belles choses : des articles critiques consacrés principalement à la littérature chinoise et à ses interactions avec la culture française, des nouvelles, des dossiers. On ira lire, entre autres, Mingong, un texte émouvant de Tang Yi-Long (nom chinois et de plume de T. Loaëc), ou Les pyjamas de Shanghai, jolie chronique de Fabienne Trunyo - des suggestions non exhaustives...

    http://www.shanghai-litterature.com

    « Les références à la France abondent à Shanghai, qui revendique de nouveau son rang de Paris de l’Orient. Le cœur de la ville est hanté par les fantômes de la concession française, qui mettent tant de grâce à raviver ses souvenirs et à inspirer parfois son avenir.
    Les mondes de l’art, de l’architecture, de l’économie aussi portent les marques renaissantes d’une passion française pour Shanghai, faite de fascination et d’affinité. Dans une ville dont la puissance tellurique et le tourbillon humain sont d’une brutalité qui peut inspirer ou éteindre le mouvement de l’écriture, la renaissance d’une réalité littéraire nourrie à la confluence de la langue française et de la Chine ne se décrète pas.
    Cette réalité littéraire existe parce que des gens écrivent en français, à Shanghai ou sur Shanghai. Elle existe aussi parce que des écrivains chinois encouragent à la traduction de leur œuvre et à sa diffusion en français, dont nous voulons aussi nous faire écho. Elle existe enfin parce que des départements de littérature française dans les universités chinoises portent encore un regard sur une littérature française qu’il nous appartient collectivement de continuer de faire vivre. »
    (Les fondateurs)

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  • Révélation

    suisse3.jpgAlors que le concours Révélation Fnac 2008 invite au voyage, en hommage à Nicolas Bouvier, la 3e édition de ce prix (2007) proposait un thème intitulé « La Suisse côté cour et côté jardin », associé à une contrainte générique : écrire un texte de théâtre. Les trois textes (sur plus d’une centaine) primés ont été regroupés, avec quelques autres, dans un recueil publié par les éditions genevoises Zoé, dirigées par Marlyse Piétri. Un recueil préfacé par Sylviane Dupuis, elle-même dramaturge (mais aussi poète et essayiste, lire entre autres A quoi sert le théâtre ? aux éditions Zoé), qui, face à des démarches artistiques pluridisciplinaires pouvant laisser croire que le texte théâtral serait dépassé, affirme justement le contraire. Le texte dramatique (à destination de la scène , mais qui forme aussi un artefact à lui tout seul) a encore du « sens », écrit-elle, et « continue de solliciter l’imagination et l’invention de formes. »

    Aussi, aux côtés de productions plus anecdotiques, trouve-t-on dans cet ouvrage quelques textes qui explorent intelligemment  l'absurdité de certaines situations afin de commenter le réel (et son double - le théâtre) :  Titre provisoire (Titre définitif) de Nicolas Haut qui, en mettant en scène des ébauches de personnages en quête d’intrigue, s’amuse à déconstruire l’acte théâtral afin d'en analyser les singularités ; L’entre-chambre d’Anthony Bouchard, faussement vaudevillesque, qui joue sur l’invisibilité du quatrième mur de scène, ce qui permet d’insister sur la relation privilégiée qui s’instaure entre  personnages et spectateurs ; ou encore une fable d’anticipation proposant une solution radicale afin que les plus de 60 ans, nouveaux indésirables, n’encombrent plus la pyramide démographique d’une Suisse (et d’une Europe) vieillissantes (La boîte à biscuits, de Giancarlo Copetti).

    Reste un texte qui se démarque de cet ensemble assez hétérogène, et qui n’a pas obtenu le premier prix par hasard : Dans l’ombre de ta ville, parcouru de tensions ambivalentes qui reflètent l'état d'esprit d'un narrateur, qui tend, justement, vers l'inaccessible. Ce monologue (fait paradoxal que de voir cette forme primée, comme le souligne la préfacière - ce qui ne lui ôte en rien ses nombreuses qualités), signé Jean-Noël Sciarini, met en scène un narrateur-récitant de dix-sept ans ; celui-ci, entre révolte et résignation, relate son exil et son déracinement dans une Suisse qui incarne d’abord le " rêve américain" pour lui et sa mère. Car il « fallait s’en aller », quitter la terre natale et rejoindre Genève, ville de tous les possibles qui bien vite devient le lieu de l’enfermement et de la dissimulation ; quitter un pays connu pour vivre « dans l’ombre » d’un autre, si peu accueillant en définitive. Chimo, clandestin, « encre dont aucune feuille ne voulait », incarne à lui tout seul le drame de ces « ombres réfugiées dans les plis de la ville », de ces méconnus que l’on croise sans vraiment les voir. Il y a deux Suisses comme il y aurait deux mondes parallèles appelés à se côtoyer et parfois à se télescoper, lorsque le tout jeune homme fait la connaissance de Camille dans une boutique de souvenirs, une rencontre qui se pourrait salvatrice…

    Les émotions successives et fluctuantes du personnage, pour lequel on ressent une forte empathie dès les premières lignes, sont retranscrites dans une langue à la fois directe et poétique, âpre et douce, à l’instar des contradictions qui agitent son esprit, révélant un monde intérieur d’une insoupçonnable richesse – de sa soif de liberté à la haine éprouvée face à la liberté des autres, de la honte de devoir survivre (et non pas vivre) au désir d’écrire et de se raconter, de son fatalisme à ses regains d’espoir, confiant au lecteur/spectateur une désespérance derrière laquelle se devine toutefois une obstination sans bornes, celle de ceux qui n’ont plus rien à perdre ou si peu. Esquissé avec finesse, ce portrait désenchanté interroge la tentative de se fondre dans un nouveau décor, de devenir un autre tout en restant soi-même, d’adopter un nouveau pays en s’efforçant de croire qu’il vous adoptera en retour. « Nous voulions nous approprier la ville », dit-il avec candeur, une ville qui devient d’emblée « sa » ville, lieu pourtant plus imaginaire que réel, vu à travers le prisme de la clandestinité. Ceux qui seraient convaincus que lire du théâtre est un exercice fastidieux, et/ou s'imagineraient qu’un texte dramatique ne peut se suffire à lui-même (du moins serait amputé de son expressivité ou privé de toute qualité s’il n’est pas mis en scène) feraient bien d’aller découvrir ce monologue qui, au-delà de toute classification générique, donne la parole à une voix émouvante, à la fois singulière et collective : un texte qui parlera à tous, si du moins on daigne tendre l'oreille.

    (B. Longre)

    Jean-Noël Sciarini est l'auteur de nouvelles (revue En attendant l'or) et d'un premier roman à paraître prochainement à L'école des loisirs dans la collection Medium.

    www.editionszoe.ch

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  • Le syndrome adolescent

    godzilla3.jpgLe syndrome Godzilla de Fabrice Colin - collection Les Mues, Intervista.

    Le syndrome adolescent

    Entre France et Japon, Fabrice Colin nous invite à entrer dans le monde intérieur d’un adolescent qui rêve de métamorphose, un univers narratif composé de séquences relativement brèves, parfois morcelées, qui empruntent de temps à autre au style cinématographique. Le garçon rêve d’une transformation radicale qui lui permettrait de donner un sens à sa vie, de se trouver, et peut-être de surmonter la disparition d’une mère dont on ne saura pas grand-chose, hormis qu’elle se serait suicidée, une perte qui a marqué l’enfance. La mère, justement, présence qui dit rarement son nom mais qui plane dans l’esprit du narrateur - solitaire de son plein gré, nomade par le métier de son père. Une existence quelque peu mécanique - « ça fait des années, et rien ne change, tout est figé dans un présent éternel qui s’étire… ». Mais de coups de fil énigmatiques en rencontres qui ne le sont pas moins avec un inconnu dont le visage est caché sous un sac en papier, les choses vont enfin bouger et une obsession grandissante pour la figure du monstre Godzilla et de ses diverses facettes, au fil de sa filmographie, va mener le narrateur sur des routes aux issues multiples, vers des ailleurs possibles, à condition de conjurer le sentiment de culpabilité qui le maintient en enfance et de se débarrasser des démons et des blessures du passé, comme on le ferait d’une vieille peau.

    Roman d’apprentissage déguisé en fantasmagorie métaphorique (du moins dans la seconde partie, où le narrateur retrouve Tokyo, ville de ses « rêves » et aussi de sa mémoire, « carrefour éternel », où évolue en parallèle un autre double de Godzilla, dont on suit le récit autobiographique), Le syndrome Godzilla est un beau texte déstabilisant, hors normes, habité d’une indéniable mélancolie qui n’empêche pourtant pas d’envisager l’idée rassurante d’un avenir. (B. Longre)

    "Les Mues"

    L'intitulé de cette collection créée aux éditions Intervista par Constance Joly-Girard évoque d’emblée transformations, métamorphoses et autres mutations – sans oublier l’idée associée de transition. Car rien n’est jamais immuable, justement, et les changements de peau successifs que nous connaissons tous sont partie prenante de l’expérience humaine. L'éditrice entend, depuis le début, proposer une littérature « transgenre, moderne, audacieuse et sans tabou », résolument « adulte », mais dans laquelle les adolescents et les « jeunes adultes » sont tout à fait susceptibles de se retrouver.
    La collection accueille des textes très différents les uns des autres – des choix qui reflètent une belle ouverture d’esprit mais aussi le désir de lancer de nouveaux auteurs aux côtés d'auteurs confirmés, hors des sentiers battus, ou des artistes dont c'est la première incursion dans un univers livresque. Du vent dans mes mollets, de Raphaële Moussafir, relate les expériences et les découvertes d’une fillette de neuf ans, Rêver, grandir et coincer des malheureuses (sous-titré "Biographie sexuelle d'un garçon moyen" ! très amusant) de Frédéric Recrosio, "parle de sexualité sans une once de vulgarité ni de misogynie", L’enchanteur et illustrissime gâteau café-café d’Irina Sasson de Joëlle Tiano mérite assurément le détour et Enfin nue ! de Catherine Siguret, "confessions d'un nègre écrivain", qui pratique un drôle de métier, est disponible en librairie depuis le 15 mai dernier.

