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littérature, traduction - Page 9

  • Vivre avec les loups…

    dhearst3.jpgLes Chroniques du Loup, tome 1, la promesse des Loups, de Dorothy Hearst
    traduit de l’anglais par Marina Boraso - Albin Michel, 2008

     

    « Ne jamais se mêler aux humains.
    Ne jamais tuer un humain sans provocation.
    Ne jamais laisser en vie un loup de sang mêlé... »

     

    Telles sont les trois règles qui régissent les meutes de la Grande Vallée. Aussi, le jour où Ruuqo, chef de meute, égorge les frères et les sœurs de la jeune Kaala et bannit sa mère qui a enfreint la loi en choisissant un mâle extérieur à la vallée, la petite louve épargnée se voit traitée en étrangère par la plupart de ses compagnons. Elle s’adapte malgré tout à la vie collective et se fait des amis, dont Ázzuen, louveteau malingre mais futé, et Tlitoo, un corbeau qui veille sur elle.

    Cette saga préhistorique qui se déroule il y a 14 000 ans, quelque part dans le sud de l’Europe, est un beau roman des origines qui mêle mythologie, onirisme, fable politique et morale (les femelles, progressistes, s’opposent souvent aux mâles – réactionnaires, figés par la loi), pragmatisme de la survie et spiritualité, et met en scène des loups qui, tout en se comportant en animaux (instinct, sauvagerie, sens aiguisés, rivalités et hiérarchie de la meute, etc.) n’en possèdent pas moins des capacités intellectuelles et une émotivité propres aux humains. L’illusion fonctionne dès les premières pages : nous sommes face à de vrais personnages, pour lesquels on éprouve les mêmes inquiétudes que pour les humains qui apparaissent de temps à autre, et dont l’histoire est peu à peu indissociable de celle des loups ; une façon d’inviter le lecteur humain à remettre en question son statut omnipotent, à s’interroger sur sa propre animalité et à analyser, en filigrane, ce qui régit les comportements sociaux.

    De même, on a affaire à un récit qui s’inscrit dans la grande tradition des roman d’apprentissage à rebondissements (on repense évidemment aux Chroniques des Temps Obscurs de Michelle Paver) et qui propose une héroïne à l’identité forte ; Kaala, impulsive et téméraire, paria dans la meute, ainsi destinée à mener une existence hors du commun, retient d'emblée notre attention et l’on partage avec plaisir et curiosité sa vie au quotidien, tandis que l’intrigue ne cesse de progresser et de se complexifier : l’auteure propose une vision originale de l’évolution de l’humanité, entre mythologie et théories scientifiques : naissance de la terre, des astres, des créatures vivantes, disparition des dinosaures, appropriation du feu par l’homme, période glaciaire, disparition de Néandertal, etc.  Une reconstruction qui fait sens et s’emboîte harmonieusement dans le récit cadre.

     

    dhearst1.jpgC’est en littérature jeunesse que le procédé anthropomorphique est le plus souvent exploité et, à la lecture, on se dit que plusieurs passages aurait pu avoir leur place dans un roman jeunesse accessible dès 13 ou 14 ans, tout en ayant conscience que les différents niveaux de lecture et l’admirable inventivité de cette vaste fresque, dont les intrigues croisées n’ont rien d’infantiles, satisfont durablement le lecteur adulte. Un livre pour tous, donc, à découvrir au plus vite.

     

    http://www.les-chroniques-du-loup.com/

     

    http://www.albin-michel.fr/

     

    http://www.dorothyhearst.com/

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  • Des vertus du tumblelog

    tumblelog.jpgUne découverte récente : le tumblelog - littéralement, un "journal de bord en désordre" - qui permet de poster très rapidement des billets courts, des visuels, des vidéos, des liens ou de l'audio. Une formule qui pourrait sembler superflue, mais qui, à l'usage, s'avère efficace lorsque l'on veut simplement transmettre ou partager des informations, sans faire ou attendre de commentaires. On imagine aussi l'utilisation vitrine que peuvent en faire les artistes, les musiciens, les écrivains... voire les éditeurs.

    Quelques tumblelogs

     http://inajumble.tumblr.com/

    http://soamesbox.tumblr.com/ (à qui je dois la découverte, que l'auteure en soit remerciée !)

    http://ailleursicipresquesanssoleil.tumblr.com/

    http://locus-solus.tumblr.com/

    http://summasmiff.tumblr.com/

     

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  • Une vie de Pumpkins

    cfercak.jpgThe Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set
    de Claire Fercak
    Le mot et le reste, 2008

     

     « Dans notre sang, cadences nerveuses et mélopées fantastiques. »

     

    Quand vous écoutez certaines paroles-et-musiques en boucle depuis des années et que vous ouvrez un livre qui vous raconte que cela n’arrive pas qu’à vous, il y a de quoi se réjouir. Après, aimer (ou du moins connaître en néophyte) les Smashing Pumpkins est-il une condition indispensable pour qui voudrait goûter pleinement à cette inclassable fiction musicale ? Pas nécessairement, car dans la trentaine de « pistes » composée par Claire Fercak, on trouve non seulement un fil narratif cohérent (l’histoire d’une fille-chanson enfermée dans sa boîte-refuge, un coffret de musiques d’où elle refuse obstinément de sortir), mais aussi une écriture qui épouse à merveille les sensations, les détresses, les errances et les aventures de l’héroïne changeante, se modifiant au fil des musiques, à l’instar des décors et des atmosphères. On se réjouit doublement, donc, de cette écriture qui prime et de l’enchevêtrement des mots palimpsestes, car sans cesse superposés à ceux de Billy Corgan, compositeur (« esthète de la mélodie »), chanteur et fondateur des Smashing Pumpkins, qui signe la première piste du recueil, en rappelant que les mots n’appartiennent pas à celui qui se contente de les assembler, mais à tous et à personne à la fois. Et sûrement pas au poète : « Tout n’est que réagencement. Et croyez-moi, terrés dans l’obscurité de leurs tanières asséchées, tous les poètes en sont conscients ».
    Ces brassées de mots s’accumulent sur la page, formant au fil des tracks des mélodies soutenues pas une belle rythmique-ponctuation (« des mots, virgules, tirets, scansions et coupes en italiques »), preuve que l’on peut écrire la musique, la faire vibrer par le biais d’un autre mode expressif –  ici des assemblages verbaux. L’écriture prend diverses formes, passages comme improvisés, poèmes (en écho avec certaines chansons) et réminiscences (tranches de vie adolescentes, d’une infinie tristesse), créant une alchimie particulière entre les mots du livre et les paroles des chansons, donnant lieu à une fiction du bonheur et de la désespérance, tantôt poignante (« gouffres et susurrations / qui m’ont tenue vivante »), tantôt fantaisiste et onirique, qui nous fait voyager d’albums en morceaux, dans des mises en scènes dignes d’un Burton et d’un Lewis Carroll. Claire Fercak bâtit peu à peu un monde intérieur dense, serré, où se juxtaposent non seulement des histoires aux allures de contes, mais aussi, en filigrane, des tentatives de définitions (la nature de la musique, sa force et l’obsession qu’elle peut engendrer, son caractère indispensable, les déchirements des Smashing Pumpkins et la cohésion paradoxale du groupe, sous l’égide de Corgan, le rapport que chacun entretient avec des mélodies, traces et souvenirs....), ce qui amène l’auteure à écrire, quand la musique se vit comme  dépassement de la réalité: « En dehors de la musique, les choses de la vie ont une intensité réduite. En dehors de la musique, principe constitutif, nous n’existons pas. »
    Autobiographie (quand l’auteure s’écrit et que, parfois, elle s’observe, écrivant), documentaire (avec repères historiques çà et là), fiction (zones où l’imaginaire prend le pas sur le réel), essai (réflexions et visions), The Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set se lit comme tout cela à la fois, et plus encore, se libérant des carcans génériques pour former un artefact intime et très personnel, qui n’exclut cependant pas le lecteur, saisi par ces assemblages-collages de mots qu’il pourra faire siens –  justement.

     

    (B. Longre, novembre 2008)

     

     

    http://clairefercak.20six.fr/

     

    http://www.smashingpumpkins.com/pages/news/smashing-pumpkins-tarantula-box-set-by-claire-fercak

     

    http://atheles.org/lemotetlereste/

     

     

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  • Manifestation éphémère

    edit.jpgLibrairie éphémère – les éditeurs font fête : Les éditions L’Œil d’or et Passage piétons organisent la librairie éphémère : la production de cinquante éditeurs, des lectures, des mises en scènes et des expositions autour de textes rares, du 10 décembre 2008 au 4 janvier 2009 à la Halle Saint Pierre.

     

    Halle Saint pierre

    2 rue Ronsard, 75018 Paris

    01 42 58 72 80

    Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h sauf les 25 décembre et 1er janvier.

     

    Les invités

    À Rebours ; Anacharsis ; Art&fiction ; La Barque ; La Belle Gabrielle ; Bleu autour, Cause des livres ; Circa 1924 ; Chasse au Snark ; Cochon pendu ; Colophon ; Compagnie Créative ; Cochon pendu ; Cosa nostra ; Des Cendres ; La Diseuse ; Diantre !; Fondeur de briques ; L’Échappée ; L’Épure ; L’Escampette ; Frédéric ; Ginko ; Grandir ; Grèges ; Harpo & ; Image Son & Compagnie ; In 8 ; Isabelle Sauvage ; Lettr’ange ; Lirabelle ; L’Idée bleue ; Mare Nosrtum ; Michel Houdiart ; Monsieur Toussaint l’Ouverture ; Nuit Myrtide ; Organic ; Pegg ; Plonk et replonk ; Poursuite ; Recoins ; Ritagada ; Rougerie ; Le Passager Clandestin ; Le Sonneur ; Solo ma non troppo ; Trouvères & compagnies ; Vedrulla ; Yvette & Paulette ; Zédélé ; Zinc ; Zoom

     

    PROGRAMME

     

    Jeudi 11 décembre à partir de 17 h, vernissage

    Passage piétons fête ses 10 ans d’existence

    Image Son & Co. présente deux DVD, sur Vauban et Cézanne à partir de 18 h

     

    Samedi 13 décembre auditorium 14 h 30

    Le mur de la connaissance, conférence de Serge Tribolet, participation 10 euros

    à partir de 15 h Mario Del Curto signe son livre Au large des yeux

     

    Dimanche 14 décembre auditorium 14 h - 17 h / Recoins

    Présentation de Don Juan de Kazakov par la traductrice.

    Diaporama de Bruno Montpied, sur des environnements spontanés.

    Diaporama d’Emmanuel Boussugue sur Les irréguliers du Cantal, projection d’un court-métrage, adaptation d’Ambrose Bierce par Franck Fiat et David Chambriard.

     

    Vendredi 19 décembre auditorium 14 h - 17 h / La Barque

    Lectures de textes du n° 5 de la revue

    Solo de Jean-Luc Guionnet, saxophone

    Projections de vidéos de Franck Gourdien et Olivier Gallon

     

    Samedi 20 décembre auditorium 15 h

    Lecture et rencontre avec le poète Werner Lamberzy

    de 17 h à 19 h

    Présentation du dictionnaire de Jung avec Aimé Agniel et Michel Cazenave

     

    Dimanche 21 décembre auditorium 15 h / Nuit Myrtide

    Mon cher Rémi, spectacle épistolaire et musical, présentation du livre illustré de Julien Derôme. Un spectacle loufoque de 40 minutes avec Michela Orio et Robin Czarniak, Bertrand Ravalard au piano.

    16 h / Pegg

    Planning de Pierre Escot, lecture par Jean-Charles Dumay.L’histoire d’un homme d’après les annotations de son agenda. Entre rendez-vous et notes de travail, son planning devient recueil de pensées mêlées et la machine s’emballe...

