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littérature, traduction - Page 9

  • Le bonheur est dans la forêt

    doppler3.jpgDoppler d'Erlend Loe
    traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
    Gaïa, collection taille Unique, 2006 / parution en 10-18, janvier 2009

     

    Qui est réellement ce Doppler qui donne son nom au quatrième roman d’Erlend Loe publié en français et qui, soit dit en passant, nous fait tant rire ? Un irrécupérable ahuri ? Un asocial invétéré ? Ou tout simplement un sage, qui a bien raison de fuir travail, épouse et enfants, d’aller trouver refuge dans la forêt proche d’Oslo et d’adopter un jeune élan comme seul compagnon ? Certes, Doppler reconnaît ouvertement sa misanthropie en admettant ne pas aimer les gens (surtout les Norvégiens…) et son départ s’accorde à la logique jusqu’au-boutiste qu’il a décidé de suivre désormais. Avide de silence, il vit depuis six mois dans la forêt où il a planté sa tente dans un coin tranquille et érige petit à petit un système de valeurs dont le premier commandement est le suivant : fuir l’application humaine, qui caractérisait la vie étriquée qu’il menait avant, faite de petites obsessions matérielles et de préoccupations déshumanisantes, vécue au rythme des Teletubbies, héros de son fils téléphage, ou des élucubrations tolkieniennes de son adolescente de fille.

    Cette exclusion volontaire est le résultat d’un long processus mental, d’une crise existentielle qui ne fait que débuter, d’un dégoût progressif d’une vie sans joie, où le moindre geste était régi par un perfectionnisme effréné, où toujours il fallait prouver (à soi et aux autres) ses compétences : « Pendant des décennies, j’ai pataugé dans cette mare d’application (…) J’ai respiré de l’application et, peu à peu, j’ai perdu la vie. » Ainsi, pour faire contrepoids, Doppler a décidé de ne plus rien faire… ou presque ; de se prélasser sous sa tente ou près d’un feu de camp, de rêvasser ou de penser à son père, mort quelques mois plus tôt, se contentant de vivre de rapines, du troc ou de la chasse. Son élan et lui s’amusent comme des fous sous leur tente, mais il lui faut cependant se ravitailler de temps à autres – et malheureusement côtoyer brièvement quelques spécimens de l’espèce humaine. Et quand son épouse (qui est parfois venue lui rendre visite – Doppler est admirablement membré, il ne s’en cache pas !) lui annonce tout de go qu’elle est enceinte, lui pose un ultimatum, ou lui impose la garde partagée de Gregus, leur fils de quatre ans, comment va-t-il réagir ? Quand son ascétisme fera naître d’autres vocations, parviendra-t-il à échapper à ses pathétiques admirateurs ? Car en dépit de son entêtement et de tout ce qu’il peut affirmer sur sa détestation d’autrui, Doppler n’est pas un « méchant » ; ce serait presque tout le contraire... il se montre très attachant et s’attache lui-même aux autres, contre son gré. À l’instar de Jonathan Swift (“Je hais et je déteste cet animal qu'on appelle homme encore que je puisse aimer de tout mon coeur John, Peter, Thomas.»), c’est en groupe que Doppler déteste l’être humain.

     

    doppler1.jpgAu-delà du parcours singulier et atypique de Doppler, grand philosophe des temps modernes, sorte de Bouddha en quête d’un éveil improbable quittant la chaleur du foyer familial pour aller chercher ailleurs des questions et des réponses, et au-delà de la loufoquerie délibérée du récit, l’auteur expose en filigrane quelques maux qui frappent notre époque – consumérisme outrancier, accumulation de biens matériels, aveuglement des illusoires échappatoires qu’offrent la culture de masse et ses avatars - ou, tout simplement, la condition qui frappe l’humain en tant qu’être social.

    Au pragmatisme de son épouse, le narrateur oppose une logique qui n’appartient qu’à lui et quand la réalité cherche à le rattraper, il reste fidèle à lui-même, osant ce que jamais il n’aurait osé faire par le passé. Doppler est un personnage qui fait office de fou – au sens noble du terme : celui qui entend déciller les yeux du lecteur par sa posture extrême et sans compromis, et pourtant jamais morale, et dit tout haut ce que l’on n’ose même penser… Hormis ces salutaires réflexions que nous impose Doppler, le roman a le grand mérite de divertir le lecteur, page après page, de situations ubuesques en épisodes invraisemblables (quoique…), d’expériences malencontreuses en rebondissements inopinés. Erlend Loe a créé là une importante figure humanisante de la marge qu’on aura le bonheur de retrouver dans Volvo Trucks, paru il y a quelques mois.

     

    erlendloe.jpghttp://www.gaia-editions.com

     

    www.10-18.fr

     

     

    du même auteur :
    Autant en emporte la femme traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud - Gaïa, collection taille Unique 2005

    Maria & José (illustrations de Kim Hiorthøy) roman graphique traduit du norvégien par J-B. Coursaud - Gaïa 2005

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  • Anansi, l'homme-araignée

    anansi.jpgAnansi, conte africain / Figures futur 2008-2010
    Editions courtes et longues - CPLJ-93, ouvrage bilingue français-anglais, 2008

    Le Centre de promotion du livre de jeunesse Seine-Saint-Denis organise chaque année le salon du Livre et de la Presse jeunesse de Montreuil et, tous les deux ans (depuis 1990), un concours international : Figures futur, dont l’objectif est de repérer les grandes tendances de l’illustration de demain et de découvrir de nouveaux talents. Publié par les éditions Courtes et longues, ce bel ouvrage regroupe les contributions de plus d’une trentaine d’illustrateurs sélectionnés par le jury, dont la lauréate, Julia Marti, d’origine suisse – son trait économe et son dessin épuré ayant retenu l’attention des jurés. Cette fois, après Peter Pan et Alice (concours 2006), les candidats ont pu choisir entre deux contes africains : Pourquoi on trouve toujours les araignées aux coins des plafonds et Anansi et la Mort - qui mettent en scène le même personnage traditionnel, Anansi, mi-homme, mi-araignée, ambivalent et fluctuant. L'ensemble est forcément éclectique et très varié et, pour ma part, j'ai surtout apprécié les travaux de Katinka Reinke ou de Lisa Nanni (ci-dessous) dont les univers graphiques me semblent plus aboutis que d'autres.

    anansi2.jpgPour compléter le tout, plusieurs illustrateurs, peintres, artistes ou graphistes ont été interrogés sur ce que l’illustration représentait pour chacun d’eux - on retiendra entre autres les propos d'Olivier Douzou, fort justes : « l’illustration est une musique qui donne des inclinaisons à la parole. C’est un accompagnement qui joue finalement avec les mots, qui donne à lire plutôt qu’à voir, qui propose des interrogations plutôt que des réponses… »

    http://www.cleditions.com/

    http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/

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  • Une grande petite

    olga.jpgLe grand livre d'Olga, de Geneviève Brisac, illustrations Michel Gay - L'Ecole des loisirs, 2008