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  • Des contes solidaires

    conteschinois.jpgPour la 5e année consécutive, les éditions Rue du Monde s'associent au Secours populaire et proposent une opération de solidarité en faveur des enfants "oubliés des vacances", intitulée "Eté des bouquins solidaires", qui se déroule du 21 juin au 15 août 2008.

    Deux ouvrages parus en juin sont concernés par cette initiative : La grande montagne des contes chinois de Catherine Gendrin et Fabienne Thiéry, illustré par Vanessa Hié (un recueil de près d'une vingtaine de récits adaptés de contes ou de fables), et Le bufflon blanc de Fabienne Thiéry, illustré par Judith Gueyfier. Chaque fois que ces deux titres sont achetés en librairie, un enfant recevra un livre. Plus de 60000 jeunes lecteurs ont déjà pu bénéficier de cette opération depuis l'été 2004.

    Rue du monde
    5, rue de Port-Royal, 78960 Voisins-le-Bretonneux
    http://www.secourspopulaire.fr

    bufflon.jpgLe bufflon blanc de Fabienne Thiéry et Judith Gueyfier, Rue du monde, 2008

    Li, éleveur de buffles, s’inquiète quand naît un bufflon blanc qui dénote dans son troupeau noir. Serait-ce mauvais présage ? Le vieux sage qu’il consulte, connu pour sa clairvoyance, lui assure que non ; mais une fois rentré chez lui, Li est subitement frappé de surdité. Lu, son fils, part alors voir le sage et, dès son retour, est lui aussi victime d’un mal soudain, la cécité. Li et Lu pensent avoir joué de malchance quand des événements bien plus terribles encore s’abattent sur la vallée.
    Librement inspiré d’une fable du philosophe chinois Lie-Tseu, maître taoïste, l’histoire que conte Fabienne Thiéry (spécialiste du conte chinois) a vocation universelle et parle à la fois de résilience, de résignation à son sort, d’impuissance face à plus fort que soi ; elle véhicule toutefois l’idée que la vie se compose d’une succession bariolée de bonheurs et de malheurs et que les uns ne peuvent exister sans leurs contraires. Les illustrations de Judith Gueyfier, qui signe plusieurs albums chez cet éditeur, sont d’une grande finesse dans les plans rapprochés comme dans les plans d’ensemble, avec une attention toute particulière portée aux motifs des textiles, en contraste avec les aplats des paysages à l’arrière-plan ; mais ce sont surtout les visages lumineux tourmentés ou apaisés, en résonance avec le conte, qui séduisent le lecteur. Un bel album à partager et à offrir.
    B. Longre (juin 2008)
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  • Thrillers & Cie

    ruines.jpgLes Ruines de Scott Smith
    traduit de l’anglais par A. Regnauld, M. Laffon, 2007 / Le Livre de Poche, 2008

    Six jeunes vacanciers au Mexique, un septième parti sur un site de fouilles archéologiques en pleine jungle, des Indiens peu hospitaliers et une colline couverte d’une végétation luxuriante, parsemée de belles fleurs rouges. Tout est posé pour que démarre un huis clos se déroulant sur quelques jours, fable tragique et morbide, susceptible de générer nombre d’angoisses (mais dont on taira la source…), certes éprouvante pour les nerfs du lecteur, mais terriblement efficace. La mort plane, tandis que les tensions montent entre les personnages, pour certains ambivalents à souhait, que les carapaces se désagrègent, que les liens fragiles qui peuvent s’instaurer entre les êtres se défont peu à peu. On admire l’ironie dramatique dont use habilement l’auteur, qui décline presque cliniquement toute une gamme de réactions et de sentiments exacerbés par la situation (du désespoir à la résignation, de la lâcheté à la vaillance…), mais aborde aussi la question de la responsabilité individuelle, celles de l’ubris (comme dans toute bonne tragédie qui se respecte) et du mal, qui réside en chacun de nous, prompt à se réveiller au moindre stimulus. Et l’on y croit, car malgré le fantastique qui s’installe insidieusement, le réalisme implacable de l’ensemble détermine la lecture. Un suspense de qualité, ingénieusement bâti. (B. Longre)

    Le site officiel http://www.randomhouse.com/kvpa/ruins/

    Le film de Carter Smith, inspiré du roman, est sorti le 11 juin en salles. Pour ma part, je m'abstiendrai, le roman se suffisant à lui-même (et puis, je l'avoue, je crains d'être terrifiée de bout en bout...) mais les critiques ne sont pas négatives, hormis celle de Télérama ("un jeu de massacre assez typique du film d'horreur à l'américaine, avec gentils étudiants se faisant dézinguer un par un."). Lire entre autres ce qu'en pense Jean-François Rauger dans Le Monde, qui dévoile cependant de nombreux éléments de l'intrigue ("Dans le paysage actuel du cinéma d'horreur hollywoodien, catégorie inépuisable du divertissement du samedi soir mais aussi, parfois, laboratoire idéal pour diverses expériences cinématographiques qui ne disent pas leur nom, Les Ruines, de Carter Smith, ferait plutôt bonne figure. ")

    tanaf.jpgJe recommande aussi La mort dans les bois (traduit de l'anglais par François Thibaux, M. Lafon, 2008) de Tana French, auteure irlandaise (à ne pas confondre avec le couple d'auteurs Nicci French), un thriller psychologique et d'atmosphère très différent du précédent, qui mêle subtilement deux époques et deux affaires policières qui se recoupent peu à peu, en particulier dans l'esprit tourmenté de l'inspecteur de police chargé de l'enquête - suite au meurtre d'une fillette ; un narrateur peu fiable (lui-même le confesse), obsédé par un traumatisme subi dans l'enfance et dont il ne s'est jamais remis.

    http://www.tanafrench.com/

     

    Quelques thrillers (mot passe-partout bien commode...) que j'aimerais lire et que j'ai mis de côté.

    Out de Natsuo Kirino, traduit du japonais par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty (Points Thriller)

    Un mensonge presque parfait de Howard Roughan, traduit de l'anglais par Elisabeth Peellaert (10-18) - j'avais lu Infidèle, du même, et l'avais trouvé plutôt bien ficelé, à la manière d'un des premiers Douglas Kennedy (parce que les derniers... bref.)

    Bad Monkeys de Matt Ruff, traduit de l'anglais par Laurence Viallet (10-18, 2008), un univers qui, d'après la critique, se rapprocherait de celui d'un P. K. Dick, "une joie cérébrale" selon Publishers Weekly.

    Le cueilleur de fraises de Monika Feth, traduit de l'allemand par Sabine Wyckaert-Fetick (Hachette, Black moon 2008), dont on me dit le plus grand bien.

     

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  • Charlie ou le jugement suspendu

    Je découvre une excellente analyse de Pas Raccord de S. Chbosky sur le blog de Joannic Arnoi. Un point de vue particulièrement intéressant, car Joannic avait lu The Perks of being a Wallflower dans sa version originale bien avant (quelques années ?) que le livre paraisse en français et même s'il ne propose pas d'étude comparative des deux versions, il a pu se faire une idée précise du roman sur le long terme.

    Un passage qui me semble très juste et bien observé (même si tout l'est dans l'ensemble !) : "Pas raccord n’est en aucun cas une succession de tableaux statiques : divers plans narratifs coulissent tout au long du récit (...), avec nombre de rebondissements et, aussi, de ressauts prévisibles. Pour autant, on est aux antipodes d’une histoire scénarisée sur le mode du feuilleton. On n’est pas chez Armistead Maupin ou Mark Haddon. La matière du narrateur est faite d’événements ordinaires, qu’il raconte de manière étrangement dense. Toutes proportions gardées, la texture du livre me rappelle les analyses de Nabokov sur Anna Karénine : « Les lecteurs appellent Tolstoï un géant de la littérature […] parce qu’il est toujours exactement de notre taille, qu’il marche exactement à notre pas, au lieu de passer loin de nous comme le font d’autres auteurs » (Littératures 2, p. 221). Il me semble que ce qui fait le charme de Pas raccord est un peu de cet ordre."

    à lire dans son intégralité
    http://joannic-arnoi.over-blog.fr/article-20560231.html

    A noter que Joannic chronique de nombreux ouvrages - pour certains traitant de thématiques homosexuelles, mais pas que. J'en parlais ici.

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  • De la critique - entre censure et ouverture, entre fiction et réalité...

    adole3.jpg

    Le n° 50 du magazine Citrouille, qui paraît le 20 juin, propose un dossier portant sur le roman pour ados. A l'occasion de l'anniversaire de la revue, la rédaction met ce dossier en ligne, et invite à participer à un forum.

    J'ai lu attentivement l'article de José Lartet-Geffard (qui parle de subterfuge et d’hypocrisie parce que la loi obsolète de 49 n’est pas mentionnée dans les ouvrages de la collection Exprim – c’est assez édifiant…) et celui d'Ariane Tapinos portant sur le roman d'Antoine Dole, Je reviens de mourir (la libraire l'accuse - on ne sait plus s'il est question du roman ou de l'auteur... -  de misogynie et d’« étalage malsain et largement fantasmagorique »).

    Cet article, en particulier, m’inspire plusieurs remarques. Chacun est en droit de ne pas aimer un roman. Mais faut-il dans ce cas adopter des points de vue et des critères aussi réducteurs pour en parler ? Pourrait-on aussi se pencher sur la langue, l'écriture, l'architecture narrative ? Et pas seulement sur les "messages", ou les "thématiques" ? Ou sur le caractère (soi-disant) transgressif (voire "pornographique" - dès qu'il est question de sexualité décrite crûment) de l'ouvrage ? Certes, les prescriptrices citées ci-dessus sont dans leur rôle : déconseiller un roman qui, potentiellement, sera lu par des "adolescents" (13, 15, 17 ans ???) et qui représenterait un "danger" pour ces derniers (c'est du moins ainsi que je comprends et interprète les articles lus).