     

    Lundi 22 auditorium 15 h / Les Fondeurs de Briques

    Yegg, première traduction intégrale de You Can’t Win de Jack Black, livre qui a inspiré William Burroughs et la Beat Generation, lecture et présentation par Jeanne Toulouse.

    16 h / La Cause des livres

    Fatigue mon amour, lecture par Juliette Mailhé, comédienne

     

    Mardi 23 auditorium 17 h / Passage piétons

    Cirques de Jean-Luc A. d’Asciano. Lecture de Rebecca Aïchouba, comédienne

    Compagnie Amorfini. Un enfant solitaire mais nullement fils unique rencontre un cirque stationné dans le terrain vague en bas de chez lui. Entre le cirque familial et l’autre, animaux à poils et à peaux se croisent.

     

    Samedi 27 auditorium 16 h / Pegg

    Planning de Pierre Escot, lecture par Jean-Charles Dumay

     

    Dimanche 28 auditorium 15 h / Passage piétons

    Cirques de Jean-Luc A. d’Asciano, lecture de Rebecca Aïchouba, comédienne

    Compagnie Amorfini.

     

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  • Archives, toujours.

    De "nouveaux" textes en ligne.

    chung1.gifKimchi
    Ook Chung
    Le serpent à plumes, 2001

    On sait comment, à travers leurs écrits, de nombreux écrivains de l'entre-deux (entre deux civilisations, pays, langages...) exorcisent l'apparent fardeau de la double-identité, l'idée d'appartenir à deux cultures sans jamais pouvoir véritablement s'approprier pleinement l'une ou l'autre : Hanif Kureishi ou Kazuo Ishiguro en sont de parfaits exemples en littérature anglophone. Ook Chung est néanmoins un auteur encore différent, pur produit du déracinement multiple, généré par une situation originelle plus complexe : né au Japon de parents coréens qui s'exilent ensuite à Montréal, cet écrivain francophone mais polyglotte vit aujourd'hui au Japon, un pays (re)découvert sur le tard. Ses Nouvelles orientales et désorientées attestaient, ne serait-ce que par le titre même de l'ouvrage, de son désir d'être reconnu comme une anomalie littéraire, un déraciné notoire et dysfonctionnel. Lire la suite

    fdavidalibeu.jpgOn n’aime pas les chats
    François David et Géraldine Alibeu

    Sarbacane, 2006

    En des temps bien mouvementés pour les différences et la pluralité (des origines, des couleurs, des opinions…) cet album tombe à point nommé : On n’aime pas les chats se présente comme une fable universelle qui transcende les époques et les lieux, à la fois grave et éminemment ironique, et le texte de François David, illuminé par les étonnantes illustrations pleine page de Géraldine Alibeu, se lit et se relit avec un bonheur toujours renouvelé, chaque lecture apportant des éléments nouveaux et engendrant de multiples échos avec ce que l’on peut lire ou entendre quotidiennement, dans la presse ou autour de soi. Lire la suite

    changraelee1.gifLes sombres feux du passé
    Chang-Rae Lee

    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Pavans
    Editions de l'Olivier, 2001 /
    Seuil, Points, 2002

     

    Le docteur Hata vit une retraite paisible et ordonnée dans la petite ville de Bedley Run, dans l'état de New-York. Rien dans son existence routinière ou dans son allure de citoyen respectable ne semble trahir "les sombres feux" d'un passé tragique. Et pourtant, tandis qu'il se remémore comment il a perdu de vue sa fille unique Sunny, une jeune coréenne adoptée à l'âge de six ans, une adolescente difficile et distante, d'autres souvenirs font surface, nourris par la vision d'un visage apeuré : celui d'une autre jeune coréenne rencontrée des années auparavant, alors qu'en tant qu'officier médical dans l'armée japonaise durant la deuxième guerre mondiale, il était cantonné dans un sinistre campement en Birmanie. Lire la suite

     

    aliettearmel3.jpgLe voyage de Bilqîs

    Aliette Armel
    Autrement, collection Littératures, 2002

     

    La reine de Saba et sa rencontre avec le roi Salomon n'ont eu de cesse, au fil des âges, que d'inspirer nombre d'écrivains et poètes (Nerval, Flaubert...) et, dans le même temps, cette histoire mythique (dont les sources historiques demeurent plutôt vagues), n'a cessé d'être récupérée et remaniée par les juifs, les chrétiens, les musulmans, ou encore les Ethiopiens, quand elle servait leurs intérêts spirituels ou politiques... Dès lors, quoi d'étonnant qu'une auteure française se l'approprie et la réinvente, tout en l'incrustant délicatement dans un autre récit, celui d'une lutte entre le peintre de la Renaissance italienne Piero Della Francesca (1415?-1478) et sa passion dévorante pour son art ? Lire la suite

     

     

    alkennedy3.jpgIndelible Acts

    A.L. Kennedy
    Jonathan Cape, 2002

     

    En quelques lignes, A.L. Kennedy pose chacun de ses personnages avec une minutie qui sied parfaitement au genre nouvellistique : êtres égarés, repliés sur eux-mêmes, qui se racontent (ou se laissent raconter) en amplifiant chaque geste anodin, en analysant la moindre pensée ; c’est ainsi que se dessine une succession de révélations intimes (la désormais très classique "épiphanie" joycienne, chère à Raymond Carver, autre nouvelliste de talent), ici microscopiques, par le biais d’une exploration solitaire et toujours imprégnée de doute... Lire la suite

     

    chenez3.jpgLe Resquilleur du Louvre
    Bernard Chenez

    Editions Héloïse d’Ormesson, 2005

    Pensant pénétrer dans l'univers d'une humanité aux abois, celle des abandonnés rencontrés par hasard au coin d’une rue (et dont on évite soigneusement de croiser le regard, par crainte d'y lire, justement, trop d'humanité) le lecteur entre sans grande méfiance dans le récit d'un "sans domicile fixe" ; de magouilles en combines, entre débrouillardise et roublardise, entre désespérance lucide, nostalgie et illusion comique, le narrateur anonyme se métamorphose pourtant en sage éclaireur, philosophe dépenaillé mais détenteur d'une vérité unique. Lire la suite

    chomeurs3.jpgChômeurs, qu'attendez-vous pour disparaître ?
    Collectif - textes réunis par Jean-Jacques Reboux
    Collection Tous les possibles
    Editions Après la lune, 2007

    Ce n’est pas un scoop : les chiffres et autres statistiques du chômage sont « grossièrement truqués ». Dans le Canard Enchaîné du 4 avril, on apprend même que la soixantaine d’experts de la Dares (Ministère du travail) protestent contre la très optimiste baisse récemment annoncée par le gouvernement (et que de nombreux médias ont allègrement relayée sans la commenter), une baisse « concomitante avec une série de changements dans les règles administratives de gestion des listes et dans les modalités du suivi des demandeurs d’emploi», et le Canard d’ajouter, « en bon français », que c’est « le résultat d’une tricherie qui a consisté à radier massivement les chômeurs ». Lire la suite

    etc.

     

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  • Amour partagé

    stjean.jpgL’amant de Saint-Jean
    Vedrana Donić

    Vedrana éditions, 2007

     

    (par B. Longre)

     

    En accord avec l’un des objectifs de la petite structure éditoriale montée par l’auteure, qui entend inciter les lecteurs « à trouver, lier, relier, tisser les éléments pour tisser lui-même sa propre lecture », ce livre en apparence déstructuré se présente comme un puzzle amoureux et ludique à éventuellement reconstituer, à feuilleter, à lire dans le désordre (ou non). Pas de trame narrative à proprement parler, mais des instantanés évoquant des sensations, quelques gestes, des moments captés en quelques mots (« Comme deux fleurs d’églantiers, nos tiges sont enlacées », « Tu te cambres, parfum d’ambre »…). Les poèmes en vers libres sont accompagnés de créations visuelles réussies, composées de papiers déchirés, collages, découpages, gribouillages, pochoirs, superpositions, où les corps, morcelés ou non, se devinent. Ce livre atypique m’a rappelé, peut-être pour sa liberté de ton et son audace formelle, Amourons-nous de Geert De Kockere et Sabien Clement (Le Rouergue), un ouvrage poétique en images qui lui aussi parlait d’amour partagé.

     

    http://www.vedranaeditions.com/

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  • Miracle de l’écriture

    remington.jpgRemington de Joseph Incardona, Fayard Noir, 2008

    « On a beau dire, on écrit pour se raconter soi-même, le plus souvent, les autres ne sont qu’un prétexte. Meubler le vide est une imposture. »

    On s’attend parfois à lire un polar (et tout l’indique – ne serait-ce que le titre de la collection ou le titre tout court), et on se trouve littéralement pris de court, plongé dès les premières pages dans une chronique désenchantée où la froideur de ton le dispute à la désespérance, où le quotidien du narrateur, cadré, organisé, ne suffit pas à nous duper sur le mal-être qui l’habite, ni sur les émotions qui le malmènent. Matteo Greco n’est ni flic, ni voyou. Il mène au contraire une vie réglée, disciplinée, même, et sans drames (si l’on omet les faits divers qu’il découpe dans les journaux) et parvient à cumuler plusieurs activités, alternant brèves missions pour une agence de sécurité (par nécessité financière), entraînements de boxe et séances d’écriture, qui se déroulent à sa table de cuisine, sur laquelle séjourne une vieille Remington portative. Il écrit des nouvelles (inspirées, justement, des petites coupures qu’il collectionne) et, bientôt, un roman, sur lequel il reste malgré tout très discret.

     

    Pourtant, une rencontre va dérégler, puis bouleverser cet ordonnancement solitaire et ce leurre du temps réglé. Elle s’appelle Elsa, elle est belle, arrogante, abrupte voire davantage, et participe au même atelier d’écriture que Matteo, un rendez-vous hebdomadaire que propose Daniel, un écrivain qui n’a plus publié depuis des années. Matteo, sous le charme, n’a pas encore saisi qu’Elsa était prête à tout pour changer de statut social, en étant publiée, par exemple – et que le plus tôt serait le mieux. Aussi, après qu’elle s’est glissée (sans peine) dans le lit et la vie du jeune homme et qu’elle lui a demandé de relire le manuscrit de son roman, il fonce tête baissée et s’investit totalement dans cette entreprise, allant même jusqu’à en faire un peu trop, à l’insu de l'auteure du roman. « Je sabrais, peaufinais le montage, ajoutais quelques phrases çà et là. Les faiblesses saillaient au même endroit, ce n’était pas trop difficile. » Il est « conscient d’exagérer », mais cette tâche qu’il s’est fixée (améliorer le roman de celle qui ne peut lui offrir que son corps et certainement pas l’exclusivité) est pour lui de l’ordre du défi, un défi dont il ne mesure pas encore les conséquences, ni l’ironie à venir.

     

    L’écriture, à l’image du protagoniste, est franche et nette comme pourraient l’être les coups que se portent les boxeurs lors des entraînements suivis par Matteo, sans détour ni manipulation (apparente) du lecteur, et tout sonne juste, d’un bout à l’autre des combats qu’il mène comme il peut, en se raccrochant à ce qu’il aime (les livres, le cinéma, la boxe) et à son emploi du temps minutieux, une béquille. Les détours sont ailleurs, dans la manière subtile dont les événements vont s’articuler, se superposer et s’entrelacer, quand le narrateur perd pied mais que la construction narrative conserve sa rigueur implacable (comme lui conserve son organisation de surface) et continue d’égrener les faits divers réels, tous tirés de Libération (placés à des endroits stratégiques du récit).