    Excellente idée que de rassembler les douze histoires d’Olga, la jeune héroïne imaginée par Geneviève Brisac il y a déjà quelques années (en 1990, pour être exact, date de sa première apparition dans la collection Mouche) dans un seul volume grand format d’une belle épaisseur, ponctué des esquisses de Michel Gay : pas moins de 420 pages d’aventures familiales qui mettent en scène une fillette, entre candeur et lucidité, toujours prompte à s’interroger et à enquêter (sur l’existence du Père Noël, dans Le Noël d’Olga), à remettre en question l’ordre des choses, à s’inquiéter de ce qui pourrait passer pour des broutilles aux yeux des adultes (quand il s’agit d’inviter des amies qui risquent de se moquer de sa maison « nid de souris », dans Olga fait une fête), ou à se révolter face à des injustices flagrantes – comme dans Olga et les traitres (où l’arrivée d'une remplaçante terrifiante incite certains enfants à céder à la peur), Chaque histoire dévoile habilement les appréhensions, les bonheurs et les difficultés qui font grandir, à travers les expériences quotidiennes d’une petite fille volontaire et attachante, dans une famille ou la liberté d’expression prévaut. 
    (Blandine Longre, décembre 2008)

    http://www.ecoledesloisirs.fr/index1.htm

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  • Chuchotements poétiques

    On m'a offert récemment un livre étonnant, forme et fond compris, une bien belle surprise dont j'ai envie de dire quelques mots. Un ouvrage à la couverture lumineuse (fond orange doré à la feuille d'or), composé d'une seule page, pliée de telle sorte qu'on obtient un livret en accordéon, maintenu par deux fins rubans noirs croisés de chaque côté. Selon le sens où l'on choisit d'ouvrir cet objet, plus petit qu'un livre de poche, on tombe sur le texte original anglais - enregistré en 1963 sur 12 disques avec la voix de son auteur, puis publié en 1970 en anglais et en allemand dans un ouvrage collectif auquel participaient plusieurs artistes - ou sur sa traduction en français, signée Anne-Marie Hui Bon Hoa.

    A l'intérieur, on découvre douze poèmes en vers libres, chacun correspondant à une date précise mais arbitraire (17 janvier, 17 février... jusqu'en décembre - le 17 janvier étant devenu, dès 1973, l'occasion d'un anniversaire de l'art, à l'initiative de l'auteur) et décrivant quelques gestes qui rapprochent les êtres humains de la création artistique - des gestes simples, presque naturels, évidents voire anodins, qui rappellent que l'art est à la portée de tous, qu'il suffit de s'ouvrir au monde environnant, de l'observer, de le faire sien : de plonger une éponge dans un seau d'eau, de lancer une balle dans les vagues, ou d'acheter un os... Le leitmotiv, "l'art est vivant", peut s'associer sans peine à un autre, qui apparaît en filigrane : "la poésie est vivante". Le livre s'intitule L'Histoire chuchotée de l'Art / Whispered Art History, et le poète s'appelle Robert Filliou.

    fillliou.jpg

    "Tout a commencé un 17 janvier, il y a un million d'années.
    Un homme s'empara d'une éponge et la plongea dans un seau d'eau.
    Le nom de cet homme n'est pas important.
    Il est mort, mais l'art est vivant.
    Pas besoin de noms dans cette histoire."

    La personne à qui je dois ce précieux cadeau m'en voudrait que je dévoile ici son identité ; cependant, il semble important de révéler que cet ouvrage a été déniché au salon de l'Autre livre, sur le stand d'un éditeur indépendant que je ne connaissais que de nom : Clémence Hiver éditions. Faute de trouver en ligne de plus amples informations sur cette petite maison créée il y a une vingtaine d'années, je reproduis ici la fiche que le salon propose sur son site.

    Clémence Hiver Editeur
    6 rue de la Planète BP 13 30610 Sauve
    Tel. : 04 66 77 02 09
    clemence.hiver(at)wanadoo.fr
    Autodiffusé, autodistribué 

    Ligne éditoriale : Les livres des éditions Clémence Hiver ont souvent été repérés pour leur facture singulière (maquettes, papiers, typographies, reliures), qui n’est peut-être que la forme d’un hommage tranquille à des univers poétiques, que l’éditeur a cœur à transmettre. En cela guidé non pas par une appartenance géographique ou autre des auteurs, mais par leur présence propre ; l’écriture restant première dans les choix éditoriaux : densité, résonances…

    Ouvrages principaux, collections : Marina Tsvetaeva, Terentiev (un compagnon de Malévitch) et son imbattable "Record de Tendresse", le désormais célèbre Nuvolaire de l’orientaliste florentin Fosco Maraini, le Pianissimo et les Copeaux de Camillo Sbarbaro, le Livre de Recettes de Ladislav Novak, les Contes de fées & 16 Poèmes enfantins du poète des Inconférences, E.E Cummings. Sans oublier L’histoire chuchotée de l’art d’un natif de Sauve : Robert Filliou (“Nationalité : Poète. Profession : Français”, selon son passeport).

    Nouveautés : Les deux « voyages métaphysiques » d’Olga Sedakova, l'une des grandes voix de la poésie russe contemporaine / Voyage à Tartu & Retour (Chronique à retardement) suivi de Poésie & Anthropologie et de Quelques remarques sur l’art de la traduction/Voyage à Briansk (Chronique sans prétention) suivi par Le Don de la liberté et de Quelques mots sur la poésie. Sur sa fin, son commencement et sa continuation.

     

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  • Abrutissement généralisé

    debris.jpgDébris, de Dennis Kelly

    traduit de l’anglais par  Philippe Le Moine et Pauline Sales

    Editions théâtrales, Culturesfrance, collection Traits d'union, 2008

     

    « Pauvre maman. Elle n’avait pas compris que les gens dans le poste ne sont pas réels, ce n’est qu’un écran magique, les mots ne sont plus qu’une collection chaque jour plus abstraite de sons dans les airs. La réalité était bel et bien dans son ventre, la réalité grandissait là, c’était moi la réalité. Une enfant-plante suçant la mort par sa langue-pomme de terre – c’était ça la réalité. »

     

    Texte saisissant, Débris traite de la déliquescence familiale, sociale et humaine et examine avec acuité la manière dont les rapports (de force ou d'amour) entre les générations évoluent, corrompus par l’incommunicabilité, elle-même engendrée par la télévision, omniprésente : un mal déréalisant qui provoque la perte des repères, du sens et pire encore. Il s’agit là d’un théâtre essentiellement allégorique, où l’horreur des situations exposées sert avant tout à mettre l’accent sur les dysfonctionnements qui agitent les rapports humains, en particulier la relation parent-enfant.