    On peut aussi se demander si les auteures de ces papiers ne confondent pas (et ce ne serait pas nouveau…) réalité et fiction... Une narratrice se suicide ? Quelle noirceur ! Cela pourrait désespérer les "jeunes" lecteurs... Une autre se prostitue ou se fait violer ? Et si cela donnait des idées à quelques adolescents désoeuvrés ? Pour ma part, je me refuse à critiquer un livre (jeunesse ou non) dans des termes purement utilitaristes ou éducatifs (je renvoie encore une fois à cet article et aux commentaires pleins de bon sens de Jean-paul Nozière)

     

    La fiction appartient forcément au domaine de l'imaginaire et ne saurait se confondre avec le réel ; nul n’a jamais été capable de prouver si un roman était susceptible de mener au meurtre, au suicide, à la prise de drogues, bref à des « conduites à risque » (qui existent aussi chez les ados qui ne sont pas lecteurs… !). On pourrait, si on allait dans ce sens « éducatif », poser les termes inverses, comme le fait judicieusement Caroline Scandale (prescriptrice à ses heures !) : « Vous craignez donc que nos lecteur-trice-s adolescent-e-s se prostituent ou se suicident (ou pire les 2) après la lecture de ce roman? Et si au contraire, en s'identifiant à l'héroïne, ils ressentaient une forte envie de vivre et relativisaient leurs problèmes au regard de sa terrible souffrance ? Laissons les adolescents libres de lire des romans qui parlent de sexualité transgressive, vous les prenez donc pour des enfants de chœurs ?! »

    Des jeunes filles subissent des humiliations ? Elles sont avant tout des personnages... de papier et de mots. La littérature EST fantasme (ou fantasmagorie, si l’on veut) et ses liens avec la réalité sont plus ou moins ténus. Un roman peut mettre mal à l’aise quand il s’empare, comme ici, de personnages égarés, en souffrance et en violence. Un roman peut parfois être un exutoire pour un auteur, mais les amalgames entre un auteur et ses écrits me semblent très imprudent d’un point de vue strictement littéraire. Quand Ariane Tapinos écrit : " Antoine Dole est un homme qui écrit : une fille violentée est une femme dépravée. Une prostituée doit bien, quelque part, prendre son pied. Prétend-il dénoncer, qu'il exhibe et se complaît. Cette violence exhibée est le reflet de la domination - ici, même pas stylisée, mais bêtement hyper violente - des hommes sur les femmes." (on se demande ce qu'elle entend par "stylisée" ?) elle confond assurément fiction et réalité, tout comme elle confond l'auteur en tant qu'individu et ses écrits, en lui faisant dire ce qu’il n’a nullement dit, mais en interprétant une œuvre fictive de façon subjective, à l'aune du réel. Et si Antoine Dole avait été une femme ? Les accusations auraient-elle été les mêmes ? Ou bien aurait-on alors accusé une femme d'avoir intégré des valeurs misogynes et de les véhiculer ?

    Je peux concevoir que ce roman puisse choquer, interpeller, mais la lecture que j'en fais est tout autre. L'auteur n'entend rien dénoncer (est-ce là son tort ?), hormis, peut-être, le formatage social qui incite les jeunes filles à croire au prince charmant, et il ne fait certainement pas l'apologie de la prostitution, de la violence masculine ou de la soumission féminine... Il se contente de dire l'indicible, de raconter l'horreur au quotidien, la désespérance et la souffrance et les tentatives pour survivre malgré tout. Rien de complaisant dans ce récit des sentiments extrêmes et ambivalents. Rien de gratuit dans la langue violente et poétique. Surtout, ce n'est plus un homme ou une femme qui met tout cela en mots, mais seulement un auteur ; et justement, la question des genres est bel et bien brouillée dans Je reviens de mourir (et c’est tant mieux) car en le lisant, j'ai souvent eu l'impression, presque inconsciemment, qu'une femme aurait pu l'écrire, tant certains passages pénètrent avec habileté les pensées et les émotions de personnages féminins. Et quand on sait que l’auteur lui-même recherche « une certaine universalité des émotions, au-delà des questions de genre et de sexe » car « on est tous égaux face à la perte de l’autre, l’absence de l’autre, le besoin de l’autre… », les accusations de misogynie frisent le contresens.

    kathyacker3.jpgL’amalgame entre réalité et fiction me rappelle entre autres le rapport demandant l'interdiction de Sang et Stupre au lycée de Kathy Acker, en Allemagne (1986) ; le censeur s’expliquait ainsi : « il est partiellement très difficile voire complètement impossible au lecteur de comprendre s'il se trouve face à l'imagination du personnage principal ou de vrais événements."... ce qui fera dire à l’auteure : "le pauvre gars qui s'y est collé n'y comprenait rien. (...) ils ont cru que c'était vrai." !

    Un libraire est en droit de ne pas vouloir conseiller un ouvrage, en revanche, qu’il refuse de le vendre ou de le commander… on appelle cela de la censure, me semble-t-il… « Si Comptines était une librairie générale, on n'y proposerait pas plus ce livre, ramassis de clichés misogynes. » ajoute Ariane Tapinos. Dans ce cas, il leur faudrait ôter de nombreux livres de leurs rayons… de Sade (dont on sait qu’il n’a pas vécu le quart de ce qu’il imaginait dans ses écrits…) à Baudelaire, sans oublier Montherlant, cet affreux bonhomme (dont Les Jeunes filles m’ont pourtant accompagnée à l’adolescence, sans que je devienne pour autant cynique et misogyne), sans parler de tous les ouvrages douteux (érotiques) qui pourraient choquer les bonnes âmes.

    Je préfère de loin l’ouverture d’esprit de Madeline Roth qui, dans un autre article du même numéro de Citrouille, écrit : « Moi, et tant pis si certains ne sont pas d’accord, ou tant mieux, je ne crois pas au danger d’un livre "qui ne serait pas pour adolescents". Je crois aux dangers des silences. Et juger qu’un livre n’est pas pour quelqu’un, c’est une décision personnelle et subjective."

    http://www.sitartmag.com/adole.htm

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  • Le théâtre jeune public - quelques nouvelles

    9b27622bee94bc9e706d53fcb6c8b32a.jpgLe Prix Collidram (que je présentais il y a quelques mois) a été décerné à Dominique Richard pour sa pièce Une journée de Paul (Théâtre en court 2, Éditions Théâtrales Jeunesse) - que je compte lire.

     Les autres pièces sélectionnées étaient les suivantes :
    Bouge plus ! de Philippe Dorin - Les Solitaires Intempestifs
    Jojo au bord du monde de Stéphane Jaubertie - Éditions Théâtrales Jeunesse
    Louise / les ours de Karin Serres - L'École des loisirs
    Kardérah de René Zahnd - Bernard Campiche Éditeur

    L'an passé, Ohne de Dominique Wittorski (Actes Sud-Papiers) recevait  ce prix, organisé par l'ANETH (www.aneth.net/) - Aux Nouvelles Ecritures Théâtrales, une association qui a pour mission de découvrir et faire découvrir les écrivains et les pièces de théâtre contemporain.

    gbrisactheatre.jpgDu côté du théâtre joué, signalons Je vois des choses que vous ne voyez pas, un conte musical de Geneviève Brisac, jusqu'au 18 juillet à la Manufacture des Abbesses - Paris XVIIIe. La pièce est un conte qui revisite l'histoire de la Belle au bois dormant, mais Belle ne se pique pas le doigt avec un fuseau, elle est victime d'un stylo...

    Avec Alice Butaud, Mathieu Duméry, Anne-Camille le Heuzey-Bansat, Geoffroy Rondeau - à partir de 8 ans

    www.genevievebrisac.com

    Il n'est pas rare que le théâtre s'empare des contes ou des fables (dont la richesse thématique et symbolique n'est plus à prouver) comme point de départ, pour finir par en faire tout autre chose, des variations pour la plupart réussies - ent tout cas parmi les textes que j'ai pu découvrir récemment, comme Le Petit poucet de Caroline Baratoux (Actes Sud-Papiers, Heyoka jeunesse) Les deux bossus de Richard Demarcy (Actes Sud Junior, Poche théâtre) ou encore Méchant ! d'Anne Sylvestre (même éditeur), qui met en scène une chèvre et un loup... On pourra aussi lire Mascarade de Sacha et Nancy Huston (Actes Sud Junior, poche théâtre) ou encore Alice et autres merveilles de Fabrice Melquiot (L'Arche), dont je parlais ici.

    livre2008.jpgDe son côté, le TJA-Biennale du Théâtre Jeunes Publics publie un ouvrage intitulé Biennale du Théâtre Jeunes Publics/Lyon 1977-2007 (Lansman éditeur) que les deux fondateurs-créateurs-organisateurs-directeurs artistiques, Maurice Yendt et Michel Dieuaide, présentent ainsi : « Depuis trente ans, l’itinéraire artistique de la Biennale du Théâtre Jeunes Publics s’avère particulièrement fécond. Trente ans d’engagements durables pour tenter d’imposer, en rupture avec les schémas réducteurs qui dévalorisent encore fréquemment les pratiques culturelles des enfants, une reconnaissance exigeante de leur droit à un théâtre d’art et d’essai, authentiquement émancipateur. Il existe, évidemment, à l’occasion de ce trentième anniversaire plusieurs manières de rendre compte d’un tel parcours.Nous avons choisi, simplement, de laisser parler les nombreux témoins de l’aventure en faisant se répondre images photographiques et articles de presse. Autant de regards entrecroisés, de repères au fil du temps qui nous semblent en dire beaucoup plus que toute forme habituelle de récit. »

    www.biennale-tja.fr
     

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  • Le monde en tranches

    sorciere.jpgUn débat animé se déroule en ce moment sur Citrouille, le blog des libraires jeunesse.