     

    Remington a tout d’un roman noir et l’atmosphère, en symbiose avec l’écriture, y est pour beaucoup, de même que les références qui le parsèment (littéraires et cinématographiques, surtout) et certains événements (qu’on laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même) qui l’inscrivent dans le genre. Mais il reste avant tout un roman ancré dans notre temps, qui flirte avec le social et qui parle de la difficulté à vivre – à vivre et à écrire, et à vivre de l’écriture. Un roman d’écrivain, en somme, qui dévoile des préoccupations d'écrivain et qui expose entre autres, par le biais de la fiction, ce qu’on peut penser de la scène littéraire médiatisée (qui étouffe ou ignore les véritables auteurs), mais aussi de l’écriture tout court, discipline exigeante, qui requiert solitude et persévérance. Matteo en train d’écrire se présente plus souvent comme un laborieux, un artisan du verbe qui réfléchit au meilleur moyen d’agencer les mots et de se les approprier (quitte à manipuler ceux des autres), tout en étant conscient que ce n’est pas la gloire qui l’intéresse, « mais plutôt l’idée que l’on puisse obtenir quelque chose de concret à partir de son imagination. Il n’y a rien, et puis la phrase existe. » Miracle de l’écriture, ou de l’acte créatif en général, l’écrivain se posant d’emblée comme démiurge en composant à partir d’un « rien ». Une position pourtant instable dans le cas du narrateur, malgré le contrôle qu’il cherche à exercer sur son écriture et sur sa vie, qui l’amènera à outrepasser ses droits de créateur, libérant ainsi un ubris au fondement de toute tragédie humaine et littéraire.


    (B. Longre)

     

    Dans la même collection, plusieurs titres ont paru récemment.

    La récup' de Jean-Bernard Pouy, Le doigt coupé de la rue du Bison de  François Caradec, Noir béton de Eric Miles Williamson ou encore le premier tome de Lolita complex de Romain Slocombe.

     

    http://www.editions-fayard.fr

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  • Leçon d'orthographe intelligente

    sur nonfiction.fr

    nonfiction.fr : Pourquoi, selon vous, assiste-t-on parfois à tant de réactions "passionnées" lorsque l'on parle de l'orthographe ?

    Pierre Encrevé : Parce que les Français ignorent généralement tout de l'histoire de l'orthographe du français, langue dont ils semblent souvent penser qu'elle est la propriété privée de la France alors qu'on parlait français à Québec, Bruxelles ou Genève quand la langue commune était toujours la langue d'oc à Toulouse, l'alsacien à Strasbourg, le breton à Quimper et le basque à Bayonne. L'orthographe du français n'a pas cessé de varier depuis qu'on écrit cette langue, et c'est l'Académie qui a joué le rôle principal dans cette métamorphose continue des formes des mots, avec les nombreuses variantes co-existantes que cela entraîne dans les usages. Mais les français ont toujours tendance à croire que chaque mot possède, de toute éternité, dans le ciel des idées une forme graphique unique et perpétuelle à laquelle, par on ne sait quelle magie, les dictionnaristes et eux seuls auraient accès. L'École des "noirs hussards" chers à Péguy a beaucoup fait pour enraciner et répandre cette croyance naïve, fondée sur une ignorance soigneusement entretenue parce qu'indispensable à légitimer la sélection par l'orthographe. L'orthographe est une production culturelle multiple, complexe, et continue des écrivains, éditeurs, imprimeurs, lexicologues et lexicographes ainsi que des usagers ordinaires dont les prétendues "fautes" finissent souvent par s'imposer lorsqu'elles rectifient l'arbitraire de la convention.

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  • Du côté de blogs et sites dédiés (entre autres) à la littérature jeunesse

    hf.jpgLes éditions Hongfei-cultures (lire entre autres Yllavu de Gambhiro Bhikkhu et Samuel Ribeyron, ou découvrir une collection pour tout petits) : malgré son jeune âge (un peu plus d'un an d'existence), la maison, entre Chine et France, a déjà un site et vient d'ouvrir son blog, géré par Chun-Liang YEH, l'un des deux éditeurs.

    http://blog-de-hongfei-cultures.hautetfort.com/

     

     

    ljacob.jpgDe son côté, Loïc jacob, le second éditeur, tient un blog, joliment baptisé Pavillon du lac de l'ouest, qui entend "accoster le continent culturel chinois, pour son exploration délicate, subtile, précise, par touches impressionnistes. "

    http://pavillondulacdelouest.hautetfort.com/

     

     

     

     

     luciole.jpgLa Luciole masquée, un site qui se trouve dans mes liens depuis longtemps mais dont je n'avais pas encore parlé : une plateforme qui se présente comme un site informatif, créé et géré par "Ezra et La Luciole Masquée alias Maryse Alonso, à usage des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse - des informations, mais pas seulement, car on y trouve aussi des "cartes blanches", sous forme d'entretiens avec des illustrateurs et des éditeurs (parmi eux, quelques-uns dont je ne connaissais pas l'existence). http://luciolemasquee.hautetfort.com/

     

     

    ddurand.jpgOn ira aussi faire un tour sur le blog tenu par l'illustratrice Delphine Durand, à qui l'on doit nombre de personnages amusants et décalés, dont la Mlle Zazie de Thierry Lenain.

    http://www.delphinedurand.blogspot.com/

     

    Du côté de l'édition, Flammarion a ouvert un site dédié aux publications jeunesse et certains des sites des éditions Hachette jeunesse ont fait peau neuve.

    salonmontreuil2008.jpgLe site du salon du livre de Montreuil propose aussi de nombreuses ressources (liens, catalogue des exposants, pistes de lecture, etc). Il se tiendra du 26 novembre au 1er décembre 2008 à Montreuil. Pour résumer : 322 exposants, 2 000 auteurs et illustrateurs présents, une quinzaine d’espaces de programmation dédiés à tous les genres littéraires, pour les publics de tout âge, sur le thème "Peurs et Frissons" et autour de l’actualité éditoriale. Pour être informé, on peut s'abonner à la newsletter.

    On pourra aussi découvrir la nouvelle version du site Ricochet et, pour terminer, on trouvera sur le site du CNL une synthèse dédiée à la littérature jeunesse - un tour d'horizon fort intéressant signé Claude Combet, effectué dans le cadre de Lire en fête 2008.

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  • Poésie du quotidien, beauté des choses

    izumi3.jpgLa femme ailée, IZUMI Kyôka
    récits traduits du Japonais par Dominique Danesin-Komiyama
    (Titres originaux : Kechô ; Sanjakkaku) - Philippe Picquier, 2003

     

    IZUMI Kyôka (1873-1939) est né quelques années après le début de l'ère Meiji, un temps de bouleversements sociaux, politiques et culturels qui marque l'entrée du Japon dans la "modernité" ; véritable passionné de littérature, il ira jusqu'à quitter sa ville natale, Kanazawa, pour Tôkyô, afin de rencontrer Ozaki Kôyo, qu'il admire — ce dernier l'emploie alors comme portier, lui fournissant dans le même temps une aide précieuse dans l'apprentissage du "métier" d'écrivain.
    De prime abord, les deux récits (ou longues nouvelles ?) que comporte ce recueil, La femme ailée et Le camphrier (parus respectivement en 1897 et en 1899) ne se ressemblent pas ; mais on y retrouve en filigrane le thème de l'attachement filial, l’intérêt de l'auteur pour les petites gens et le souci constant de décrire la nature environnante (dénaturée ou non) le mieux possible, comme pour nous faire partager un peu de sa beauté poétique, tout en l'opposant subtilement aux mutations que les hommes lui imposent.

     

    Dans La femme ailée, le narrateur déplie soigneusement quelques souvenirs d'enfance et pose un regard profondément nostalgique sur l'existence qu'il menait alors, une vie simple et pourtant comblée de petits bonheurs, de drôles de contrariétés et de grands questionnements. L'on se doute que le narrateur a grandi, mais le récit conserve la fraîcheur et la spontanéité que l'on attend d'un enfant et l'histoire, ou plutôt les historiettes, avancent comme par à-coups, une idée en entraînant une autre, sans suivre un ordre déterminé : déconstruction chronologique voulue par l'auteur, qui tente ici de reproduire le chaos d'une mémoire au travail et de sentiments qui ressurgissent brièvement : d'abord l’amour profond éprouvé pour sa mère, qui l'élève seule, dans une petite maison (une "boîte") au pied d'un pont ; c'est elle qui a en charge de récolter le péage du pont, leur seul moyen de subsistance. Leur isolement social relatif favorise la symbiose mère-fils qui transparaît dès les premières réminiscences et sur laquelle s'achèvera le récit — un dénouement qui dégage une indicible mélancolie. Puis vient l’incompréhension de l’enfant face à l'aversion que semble éprouver la maîtresse d'école pour ce jeune garçon qui ose lui tenir tête et la contredire ; avec une candeur touchante, il raconte à sa mère comment ses remarques ont pu irriter cette femme arrogante, sans poésie et sans humour, et perturber la leçon : "L'être humain est une créature remarquable, bien au-dessus des arbres ou des plantes, ça, tu peux le comprendre, tout de même ?" lui dit la maîtresse. "Je ne comprenais pas. Non, penser ainsi, je ne le pouvais pas (...) J'ai dit à la maîtresse : "Mais, maîtresse, les fleurs sont plus jolies que vous !"

     

    L'enfant, partagé entre les vérités de sa mère et celles que l'école tente de lui inculquer, vit un vrai dilemme, sans parvenir à réconcilier deux visions diamétralement opposées du vivant. Une façon pour l'auteur de transmettre quelques-unes de ses conceptions éthiques : "Que nous soyons hommes, chats, chiens, ours, c'est pareil, nous sommes tous des êtres vivants", s'opposant ainsi aux maîtresses d'école qui aimeraient faire passer l'homme devant les autres créatures... On trouvera beaucoup d'autres choses dans ce petit récit, des facéties d'un vieux singe aux descriptions hautement burlesques des passants qui empruntent le petit pont, que l'enfant compare à divers animaux ; de même, le titre de la nouvelle sera élucidé, du moins en partie... Car ce texte, tout comme Le camphrier, recèle aussi sa part d'obscurité, de non-dit et de suspens, comme si l'auteur souhaitait ne pas tout dévoiler, par pudeur mais aussi par souci poétique, laissant ainsi au lecteur le soin de prolonger la rêverie.

     

    Si La femme ailée se présente comme une série désordonnée de brèves (et belles) évocations contées à la première personne, il n'en va pas de même pour Le camphrier, qui déroule quelques heures de la vie d'un quartier de Tôkyô — un petit coin isolé qui conserve encore quelques particularités rurales, dans un monde, un paysage et une société en mutation. Le récit est centré autour de Yokichi, un jeune scieur, inquiet pour son père alité, qui refuse de manger du poisson et préfère se nourrir de tôfu, malgré sa faiblesse physique. On retrouve là une préoccupation de La femme ailée : le vieil homme considère qu'il ne peut infliger une quelconque souffrance à un être vivant, fût-ce un poisson ; des réflexions qui poussent le lecteur et les personnages à s'interroger sur la place de l'homme dans la nature. O Shina, l'épouse du marchand de tôfu, va jusqu'à se demander si une feuille d'arbre ne souffre pas elle aussi, tandis que Yokichi part scier l’énorme tronc d'un camphrier que l'on a fait venir des montagnes...