     

    Ainsi, l’abandon du père par le fils dans la première scène, où l’inversion des rôles est amplifiée par le recours au symbolisme religieux : quand Michaël, 16 ans, assiste à la crucifixion volontaire de son père, puis quitte la pièce, laissant son père mourant, terrifié. Plus loin, on voit le même Michaël, enfant, devenir le père d’un bébé abandonné dans les ordures, qu’il baptise « Débris », et qu’il nourrira au sein ; ailleurs, Michaël et sa sœur Michelle tombent entre les mains avides d’un proxénète et se seraient pliés à ses exigences si leur père, éprouvant soudain un attachement animal pour sa progéniture, n’était pas venu les récupérer - même si, à d’autres occasions, les enfants sont niés, oubliés et que c’est l’abandon parental qui prime.

     

    La plupart des scènes, monologues ou duos, reposent sur un procédé similaire : des images successives visuellement frappantes, voire grotesques, des mots qui font mouche, implacables mais jamais gratuits, qui atteignent le monstrueux et l’impensable, et dont l’impact sur le lecteur/spectateur pourrait se rapprocher du théâtre brechtien, dans la mesure où ils cherchent aussi à déciller, à éveiller les consciences abruties ou en passe de l’être… L’auteur bâtit une vision décadente, pitoyable et noire de la petite humanité et de ses débris, comme une tentative de briser les cercles de la transmission intergénérationnelle et de la démission existentielle.
    (B. Longre, décembre 2008)

     

     

    ***********

     

    Dans le cadre de la Saison culturelle européenne (juillet – décembre 2008), les éditions Théâtrales et Culturesfrance coéditent une collection intitulée "Traits d'union", regroupant 27 pièces inédites, une pour chacun des pays européens, de l'Allemagne à la Suède.

     

    www.editionstheatrales.fr/traitsdunion

     

    http://www.editionstheatrales.fr/

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  • Une femme disparaît

    barbebleue.jpgBarbe-Bleue de Chiarra Carrer, La Joie de Lire, 2008 (traduit de l'italien)

    Une hache.
    Une cuve.
    Une mare de sang épaissi.

    Réinvention partielle du célèbre conte, cet album minimaliste marque l'esprit du lecteur : texte contenu, en vers libres, où les non-dits abondent ; illustrations en beige, noir, bleu ou jaune pâle, ponctuées de quelques traces rouge sang. L'horreur et l'angoisse sont présentes à chaque page, tantôt brutes, que ce soit verbalement ou visuellement, tantôt suggérées par l'expressivité d'un visage, la position d'un corps, ou quelques mots qui laissent l'imaginaire faire le reste. Un beau travail d'artiste, glaçant à souhait, qui rend hommage au conte et à ses aspects symboliques mais qui en propose aussi une vision singulière, quasiment théâtrale.

    On pourra lire la chronique d'Anne-Marie Mercier.

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  • Un peu de lecture

    book2.jpgÀ découvrir, entre autres, dans le Zaporogue Magazine n° 5, revue de littérature, un texte intitulé " Dernier séjour ".

    Lien direct: http://www.lulu.com/content/5336540

    À télécharger gratuitement ou à acheter en ligne
    - édité par Sébastien Doubinsky, éditions du Zaporogue
    http://www.myspace.com/zaporogue

    Merci de vos lectures.
    Belles fêtes à tous.

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  • Des blogs pour (mieux) passer l'hiver

    Quelques suggestions, liste non-exhaustive... (les liens ne sont plus mis à jour très régulièrement dans la colonne de gauche - mais plutôt de ce côté.)

    Ailleurs ici presque sans sommeil - Veille internet hautement subjective de Romain Verger.

    http://ailleursicipresquesanssoleil.tumblr.com/

    Livrenblog - Littérature fin de siècle. Textes et images. bibliographies, portraits littéraires, informations.

    http://livrenblog.blogspot.com/

     Solko - Littérature, théâtre, histoire et polémiques à Lyon et ailleurs ... Blog de Roland Thevenet

    http://solko.hautetfort.com/

    Locus Solus - Le blog de Thierry Horguelin - Littérature, Cinéma, Typographie

    http://locus-solus-fr.net/

    Au Carrefour étrange - Trouvailles et introuvables

    http://aucarrefouretrange.blogspot.com/

    Bartleby les yeux ouverts - Des livres et des livres : études de personnages, de situations, etc. à la marge, en décalage avec la réalité quotidienne.

    http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/

    Littératures orientales, questions de traduction

    http://jelct.blogspot.com/ 

    Mister M.

    http://print-temps.over-blog.com/

     Le Tampographe Sardon

    http://le-tampographe-sardon.blogspot.com/

    Morbid anatomy

    http://morbidanatomy.blogspot.com/

     A journey round my skull -  Unhealthy book fetishism from a reader, collector, and amateur historian of forgotten literature.

     http://ajourneyroundmyskull.blogspot.com/

    Adventures in the print trade

    http://adventuresintheprinttrade.blogspot.com/

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  • La pomme de la discorde, les ailes de l'avenir

    The Three Incestuous Sisters, d'Audrey Niffenegger
    Jonathan Cape, 2005

    sisters1.jpg

     

    L'album n'est pas réservé aux seuls enfants et Audrey Niffenegger s'est approprié ce support avec finesse et talent ; de même, elle a choisi de créer un conte tendre et cruel – le merveilleux n'étant pas non plus une exclusivité enfantine. The Three Incestuous Sisters n'est pas un ouvrage pour la jeunesse, le titre en atteste, quand bien même le récit débuterait par le très classique "Il était une fois trois sœurs...". Trois sœurs, donc, qui ne se ressemblent pas - Clothilde, la talentueuse, Ophile la plus intelligente et Bettine, la plus jolie. Elles vivent en bonne entente jusqu'à l'arrivée d'un garçon nommé Paris - incarnation de la discorde à venir. Le choix du garçon se porte sur Bettine, la benjamine, et tandis que la fantasque Clothilde s'enferme dans un monde de folie douce tout en restant attentive aux étreintes de Bettine et de Paris, le cœur d'Ophile est noirci par la jalousie.

    Les deux amoureux apprennent à se connaître et un enfant est conçu - un fœtus avec lequel Clothilde communique tendrement, lui enseignant les étoiles et les sciences, en lui apprenant aussi à voler... Mais la sombre douleur qui ronge Ophile l'incite à commettre l'irréparable : Bettine meurt et Paris s'enfuit ; quant au fœtus... Clothilde a cessé d'entendre sa voix. Ophile, dont l'existence est devenue un calvaire saturé de fantômes, met fin à ses jours. Clothilde, restée seule dans la grande maison, se languit du bébé de sa sœur, quand, bien des années plus tard, elle entend à nouveau sa voix.