    Le point de départ : une tribune libre intitulée "Nous, les 9-12 ans, les oubliés de l’édition" et signée Véronique Marie Lombard de Livralire, qui laisse entendre que la "tranche" des 9-12 ans manquerait de bons livres, que les éditeurs se soucieraient davantage des très jeunes lecteurs et des + de 13 ans, laissant les 9-12 ans sans rien à lire...

    Autant j'apprécie le travail de Livralire, leurs coups de coeur, leur démarche de "passeurs", autant j'ai trouvé ce constat injustifié, car l'offre est importante dans ce domaine et les éditeurs savent se renouveler. Ainsi, Thomas Savary, en réaction, énumère quelques collections que les éditeurs ont conçues pour cette "tranche" :

    "Bayard jeunesse (collections Estampillette, Estampille, Poche Littérature), L’École des loisirs (certains Mouche, les Neuf), Gallimard jeunesse (Folio Cadet et une bonne partie des Folio Junior), Milan (cadet + et junior), Nathan (8-10 et 10-12), Oskar, Rageot (collection roman et les Heures noires à dos jaune), le Rouergue (Zig zag), Syros (Tempo, Tempo+, Souris Noire), sans oublier Thierry Magnier (certains titres de la collection Roman et les Petite poche, certes très courts, mais s’adressant au moins autant aux 9-12 ans qu’aux 7-8 ans). "

    On peut aussi ajouter Mouchoir de poche des éditions Motus, nombre de titres du Livre de poche jeunesse, Les Castor Poche de Flammarion, la nouvelle collection Chapitre du Seuil jeunesse, les romans Cadet d'Actes Sud Junior... et je dois encore en oublier.

    Difficile, dans ce cas, de saisir ce qu'entend dénoncer de son côté la tribune libre de Livralire qui dit (le "nous" représente les enfants dont V. Lombard se fait le porte-parole) : "Quand nos parents ou nos enseignants vont en librairie, quand les bibliothécaires de notre ville lisent les critiques et consultent des sites, ils ne trouvent plus de romans pour nous, alors qu’ils ont l’embarras du choix pour les ados."

    La tribune s'achève sur : "Nous, ce qu’on veut, c’est tout simplement une histoire unique, entre 100 et 150 pages, qui nous raconte le monde, qui nous parle de nous et des autres, qui nous fait rêver, rire ou pleurer, qui nous emmène loin ou tout près."

    J'ai réagi sur Citrouille, en écrivant (je n'ajoute pas de guillemets, puisque je me cite ;-) : On sait bien que le nombre de pages ne veut STRICTEMENT rien dire (pourquoi ne pas préciser la taille de la police de caractère, tant qu’on y est… ?) On peut dévorer 300 pages sans s’en rendre compte et se traîner sur 40 malheureuses et nullissimes petites pages... à n’importe quel âge - et j'ajouterai, quel que soit le degré d'autonomie du lecteur.

    Quant à la tranche d'âge évoquée, non seulement elle est surfaite et totalement subjective, mais montre qu'il reste encore à faire pour décloisonner les livres et la littérature... : un enfant de 9 ans et un autre de 12 n’ont pas des préoccupations, compétences, désirs, etc. similaires ; mais il peut aussi y avoir de grandes disparités entre deux enfants du même âge… Chaque lecteur est unique, on a l’air de l’oublier. Et à chacun de se faire son propre parcours de lecteur, avec ou sans adulte qui lui dise quoi lire et quand, selon ses envies et son degré d'autonomie. Certains dévoreront dès 8 ans, sans avoir besoin de « prescription » (médicale ?), d’autres ne commenceront qu’à 20 ans… certains iront directement voir du côté adulte ou ado, d’autres encore liront peu – et alors ?

    Certes, l'offre pour les 13 ans et plus s'est considérablement élargie ces dernières années (pourquoi s'en plaindrait-on ?), mais les plus jeunes ont aussi de quoi faire. Bien entendu, tout ne se vaut pas (mais ce constat est valable dans toutes les "catégories" éditoriales), mais pour avoir lu des dizaines d'ouvrages publiés ces temps, il me semble qu'il existe, à côté des romans formatés (c'est à dire explicitement didactique, calqués sur des moules sans saveur, dont les "morales" ou les dénouements sont là davantage pour faire plaisir aux adultes - parents, prescripteurs, etc. - qu'aux enfants), des ouvrages d'excellente facture, d'une richesse telle qu'ils seront appréciés autant des enfants que des adultes (car tout est question de niveaux de lecture, il me semble, et de leur superposition...).

    petitechance3.jpgPour ne citer que quelques lectures récentes (et je vais en oublier au passage, c'est certain) éditorialement destinés aux lecteurs de 8-11 ans mais que nombre de lecteurs plus âgés prendront plaisir à lire : Une petite chance de Marjolin Hof (traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, Chapitre, Seuil jeunesse), Ma pomme d'Olivier de Solminihac (Mouche de l'école des loisirs), Tonton Zéro de Roland Fuentès (Mini Syros), Les inséparables de Colas Gutman (Neuf de l'école des loisirs), Un cow-boy dans les étoiles de Claire Mazard (Chapitre, Seuil jeunesse). Sans parler des ouvrages de fantasy, d'aventure ou d'évasion qui paraissent... et qui ne sont pas forcément moins bons ou plus méprisables que les précédents.

    Quant aux tranches d'âge indiquées sur les ouvrages par les éditeurs, elles restent des suggestions, rien d'autre. On peut prendre plaisir à lire des albums à tout âge, comme on peut aussi passer sans transition de la Bibliothèque verte à Zola... A ce sujet, je lis aussi sur Citrouille que le monde de l'édition jeunesse en Grande-Bretagne se mobilise pour éviter qu'on impose un âge minimum sur les ouvrages. Il est vrai que jusqu'à présent, les parutions britanniques échappaient à ces classifications explicites.

    Voilà le début de l'appel lancé par des écrivains, des illustrateurs, des bibliothécaires, des éditeurs et des libraires, qui revendiquent que chaque lecteur est unique, chaque livre aussi...

    " We are writers, illustrators, librarians, teachers, publishers and booksellers. Some of us have a measure of control over what appears on the covers of their books; others have less.
    But we are all agreed that the proposal to put an age-guidance figure on books for children is ill-conceived, damaging to the interests of young readers, and highly unlikely, despite the claims made by those publishers promoting the scheme, to make the slightest difference to sales.
    We take this step to disavow publicly any connection with such age-guidance figures, and to state our passionately-held conviction that everything about a book should seek to welcome readers in and not keep them out."

    http://www.notoagebanding.org/

     

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  • Revue Incognita, Bruno Doucey

    incognita.jpgParaît ce mois le troisième numéro de la revue Incognita (avec, à sa tête, Luc Vidal, directeur de la publication et Pierrick Hamelin, rédacteur en chef), publiée par les éditions du Petit Véhicule, un numéro consacré, entre autres choses, au travail et à l'oeuvre de Bruno Doucey, poète, écrivain, éditeur. Le dossier approfondi débute sur un entretien, dans lequel le poète retrace son parcours, parle de son rapport à l'écriture et à la poésie, de résistance, liée à la lutte de Victor Jara (à propos duquel il a signé cette année un roman dans la collection "Ceux qui ont dit Non" - Actes Sud Junior), et aborde son activité d'éditeur chez Seghers, en continuité avec l'écriture poétique telle qu'il la conçoit : "Ecrire, publier de la poésie : un même acte de résistance, une même réponde apportée à la détresse humaine (...) Changer le monde ou changer le regard que nous portons sur le monde : dans les deux cas, j'assigne à la littérature le rôle de faire bouger les choses."

    A propos de l'écriture elle-même, plus précisément du processus qui mène à la création, il répond : "Avant de prendre la plume, une même attitude s'impose : il faut donner du temps à l'impression d'arriver et d'entrer, ouvrir son esprit aux effets qu'elle produit et s'en laisser pénétrer." Les textes qui suivent rendent hommage à l'oeuvre, par le biais de témoignages, de poèmes et d'analyses fouillées qui dévoilent les différentes facettes (et il y en a !) du créateur.

    D'autres richesses composent ce numéro, que l'on recommande vivement (est-il besoin de le préciser ?), dont un entretien avec Jean-Pierre Engelbach, directeur des éditions Théâtrales depuis leur création en 1981, un texte d'Alain Kewes, responsable des éditions Rhubarbe, dans la rubrique "Un éditeur à son auteur" ou encore un article portant sur le travail de Pascal Bouchet, collagiste.

    Incognita n° 3, juin 2008
    ISBN : 9782842736620
    nombre de pages : 152

    La Revue
    www.petit-vehicule.asso.fr/revues_02.php?id_revue_titre=58

    La maison d'édition
    http://www.petit-vehicule.asso.fr/
    que l'on peut aussi retrouver ici
    myspace.com/editionsdupetitvehicule  

    Les éditions du Petit Véhicule publient aussi les Cahiers d'Etudes Léo Ferré, dont Jocelyne Sauvard parle ici www.sitartmag.com/leoferrevidal.htm

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  • De l'éphémère - Land art / Andy Goldsworthy

    666428038.jpg

     

    Beech leaves collected only the deepest orange from within the undergrowth protected from sunlight unfaded each leaf threaded to the next by its own stalk - Hampstead Heath, London - 26 December 1985

     

     

     

    293699894.jpg

     

     

    Frozen patch of snow each section carved with a stick carried about 150 paces, several broken along the way began to thaw as day warmed up - Brough, Cumbria - March 1984 

    1549548208.jpg

     

     

     

     

    Sycamore leaves stitched together with stalks hung from a tree
    Glasgow, Lanarkshire - 1 November 1986

     

    source
    http://www.goldsworthy.cc.gla.ac.uk/

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  • Chroniques des temps obscurs

    1552422501.jpgÀ paraître en juin 2008

    Chroniques des temps obscurs - Tome 4 : Le banni
    de Michelle Paver, traduit de l'anglais par B. Longre
    Hachette roman jeunesse.