     

    izumi.jpgDans le même temps, les multiples allusions à la modernisation forcée du paysage en disent long sur les regrets et les pensées de l'écrivain : « là, s'étire en ligne droite un chemin grisâtre, au bord duquel sont plantés à l'infini des pylônes électriques considérablement inclinés, qui oscillent, tête ballante, vers l'avant ou vers l'arrière. (...) De fait, pylônes et fils électriques ne sont pas les seuls de travers : le ginkgo près du pont, les saules sur la rive, le bord du toit de la maison de tôfu (...) tout ce qu'on voit à l’entour est incliné. Tout penche. ». Là, ce ne sont plus les animaux à qui l'on prête des caractéristiques humaines (ou vice-versa) mais la nature ou les objets qui composent le paysage. Cette déstructuration topographique est renforcée par d'autres remarques et, plus loin, lors de cette même petite visite guidée, on nous décrit le paysage comme « mélancolique », « maussade » : le «progrès » ambiant, loin d'être le signe d'un renouveau, semble ici marquer la fin d'une époque, endeuillant un paysage qui perd de sa beauté, tout en devenant autre : « Chère terre vide et chimérique... Donnera-t-elle, malgré tout, naissance à quelque chose de beau ? » se lamente-t-on.

    Et cependant, ce récit bref et étonnant ne manque pas d'humour, en témoignent par exemple les politesses que Yokichi et O Shina s'échangent, comme un jeu, et qui contiennent leur part de suggestion érotique ; de même, la poésie du phrasé et des évocations est d'importance, ce que l'auteur réaffirme dans quelques paragraphes qui jouent le rôle de prologue, où il examine la fonction du chant du travailleur face aux rudesses de l’existence : « il se libère de sa fatigue et efface de son esprit toutes choses et pensées inutiles ou plutôt... Il cherche à se divertir de ses peines, à dissiper ses chagrins, à oublier l'amour, à boire ses larmes... » En ramenant ainsi le poétique dans le quotidien prosaïque des gens du peuple, IZUMI Kyôka réconcilie deux mondes et affirme ses penchants humanistes.

    Cet ouvrage très complet, outre les récits, comporte aussi une chronologie, une préface de Dominique Danesin-Komiyama, une liste de traductions et de nombreuses notes très utiles (expliquant le plus souvent quelques points de traductions délicats et des particularismes culturels) ; jusqu'à présent, IZUMI Kyôka a peu été traduit en français, si on observe le grand nombre de publications dont son œuvre fait l'objet en anglais (traductions, essais, biographie, colloques...) ; hormis Une femme fidèle et L’Histoire de Biwa (P.Picquier, 1998 et 2002), deux à trois nouvelles publiées dans des anthologies, et cet ouvrage, on connaît peu et mal ce contemporain d'Akutagawa, de Sôseki et d'Arishima, pour n'en citer que quelques-uns ; aussi, on regrette que d'autres textes (les « romans à idées » ou bien les œuvres fantastiques et gothiques) de ce grand auteur, désormais reconnu en tant que "classique", au Japon comme aux États-Unis, ne soient pas encore disponibles en français.

     

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Articles et livres à re-découvrir

    Je continue d'archiver sur Sitartmag (rythme très irrégulier...). L'occasion de reparler d'ouvrages passés inaperçus ou peut-être trop vite oubliés... en voici quelques-uns.

    canxue1.gifLa rue de la boue jaune
    de Can Xue

    traduit du chinois par Geneviève Imbot-Bichet, Introduction de Françoise Naour , Bleu de Chine, 2001

     

    Can Xue, considérée comme "la plus moderniste des écrivains chinoises contemporaines" a écrit La rue de la boue jaune en 1983 : un ouvrage atypique et extrême, qu'on aurait du mal à qualifier de roman, quoiqu'il en possède certaines caractéristiques. Publié en Chine en 1987, cette allégorie sauvage et semi-fantastique d'une Chine en pleine mutation capitaliste est terrifiante : la rue de la boue jaune est une rue introuvable, souvent invisible, peuplée d'environ six cents êtres qui composent un grouillant microcosme grotesque et mesquin. La plupart des habitants de cette rue maudite sont accablés de fatigue, affectés de tous les vices ou de tous les maux possibles, qui s'accumulent au fur et à mesure que l'on avance dans les descriptions : maladies de peau, intestinales et surtout, folie dévastatrice. Lire l'article

     

    alavi3.jpgDanse macabre
    Bozorg Alavi
    traduit du persan par Renaud Salins, L'Aube, 2004

     

    Bozorg Alavi, comme nombre de ses compatriotes iraniens, a préféré l'exil à la censure et à l'enfermement ; en 1953, l'écrivain part pour l'Allemagne, terre d'accueil où il s'éteindra quelque quarante années plus tard. C'est pourquoi les textes que contient ce recueil (les premiers à paraître en français) prennent des teintes occidentales tenaces et l'atmosphère parfois tchékhovienne qui s'en dégage y est tout à la fois étonnante et délicieuse. Lire l'article

     

     

    adaniashibli3.jpgReflets sur un mur blanc

    Adania Shibli

    traduit de l'arabe (Palestine) par S. Dujols, Actes Sud, 2004

     

    L'écriture de ce roman (qui se déroule en Palestine, mais qui semble comme hors du temps et de l'Histoire) repose sur une lecture intime et singulière du réel : une vision décomposée en infimes détails qui forment un réseau d'impressions visuelles, tactiles et sonores (taches de couleur, fissures, matières écaillées — un leitmotiv) où chaque sens joue un rôle bien défini. Des personnages anonymes, désignés par leur fonction sociale ou familiale, tissent un univers entropique qui enveloppe la jeune fille, pivot submergé de la narration : comme si cette dernière, impuissante, ne pouvait influer sur les événements et les êtres qui l'entourent et la malmènent, parfois involontairement. Lire l'article

     

     

    christophepaviot3.jpgMissiles. Et souvenirs cardiaques
    Christophe Paviot

    Le Serpent à Plumes, 2002

     

    Christophe Paviot a ajusté son tir à la perfection et en 18 nouvelles, il dynamite tabous et préjugés ; des récits qui flirtent avec un gore décapant, de petites plongées dans un univers inquiétant et paradoxalement très familier et qui oscillent entre horreur et burlesque. Chacune de ces nouvelles nous réserve une surprise explosive, à tendance macabre...
    Lire l'article

     

    Christophe Paviot est aussi l'auteur de Cassé (Kurt Cobain).

     

    rupertthomson1.gifThe Book of Revelation
    de Rupert Thomson -
    Bloomsbury, 2000

    Rupture - Stock, 2001
    traduit de l'anglais par Bernard Turle

     

    La ville d'Amsterdam ne cesse d'inspirer nombre de brillants auteurs, de Ian McEwan (Amsterdam) à John Irving (Une veuve de Papier), jusqu'à Rupert Thomson qui signe là son sixième roman. The Book of Revelation narre avec précision l'épopée identitaire et urbaine d'un homme dont on ne connaîtra jamais le nom. Mais ce que le narrateur révèle de lui-même est de loin plus essentiel qu'un simple prénom : cet homme, jeune danseur anglais, chorégraphe déjà talentueux, vit à Amsterdam depuis quelques années. Tout bascule le jour où il croise trois femmes en noir qui l'enlèvent puis le retiennent prisonnier, enchaîné, dix-huit jours durant, dans une pièce nue... Lire l'article

     Rupert Thomson est aussi l'auteur de Mort d’une tueuse.

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  • Livre & Lire

    Je n'avais pas encore remercié l'écrivain Frédérick Houdaer pour son article consacré entre autres à ce blog, et paru dans le n° 231 de la très dynamique revue Livre & Lire (mensuel du livre en Rhône-Alpes et supplément régional à Livres Hebdo, publié par l'Arald).
    L'occasion de mentionner le blog http://houdaer.hautetfort.com/ et le travail d'éditeur de Frédérick, qui dirige depuis peu la collection À Charge, aux éditions À plus d’un titre. Une collection "dédiée à une littérature noire, vibrante et contemporaine", avec deux premiers romans : LES RUINES DE LA FUTURE MAISON d’Hélène Dassavray et CURTIS de Dominique Salon.

    arald.jpg

     

     

     

     

     

     

    Tous les numéros de Livre & Lire sont disponibles ici http://www.arald.org/journal_archives.php.

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  • D'une langue à l'autre

    tingo3.jpgJe découvre, via http://jelct.blogspot.com/2008/11/kmutonla-et-cetera.html, une excellente initiative intitulée "le Dictionnaire des Intraduisibles", mise en place par la Bulac. L'occasion de reparler de deux ouvrages qui se penchent sur les mots français et de nombreux autres.

    Tingo, Drôles de mots, drôles de mondes, d'Adam Jacot de Boinod, traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Dupin - 10-18, 2007

    Les mots Oiseaux de Marie Treps, illustrations Gwen Keraval - Le Sorbier, 2007

    Adam Jacot de Boinod, un amoureux des langues, a répertorié et classé des dizaines de mots appartenant à une centaine d’idiomes plus ou moins connues chez nous (de l’anglais au japonais, en passant par le persan, le maori, le pachto, le tulu…). Des mots amusants ou surprenants, qui recouvrent souvent diverses réalités culturelles, ou bien l’universalité de l’expérience humaine.
    Cet ouvrage d’ethnolinguistique, de prime abord léger et divertissant, est malgré tout le résultat de recherches longues et fouillées (plus de 200 dictionnaires consultés) ; sans pourtant céder à la simplification, l’auteur a su mettre son érudition au service du plus grand nombre en vulgarisant le jargon linguistique, et aborde divers domaines de la vie quotidienne (de l’alimentation à l’amour, des expressions animales à la météo…). On remarque que certaines langues font preuve d’un sens de l’économie étonnant, un terme très court pouvant exprimer une situation ou une idée pour laquelle aucun équivalent n’existe dans les autres langues. Ainsi, que signifie le fameux « tingo » du titre en rapanui (langue de l’île de Pâques) ? («Emprunter une à une les affaires d’un ami jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien chez lui. ») Même chose pour «rujuk », verbe indonésien (« se remarier avec une femme dont on a divorcé»), pour « ilunga », un mot tchiluba, langue africaine (« personne prête à pardonner n’importe quelle offense la première fois, à la tolérer une deuxième fois, mais jamais une troisième »…) L’auteur recense par ailleurs un grand nombre d’expressions figées, montrant que les métaphores varient avec la géographie. Un panorama qui témoigne en tout cas de l'indéniable richesse et de la diversité des langages humains.

    motsoiseaux.jpgIl en est de même avec Les mots Oiseaux, de Marie Treps (linguiste, attachée au Laboratoire d’anthropologie urbaine au CNRS) ; un ouvrage illustré avec finesse et humour par Gwen Keraval, certes d’abord destiné à de jeunes lecteurs (à partir de 8-9 ans), mais que les adultes auront plaisir à découvrir et feuilleter. Cet abécédaire des mots français venus d’ailleurs part du principe que « les mots sont des oiseaux », qu’ils « ignorent les frontières » et « nous relient à d’autres gens ». Le lecteur comprend comment, à travers les multiples exemples recensés par l’auteure, la langue n’est pas un matériau fixe, mais est en perpétuelle évolution, au fil de l’histoire et des échanges entre les peuples (d’où la nécessité de fuir les puristes ou censeurs qui aimeraient momifier le français). On apprendra ainsi d’où viennent des termes aussi banals que « cauchemar », « toboggan », « matelas », « caramel » ou « ballon »…

    (B. Longre)

     

    Toujours du côté de la traduction, je recommande un article fort instructif publié par Emmanuel Pallier : "Satané fucking", où l'on comprend que le terme en question n'est pas si simple à traduire...

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  • Etrange précisionnisme

    ogawa3.jpgL'annulaire, de Yoko Ogawa
    traduit du Japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
    (Titre original Kusuriyubi no hyohon, 1994)
    Actes Sud, 1999 Babel, 2005

     

    L'annulaire est un beau récit, étrange et déroutant, surprenant par sa brièveté et par sa sobriété de ton. On apprend peu de choses de la vie passée de la narratrice, une jeune fille candide et sans attaches. Employée dans une usine de boissons gazeuses, une machine lui arrache un morceau de chair à l'annulaire. Bouleversée par cette perte, elle part en ville et trouve un emploi dans un laboratoire très spécial. L'unique employé de l'immense bâtisse, monsieur Deshimaru, y rassemble des objets qui incarnent, pour les personnes qui les apportent, une souffrance, un souvenir... Ces objets subissent alors une transformation et deviennent des 'spécimens', entreposés à jamais dans ce lieu.