     

    sisters3.jpgLes trois sœurs sont des êtres hybrides, tour à tour fées, déesses, sorcières ou simples mortelles dont les sentiments se mêlent - rendant l'histoire de chacune indissociable de celle des deux autres, tandis que que toutes trois convoitent le même homme. Des histoires de séparations, d'amour et de mort, puis de retrouvailles, au-delà de la mort, dans un happy end qui remet en mémoire certains passages du roman d'Audrey Niffenegger, The Time Traveler's Wife.

    Le texte, délibérément bref et incisif, se superpose habilement aux illustrations, parfois à la manière d'une légende qui les accompagnerait humblement. Car l'artiste a d'abord composé cette histoire visuellement, à la façon d'un story-board, et le récit fut écrit postérieurement, à partir des esquisses. "C'est mon livre de cœur, un travail amoureux de quatorze années." explique-t-elle en postface, ajoutant qu'elle préfère le qualificatif de "visuel" plutôt que celui de "graphique" pour ce roman atypique.

     

    D'instinct, le lecteur est aspiré par les quelque quatre-vingt gravures (pas moins) qui composent l'ouvrage - des aquatintes homogènes, dans les tons de gris pour les décors, les personnages, en particulier les visages, se détachant ainsi singulièrement. Des illustrations pleine page, qui peuvent aussi se lire indépendamment du texte, ceci permettant de donner libre cours à sa propre imagination. Ce travail assidu, que l'auteure compare "au long siège d'une forteresse" - mûri avec le temps et patiné par l'acide mordant le cuivre - fut d'abord purement artisanal, Audrey Niffenegger ne prévoyant de réaliser, à la main, que dix exemplaires. Cette parution, par nécessité "industrielle", demeure esthétiquement exemplaire (et entre dans la belle collection graphique de l'éditeur Jonathan Cape), un "beau livre" dont le récit illustré et les trois sœurs aux longs cheveux reviennent inlassablement hanter le lecteur.  (B. Longre)

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  • Dystopie à l'anglaise

    robincook3.jpgQuelque chose de pourri au royaume d'Angleterre
    de Robin Cook
    (A State of Denmark, 1970) - traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias - Rivages/Noir

     

    D'abord, il serait dommage de confondre Robin Cook, auteur en série de thrillers médicaux de piètre qualité et Robin Cook (1931-1994), plus connu sous le nom de plume de Raymond Derek. Ce dernier, issu de la bourgeoisie britannique, prend vite la fuite et se met à voyager (Paris, New York, Espagne, Italie), alternant les petits boulots dans le monde interlope, les mariages et l'écriture : des nouvelles, une autobiographie (Mémoire vive), plusieurs romans parus en France aux éditions Rivages (Crème anglaise, Vices privés, vertus publiques, Il est mort les yeux ouverts, Comment vivent les morts, J'étais Dora Suarez...).

     

    L'oeuvre de Cook s'inscrit dans le mouvement engagé du néo-polar (romans noirs dont les aspects ouvertement militants offrent un regard critique sur les dysfonctionnements sociaux, politiques ou économiques - en France, les représentants les plus connus sont Jean Vautrin, Jean-Patrick Manchette ou encore Didier Daeninckx), et il exploite ici les tares et les défaillances d'un occident démocratique pour construire un roman dont la noirceur n'a d'égal que la superbe construction dramatique. La tragédie individuelle de Richard Watt, narrateur du palpitant Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre, s'apparente à (et s'inspire largement de) celle de Winston dans 1984 et la politique de Jobling (premier ministre élu démocratiquement pour mieux imposer sa loi par la suite) ressemble à s'y méprendre à celle d'un petit Hitler à la sauce Big Brother : l'Angleterre totalitaire qui est ici décrite est absolument terrifiante - mais, en définitive, pas plus que l'Allemagne des années 30 ne devait l'être : suppression des libertés individuelles, main mise sur les médias, délations, police secrète, détentions illégales des opposants, déportation des Noirs...

     

    Richard, journaliste conspué par le nouveau régime, s'est échappé à temps de cet univers cauchemardesque et mène, avec sa compagne Magda, une existence paisible en Toscane, où il a acheté des terres et une ferme, pour devenir vigneron. En cinq ans, ils se sont adaptés à leur nouvel environnement ; Richard est néanmoins tourmenté, l'esprit aux aguets, craignant de ne pas être véritablement à l'abri de Jobling dans cette campagne pourtant reculée, dans une Italie démocratique... Il craint d'être rattrapé d'une manière ou d'une autre, sans pourtant deviner ce qui l'attend.

    Roman d'anticipation politique laconiquement dédié "à toutes les victimes", Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre relate la chute inexorable d'un esprit rebelle, rageur, attaché à ses droits fondamentaux, et pourtant profondément pessimiste ; son parcours est une fable essentielle qui démantèle l'architecture dictatoriale et examine avec précision les effets que le contrôle totalitaire engendre au niveau individuel (éveil des instincts meurtriers, folie) : une œuvre obscure mais saisissante qui opère comme un avertissement : nul ne devrait se croire à l'abri...  (B. Longre)

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  • Zaporoguons - suite...

    zaporogue5.jpg

    LE MAGAZINE "LE ZAPOROGUE" #5 EST SORTI
    "THE ZAPOROGUE" MAGAZINE ISSUE #5 IS OUT NOW

     

    Textes et images de/Texts and images by: Thibault de Vivies, Didier Dæninckx, Jean-Yves Lemesle, Lynn Hoggatt, Kim « Kix» Jeppesen, Sébastien Doubinsky, Michel Embareck, Jonas Lautrop, Michael Moorcock, Tabish Khair, Jean-François Mariotti, Hélène Dassavray, Métie Navajo, Pierre Cherruau, La bande des 4 (Doubinsky, de Vivies, Mariotti, Sendek), Zach Seemayer, Claro, Nicolas Richard, Eric Coulaud, Lionel Osztean, Alexandre Planque, Blandine Longre, Arlene Colombe, Hiquily Ole Wesenberg, Nielsen Johannes Høje, Cathy Ytak, Manu Rich, Celina Osuna, Matt Gangi.

     

     

    Lien direct: http://www.lulu.com/content/5336540

    À télécharger gratuitement ou à acheter en ligne.

     

    – édité par Sébastien Doubinsky, éditions du zaporogue

    http://www.myspace.com/zaporogue

     

     

    Lire aussi l'entretien que La Revue des ressources a accordé à Sébastien Doubinsky
    http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1043

     

     

    Et la présentation de quelques publications, vivement recommandées.