    Il y a 6000 ans... quelque part dans le nord de l'Europe. Torak est banni du clan des Corbeaux à cause du tatouage dessiné sur sa poitrine, celui d'un Mangeur d'Âme. Condamné à porter ce fardeau en fuyant toujours plus loin dans la Forêt, Torak est seul au monde et tente de survivre. Mais son amie Renn n'a pas l'intention de l'abandonner à son sort...

    Michelle Paver, de mère belge et de père sud africain, est née en Afrique centrale où elle a vécu toute son enfance. De ses voyages dans les montagnes des Carpathes, en Norvège, en Finlande, en pays lapon, elle a rapporté une étonnante expérience de la nature sauvage.

    http://www.michellepaver.com/

    http://www.torak.info/

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  • Tentatives & projets...

    1881847722.jpg

    Je redécouvre Thibault de Vivies par le biais d'un de ses textes publié sur Publie.net : Tentative de pourquoi j'ai toujours si mal à la tête, un monologue percutant composé de tirades plus ou moins longues, une ponctuation économe, des phrases saccadées qui se déroulent et se percutent dans l'esprit d'un narrateur déboussolé, pour rebondir dans l'esprit du lecteur. L'auteur crée une voix déstabilisante, celle d'un individu dont il est difficile de cerner la personnalité et la nature, et qui tâche de mettre de l'ordre dans sa vie et ses pensées, d'appréhender le monde qui l'entoure et d'y survivre - des tentatives au prime abord déstructurées et tâtonnantes et qui font pourtant peu à peu sens et s'inscrivent dans une démarche introspective cohérente, que chaque lecteur reconstruira comme il l’entend. On se laisse porter par la succession et l'enchevêtrement de mots, à la découverte d'un univers intérieur atypique et d'un parcours bouleversant. Un texte étonnant que je recommande vivement.

     

    Présentation, extrait et achat en ligne http://www.publie.net/tnc/spip.php?article84

     

    Le site de l'auteur http://www.tentatives-lesite.net/ 

    Son premier roman, Me suis fait tout seul, publié en 2002 par les éditions Pétrelle, est réédité par les éditions Jets d’encre. Je l'avais lu lors de la première édition.

    931843450.jpgMe suis fait tout seul est là encore un monologue, ou plutôt un dialogue entre un homme brisé, "une sale gueule", et un monde sourd à ses appels, le dialogue entre le désespoir et l'indifférence. Cet homme que la société a mis en marge se raconte avec lucidité, en sachant qu'au fond, il ne s'en sortira pas, que ses tares psychologiques et ses déviances ne lui laisseront pas de repos. Il commet un crime sexuel et se retrouve pour quelques années en prison, sans que ses troubles psychiques soient un instant pris en compte, ou tout du moins, qu'une tentative de traitement se mette en place. Il en ressort tout aussi désaxé, convaincu que sa réintégration sociale est impossible. Ainsi, il traîne sa liberté toute neuve comme un boulet, et, désemparé, il la reçoit comme une autre forme d'enfermement.
    Son errance l'entraîne à devenir l'homme à tout faire dans un sinistre bordel, où il se sent bien un temps, mais qu'il quitte un jour, "vers de nouvelles aventures". En réalité, son existence sans but est motivée par un déphasage psychologique constant, routinier, et les pérégrinations qu'il nous conte là sont poignantes d'ironie dramatique : l'on y ressent une pointe de sarcasme, qui vise surtout les autres hommes et leur "monde terrible" et une bonne dose de dégoût, que le narrateur retourne le plus souvent contre lui-même.
    Thibault De Vivies a d'abord écrit pour le théâtre et publiait là son premier roman, mais on y ressent à chaque instant les influences de l'écriture dramatique : chaque chapitre semble fonctionner comme un tableau et le style spontané, où une certaine poésie perce par endroits, est totalement oralisé, sans tabous ni pudeur ; un texte brut qui paraît destiné à être lu à haute voix, voire joué sur scène, même si là n'était pas l'intention de l'auteur, qui disait : "J''essaie de mettre de côté, pour un temps du moins, le théâtre, et de me recentrer sur ce que j'ai à exprimer en utilisant l'écriture romanesque où je me sens pour le moment plus libre".
    (B. Longre)

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  • Un article de Madeline Roth

    A lire dans Citrouille, revue des libraires jeunesse, un article de Madeline Roth.

    Pas Raccord de Stephen Chbosky, Traduction B. Longre, Exprim', Sarbacane - 10,50 €

    4234775.jpg« Tout ce que j'aimerais, c'est que Dieu ou mes parents ou Sam ou ma sœur ou n'importe qui d'autre me disent simplement pourquoi je suis pas « raccord ». Qu'ils m'expliquent ce qui tourne pas rond chez moi. Qu'on me dise juste comment être différent d'une façon qui soit logique. Comment faire partir tout ça. Le faire disparaître. Je sais que c'est pas une bonne idée : c'est mon problème à moi et je sais qu'avant d'aller mieux, les choses sont toujours pires (comme dit mon psy), mais là c'est trop de pire à supporter ».
    Je m'étais pourtant dit que je ne rédigerais plus de critiques à la première personne. Mais impossible. Pas raccord traîne depuis des semaines sur la table, tout corné, et j'ai beau chercher les mots, je pense qu'il n'y en a sans doute pas de plus forts que ceux-là : j'ai fini le livre en larmes, en vraies larmes.
    Charlie vient d'entrer au lycée. Le texte s'ouvre sur une lettre qu'il écrit à quelqu'un qu'il ne connaît pas. Prétexte à un journal intime, mais adressé. La première page, déjà, je l'ai cornée : « Il faut d'abord que tu saches que je suis à la fois triste et heureux, et que j'ai toujours pas compris comment ça se fait ». On suit Charlie pendant un an. Au début, je ne comprenais pas vraiment. Et puis – je ne sais pas où – un déclic se fait et le livre devient impossible à quitter. Pas raccord est un « roman d'apprentissage » : en vrai ça veut dire que Charlie grandit. Il apprend l'amitié, l'amour – et la différence entre les deux – , il découvre la sexualité, les fêtes, la drogue, la musique, les livres et… la violence. La violence inouïe qu'il y a à se retrouver seul avec soi.
    1444236797.jpgL'épilogue dénoue beaucoup de choses. Je pensais – évidemment – à L'Attrape-cœurs, de Salinger, mais aussi au Bizarre incident du chien pendant la nuit, de Haddon, pour cette écriture verbale, heurtée. Cette naïveté propre à l'adolescence, cette innocence qui « ouvre » Charlie à la vie en même temps qu'elle l'enferme dans des choses inavouables. Pas raccord est le premier roman de Stephen Chbosky, écrivain, éditeur, scénariste et réalisateur new-yorkais qui milite activement pour la défense des droits des homosexuels. Livre culte aux Etats-Unis, il est l'un de ces textes rares qui donnent – je l'espère – la vie comme elle est : la morsure du vent à la sortie du tunnel. « J'ai décidé d'être la personne que je suis vraiment. Et je vais essayer de trouver cette personne ».

    Madeline Roth, L'Eau Vive

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  • Genèse du personnage, entre histoire et fiction.

    Tu signais Ernst K. de Françoise Houdart
    Ed. Luce Wilquin

    Que sont véritablement Juliette, Laura, Emma et (surtout) Ernst, quelques-uns des protagonistes de cet admirable récit romanesque ? Quel rôle ont-ils réellement joués dans les drames que dépeint, en les réinventant souvent, l’écriture riche et sonore, aux nombreuses embellies métaphoriques, de Françoise Houdart ? Des personnages de papier, c’est une certitude, mais leur statut n’en reste pas moins indéfini, car rarement on aura vu des créations littéraires prendre corps et se faire chair à ce point ; tout particulièrement Ernst K., jeune recrue de l’armée allemande qui logea chez l’habitant (en l’occurrence dans la maison de Juliette et de sa fille Laura) durant près de dix-huit mois, entre 1917 et 1918, comme tous ces soldats pour lesquels l’armée réquisitionnait des logements en Belgique occupée.

    1871238979.jpgLa romancière avoue ses incertitudes dès le début, s’adressant au personnage éponyme, qui fut aussi un homme dont il ne reste que peu de traces : « A ce stade de ma recherche, j’ignore encore pourquoi je te poursuis ; pourquoi j’instruis ton procès d’existence en te supposant tel qu’il faudra que tu sois en mes hypothèses d’auteur et mes propres conviction. (…) Tu as laissé derrière toi un message crypté dont j’ai entrepris de pénétrer le mystère. » La fascination que la romancière éprouve, et réitère tout au long du roman, pour Ernst K., rappelle en partie une autre vaste entreprise littéraire entre imagination, réinvention et réalité historique – celle que Bernado Carvalho relate dans Neuf nuits. Les deux récits, de même que les deux hommes qui les ont inspirés (Ernst K. et Buell Quain, anthropologue américain), n'ont que très peu de choses en commun, hormis l’obsession qui s’est emparée de deux écrivains (l’une belge, l’autre argentin) et qui les a incités à composer des romans fiévreux, tenant autant de la fiction que de la quête personnelle. Tandis que Bernado Carvalho avait en main quelques photos, des lettres, des archives et des témoignages (incertains), Françoise Houdart, pour creuser le cas « Ernst K.» a dû se contenter d’un petit carnet de dessins et des souvenirs éparpillés d’une vielle dame – Laura, la petite qui avait huit ans en 1917, quand le jeune Allemand pénétra pour la première fois dans la maison de Juliette.