    Alors que la jeune secrétaire s'installe dans une routine en apparence apaisante, elle succombe peu à peu, fascinée, aux obsessions de son patron, et le récit devient celui d'une emprise. Ce qui semble lier les personnages est 'l'objet', quel qu’il soit, toujours décrit de façon minutieuse : les chaussures de la fille, la blouse de Deshimaru, les différents spécimens .. L'écriture, limpide, s'attache à désincarner ces objets, à leur donner une âme capable de dominer un être humain. L'auteur maîtrise parfaitement la tension croissante et, en dépit des signes avant-coureurs que le lecteur perçoit, la jeune fille est projetée dans un abîme fétichiste : la tragédie peut alors se rapprocher, implacable, inéluctable.

    (B.Longre)

     

    ogawa2.jpgL’œuvre complète de Yoko Ogawa paraît ce mois dans la collection Thesaurus des éditions Actes Sud : 1000 pages pour 18 textes qui couvrent dix ans d’écriture. Hormis L'annulaire, je recommande La Piscine, Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, ainsi que Les abeilles.

     

    http://www.actes-sud.fr/

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  • Rencontre avec Marius Daniel Popescu.

    Tour de France des écrivains européens - octobre-décembre 2008
    Rencontre avec Marius Daniel Popescu, écrivain (Roumanie)
    Modération Jean-Pierre Longre

    Mardi 4 Novembre à 17h30
    Université Lyon III
    15, Quai Claude Bernard, Lyon 7e
    Salle Vincent (aile nord 1er étage) - entrée libre

    Marius Daniel Popescu est né 1963, en Roumanie. Il est établi à Lausanne depuis 1990, où il gagne sa vie en qualité de chauffeur de bus. S’il est avant tout connu pour son oeuvre poétique, Popescu s’est affirmé au cours des dernières années comme un redoutable prosateur. Proche du quotidien par sa poésie, dans une veine rappelant parfois le lyrisme urbain d’un Raymond Carver ou d’un Charles Bukowski, Marius Daniel Popescu a lancé dès 2004 un journal littéraire : Le Persil. Il écrit aujourd’hui directement en français. Dans La Symphonie du loup (José Corti, 2007), il exhume ses souvenirs d’enfance à une époque où la Roumanie était encore en proie à la dictature et aux brûlures de l’Histoire.

    sitartmaglesite.hautetfort.com/tag/marius%20daniel%20popescu

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  • Un monstre très humain

    doppel1.jpgDoppelgänger de David Stahler Jr
    traduit de l’anglais par Luc Rigoureau - Tribal, Flammarion, 2008

     

    Roman s’inscrivant à la fois dans la veine fantastique et dans celle de la chronique adolescente, Doppelgänger décrit un univers réaliste, socialement et affectivement très vraisemblable, alors que le narrateur est par nature un non-humain : un jeune Doppelgänger privé de nom, « une créature primitive », un caméléon qui s’approprie pour un temps la vie d’un être humain qu’il a au préalable assassiné. Un monstre ? Le narrateur « se pose la question depuis que je suis en âge de réfléchir. Je n’ai toujours pas de réponse. Ma mère estimerait que non. D’après elle, notre race n’a rien à voir avec le bien et le mal - "ces sottes conventions humaines". » Cet être solitaire, pour lequel on éprouve très vite une forme de compassion qui s’apparente à celle qu’un Elephant Man peut susciter (comme tout être en marge, écartelé entre ses instincts et des sentiments qui ne sont habituellement pas encouragés par ceux de son espèce et qui s’efforce vainement de faire reconnaître son humanité), choisit d’endosser l’existence d’un jeune homme, Chris Parker, apparemment détestable, mais malgré tout humain.

     

    Avant de côtoyer la société humaine, le narrateur acceptait sa nature, se résignait à suivre ses pulsions brutales, puis il prend conscience que les humains sont eux aussi des êtres complexes, pouvant se montrer terriblement violents. Que ce soit Chris et ses amis, le père de Chris, ou les joueurs de football américain, tous portent en eux une part de monstruosité ; les figures féminines ne sont pas épargnées : la mère de Chris se résigne à cette violence, refusant d’affronter son époux qui bat leur fille de 10 ans, Echo. Aussi, peu à peu, le Doppelgänger n’est plus seulement le monstre (celui qui est « montré »), mais devient celui qui « montre » et se révolte.

     

    doppel2.jpgLe procédé est classique mais reste efficace : introduire dans un univers archi-connu (une famille en crise) un être étranger à ce monde, qui pourra observer avec un regard neuf les dysfonctionnements que plus personne n’est capable de discerner ; certains sentiments sont plus développés que d’autres : en particulier la notion de culpabilité, quand le Doppelgänger, hanté par les meurtres qu’il a commis, s’intéresse de plus près à Macbeth. On regrette une tendance à vouloir « moraliser » et/ou trop expliciter les choses (à travers le personnage du professeur de littérature, par exemple, qui n’étudie pas Shakespeare pour sa poétique ou son art dramaturgique, préférant « psychologiser » les motivations de personnages qui sont d’abord des archétypes - une dérive didactique typiquement américaine) et quelques personnages secondaires qui manquent un peu de texture, mais le roman, hormis la quête identitaire qu’il décrit, pose des questions morales intéressantes, sans manichéisme, et met à jour, à travers l’histoire d’un jeune homme que nul ne peut percer à jour (hormis celle dont il tombe amoureux), de nombreuses contradictions inhérentes à la condition humaine.

     

    (B. Longre, novembre 2008)

     

    L'éditeur

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  • Eblouissante intimité

    baichuan3.jpgEclat du fragment et autres sanwen, de Bai Chuan - Editions de L'Amourier.

     

    Les intentions de Bai Chuan sont données en début de recueil : "On ne trouvera donc ici que de petites choses, des digressions qui m'entraînent d'une idée en une autre, dans un lacis étroit de phrases inquisitoires scrutant l'émotion, le petit bout de vie qui me contient tout, et avec moi le monde". Un ouvrage impressionniste, où l'auteur fait d'abord parler le lecteur qui subsiste en tout écrivain, racontant comment sa bibliothèque se transforme et évolue, selon un principe personnel et affectif qui lui fait récuser romans et nouvelles ; il leur préfère le "schéma trop peu fréquenté du sanwen" (terme désignant justement un écrit littéraire "dispersé", entre l'essai et la nouvelle, un genre à part entière en Chine) : une prose poétique morcelée, qui retranscrit des impressions personnelles fugaces, piochées çà et là dans la vie quotidienne et dans le vécu de l'auteur-narrateur, décrypte quelques aventures intérieures et pensées, des parcours que l'auteur décline en trois temps dans ce petit ouvrage éblouissant : "éclisses", "éclats" puis "esquilles" : trois "fragments" qui concernent l'auteur plus ou moins directement, Bai Chuan assumant pleinement cette démarche auto-fictionnelle : "nulle intrigue enfin, sinon famélique, nul héros, mais un monde tel qu'en nous-mêmes, transfiguré, ressenti, et sa lumière passée au crible, quelque chose qui me dise ce que je suis."

     

    C'est ainsi qu'il se raconte, avec pudeur et violence parfois, prenant le risque d'exposer son âme (ou du moins quelques pans) : ses voyages, à Prague ou à Paris, un travail estival (guide au château de Saintoyant), ou son amour pour sa langue maternelle et la jouissance qu'il a pu éprouver à l'enseigner (" je n'avais pour méthode que l'amour des phrases que je suçais pour les leur mieux glisser dans l'oreille. Oui, je crois bien n'avoir eu que cela. Mon ivresse quoi !"). La deuxième série de récits, sous-titrée "petite mythologie familiale", est une incursion dans le passé, dans une pré-histoire qui n'est pas tout à fait celle de l'auteur, tout en lui appartenant. Nous découvrons d'abord sa mère, l'histoire de sa naissance à lui, sa genèse, liée au sentiment de cette femme de la campagne, qui méprisait son époux illettré. Il nous livre ensuite des "souvenirs" imaginés ou reconstruits, qui ont parfois besoin d'un support concret pour être mieux saisis, comme dans "Une photo", où l'on voit ses grands-parents maternels et leurs enfants évoqués à travers un cliché appartenant à un temps révolu, des silhouettes figées sous le regard d'un photographe supposé itinérant : une vision vivace et admirablement retranscrite, des personnages dont l'épaisseur humaine est palpable. De même, il se "remémore" les derniers instants d'un oncle mort en bas âge, un autre moment amplement épiphanique, qui laisse le lecteur comblé devant tant de richesse narrative et poétique.

    Puis viennent enfin des souvenirs moins lointains, plus douloureux, racontés crûment mais sans que la prose ne se départisse de sa poésie : "mais des gouttes de sang je m'en souviens, coulaient de l’œil crevé de mon anus. À treize ans, je fus violé... Et tout fut à reconstruire une fois passée cette indigestion au banquet des hommes." Une souillure et une blessure infamante qu'il détaille un peu plus loin, dans deux récits où le passage de l'anecdotique à l'intolérable se fait sans transition et nous prend par surprise.

    Ce sobre recueil est bel et bien une exploration intime, l'auteur de dévoiler des secrets enfouis et de se mettre à nu tout en prenant "conscience de ma nudité". Les confidences faites ici ne sont ni gratuites ni complaisantes (rien à voir en tout cas avec les vagues successives, nombrilistes et sans profondeur, qui envahissent les librairies), point d'autosatisfaction, mais une tentative pour se "connaître soi-même" par le prisme d’un langage qui transcende les données autobiographiques, nous permettant d'accéder ainsi à une vision à la fois sombre mais sereine de la condition humaine.

    (B. Longre)

    http://www.amourier.com

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  • Zaporoguons

    zapo.jpgUne nouvelle aventure éditoriale que l'on suivra de près : les éditions du Zaporogue, micro-structure d’inspiration libertaire, à but littéraire uniquement et non-lucratif. Leur fondateur, l’auteur Sébastien Doubinsky, entend publier des « textes de qualité qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux. (…) Ce que je veux, avec les Éditions du Zaporogue, c’est redonner une valeur symbolique (mais réelle) au travail d’écriture, sous quelque forme que ce soit.» Les textes sont téléchargeables et gratuits : « La gratuité ici n’est qu’un moyen, pas un but. », explique l’éditeur. « Si les écrivains pouvaient aujourd’hui réellement vivre de leur plume et être sûrs d’une véritable reconnaissance, cette structure n’aurait pas lieu d’être. » L’objectif : faire découvrir des textes et des auteurs, tout en espérant qu’ils « trouvent leur place chez un « véritable » éditeur. »

    http://www.myspace.com/zaporogue



    Ouvrages publiés :

    Happiness is a rumour, poésie, Ole Wesenberg Nielsen.

    The first collection of the Danish post-Beat poet Ole Wesenberg, a mystical-punk assemblage of daily reflections and lyrical visions, laced with psychedelic-fueled humor...

    The Source

    Wisdom is growing
    in my brain
    just add water



    Notes brouillées/Eros et compagnie, poésie, Lionel Osztean.

    Villon, Jarry, Carco, Verlaine, Apollinaire, Cendrars pas morts! Au contraire, ils sont bien vivants dans les poèmes de Lionel Osztean, qui sait à merveille manier la rime et la ritournelle. Tour à tour charmant et provocateur, tendre ou pornographe, Osztean fait redécouvrir le plaisir de la poésie, la vraie, celle qui sait parler aux sens autant qu'à la cervelle...

    Gabegies, théâtre, Jean-Francois Mariotti.