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  • Pour une autre exploration de l'espace du livre

    lesgrandsarbres.jpgLa Diseuse, association de micro-édition co-dirigée par Marc Bellini et Lilas Seewald, propose d’aborder le livre et la lecture autrement… en publiant des livres-objets, en mettant en place des collaborations parfois inattendues entre auteurs, dessinateurs, artistes, en mettant aussi l’accent sur l’innovation graphique.
    J’ai récemment découvert quelques-uns de leurs ouvrages, dont une série de quinze cartes postales intitulée Les grands Arbres, qui combine des textes d’Anne Vauclair et des photographies de Marc Bellini, dont le travail inclut un usage original du photomaton. Malgré son support singulier et les blancs du récit, il s’agit bien d’un roman, entre anticipation et introspection : l’histoire d’une rencontre amoureuse ou amicale bâtie autour d’un souvenir commun, pourtant vécu séparément : celui des grands arbres que les deux personnages grimpaient à l’insu de tous, quand ils étaient enfants. Un acte qui leur paraît à présent terrifiant, alors que d’autres terreurs surgissent dans leur existence – des peurs, des révoltes puis la disparition brutale de l’un d’eux.
    L’ordre de lecture est balisé (les cartes sont datées du 1er au 15 avril 2005), mais peut aussi se faire aléatoire et morcelé, opérant un basculement et une perte des repères temporels (on notera l’allusion à L’Intemporel), tandis que des parallèles prennent imperceptiblement forme entre textes et images ou entre les différents montages photographiques – visages, fragments de corps, poings levés, mains tâtonnantes – qui déconstruisent les gestes et insistent, via les cadres, sur ce qui sépare les êtres les uns des autres. Ce « livre », qui stimule autant les sens et les émotions que l’intellect, renvoie ainsi le lecteur à ses propres expériences ; un effet de rapprochement favorisé par le support, qui crée une intimité immédiate – comme si chaque missive nous était adressée. Une collaboration à saluer.

     

    Les Grands Arbres, d’Anne Vauclair et Marc Bellini, un roman photo (photographies d'identité) en 15 cartes postales. 10.5 x 15, 15 cartes retenues par une bague, imprimées en quadrichromie offset sur couché semi-mat. 400 exemplaires, 12 euros.

    http://www.ladiseuse.com

     

    La Diseuse est invitée par la Librairie éphémère (Halle Saint-Pierre, Paris) - jusqu'au 4 janvier 2009.

    http://www.hallesaintpierre.org 

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  • Le VV sur les ondes...

    livre_l_524.jpg

    L'émission Mauvais genres, ce samedi 13 décembre de 21 à 22 heures sur France Culture, sera consacrée à Gaston Leroux, Fu Manchu... et à la revue Le Visage vert. Avec la participation d'Anne-Sylvie Homassel (membre de la rédaction du Visage vert et traductrice des aventures de Fu Manchu chez Zulma).

     

    Le numéro 15 du Visage Vert est en cours de lecture de mon côté, et j'y ai déjà découvert quelques auteurs dont les histoires, pour la plupart glaçantes, sont à leur place dans cette parution intitulée "Hantises et malédictions".

    On lira entre autres Le Succube de Jules Bois (1868-1943), où libido et mortido sont indissociables. Bois, ami de Huysmans, journaliste, féministe, versé dans l'occultisme, y relate comment la victime masculine, peu à peu, se laisse posséder par le démon qui a pris les traits de sa compagne décédée ; et le récit se fait plus décousu, le style plus saccadé à mesure que le narrateur bascule dans un état fébrile, engendré par ses terreurs...

    D'autres scènes propres à générer quelques plaisants cauchemars composent N° 252, rue Monsieur-le-Prince de Ralph Adams Cram (auquel Michel Meurger consacre un dossier stimulant), une histoire de fantôme (et de maison hantée) atypique, aux révélations imprévisibles ; tout comme La vallée morte, du même auteur, au début de laquelle le narrateur nous met en garde : "des histoires qui deviennent, alors que la nuit court à son plus profond, et que le feu s'affaisse, de plus en plus étranges, de moins en moins crédibles ; mais je les tiens, moi, pour vraies." Une façon de souligner le pacte narratif qui s'instaure entre l'auteur et son lecteur, invité à jouer le jeu et à entrer dans des mondes imaginaires oppressants - pourtant fort vraisemblables...

     

    On lira aussi les autres nouvelles qui composent ce numéro,  signées Jean Cassou (avec un dossier d'Eric Vauthier), Leopoldo Lugones, Anne-Sylvie Salzman, Norbert Sevestre, etc.

     

    Le Visage Vert, revue de littérature, n° 15 (éditions Zulma, responsable de la rédaction : Xavier Legrand-Ferronnière)

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  • Un roman noir, blanc et gris

    kirikonananan.jpgBlue, de Kiriko Nananan
    traduit du japonais par Corinne Quentin
    Casterman, collection Ecritures (réédition), 2008

     

    Épure : tel est le terme qui vient à l'esprit lorsqu'on découvre la grâce suggérée des visages et la finesse du trait de Kiriko Nananan ; une sobriété de surface, accentuée par les uniformes scolaires que portent les jeunes protagonistes, et qui dissimulerait presque la sourde violence sentimentale qui agite Kayako. La lycéenne ne s'intéresse pas vraiment aux garçons et, dès la rentrée, semble comme fascinée par Endô, une camarade de classe énigmatique qui a été renvoyée de l'établissement l'année précédente et qu'elle retrouve maintenant. L'amitié profonde qui réunit les deux jeunes filles se métamorphose peu à peu en passion, un amour qui semble réciproque jusqu'au jour où l'amie de Kayako disparaît : une perte qui la trouble amèrement.

     

    Ce récit d'apprentissage amoureux frappe par son ascétisme graphique, en discordance avec les passions et les amitiés qui se nouent et se dénouent, au fil d'une histoire où il se passe tant et si peu à la fois ; les amours clandestines d'Endô et Kayako sont illustrées avec pudeur et tranquillité, malgré un ton dont la gravité ne sied habituellement pas à la tranche d'âge évoquée ; la sensualité y est douce et se heurte à l'ampleur des sentiments éprouvés et l'auteure a mis en place un équilibre fragile, à l'image des aventures de ces jeunes filles, entre enfance et âge adulte. (B. Longre)

     

    Cet ouvrage a paru précédemment dans la collection Sakka, chez le même éditeur.