    Indices ou mirages ? Peu d’éléments en tout cas pour mener l’enquête, à la fois dans la réalité historique de la première guerre mondiale (des événements à grande échelle) et dans une reconstruction semi imaginaire qui s’intéresse de tout près à l’humain et aux souffrances endurées individuellement en ces temps de tourmente – les pénuries, les arrestations, la tyrannie et l’arbitraire qu’un commandant fait régner dans le village (comme c’était la règle), la peur et le froid qui s’insinuent au plus profond des êtres. Il y a aussi Eduard, l’ami d’Ernst, qui écrit à sa femme Emma : « La guerre, elle pourrit l’âme en dedans. » ; Emma, la femme ennemie, que l’on apprend à connaître lors d’une permission accordée à Ernst, et qui subit des épreuves similaires à celles de Juliette, la logeuse belge d’Ernst – des destinées étrangères l’une à l’autre et pourtant parallèles, qui se rejoignent implicitement quand toutes deux perdent leur mari et qu’Ernst prend soin des deux femmes, avec discrétion et compassion.

    On retient l’ardeur avec laquelle la romancière construit son enquête, retraçant les déplacements d’Ernst (probablement chauffeur du commandant) en s’appuyant sur les dessins du carnet – qui représentent des châteaux, des demeures anciennes ou des paysages des alentours – un travail topographique de taille, qui va de pair avec la documentation historique. Cette ardeur, on la retrouve dans la précision stylistique, qui ne souffre aucun défaut, et dans la volonté de la romancière de mettre en mots ses doutes – pour ensuite les chasser afin de poursuivre son œuvre de reconstruction fictive.

    Il reste au lecteur de démêler les fils d’un récit hybride et palpitant, génériquement inclassable, entre Histoire, mémoire et imaginaire - l’histoire, principalement, de la micro guerre de Juliette et de son époux barbier, de l’« occupant » qui leur a été imposé jusque dans l'intimité de leur propre maison – ce jeune homme qui refuse pourtant d’être assimilé à l’armée allemande et à ses exactions. Tu signais Ernst K. est une œuvre imposante qui s’attache, paradoxalement, au quotidien d’un petit nombre de gens ordinaires – une vieille femme qui meurt d’épuisement, un vicaire résistant, agent secret, un barbier maladroit, des enfants qui travaillent sans relâche pour faciliter le quotidien de leurs parents, une cuisinière généreuse, quelques notables pris au piège de l’occupation ennemie, des délateurs (encouragés par les occupants) et des foyers détruits par les déportations de travailleurs vers les mines ; et aussi un soldat « à la périphérie de l’horreur », que ses supérieurs n’ont pas encore envoyé au front, et une romancière fascinée, qui crée ce personnage pivot et fuyant tout à la fois, qu’elle utilise pour explorer le processus créatif tout en prenant conscience de l’emprise qu’il a sur elle, et de ses difficultés à le maintenir dans un cadre fixe et programmé : « Ainsi es-tu devenu un être doué d’existence. J’écris ces mots (…) et ceci me paraît pléonastique. Existeraient-ils des êtres qui ne possèdent pas le don d’exister ? Mais à la réflexion, es-tu un « être », toi ? (…) De toi, Ernst, j’ai la profonde certitude que cette potentialité d’exister hors de ton contexte romanesque émane de ta seule volonté. (…) Tu n’étais qu’un nom écrit au crayon sur la première page d’un carnet de dessins (…) Je l’ai lu, je l’ai dit, et tu es devenu quelqu’un. »
    (B. Longre)

    http://www.wilquin.com/

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  • Du nouveau sur Jibrile

    1587524871.jpgJibrile, revue de critique littéraire et politique, est dirigée par Frédéric DUFOING (philosophe et politologue) et Frédéric SAENEN (Agrégé en langues et littératures romanes, auteur et critique - entre autres pour Sitartmag... quelle chance !), depuis mai 2003, à Liège. Au sommaire, "analyses de fond et parole pamphlétaire, argumentation cohérente et implication personnelle".

    http://www.revuejibrile.com/

    On pourra lire deux ajouts récents : une rencontre avec Célia Izoard, à propos de l'ouvrage collectif "La Tyrannie technologique" (Éditions L’Échappée) et une série de "kinochroniques" signées Frédéric Dufoing.

    Pour découvrir plus avant la revue, on se reportera à cet article.

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  • Ange ou démon...

    1775849530.jpgLes ogres pupuces
    de Guillaume Le Touze, illustrations Julien Rancoule
    Actes Sud-Papiers, collection Hekoya jeunesse, 2008

    Les ogres pupuces, petites boules de poils imprévisibles découvertes par le Professeur Sebastianovitch, vont enfin quitter leur incubateur afin d’être adoptés par des enfants (les jeunes spectateurs en personne). Mais leur nature véritable (angélique ou diabolique – d’où l’oxymore que l’on décèle dans leur appellation) reste incertaine… On sait seulement qu’ils ont besoin d’un bon dosage d’amour et de rire pour ne pas se transformer en créatures sanguinaires ! Les personnages pittoresques (une interprète amoureuse, une chercheuse vouée corps et âme à la science, un nain capable d’apprivoiser les ogres pupuces, sans parler de Sebastianovitch, quelque peu paranoïaque) présentent tour à tour les créatures aux futurs adoptants, quand une erreur de manipulation provoque la fuite des petites peluches.
    L’interaction entre le public potentiel et les protagonistes fonctionne parfaitement, même sur la page, et on appréciera l’inventivité débordante du texte, aventure scientifico-fantaisiste décalée qui rejoint d’autres quêtes imaginaires, les illustrations (crayonnés, esquisses en couleur, parfois destinés à accompagner les délires scientifiques de Sebastianovitch) jouant un rôle essentiel dans la mise en place de cet univers. Comme les autres ouvrages de la collection Hekoya jeunesse, un soin particulier a été apporté à la mise en page, une façon d’inciter les jeunes lecteurs à lire la pièce seuls, comme ils iraient ouvrir un roman. (B. Longre)

    Cet article a paru en compagnie de quelques autres dans le numéro 240 de La Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, avril 2008).

    http://www.actes-sud.fr/

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  • Quand tombent les masques

    1502748721.jpgMascarade de Sacha et Nancy Huston 
    Actes Sud Junior, collection poche théâtre, 2008

    Un loup, une chèvre… jusqu’ici, on se trouve en terrain connu. Mais quand s’engage le dialogue (véritable quiproquo dû à des confusions lexicales et phonétiques), que tombent les masques et qu’apparaissent successivement d’autres protagonistes (dont un rappeur et un psychanalyste…), on comprend qu’aux mains des auteurs (mère et fils), la base du conte risque de subir quelques détournements. La scène initiale devient scène de ménage puis scène de séduction, et ainsi de suite. Ludique (autant au niveau langagier que scéniquement), Mascarade propose des dialogues vifs, des altercations rythmées, au fil des transformations parfois surprenantes. Par le biais de références que seuls les adultes reconnaîtront, sans pour autant devenir des obstacles de lecture pour les plus jeunes (pas avant le collège, semble-t-il, contrairement à ce qui est proposé par l’éditeur), le texte présente plusieurs niveaux de lecture qui enrichissent le propos, évoquant en filigrane l’idée d’une quête identitaire sans fin – en écho avec les mots du loup (« où vais-je ? D’où viens-je ? Qui sois-je ? »…) – et la notion que les masques métaphoriques que nous revêtons et les méprises qui s’ensuivent sont le lot commun. (B. Longre)

    Cet article a paru en compagnie de quelques autres dans le numéro 240 de  La Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, avril 2008).

    http://www.actes-sud-junior.fr/

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  • Les auteurs s'expriment...

    Deux nouveaux blogs d'auteurs découverts ces temps...

    D'abord, celui d'Anca Visdei, dont le dernier roman, L’exil d’Alexandra, vient de paraître chez Actes Sud (un article en ligne ici). Anca est écrivain, dramaturge et metteur (metteuse ?) en scène - une trentaine de pièces à son actif, publiées et jouées en France et à l’étranger.

    http://ancavisdei.blogspot.com/

    Vient ensuite Fabrice Vigne (que l'on ne présente plus - du moins sur ce blog...!) qui a ouvert Le Fond du Tiroir : autre ton, autres livres, autres projets mais toujours une finesse d'esprit appréciable. On ira lire entre autres la page intitulée "Ecrire d’une main, allaiter de l’autre" (deux actes nullement incompatibles selon lui) et on découvrira quels livres "déforment ses poches".

    http://www.fonddutiroir.com/blog/

    D'autre blogs, d'autres univers...

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  • Rester soi

    311272372.jpgAlice pour le moment de Sylvain Levey
    Ed. Théâtrales jeunesse, 2008

    Toute jeune fille fantasque, discrète et rêveuse, Alice, « observatrice du monde », sait glaner un peu de bonheur dans d’infimes détails – malgré sa solitude, son sentiment d’exclusion, les « garçons » anonymes (et interchangeables) qui la raillent ou sa difficulté à accepter le nomadisme de ses parents immigrés. Elle affirme être « une solitaire heureuse et volontaire » et se plie, sans aigreur, aux changements de décor successifs, dans un monde où l’important est de « rester soi ». À peine s’est-elle fait une amie que la famille part s’installer plus loin, au gré des petits boulots du père saisonnier. Et quand elle rencontre Gabin et commence à s’habituer à ses baisers, il faut repartir, encore. Le transitoire, le provisoire et l’instabilité sont ici source d’inspiration et les premiers émois adolescents s’inscrivent dans une poésie limpide, dont la simplicité de surface est à l’image de la jeune Alice, narratrice, récitante et fil conducteur du récit rétrospectif : «transparente » pour les autres mais riche et dense vue de l’intérieur. (B. Longre)

    http://www.editionstheatrales.fr

    Cet article a paru en compagnie de quelques autres dans le numéro 240 de  La Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, avril 2008).

    1785777249.2.jpg
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  • Titre à rallonge...