    GABEGIE: 3 jours d'écriture, 5 jours de répétitions, une représentation unique : Gabegie, Thermomètre Théâtral, prend la température de l'actualité". C'est ainsi que Jean-Francois Mariotti présente son théâtre à flux tendu, véritable charge au Napalm contre l'hypocrisie quotidienne. Trois pièces dans ce recueil, trois bocaux de nitroglycérine prêts a être secoués vigoureusement. Et vous avec.

    En préparation :

    Dimanche jour de marché où les femmes vont seules, roman, Thibault de Viviès.

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  • Leçon d'archéologie

    gougen.jpg« Le verbe le plus ancien qui ait signifié travailler est ouvrer (…) Il n’a pas dépassé le XVIe siècle et ne subsiste plus que dans l’expression fer ouvré, « fer façonné à la forge ». (…) Cette disparition est d’autant plus remarquable qu’ouvrer était soutenu par toute une série de noms indiquant le travail et son résultat (…) : œuvre, ouvrage, ouvrier… (…) Mais ouvrer n’a pu se dégager de l’homonymie avec ouvrir. Des formes telles que nous ouvrons, vous ouvrez, étaient communes aux deux verbes… (…).

    Le verbe qui, en fait, a succédé à ouvrer, est travailler.

    Pour l’expliquer, il faut partir d’un mot latin d’époque mérovingienne, tripalium, qui se trouve dans les décisions du concile d’Auxerre (578). Ce mot qui, par son étymologie, signifie « machine faite de trois pieux », désigne dans ce texte un instrument de torture. (…)

    La notion de « travailler », essentielle à la civilisation moderne, s’exprime par un verbe qui évoquait à l’origine l’idée de « tourment ». Mais il ne faudrait pas tirer de ce fait des conclusions excessives : travailler ne s’est imposé que parce que l’ancien verbe ouvrer s’est trouvé défaillant. »

     

    Georges Gougenheim, Les mots français dans l’histoire et dans la vie, Omnibus, 2008

     

    Comme on l’aura compris à travers cet extrait, le grammairien se fait explorateur, archéologue, et analyse le langage avec une justesse remarquable - quitte à revenir sur quelques idées reçues.

     

    http://www.omnibus.tm.fr/

     

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  • Yokô l'insoumise

    yoko.jpgLes jours de Yokô d'Arishima Takeo, roman traduit du Japonais par M. Yoshitomi et Albert Maybon (Flammarion, 1926 - Philippe Picquier, Titre original : Aru Onna, 1919)

    Arishima, auteur tourmenté (il se suicida en 1923 avec sa maîtresse) et avant-gardiste, écrivit ce roman en deux temps : une première version entre 1911 et 1913, révisée en 1919, la censure ayant parfois obligé l'écrivain à en ôter quelques passages jugés trop osés à l'époque.

    Il est vrai que l'existence de Yokô est atypique, et elle en revendique la marginalité tout en souffrant d'être tantôt admirée, tantôt mise au ban de la société. Femme fatale et insoumise, elle ne parvient pas à se faire accepter dans un milieu compassé, aux valeurs morales qu'elle juge archaïques, étouffantes, qui rangent la femme dans la catégorie des êtres inférieurs. La fougue de son tempérament est incompatible avec cette rigueur et ces contradictions la poussent à des accès d'angoisse, la laissant toujours au bord du gouffre.
    Ses aventures et les rebondissements variés ne sont pas sans rappeler la Moll Flanders de Defoe (mais dans un tout autre registre) : Yokô, après un mariage secret mais décevant avec Kibe (union qui lui donne néanmoins une fille qu'elle abandonne plus ou moins), ne peut rester au Japon et, confiant ses deux jeunes soeurs à des parents, part aux Etats-Unis rejoindre un fiancé qu'elle n'aime pas. Sur le paquebot, le lieu où se déroule la majeure partie du roman, elle se sent irrésistiblement attirée par le commissaire de bord, Sankichi Kurachi.
    Tout en déplorant le fait que les femmes doivent subir leur sort tout en développant des idées sur la libération de la femme, l'auteur paraît bien en avance sur son temps et, dans de multiples descriptions maritimes nimbées de poésie, il construit un parallèle entre les mouvements des vagues et les sentiments de son héroïne, caractérisés par leur versatilité.
    Ce roman, tenu comme l'un des meilleurs d'Arishima Takeo, est d'une richesse audacieuse ; à travers l'existence de cette femme, l'auteur ne cesse de s’interroger et de développer plusieurs thèmes : l'amour romanesque et le plaisir charnel, les relations entre hommes et femmes, la passion et la mort, l'Orient et l'Occident, et les tourments imposés aux femmes par la société japonaise. La profondeur des sentiments est d'une authenticité et d'une spontanéité rares et nombreux sont ceux qui ont comparé l'auteur à Flaubert, au vu de l'intimité qui a pu exister entre ces écrivains et leurs héroïnes.

    (B. Longre)

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Fièvre d’écrire

    katai.jpgFuton de Kataï, récits traduits du Japonais par Amina Okada, Le Serpent à plumes.

     

    A la fin du XIXème siècle, Kataï découvre la littérature occidentale et se sent "brûler de la fièvre d'écrire". Les œuvres de Maupassant, tout particulièrement, influencent le jeune auteur, qui y découvre la bestialité de l'homme et un registre : le naturalisme. Futon, écrit en 1907, relate une histoire inspirée par ce que vécut l'écrivain quelques années plus tôt, alors qu'il accueille chez lui une jeune provinciale fascinée par ses romans, qui souhaite devenir son élève. Ce récit intimiste narre dans le détail les tourments amoureux de Takénaka Toki.o, un professeur de littérature d'une trentaine d'années ; marié et père de trois enfants, irrésistiblement attiré par cette étudiante dont la jeunesse lui fait regretter la sienne, il tente de se raisonner, en vain, jusqu'au jour où la jeune fille, en élève obéissante, lui révèle son amour pour un autre, ce qui fait naître en lui une terrible jalousie.
    A travers ce roman à la troisième personne (mais tant centré sur Toki.o qu'on se surprend à entendre "je"), l'auteur parvient à mettre l'âme humaine à nu : rien n'est dissimulé, ni les pensées exaltées ou mesquines, ni le paternalisme abusif du personnage, ni son hypocrisie vis à vis de sa femme ou de la jeune fille, à qui il enseigne la littérature amoureuse occidentale (Tourgueniev) ou à laquelle il explique comment les jeunes filles modernes doivent profiter de leur liberté... A sa parution, Futon déclencha autant les louanges que les critiques et le titre même du roman (mot désignant un élément de literie) fit scandale, par ses connotations érotiques. Mais un genre était né, qui allait influencer nombre d'auteurs.
    Les deux nouvelles qui accompagnent ce court roman mettent en valeur l'absurdité de la cruauté humaine. Le soldat, aux résonnances antimilitaristes surprenantes pour l'époque, relate la marche fatale d'un fantassin durant la guerre russo-japonaise en Mandchourie (Kataï lui-même avait servi sur le front) et sa lente agonie. Une botte d'oignons est là encore le récit d'une agonie : celle d'O-Saku, jeune paysanne dont l'existence n'est qu'une suite de malheurs et de labeur ; trompée et ignorée de tous, son désespoir la conduit à commettre un acte terrible, innommable. C'est dans cette nouvelle que ressort particulièrement la veine naturaliste et l'influence de Maupassant, l'auteur s'efforçant de demeurer objectif et de décrire, dans un souci de vérité, la réalité crue du monde, sans chercher à le poétiser ou à entrer dans les pensées du personnage : aucune trace d'introspection dans Une botte d'oignons pourtant tout aussi intense que Futon.

    (B. Longre)

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Lugubre célébration

    hontes3.jpgHontes
    Confessions impudiques mises en scène par les auteurs
    anthologie composée par Robin Robertson, traduction de Catherine Richard - Ed. Joëlle Losfeld

    Où l'on découvre que les écrivains sont parfois des êtres humains ...

    Robin Robertson, poète écossais, a convaincu plusieurs dizaines d'écrivains anglophones d'avouer sur le papier quelques-uns des épisodes les plus humiliants de leur carrière… Ces confessions sont réunies dans un ouvrage atypique où l’on découvre que des auteurs en majorité célèbres ont tous connu (et connaîtront certainement à nouveau) des moments bien pénibles à vivre ; on compatit, certes (dans la majorité des cas, personne n’aimerait se retrouver à leur place…) mais on ne peut s’empêcher de se réjouir de ces mésaventures parfois douloureuses, en prenant conscience qu’après tout, la gloire littéraire est tout aussi éphémère que d’autres formes d’hommages. La force de l’ouvrage tient principalement au fait que c’est justement ce fantasme de l’écrivain intouchable qui, du début à la fin, est mis à mal, ce « culte de l’intellectuel littéraire » qui fait tant horreur à Louis de Bernières (en particulier en France, où il « atteint des sommets délirants ») ; cet individu imaginaire, à jamais enfermé dans un monde parallèle qui ne serait pas celui du commun des mortels, n’existe pas ; si ce n’est déjà fait, cette anthologie est là pour le prouver.

    Il est bien évidemment impossible de résumer ici toutes les croustillantes déconvenues qui constituent ce recueil – narrées avec une bonne dose d'humilité – mais on peut s’arrêter sur quelques-uns de ces éprouvants incidents de parcours que les victimes regardent, a posteriori, avec humour. La plupart de ces épisodes s’inscrivent dans un contexte littéraire – lors de rencontres avec le public (parfois si clairsemé que ç’en est déjà une humiliation en soi), de salons, de tournées promotionnelles ou des éternelles séances de signatures (souvent un véritable pensum pour les écrivains, qu’on se le dise…). Ainsi, Margaret Atwood se souvient entre autres de sa toute première séance de dédicace, dans un grand magasin, quand on l’installe « dans le rayon des chaussettes et sous-vêtements pour homme », entourée d’une pile de son roman La femme comestible ; et de conclure, « Ce jour-là, j’ai vendu deux livres. » Rien à voir avec Chuck Palahniuk, qui raconte comment certaines séances se transforment presque en émeutes, tandis que Jonathan Coe évoque plusieurs souvenirs humiliants qui l’ont amené à « forger la même résolution (…) : ne plus aller me fourrer dans ce genre d’événements. Rester à la maison, assis à mon bureau, comme sont censés le faire les vrais écrivains. » - et pourtant, il continue. D’autres anecdotes à recommander : celle du poète Matthew Sweeney qui perd une dent en public, la bourde de jeunesse racontée par André Brink, la cuite d’Irvine Welsh, l’amusante erreur du poète Andrew Motion ou le cauchemardesque salon du livre de Bordeaux, tel que Paul Bailey l’a vécu…

    On rit aussi beaucoup du texte concocté par Simon Armitage, poète et romancier, qui a l’habitude de sillonner les routes et qui a choisi de proposer un « medley » de ses pires moments… Une synthèse hilarante et fantaisiste, où tout est pourtant vraisemblable, et qui se rapproche de nombreuses autres expériences d’auteurs invités çà et là à venir lire des extraits de leurs écrits. Des expériences mortifiantes, dégrisantes, qui font de cet ouvrage une somme chaleureuse de moments de bravoure uniques en leur genre, incitant pourtant à souscrire au point de vue d’A.L. Kennedy (« Les rassemblements littéraires sont à éviter »). Seul regret, que les auteures soient sous-représentées (une petite dizaine seulement) ; mais ceci n’est pas dû à l’anthologiste, ainsi qu’il s’en explique en postface ; d'après lui, «le mâle de l’espèce humaine est plus enclin à l’indignité »…

    (B. Longre)

    http://www.gallimard.fr/collections/losfeld.htm

    http://www.contemporarywriters.com/authors/

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  • A qui le tour ?...