     

    http://bd.casterman.com/

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  • Maléfiques ?

    sorcieres.jpgLes sorcières sont à l'honneur dans trois ouvrages parus récemment, d'abord sous forme de glossaire poétique dans Les Sorcières d'Elisabeth Brami (accompagnée de trois illustrateurs, Arthur Leboeuf, Amélie Jackowski et Brigitte Susini) : d'Abracadabra à Zibeline (en passant par chaudron, vipère, incantations, pustules ou bosse), chaque terme est défini par un court poème en rimes, drôle et léger, auquel est associé une brève explication étymologique. Un bel album grand format qui permet de présenter ces dames sous un jour sinon favorable, du moins largement sympathique.

     

    Sur le même thème, dans un format similaire mais dans une autre veine graphique et narrative, on ira découvrir un coffret comprenant un album de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez, La petite sorcière, ainsi qu’un Grimoire de Sorcières (signé des mêmes), qui accompagne la lecture de l’album. L’histoire est celle de Lisbeth, qui découvre sa vraie nature lors d’un séjour chez sa grand-mère Olga. À cette occasion, elle trouve aussi un vieux grimoire, qui relate la généalogie et les parcours de plusieurs sorcières – ou plus précisément, de femmes considérées (par les hommes et la société) comme maléfiques au fil de l’histoire, en commençant par Lilith, l’ancêtre de toutes les autres. Suivent Isis, Méduse, Yama Uba (terrible dévoreuse d’hommes...), Gretchen, ou encore les siamoises Mary et Anny. Un beau livre peuplé de portraits en couleurs et agrémenté de documents inventés, de photographies ou de reliques très particulières.

     

    ptesorciere.jpgLes Sorcières d'Elisabeth Brami
    illustrations : Arthur Leboeuf, Amélie Jackowski et Brigitte Susini

    Hachette jeunesse, 2008

     

    Généalogie d’une sorcière
    (coffret contenant un album et un grimoire)
    de Benjamin Lacombe et Sébastien Perez
    Seuil jeunesse, 2008

     

    Pour découvrir d’autres sorcières : une visite du blog de Caroline Scandale s'impose.

     

    http://www.benjaminlacombe.com/

     

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  • Brèves, anthologie permanente de la nouvelle

    arton3162.jpgParution du dernier numéro de la revue Brèves (n°86)

    Avec des nouvelles inédites de Tadeuz Rozewicz (Traduit du Polonais) Jean-Claude Guillon, Dieter P. Meier-Lenz (Traduit De l’allemand) Isabelle Milkoff, François Teyssandier, Michel Wallon, Stephane Bonnefoi, Richard Huitorel, Anne Banville, Samuel Ico, Irene Duboeuf, Thomas Vinau, Michel Lamart, Chris Simon

    L’invité du numéro : le peintre SERGE KANTOROWICZ

    Pour en savoir plus sur la revue

    et sur ce blog

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  • Sélection 2008

    revue243.jpgLe numéro 243 de la Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, décembre 2008) vient de paraître : un numéro spécial qui propose, comme chaque année à cette période, une sélection d'ouvrages choisis parmi les nouveautés éditées de septembre 2007 à septembre 2008 - un choix de plus de 800 titres...
    Livres illustrés, contes, romans, poésie, théâtre, BD, documentaires, chansons, multimédia, magazines, etc.

    Articles consultables en ligne.

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  • Deux femmes et un renard

    dhlawrence3.jpgThe Fox, D.H. Lawrence
    Hesperus Press, 2002

    Deux jeunes femmes indépendantes, Banford et March, vivotent dans une petite ferme qu'elles ne parviennent pas à faire prospérer. Les deux amies s'entendent bien, en dépit de personnalités fort différentes — March est robuste et rêveuse, Banford plus fragile et pragmatique. Mais quand un soir, surgit dans leur vie un jeune soldat de retour de la première guerre mondiale (la ferme avait appartenu à son grand-père), cette harmonie se fragmente définitivement. Banford est d'abord heureuse de la présence du garçon et l'accueille fraternellement. Henry, c'est son nom, accepte leur hospitalité et se met en tête d'épouser March, malgré leur différence d'âge, d'abord par calcul, puis par désir. Cette dernière est comme hypnotisée par le garçon et, en sa présence, il lui semble qu'elle est privée de toute volonté. Cette fascination agace Banford qui, à son tour, irrite le garçon.

    Le sentiment d'irréalité qui envahit March dès qu'elle est avec Henry est complexe et indicible mais, sans équivoque, est lié au regard d'un animal : un renard qui emporte régulièrement les poules des deux jeunes femmes, sans qu'elles puissent jamais le tuer : un véritable "démon" qui, un jour, a croisé le regard de March et l'a ensorcelée ; comme si ce regard "avait pénétré dans son cerveau (...) Elle le sentait, invisible, prendre possession de son esprit." ; l'animal incarne ici la puissance rusée du mâle à l'affût, ne se laissant jamais prendre aux pièges tendus par la femme... Doris Lessing, qui signe l'avant-propos de ce court roman typiquement lawrencien, dit elle aussi avoir été "séduite" par le pouvoir d'évocation de l'écrivain, dès ses premières lectures, mais explique aussi qu'elle "a résisté au message de l'homme." Il est vrai que la plupart des écrits de D.H. Lawrence contiennent la même quête de domination masculine prononcée. Banford et March veulent leur indépendance mais leur ferme périclite et l'arrivée du jeune homme impudent, qui s'est glissé chez elles à la manière furtive d'un animal, est en quelque sorte l'incarnation de tout ce à quoi les jeunes femmes refusent habituellement de se plier.

    Ce texte est imprégné d'une sourde tension, toute nouvelle pour l'époque, mais récurrente dans l'oeuvre de l'écrivain : entre un féminisme naissant qui ne se formule pas encore ouvertement et le désir instinctif de possession des hommes, désir qui pousse Henry à vouloir une femme totalement passive, privée de toute volonté ; March le sent et n'est pas heureuse tandis que Henry "attend qu'elle se rende", qu'elle ne soit "plus l'homme, une femme indépendante avec des responsabilités d'homme" mais une simple femme. Cette vision phallocentrique du monde est pourtant contrebalancée par une écriture minutieuse et poétique, une atmosphère parfois quasi irréelle et une sensibilité exacerbée que reflète la complexité psychologique des personnages, en particulier celle des femmes, et qui fascine encore aujourd'hui.

    (B. Longre)

    http://www.hesperuspress.com

    Sans rapport avec DH Lawrence (ou à peine...), on pourra admirer quelques goupils de ce côté.