    Faire l'amour est une maladie mentale qui gaspille du temps et de l'énergie... Ce n'est pas moi qui le dis, mais Fabrice Melquiot - c'est ainsi que s'intitule l'une de ses dernières pièces, publiée par L'Arche Editeur, et dont je parlerai (après Tasmanie ou Je peindrai des étoiles filantes et mon tableau n’aura pas le temps - autre titre volontairement long).

    D'autres titres à a rallonge ? Me vient à l'esprit Le garçon qui ne pouvait pas voir les livres en peinture, d'Ellen Willer (L'école des loisirs), que je recommande vivement. D'autres idées... ?

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  • Publie.net, comment ça marche ?

    731420051.jpgSe passer du livre papier ? Inconcevable... (ce qui n'engage que moi) pour diverses raisons déjà évoquées ; en revanche, il m’arrive de lire des pdf sur écran (de plus en plus souvent), dont certains ouvrages diffusés sur publie.net.

    Publie-net ? Une nouvelle façon de publier qui se met peu à peu en place, rassemblant édition, diffusion, distribution dans un seul et même espace… Une initiative éditoriale née sur une idée de François Bon, qui orchestre le tout (avec l’aide de quelques bonnes volontés) et qu’il nomme « une coopérative d’auteurs pour le texte numérique contemporain ». Ces derniers se regroupent afin de proposer certains de leurs textes (des inédits, des épuisés, des parutions parfois éparpillées dans différentes revues, etc.) à télécharger pour des sommes modiques (de 1,30 à 5,5 €), dont 50% leur est reversée – une « juste rémunération » (une fois n’est pas coutume). Un projet dont on se réjouit et qui mérite le soutien du monde littéraire... en tout cas de la "communauté virtuelle ".

    849361591.jpgFrançois Bon précise qu'il n'est pas question de s'opposer à l'édition classique, mais de proposer une démarche complémentaire qui permette "d'investir directement, en tant qu’auteurs, un nouveau champ de partage. D’installer dans l’univers numérique non seulement l’instance critique qu’est dès à présent, via quelques sites et blogs d’exigence, la communauté virtuelle, mais notre travail de création lui-même. S’approprier la mutation actuelle des outils et supports pour que la littérature contemporaine – simplement – y conserve sa place de laboratoire, de repère."

    1589950451.jpgDans ce laboratoire en pleine éclosion et en constante évolution, on trouvera des récits, des fictions et de la poésie, des essais critiques et de recherches texte-images, aux côtés de quelques textes fétiches de la bibliothèque numérique, choisis et mis en page par publie.net. Une belle variété, donc. Dans l'atelier des écrivains, on lira des textes signés Eric Chevillard, Régine Detambel, ou encore Jacques Roubaud, tandis qu'une autre rubrique, Voix critiques, offre des essais (dont Violence et traduction de Claro, ou bien Seul, comme on ne peut pas le dire d'Arnaud Maïsetti, une monographie consacrée à une pièce de Koltès).
    La zone risque, de son côté, accueille des "auteurs inédits, des démarches d'exploration, des tentatives d'écriture surprenantes, qui ne sauraient rentrer dans le cadre de l'édition graphique". La coopérative propose en outre quelques collections destinées à s’enrichir au fil du temps, dont la collection Grèce - une série de traductions inédites ou épuisées du domaine grec contemporain proposées par Michel Volkovitch et la rubrique formes brèves, qui regroupe des textes contemporains, choisis par François Bon.

     

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  • Revue internationale des livres et des idées

    666200305.jpgLe n°5 (mai-juin 2008) de La Revue internationale des livres et des idées est en kiosque. Pour découvrir le numéro précédent, on pourra lire cet article en ligne et pour tout savoir de ce dernier numéro, on peut se rendre sur le site ou le blog de la revue, une initiative des Editions Amsterdam (directeurs de publication : Jérôme Vidal et Yann Laporte).
    Un aperçu du sommaire :
    Yves Citton : Il faut défendre la société littéraire
    Marc Escola :Voir de loin. Extension du domaine de l'histoire littéraire
    Christophe Fiat : La jeune fille à la bombe 
    Xavier Vigna : Clio contre Carvalho. L'historiographie de 68
    Thierry Labica : La culture n'est pas une marchandise : c'est un gouvernement
    François Cusset : Le champ postcolonial et l'épouvantail postmoderne...

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  • On parle de Pas Raccord ici et là...

    Un article en ligne

    welcome.to.the-place-to-be.fr/?p=1034

    et quelques points de vue chez Gawou

     

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  • Lisez le garçon...

    cgutman.jpgJournal d’un garçon de Colas Gutman, Médium de l’école des loisirs, 2008

    Un garçon qui tient un journal intime ? C’est soit « une fille, soit un pédé, soit une fille-pédé »… du moins de l’avis du père et du demi-frère du narrateur. Ce qui n’empêche heureusement pas celui-ci de tenir son journal (et de s’y tenir, de septembre à juin) pour notre plus grand plaisir. Car tout y passe et rien n’est simple : sa famille recomposée, sa sœur qui joue à la rebelle, ses amis qui n’en sont pas (surtout le sosie de Julien Lepers, un « gentil » garçon qui s’est pris d’affection pour lui…), ses tristes amours (d’avance vouées à l’échec avec une « fille de terminale ») ou encore la très collante Nathalie Sicard, qui le poursuit de ses assiduités. Le désenchantement ambiant est cependant compensé par la finesse d’esprit de ce narrateur qui tente de rester « distant et classe » en toutes circonstances… Un jeune lycéen qui n’a pas sa plume dans sa poche, adepte d’une autodérision âpre et laconique qui lui permet peut-être de moins souffrir que d’autres, en dépit de situations humiliantes qui laissent le lecteur proche de l’hilarité. A lire absolument et à faire circuler.
    B. Longre (mai 2008)

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  • Middlesex...

    Mes souvenirs - Histoire d’Alexina / Abel B.
    Herculine Barbin
    La cause des livres, 2008

    Middlesex…

    1578386622.jpgEn 1874, le Docteur Ambroise Tardieu publiait un ouvrage scientifique intitulé "Question médico-légale de l'identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels", qui comprenait un manuscrit découvert en 1868, dans "une des plus pauvres mansardes du Quartier Latin". Auprès de ce manuscrit, un corps : celui d'Abel Barbin, âgé de vingt-huit ans, qui venait de se suicider. Abel, certes, pourtant né(e) Adélaïde Herculine Barbin (surnommée Alexina par ses proches) et rebaptisé(e) à vingt et un ans, après qu'un tribunal la/le déclare de sexe masculin. Une décision administrative qui tient compte de la « prédominance évidente du sexe masculin » d’Abel d’un point de vue physiologique, néanmoins insuffisante à résoudre les états d’âme de cet hermaphrodite et d’offrir de réponse à ses incessants questionnements identitaires.

     

    Abel fait le récit de sa courte existence sans aucune prétention littéraire ("Ma plume ne peut se mesurer à celle de ces géants du drame", écrit-il en mentionnant Alexandre Dumas et Paul Féval) ; il se raconte avec pudeur et dignité – une tournure d’esprit engendrée selon toute vraisemblance par la honte qui l’habite, mais aussi par une éducation religieuse « parfaite », tout au long des années durant lesquelles il fut « fille » puis « femme». En effet, jusqu'à quinze ans, Herculine est confiée au "calme délicieux des maisons religieuses". Les "études sérieuses" comblent la jeune fille, ainsi que diverses amitiés avec certaines de ses camarades, à qui elle voue parfois des passions démesurées ; des comportements qui ne sont pas sans inquiéter les religieuses. Ces dernières ne lui inspirent qu'un profond amour, respectueux, et le soutien moral qu'elles lui apportent sera essentiel. Aussi, de retour chez sa mère, Herculine se voit proposer une carrière dans l'enseignement ; elle accepte, malgré "une antipathie non raisonnée mais profonde pour le métier". Deux ans d'école normale, où elle vit de nouveau entourée de jeunes filles, lui font prendre conscience de sa nature trouble ; ses sens en éveil ne cessent de la harceler dans un lieu qu’elle décrit pourtant comme un "sanctuaire de la virginité", et seule l'étude semble la protéger temporairement des pulsions qui la tiraillent mais qu’elle ne comprend pas. Ses études terminées, elle est affectée à l'école privée d'une petite ville et tombe amoureuse de Sara, une autre institutrice qui deviendra sa maîtresse, avec toutes les complications que ce statut provoque.

    Rien de rocambolesque, ni de grivois, car l'humour n'a pas sa place ici ; à défaut, l’auteur exprime une lucidité désespérée et morbide. Si érotisme il y a, il n'est nullement prémédité ou gratuit, mais uniquement dicté par un profond désir d'authenticité de la part d'Abel Barbin ; un désir pourtant étouffé par la douleur qui nourrit ce récit : une souffrance infinie se dégage de ce témoignage, une souffrance morale, surtout, qu'il/elle ne cesse de clamer et de renvoyer à la face d'une société en marge de laquelle il se situe ; car sa nature hybride fait naître des réactions cruelles chez certains avides de scandale (en particulier la presse, qui multiplie les « insinuations perfides » quand il est déclaré « homme » par l’état civil) et même si d'autres le soutiennent (sa mère, les médecins, son amie Sara, ou encore l'évêque qui tranchera pour lui), il sait que les voies vers un bonheur simple lui sont fermées, comme à jamais voué à la marginalité ; pour preuve, devenu officiellement un homme, il admet que sa "connaissance intime, profonde de toutes les aptitudes, de tous les secrets du caractère de la femme" ferait de lui "un détestable mari". Une souffrance née d’une ambivalence inscrite au cœur du texte (oscillant sans cesse entre le masculin et le féminin pour parler de lui), que lui/elle-même est incapable d’apaiser et qui le mènera au suicide.