    rn115.jpgL’étouffeur de la RN 115 de Matthias Lehmann - Actes Sud BD

    René et Agathe sont tous deux à la recherche du « tristement célèbre » Robert Illot, surnommé "l’étouffeur de la RN 115", un dangereux psychopathe au physique pourtant quelconque, qui vient de s’évader de l’hôpital psychiatrique… et « personne n’est à l’abri de ne pas être en sécurité » selon la police. Les deux enquêteurs (dont on ne connaît pas les motivations) se rencontrent par hasard (Agathe faisait du stop) et décident de faire route ensemble le long de la RN 115 ; grâce à Agathe, décidément très organisée (elle a tout répertorié dans un petit carnet qui ne la quitte pas), ils localisent ceux qui ont pu croiser Robert Illot par le passé ; on fait alors le tour d’une belle galerie de portraits d’individus en marge, psychiquement dérangés, d’anciens désaxés (sont-ils vraiment rétablis ?) qui tous se souviennent d’un rêve que Robert Illot leur avait raconté – toujours le même, mais à des moments différents… l’histoire d’un petit garçon terrifié errant dans une maison vide, et qui se raccroche à des objets rassurants pour apaiser ses angoisses : des objets qui varient au fil du rêve, que l’on retrouve dans la réalité, et qui lui servent à étouffer ses victimes – un patin à roulette, un livre, des chaussettes ou des cafards…

    La trame complexe, savoureuse, fait perdre pied et les repères s’effacent,  à mesure que des pistes divergentes surgissent et que René s’égare dans sa quête et dans les bras de l’énigmatique Agathe – mais le tout reste habilement construit et l’atmosphère à la fois morbide et cocasse, qui mêle l’irréalité des cauchemars au prosaïsme du réel, est parfaitement rendue par la technique de la carte à gratter, un procédé qui permet de jouer sur l’ombre, la lumière et leurs reliefs, comme dans un film noir d’époque.
    Matthias Lehmann, qui a publié des histoires courtes en revue, signe là un ambitieux roman graphique, un thriller lancinant, loufoque et sanglant, conçu à la manière d’un road-movie sur une route interminable qui semble mener nulle part, et qui s’achève vertigineusement – obligeant ainsi le lecteur à revenir sur ses pas et à prendre à nouveau un grand plaisir à relire l’ensemble, sous un nouvel éclairage…

    (B. Longre)

    http://www.actes-sud.fr/BD

    http://blocmatthias.blogspot.com/

     

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  • Le temps suspendu

    8h32.jpg8h32, de Stéphane Servant et Alice Sidoli
    Editions Où sont les enfants ? collection Chahu-Bohu.

    Le passage du temps est une notion assurément relative et les minutes qui s’écoulent ont une durée variable selon l’état d’esprit dans lequel on se trouve – un sentiment habilement rendu dans ce bel album, qui égrène de menus incidents se déroulant l’espace de 60 secondes x2, du point de vue d’un petit garçon. Depuis sa fenêtre, celui-ci cherche à chasser son ennui en observant ce qui se passe en bas, dans la rue – un monde en mouvement qu’il contemple, immobile : un éternuement, un avion qui passe, un taxi qui arrive, une fillette sur sa balançoire… « Pourquoi le monde était obligé de tourner si lentement » ? s’interroge-t-il soixante secondes plus tard… il décide alors de faire « tourner le monde » à sa façon, les yeux fermés, et de faire défiler dans sa tête la suite des incidents auxquels il vient d’assister…

    L’ennui du jeune narrateur prend corps à travers les moments figés par la photographe – tandis que même sans lui, le monde continue sa course, la vie ne s’arrête pas, ce qu’il découvre ensuite (quelques secondes plus tard, en réalité…).

    Avec sérénité et espièglerie (amplifiée par une mise en page originale qui ose découper les images, y superposer des chiffres – censés nous rappeler que les aiguilles tournent… – y ajouter des lignes droites – lignes de fuite ou fuite du temps ?), les photographies captent le rythme de ces instants fluctuants, leur lenteur, leur simultanéité, leur accélération (des scènes dans le flou où l’objectif semble balayer le décor en un seul mouvement)… Un livre pour réfléchir aux liens étroits qui se nouent entre espace et temps, entre temps vécu, rêvé, subi ou maîtrisé, par le biais d’une histoire du quotidien, pourtant poétique, qui témoigne d’une belle créativité narrative et graphique.

    (B. Longre)

    http://ousontlesenfants.hautetfort.com

    http://mondalice.canalblog.com/

    http://stephaneservant.20six.fr/

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  • Fast speaking woman

    waldman.jpgI’m a bird woman

    I’m a book woman

    I’m a devilish clown woman

    I’m a holy-clown woman

    I’m a whirling-dervish woman

    I’m a playful-light woman

    I’m a tidal-pool woman

    I’m a fast speaking woman

     (…)

    I’m the camouflaged woman

    I’m the assuaged woman

    I’m the ravenous woman

    I’m the Kali Yuga woman

    high-pitched woman

    not a trifling woman

    hissing woman

     

    I’m the woman with the guns

    I’m the woman with tomes

    I’m the book woman

    I’m the stolen book woman.

     

    Anne Waldman, Fast speaking woman
    Bilingue, anglais-français, Traductions de Marianne Costa, Pierre Guéry, Frédérique Longrée et Olivier Dombret.
    Editions Maelstrom, 2008

     

    Première édition en français de textes de la poétesse américaine Anne Waldman.
     

    http://www.maelstromeditions.com/

     

    http://www.electriques.ca/filles/artistes.f/w/waldman_an.php

     

    http://www.poetspath.com/waldman.html

     

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  • Cruelles amours

    mats.jpgNatural woman de Rieko Matsuura, traduit du Japonais par Karine Chesneau, Philippe Picquier.

     

    Yôko remonte le temps et se souvient avec lucidité de ses amours passées : à contre-courant donc, trois liaisons sont racontées, décortiquées, analysées ; des aventures singulières, non pas tant parce que Yôko aime les femmes, mais surtout par leur caractère sadomasochiste avoué, en particulier avec Hanayo qui, comme la narratrice, est dessinatrice de mangas et avec laquelle elle entretient des rapports amoureux et érotiques hors-normes, passionnés et destructeurs. Cette première expérience de l'amour semble alors dicter à Yôko son comportement avec ses autres partenaires.
    Dans une langue crue et limpide, l'auteur fait évoluer une jeune femme libérée (nulle référence à la famille ou à des traditions surannées) dont l'indépendance n'est en réalité qu'une façade, tant elle est soumise à ses désirs charnels et à la complexité de ses rapports avec ses amies. Ses relations avec Yukiko, sa dernière amante en date, ressemblent à s'y méprendre à celles qu'elle entretenait avec Hanayo, excepté que tout sentiment en est ici absent. Seule Yuriko la trouble véritablement : si pure et inaccessible que Yôko refuse de penser à elle comme à une éventuelle compagne de jeux érotiques. En dépit du nombrilisme omniprésent et de l'incapacité de la protagoniste à trouver une voie vers une relation amoureuse stable, on se prend au jeu, à suivre les méandres du cœur et du corps de Yôko et ses souvenirs agrémentés de nombreux détails élevés au rang de symboles. Soit, l'auteur se démarque surtout par l'aspect provocateur des thèmes qu'elle aborde, mais on admire la vivacité de sa réflexion sur la souffrance et la cruauté que l'amour est susceptible engendrer.

    (B. Longre)

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Epopée au féminin.

    foretelling2.jpgThe Foretelling / la Prédiction d’Alice Hoffman
    Traduit de l’anglais par Catherine Gibert
    Egmont / Gallimard Jeunesse, Scripto

    Dans une langue à la fois âpre et littérale, pourtant nimbée de poésie et ponctuée de passages qui résonnent comme d’anciennes litanies, La prédiction met en scène un peuple nomade de femmes guerrières du Prénéolithique, qui n’est pas sans rappeler, par leur farouche indépendance et leur méfiance haineuse envers le genre masculin, celui qu’a recréé David Haziot dans Elles – roman épique évoquant la chute du matriarcat et le long apprentissage du vivre-ensemble (Autrement Littératures).

    L’héroïne est ici une jeune fille, Rain ( « Pluie », tout simplement, dans la traduction française), rejetée par sa mère, la reine, depuis l’enfance. Mais d’autres membres de la tribu ont pris soin d’elle, des femmes maternelles ou versées dans le maniement des armes ; surtout, la jeune fille a pu apprendre à monter à cheval, l’unique moyen de combattre et de vaincre les tribus masculines et barbares dont les incursions sont récurrentes sur le territoire des femmes.
    Mais Rain, devenue habile cavalière, se sent différente de ses compagnes et sa quête identitaire traverse ce magnifique récit à la première personne ; son esprit s'absorbe dans d'insolubles questions qu'elle résoudra peu à peu : sa mère, si froide et distante, la destine-t-elle à devenir reine à son tour ? Veut-elle vraiment de cette fonction ? Comment ne pas faiblir à la bataille, quand l’odeur du sang lui répugne ? La pitié qu’elle éprouve parfois, un sentiment pourtant banni par son peuple, est-elle une tare ? Et que penser de cette prophétie que lui révèle la prêtresse et de ce cheval noir dont elle rêve chaque nuit ?

    foretelling3.jpgÀ la recherche de sa vraie nature, confrontée à des choix douloureux, elle découvrira qu’il est possible de vivre autrement, que d’autres désirs l’attendent, qu’il n’est pas toujours nécessaire d’avoir recours aux armes pour se défendre ou conquérir sa liberté, et que l’on peut parfois faire confiance à certains hommes – en qui ses sœurs amazones ne voient que des étalons dont la semence leur permettra d’engendrer d’autres filles… mais surtout pas de garçons, sacrifiés à la naissance ou confiés à d’autres tribus.

    Récit abrupt et sauvage, à l’image de l’univers hostile mais hautement vraisemblable réinventé par Alice Hoffman, La Prédiction est une aventure palpitante, une fable dont la morale est transposable à toute époque, mais aussi un roman d’apprentissage qui emprunte d’inattendus chemins de traverse et dont on sort bouleversé. Impossible de s’extraire du récit de Rain, qui happe le lecteur dès les premières lignes. Il est des romans publiés dans des collections «jeunesse » ou « ado » qui transcendent habilement les étiquettes et La prédiction en fait indubitablement partie.

    (B. Longre)

    http://www.egmont.co.uk/

    http://www.alicehoffman.com/index.html

    http://www.gallimard-jeunesse.fr/

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  • Mondes imaginaires

    gestin.jpgLes éditions Au Bord des Continents publient de beaux livres qui ouvrent sur des univers singuliers. J'ai sous les yeux trois de ces ouvrages traitant de créatures issues de divers folklores, qui continuent de nourrir l'imagination et de susciter l'engouement de certains auteurs (sans parler des lecteurs). Je ne crois pas (plus ?) aux fées mais, le temps d'un livre, on peut accepter de se laisser entraîner dans ces mondes qui savent parfois se faire poétiques.