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  • Vivre avec les loups…

    dhearst3.jpgLes Chroniques du Loup, tome 1, la promesse des Loups, de Dorothy Hearst
    traduit de l’anglais par Marina Boraso - Albin Michel, 2008

     

    « Ne jamais se mêler aux humains.
    Ne jamais tuer un humain sans provocation.
    Ne jamais laisser en vie un loup de sang mêlé... »

     

    Telles sont les trois règles qui régissent les meutes de la Grande Vallée. Aussi, le jour où Ruuqo, chef de meute, égorge les frères et les sœurs de la jeune Kaala et bannit sa mère qui a enfreint la loi en choisissant un mâle extérieur à la vallée, la petite louve épargnée se voit traitée en étrangère par la plupart de ses compagnons. Elle s’adapte malgré tout à la vie collective et se fait des amis, dont Ázzuen, louveteau malingre mais futé, et Tlitoo, un corbeau qui veille sur elle.

    Cette saga préhistorique qui se déroule il y a 14 000 ans, quelque part dans le sud de l’Europe, est un beau roman des origines qui mêle mythologie, onirisme, fable politique et morale (les femelles, progressistes, s’opposent souvent aux mâles – réactionnaires, figés par la loi), pragmatisme de la survie et spiritualité, et met en scène des loups qui, tout en se comportant en animaux (instinct, sauvagerie, sens aiguisés, rivalités et hiérarchie de la meute, etc.) n’en possèdent pas moins des capacités intellectuelles et une émotivité propres aux humains. L’illusion fonctionne dès les premières pages : nous sommes face à de vrais personnages, pour lesquels on éprouve les mêmes inquiétudes que pour les humains qui apparaissent de temps à autre, et dont l’histoire est peu à peu indissociable de celle des loups ; une façon d’inviter le lecteur humain à remettre en question son statut omnipotent, à s’interroger sur sa propre animalité et à analyser, en filigrane, ce qui régit les comportements sociaux.

    De même, on a affaire à un récit qui s’inscrit dans la grande tradition des roman d’apprentissage à rebondissements (on repense évidemment aux Chroniques des Temps Obscurs de Michelle Paver) et qui propose une héroïne à l’identité forte ; Kaala, impulsive et téméraire, paria dans la meute, ainsi destinée à mener une existence hors du commun, retient d'emblée notre attention et l’on partage avec plaisir et curiosité sa vie au quotidien, tandis que l’intrigue ne cesse de progresser et de se complexifier : l’auteure propose une vision originale de l’évolution de l’humanité, entre mythologie et théories scientifiques : naissance de la terre, des astres, des créatures vivantes, disparition des dinosaures, appropriation du feu par l’homme, période glaciaire, disparition de Néandertal, etc.  Une reconstruction qui fait sens et s’emboîte harmonieusement dans le récit cadre.

     

    dhearst1.jpgC’est en littérature jeunesse que le procédé anthropomorphique est le plus souvent exploité et, à la lecture, on se dit que plusieurs passages aurait pu avoir leur place dans un roman jeunesse accessible dès 13 ou 14 ans, tout en ayant conscience que les différents niveaux de lecture et l’admirable inventivité de cette vaste fresque, dont les intrigues croisées n’ont rien d’infantiles, satisfont durablement le lecteur adulte. Un livre pour tous, donc, à découvrir au plus vite.

     

    http://www.les-chroniques-du-loup.com/

     

    http://www.albin-michel.fr/

     

    http://www.dorothyhearst.com/

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  • Des vertus du tumblelog

    tumblelog.jpgUne découverte récente : le tumblelog - littéralement, un "journal de bord en désordre" - qui permet de poster très rapidement des billets courts, des visuels, des vidéos, des liens ou de l'audio. Une formule qui pourrait sembler superflue, mais qui, à l'usage, s'avère efficace lorsque l'on veut simplement transmettre ou partager des informations, sans faire ou attendre de commentaires. On imagine aussi l'utilisation vitrine que peuvent en faire les artistes, les musiciens, les écrivains... voire les éditeurs.

    Quelques tumblelogs

     http://inajumble.tumblr.com/

    http://soamesbox.tumblr.com/ (à qui je dois la découverte, que l'auteure en soit remerciée !)

    http://ailleursicipresquesanssoleil.tumblr.com/

    http://locus-solus.tumblr.com/

    http://summasmiff.tumblr.com/

     

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  • Une vie de Pumpkins

    cfercak.jpgThe Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set
    de Claire Fercak
    Le mot et le reste, 2008

     

     « Dans notre sang, cadences nerveuses et mélopées fantastiques. »

     

    Quand vous écoutez certaines paroles-et-musiques en boucle depuis des années et que vous ouvrez un livre qui vous raconte que cela n’arrive pas qu’à vous, il y a de quoi se réjouir. Après, aimer (ou du moins connaître en néophyte) les Smashing Pumpkins est-il une condition indispensable pour qui voudrait goûter pleinement à cette inclassable fiction musicale ? Pas nécessairement, car dans la trentaine de « pistes » composée par Claire Fercak, on trouve non seulement un fil narratif cohérent (l’histoire d’une fille-chanson enfermée dans sa boîte-refuge, un coffret de musiques d’où elle refuse obstinément de sortir), mais aussi une écriture qui épouse à merveille les sensations, les détresses, les errances et les aventures de l’héroïne changeante, se modifiant au fil des musiques, à l’instar des décors et des atmosphères. On se réjouit doublement, donc, de cette écriture qui prime et de l’enchevêtrement des mots palimpsestes, car sans cesse superposés à ceux de Billy Corgan, compositeur (« esthète de la mélodie »), chanteur et fondateur des Smashing Pumpkins, qui signe la première piste du recueil, en rappelant que les mots n’appartiennent pas à celui qui se contente de les assembler, mais à tous et à personne à la fois. Et sûrement pas au poète : « Tout n’est que réagencement. Et croyez-moi, terrés dans l’obscurité de leurs tanières asséchées, tous les poètes en sont conscients ».
    Ces brassées de mots s’accumulent sur la page, formant au fil des tracks des mélodies soutenues pas une belle rythmique-ponctuation (« des mots, virgules, tirets, scansions et coupes en italiques »), preuve que l’on peut écrire la musique, la faire vibrer par le biais d’un autre mode expressif –  ici des assemblages verbaux. L’écriture prend diverses formes, passages comme improvisés, poèmes (en écho avec certaines chansons) et réminiscences (tranches de vie adolescentes, d’une infinie tristesse), créant une alchimie particulière entre les mots du livre et les paroles des chansons, donnant lieu à une fiction du bonheur et de la désespérance, tantôt poignante (« gouffres et susurrations / qui m’ont tenue vivante »), tantôt fantaisiste et onirique, qui nous fait voyager d’albums en morceaux, dans des mises en scènes dignes d’un Burton et d’un Lewis Carroll. Claire Fercak bâtit peu à peu un monde intérieur dense, serré, où se juxtaposent non seulement des histoires aux allures de contes, mais aussi, en filigrane, des tentatives de définitions (la nature de la musique, sa force et l’obsession qu’elle peut engendrer, son caractère indispensable, les déchirements des Smashing Pumpkins et la cohésion paradoxale du groupe, sous l’égide de Corgan, le rapport que chacun entretient avec des mélodies, traces et souvenirs....), ce qui amène l’auteure à écrire, quand la musique se vit comme  dépassement de la réalité: « En dehors de la musique, les choses de la vie ont une intensité réduite. En dehors de la musique, principe constitutif, nous n’existons pas. »
    Autobiographie (quand l’auteure s’écrit et que, parfois, elle s’observe, écrivant), documentaire (avec repères historiques çà et là), fiction (zones où l’imaginaire prend le pas sur le réel), essai (réflexions et visions), The Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set se lit comme tout cela à la fois, et plus encore, se libérant des carcans génériques pour former un artefact intime et très personnel, qui n’exclut cependant pas le lecteur, saisi par ces assemblages-collages de mots qu’il pourra faire siens –  justement.