     

     Tout comme leur auteur, ces mémoires très particuliers, écrits d'une plume élégante, ont une histoire : nous devons à Michel Foucault d'avoir retrouvé le texte dans les archives du Département de l'Hygiène publique, de l'avoir publié en 1978, accompagné de documents d'époque et d'avoir ainsi fait connaître Abel/Herculine Barbin, mi-homme, mi-femme, incapable de définir sa véritable identité sexuelle, qu'elle soit biologique ou psychique. Tragédie identitaire, récit d'éducation, témoignage de l'histoire privée, ce récit frappant et sincère est aussi un appel à la compassion et au respect. « Il est difficile de lire une histoire plus navrante, racontée avec un accent plus vrai », disait Ambroise Tardieu en introduction de ces Souvenirs.

    Blandine Longre

    1001800714.jpg

    En annexe de cette publication soignée et fort agréable à parcourir, on trouvera divers éléments de documentation – dont un texte d’Antoinette Weill (qui retrace les lois scolaires qui se sont succédées au cours du XIXe), des données chronologiques et biographiques, le rapport précis de l’examen médical d’Herculine, à l’âge de 21 ans, ainsi que quelques photos d’un hermaphrodite inconnu, signées Nadar.

    Le titre de cet article fait référence au roman de Jeffrey Eugenides, Middlesex - critique en ligne.

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  • Non !

    981735859.jpgCeux qui ont dit NON, nouvelle collection aux éditions Actes Sud Junior, aurait tout aussi bien pu s'intituler "Non !" (sur le mode de J'accuse ! des éditions Syros), puisqu'on est là dans le registre de la révolte et de l'indignation. Une révolte toutefois pensée, structurée, qui sait ce qu'elle veut et s'engage avec intelligence dans des luttes pour des causes justes. Les quatre ouvrages qui inaugurent la collection, dirigée par Murielle Szac, mettent en scène des figures historiques dont l'engagement résonne encore aujourd'hui et peut servir d'exemple : Victor Hugo, Rosa Parks, Victor Jara et Lucie Aubrac. Quatre individus dont les actes et/ou les propos ont contribué à l'avancement de l'humanité.

    1118190198.jpgIci, plutôt que de proposer un documentaire, la directrice de collection a opté pour la forme romanesque ; chaque ouvrage comprend donc une fiction historique, complétée par un dossier qui permet d'établir de vrais liens entre les luttes du passé et celles du présent. Ainsi, le roman de Bruno Doucey (poète, romancier, essayiste et éditeur aux éditions Seghers), Victor Jara : non à la dictature, est suivi d'un texte qui relate le combat d'Aung San Suu Kyi, qui s'oppose à la junte militaire de son pays, la Birmanie, tout comme Jara (1932-1973) dénonçait la répression militaire au Chili. De même, le dossier qui suit Victor Hugo : non à la peine de mort, signé Murielle Szac, permet de découvrir d'autres opposants à la peine de mort, dont Cesare Beccaria, l'un des premiers à dénoncer l'assassinat "légal" pratiqué par le pouvoir en 1776, mais aussi Camus, Jaurès, Koestler, et Badinter. L'auteure explique aussi (pour ceux qui le sauraient pas...) qu'en Chine aujourd'hui, les stades servent aussi de lieux d'exécution ("de macabres mises en scène publiques").

    Rosa Parks : "Non à la discrimination raciale" de Numrod.
    Victor Hugo : "Non à la peine de mort" de Murielle Szac
    Lucie Aubrac : "Non au nazisme" de Maria Poblete
    Victor Jara : "Non à la dictature" de Bruno Doucey

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  • Condamnés au Paradis

    Au plus loin du tropique de Jean-Marie Dallet - Editions du Sonneur

    Condamnés au Paradis

    « Quand vous serez tous morts petits Blancs qui sentez le cadavre de vos possessions, l'île entière m'appartiendront, et le dernier d’entre vous je l’envelopperai dans le drap cloué au-dessus de mon comptoir, ce drap sur lequel j’ai peint "Rôtissez tous au fond de l’enfer" avec mes caractères hakka bien plus beaux que vos lettres en chiures de mouche, puis j’irai brûler le tout au fond de mon jardin – à cette pensée Ah You éclate d’un rire qui découvre trois chicots, multiplie les rides de son visage gris jaune alors que la lumière de l’aube filtre à travers les auvents entrouverts, il est là debout au milieu de son échoppe… »

     

    677775199.jpgParataito, « Paradis » en maori, un atoll perdu (« plat, petit et tout en rond (…) à peine un point noir entre Tuamotu et Gambier »), colonie pénitentiaire oubliée de tous, abrite encore une drôle de troupe qui tient à peine sur pied : cinq vieillards condamnés à l’exil, aussi disparates les uns des autres que leurs crimes respectifs – Ma Pouta, la vieille maquerelle, Trinité, le métis unijambiste, Pétino, le vieux militaire pétainiste, Corentin, le prêtre concupiscent, et Ah You, le Chinois qui tient boutique et qui n’attend que la disparition des quatre autres pour devenir le souverain des lieux… Il faut dire qu’au fil des années, ils ont déjà vu nombre des leurs s’éteindre et, survivants d’une longue liste de bagnards ayant échappés à la guillotine, ils s’accrochent tant bien que mal à ce qui leur reste de vie, au quotidien qui s’étire sans fin et aux quelques bribes de souvenirs à travers lesquels ils se définissent et se complaisent à revivre ce que le temps a définitivement effacé.

    En ce 1er janvier, tandis qu’ils attendent la goélette pénitentiaire qui les ravitaille deux fois l’an, ils s’apprêtent à se rendre à l’office religieux que Corentin s’obstine à célébrer, bien que ses compagnons ne manquent jamais de s’endormir avant la fin de son sermon, et que ces derniers connaissent d’avance les élucubrations que va leur servir le vieux pervers… quand un cyclone frappe l’île et ses alentours, provoquant deux événements qui vont temporairement bouleverser l’ordonnancement (certes déjà un peu bancal) du quotidien de ces prisonniers sans geôliers : la mort de l’un d’entre eux et l’arrivée de Kerlan, jeune naufragé semi amnésique échoué sur la plage, qui bien vite devient le protégé des quatre vieillards restants – ils entreprennent de le sauver in extremis des bernard-l'hermite, de panser ses plaies, de le soigner, de le nourrir, de le bichonner, bref, de l’accueillir dans leur univers déglingué et lui confier quelques-uns de leurs souvenirs.

    Dès les premières lignes, cette étonnante robinsonnade séduit le lecteur, qui se perd et se retrouve dans les monologues fluides et truculents de chacun des personnages, le narrateur intervenant régulièrement pour remettre un peu d’ordre dans le récit (l’absence de délimitation entre le « je » et le « il » impersonnel ne perturbe pas longtemps) ; les soliloques (ou dialogues avec ce qu'ils furent et ne sont plus) sont composés de lambeaux de mémoire, de plongées nostalgiques dans leurs passés respectifs (rarement idylliques, mais qu’ils ont néanmoins pris l’habitude de magnifier) : un épanchement de rancoeurs accumulées pour certains, une litanie des regrets pour d'autres, un éternel ressassement qui se traduit dans l’écriture elle-même, syntaxiquement décalée, à l’image des pensées qui se chevauchent dans l’esprit des narrateurs qui prennent la parole en alternance. L’auteur fait entendre la voix de rebuts, mis au banc d’une société rigoriste, des naufragés involontaires de l’existence dont l’humanité n’est toutefois pas à démontrer et dont le véritable Eden se trouve ailleurs que sur cet atoll, coin de paradis qu’ils maudissent (« enfer posé sur les flots », « atoll de désolation »). Des personnages qui forment un microcosme signifiant, reflet de la société qui les a rejetés mais à laquelle ils restent attachés, coûte que coûte, en reproduisant sur leur bout de terre un semblant d’organisation sociale ; soulignons cependant que ces figures certes emblématiques (le prêtre, le militaire, la putain, le commerçant et l’esclave) ne sont jamais monolithiques ou fonctionnelles, en dépit de la théâtralité qui émane de l’ensemble, mais restent très attachants malgré leurs tares ou leurs défaillances.

    Ce qui ressort de ces portraits nous concerne tous : donner un sens à une existence dérisoire (et parfois à un passé qui ne l’est pas moins), trouver une logique au chaos de la vie, dépasser l’horizon unique auquel chacun de nous a pu s’accoutumer… Qu’espèrent encore Ma Pouta, Trinité, Pétino, Corentin et Ah You ? Une rédemption possible pour les crimes commis (ou dont ils ont été injustement accusés) ? Un pardon ? Pas vraiment. Une délivrance, peut-être ? Un départ de l’atoll ? Un retour, en tout cas, à la « civilisation » qui les a abandonnés. En revanche, le naufragé Kerlan semble en quête de tout autre chose – d’une libération, mais qui se traduirait d’une autre manière, tant il aspire à la solitude que l’île, loin d’être déserte, ne pourra lui offrir qu’une fois les autres partis ou morts.

    Sur le mode de la robinsonnade (du naufrage à la délivrance – qui ne revêtent pas le même sens pour tous), Jean-Marie Dallet tisse un roman jubilatoire, où le huis clos n’a rien d’étouffant, où règne une atmosphère au contraire souvent joyeuse et cocasse – un récit hors normes, entre réalisme cru et allégorie poétique, qui s’achève sur une touche de sérénité, une échappatoire à l’enfer du monde et de la civilisation. Une oeuvre brève, dense, polyphonique et savoureuse, à laquelle on se hâtera d'aller goûter.

    (B. Longre, mai 2008)

    http://www.editionsdusonneur.com/

    Depuis Les Antipodes, édité au Seuil en 1968 et préfacé par Marguerite Duras, Jean-Marie Dallet a écrit une quinzaine de romans, dont Dieudonné Soleil, qui obtint la Bourse Goncourt du récit historique. Il a toujours « navigué » entre la Méditerranée, le Pacifique Sud et Paris. Encre de guerre est son deuxième roman publié aux Éditions du Sonneur.

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