    Ainsi, on retrouve quelques fées dans un livre de Sandrine Gestin, le tome 2 de Rêveries de fées, composé de textes en vers très simples, auxquels on préfèrera les illustrations représentants les "petites sœurs perdues" de la narratrice, du moins certaines : car si les réalisations à l'huile tendent à imiter en partie, dans les pauses adoptées, certaines toiles préraphaélites, elles n'en sont que les pâles copies un peu kitsch ; en revanche, les crayonnés et autres esquisses, auxquels se mêlent de légères taches d'encre et des entrelacs celtiques aux teintes passées, dévoilent des aspects plus sombres et inquiétants (souvent, les motifs sont seulement suggérés - un profil, le détail d'un œil, etc.) et l'ouvrage aurait peut-être gagné à s'en contenter.

    croquis.jpg

    Les deux autres livres, des grands formats, sont signés Jean-Baptiste Monge, l'un des illustrateurs phares de la maison. Le tome 2 d’un Carnet de Croquis, Archives de féérie propose des dizaines d’ébauches choisies par l’illustrateur, qui dit du croquis qu’il est « beaucoup plus libre, instinctif et ludique » que le dessin achevé et colorisé. Des crayonnés de lutins, gobelins, fées parées de bijoux ou guerrières (appartenant davantage au domaine de la fantasy) se succèdent et évoquent les multiples recherches nécessaires à la réalisation d’un travail très réussi d'un point de vue technique.

    celticf.jpg

    Le second du même illustrateur, Celtic Faeries, comporte à la fois des croquis, mais aussi des travaux achevés, accompagnés de textes et de nombreuses citations, dont des extraits du célèbre Secret Commonwealth of Elves, Fauns and Fairies du révérend Robert Kirk. Avec une importante bibliographie en annexe et un index des dizaines de créatures présentes dans l’ouvrage (de la Fée Clochette à Puck en passant par les fameux changelings), le tout forme une encyclopédie non exhaustive des mondes féériques, qui se compulse et/ou se feuillette fort agréablement.

    http://www.au-bord-des-continents.com/

     

    http://www.jbmonge.com/

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  • Un « mieux vivre ensemble »

    La transformation de l'intimité d'Anthony Giddens
    Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes
    traduit de l'anglais par Jean Mouchard
    Le Rouergue / Chambon, 2004 - Hachette Littératures, Pluriel, 2006

    Esquisse d'une carte de l’intime : de l'inéluctable disparition du patriarcat phallocentrique à l'émergence d'une relation pure, débarrassée de toute binarité.

    giddens4.jpgÀ une époque où certaines publications profondément pernicieuses racontent tout et n'importe quoi et font du neuf avec du vieux (en véhiculant les perpétuels schémas sclérosés d'un patriarcat hétérosexuel confortable et d'un différentialisme rétrograde, en prétendant dévoiler les prétendues "énigmes" de la binarité masculin/féminin), l'ouvrage du sociologue britannique Anthony Giddens, professeur à Cambridge, mérite d'être présenté, ne serait-ce que parce qu'il ouvre des champs de réflexion (dont on n'entend pas suffisamment parler en France) et qu'il s'inscrit dans un mouvement sociologique qui prône réciprocité et égalité entre les individus, quel que soit leur sexe biologique, leur genre ou leur orientation sexuelle. Giddens, rationaliste et visionnaire, classique et post-moderniste, réconcilie les contraires.

    Les analyses (synchroniques et diachroniques) de l'auteur vont bien au-delà de la simple dénonciation des intolérables disparités qui subsistent dans nos sociétés occidentales, et l'angle de vue pour lequel il opte dépasse l'impuissance du constat. Chacun sait qu’en apparence, peu de choses ont changé, il n'en demeure pas moins que des évolutions sociales profondes ont vu le jour ; que l'on assiste à une modification des rapports de force et des rapports tout court (amoureux et érotiques) au sein des couples qui se font et se défont, au rythme des désirs et/ou des sentiments. Si le statut des femmes dans la vie publique n’a pas évolué de manière significative, il en est autrement dans le domaine des rapports amoureux et des pratiques sexuelles ; ces dernières, tout particulièrement, se sont multipliées et diversifiées et on a vu naître, dans la deuxième moitié du XXe siècle, un phénomène égalitariste nouveau.

    Quand le phallus devient pénis

    Mais le sociologue se démarque d'autres chercheurs en insistant sur le rôle d’avant-garde joué par les femmes, sans qui ces transformations n'auraient vu le jour : "Aujourd’hui, pour la première fois dans l'histoire, les femmes revendiquent leur pleine et entière égalité avec les hommes." Une révolution générée par des femmes désirant s'émanciper, mais aussi par des minorités sexuelles en mal de reconnaissance ("l'émergence de l'homosexualité dans la sphère publique" a eu "des conséquences capitales sur la vie sexuelle en général.", et a permis l'éclosion de nouvelles libertés, la diversification de pratiques qui ne sont plus considérées comme des perversions - du moins par la majorité) ; si la sexualité de tous est aujourd'hui "affranchie des exigences de la reproduction", libérée des contraintes de la biologie et de la morale, c'est bien parce que des femmes ont combattu, entre autres, pour le droit à la contraception et à l'avortement et, dans la sphère privée, pour une répartition démocratique des rôles. Ces transformations entraînent nécessairement une redéfinition de la virilité et de la fonction du masculin et c'est ainsi que le phallus, en tant qu'objet symbolique, se voit dépossédé de ses prérogatives d'antan : "L'idée voulant que telle ou telle croyance et action conviennent à un homme et non à une femme, ou inversement, est inéluctablement vouée à disparaître au fur et à mesure que le phallus, si l'on me passe l'expression, se rétrécit en pénis."

    giddens3.jpgLa relation "pure"

    Anthony Giddens interroge la sexualité moderne en s'intéressant d'abord aux rapports entre les individus et aux liens entre sexualité et amour (se démarquant ainsi de la pensée foucaldienne, qui ignore le concept amoureux) : il ne cesse de développer, tout au long de ce passionnant ouvrage, l'idée d'un contrat intime négocié au quotidien, un pacte qu'il nomme "relation pure", rendu possible à la fois par la dissociation de la sexualité et de la procréation ("une séparation aujourd'hui entièrement achevée") et par la démocratisation des relations dans la sphère privée. L'assimilation amour / mariage / maternité / éternité n'est plus un carcan dans le cadre de cette relation pure, mais peut en découler, selon les désirs partagés des partenaires, et cette réciprocité transcende la binarité masculin / féminin. L'auteur revient en particulier sur les absurdes clichés qui font de la femme un être d'émotion et de l'homme un être d'action, qui associent la première au sentiment amoureux et l'autre au désir sexuel, en montrant que chaque individu, masculin ou féminin, a une vulnérabilité émotionnelle et des capacités pour agir. Tout n’est donc qu’affaire de culture et d’éducation… Une pensée qui rejoint celle d’Elisabeth Badinter ou les éclairantes analyses de Georges-Claude Guibert.

    Conscient du long chemin qui reste à parcourir pour que "l'amour convergent" s'enracine socialement (la démocratie "ne suffit pas en tant que telle"), tout en acceptant les entre-deux et les variantes, l'auteur ose aller plus loin encore en esquissant la silhouette d’un être humain idéal, proche de l'androgyne, dans une société transgénérique débarrassée de sa dualité, autre que biologique : "plus s'accroît égalité entre les deux sexes, plus les formes préexistantes de masculinité et de féminité ont des chances d'évoluer vers une sorte de modèle androgyne." – on remarquera que là encore, ce sont les femmes qui sont pionnières en la matière.

    L’interdépendance : une notion récurrente.

    Il reste que la démocratisation de la sphère intime n'influence pas nécessairement la sphère collective et les retombées dans les domaines politiques ou professionnels sont paradoxalement minimes : l'auteur fait montre d'un optimisme à toute épreuve et s'avance peut-être en décrivant l'interdépendance des deux domaines ; il insiste sur l'idée que l'émancipation individuelle, "dans le contexte des relations pures, est riche d'implication pour la pratique démocratique au sein de la communauté tout entière." Mais on peut se permettre d’en douter. Anthony Giddens étaye sa thèse d’une analogie inattendue entre les conflits internationaux et les conflits personnels et la façon dont ils se règlent (entre pression et oppression), montrant comment les négociations internationales pourraient prendre exemple sur ce qui se passe dans le champ individuel, quand les négociations sont menées sur des bases égalitaires, démocratiques et de respect mutuel… Tout ceci demeure pourtant un vœu pieux, mais i’interdépendance macrocosme/microcosme est l’un des thèmes de prédilection de ce chercheur pour qui l’homme est avant tout un être de culture : en passant d’un microcosme à un macrocosme, le sociologue démontre la flexibilité du phénomène démocratique.

    Une troisième voie...

    Anthony Giddens, ancien directeur de la London School of Economics, est célèbre pour l’influence politique qu’il a exercée sur Tony Blair, lui soufflant les principes de la «troisième voie» (the Third Way) si chère au New Labour (nouveau parti travailliste) ; en dépit des dérives sociales et politiques que ces théories ont fait naître en Grande-Bretagne, il demeure qu’avec cet ouvrage (où il n’est nullement question du premier ministre britannique), le sociologue élabore les bases d’une authentique « troisième voie » des liens amoureux et érotiques dans les sociétés occidentales, en insistant sur la résolution modérée et nuancée des conflits intimes et en reléguant loin derrière nous les vieilles querelles simplistes qu’impose une division dualiste des groupes d’individus : en s’opposant à la domination de l’un ou de l’autre de ces groupes (extrémistes de tous bords, que ce soient les hommes encore persuadés de leur supériorité « naturelle » ou les féministes essentialistes – pour qui l’hymne à la nature est le plus fort, prônant une séparation totale des sexes), il nous propose tout simplement d'apprendre à vivre en bonne intelligence.

    (Blandine Longre)

     

    Quand certains élèvent le débat, d'autres abusent de la crédulité ambiante en proposant de soi-disant "manuels" permettant de mieux vivre... Parmi les ouvrages que nous ne conseillons pas citons ceux-ci (dont les titres affligeants résument d'eux-mêmes leur ambition différentialiste et toute leur portée scientifique...) :
    Pourquoi les hommes n'écoutent jamais rien. Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières (Allan et Barbara Pease) et, des mêmes, Pourquoi les hommes mentent. Pourquoi les femmes pleurent. Pourquoi les hommes se grattent l'oreille...et les femmes tournent leur alliance ? : Comment le langage du corps révèle vos émotions. Du même acabit : Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus de J. Gray.

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  • Dans un livre, tout est permis

    mammouth.jpgLes mammouths, les ogres, les extraterrestres et ma petite sœur d’Alex Cousseau, illustrations Nathalie Choux, Sarbacane, 2008

     

    Cet album en apparence inoffensif (si l’on se contente de se fier à la mine sympathique des personnages et au rose bonbon de la couverture) dissimule en réalité des questions retorses (mais essentielles) qui permettent à la fois de découvrir, à travers quelques décors fantaisistes, le parcours d’un jeune narrateur fort curieux et de s’interroger sur le livre en tant que création (et collaboration) : une mise en abîme que l’on trouve rarement dans cette catégorie littéraire.
    On y suit un enfant…(en fait, il s’agit d’un jeune mammouth, mais c’est tout comme) qui aime les choses « compliquées » et qui se demande, par exemple, s’il existe pour de bon – angoissante question… sans compter que la réponse de son père n’est pas si simple à appréhender : « Alors voilà. Nous ne sommes pas dans la vraie rue ni dans le vrai monde. Nous sommes dans un livre. Ça veut dire qu’il y a un monsieur qui écrit l’histoire, et une dame qui fait les dessins ». La fiction est un « autre monde », certes inventé, mais comme l’affirme très justement, avec un sens logique implacable, le petit mammouth (désormais assuré d’exister), c’est un monde palpable, qui se met à exister dès lors qu’il est créé : « Alors si ces moutons existent dans un livre qui existe, ces moutons existent et un point c’est tout ! »

    Le didactisme de cet album n’échappera à personne ; pourtant, dans le même temps, le traitement facétieux et les illustrations de Nathalie Choux, émaillées d’amusants détails, permettent de dépasser cet aspect purement fonctionnel et de savourer l’ouvrage comme il se doit ; un hommage à la création, qui affirme que dans un livre, tout est permis, que les auteurs s’inspirent du réel ou qu’ils déploient l’imagination la plus débridée.

     

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-sarbacane.com/

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