     

    (B. Longre, novembre 2008)

     

     

    http://clairefercak.20six.fr/

     

    http://www.smashingpumpkins.com/pages/news/smashing-pumpkins-tarantula-box-set-by-claire-fercak

     

    http://atheles.org/lemotetlereste/

     

     

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  • Manifestation éphémère

    edit.jpgLibrairie éphémère – les éditeurs font fête : Les éditions L’Œil d’or et Passage piétons organisent la librairie éphémère : la production de cinquante éditeurs, des lectures, des mises en scènes et des expositions autour de textes rares, du 10 décembre 2008 au 4 janvier 2009 à la Halle Saint Pierre.

     

    Halle Saint pierre

    2 rue Ronsard, 75018 Paris

    01 42 58 72 80

    Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h sauf les 25 décembre et 1er janvier.

     

    Les invités

    À Rebours ; Anacharsis ; Art&fiction ; La Barque ; La Belle Gabrielle ; Bleu autour, Cause des livres ; Circa 1924 ; Chasse au Snark ; Cochon pendu ; Colophon ; Compagnie Créative ; Cochon pendu ; Cosa nostra ; Des Cendres ; La Diseuse ; Diantre !; Fondeur de briques ; L’Échappée ; L’Épure ; L’Escampette ; Frédéric ; Ginko ; Grandir ; Grèges ; Harpo & ; Image Son & Compagnie ; In 8 ; Isabelle Sauvage ; Lettr’ange ; Lirabelle ; L’Idée bleue ; Mare Nosrtum ; Michel Houdiart ; Monsieur Toussaint l’Ouverture ; Nuit Myrtide ; Organic ; Pegg ; Plonk et replonk ; Poursuite ; Recoins ; Ritagada ; Rougerie ; Le Passager Clandestin ; Le Sonneur ; Solo ma non troppo ; Trouvères & compagnies ; Vedrulla ; Yvette & Paulette ; Zédélé ; Zinc ; Zoom

     

    PROGRAMME

     

    Jeudi 11 décembre à partir de 17 h, vernissage

    Passage piétons fête ses 10 ans d’existence

    Image Son & Co. présente deux DVD, sur Vauban et Cézanne à partir de 18 h

     

    Samedi 13 décembre auditorium 14 h 30

    Le mur de la connaissance, conférence de Serge Tribolet, participation 10 euros

    à partir de 15 h Mario Del Curto signe son livre Au large des yeux

     

    Dimanche 14 décembre auditorium 14 h - 17 h / Recoins

    Présentation de Don Juan de Kazakov par la traductrice.

    Diaporama de Bruno Montpied, sur des environnements spontanés.

    Diaporama d’Emmanuel Boussugue sur Les irréguliers du Cantal, projection d’un court-métrage, adaptation d’Ambrose Bierce par Franck Fiat et David Chambriard.

     

    Vendredi 19 décembre auditorium 14 h - 17 h / La Barque

    Lectures de textes du n° 5 de la revue

    Solo de Jean-Luc Guionnet, saxophone

    Projections de vidéos de Franck Gourdien et Olivier Gallon

     

    Samedi 20 décembre auditorium 15 h

    Lecture et rencontre avec le poète Werner Lamberzy

    de 17 h à 19 h

    Présentation du dictionnaire de Jung avec Aimé Agniel et Michel Cazenave

     

    Dimanche 21 décembre auditorium 15 h / Nuit Myrtide

    Mon cher Rémi, spectacle épistolaire et musical, présentation du livre illustré de Julien Derôme. Un spectacle loufoque de 40 minutes avec Michela Orio et Robin Czarniak, Bertrand Ravalard au piano.

    16 h / Pegg

    Planning de Pierre Escot, lecture par Jean-Charles Dumay.L’histoire d’un homme d’après les annotations de son agenda. Entre rendez-vous et notes de travail, son planning devient recueil de pensées mêlées et la machine s’emballe...

     

    Lundi 22 auditorium 15 h / Les Fondeurs de Briques

    Yegg, première traduction intégrale de You Can’t Win de Jack Black, livre qui a inspiré William Burroughs et la Beat Generation, lecture et présentation par Jeanne Toulouse.

    16 h / La Cause des livres

    Fatigue mon amour, lecture par Juliette Mailhé, comédienne

     

    Mardi 23 auditorium 17 h / Passage piétons

    Cirques de Jean-Luc A. d’Asciano. Lecture de Rebecca Aïchouba, comédienne

    Compagnie Amorfini. Un enfant solitaire mais nullement fils unique rencontre un cirque stationné dans le terrain vague en bas de chez lui. Entre le cirque familial et l’autre, animaux à poils et à peaux se croisent.

     

    Samedi 27 auditorium 16 h / Pegg

    Planning de Pierre Escot, lecture par Jean-Charles Dumay

     

    Dimanche 28 auditorium 15 h / Passage piétons

    Cirques de Jean-Luc A. d’Asciano, lecture de Rebecca Aïchouba, comédienne

    Compagnie Amorfini.

     

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  • Archives, toujours.

    De "nouveaux" textes en ligne.

    chung1.gifKimchi
    Ook Chung
    Le serpent à plumes, 2001

    On sait comment, à travers leurs écrits, de nombreux écrivains de l'entre-deux (entre deux civilisations, pays, langages...) exorcisent l'apparent fardeau de la double-identité, l'idée d'appartenir à deux cultures sans jamais pouvoir véritablement s'approprier pleinement l'une ou l'autre : Hanif Kureishi ou Kazuo Ishiguro en sont de parfaits exemples en littérature anglophone. Ook Chung est néanmoins un auteur encore différent, pur produit du déracinement multiple, généré par une situation originelle plus complexe : né au Japon de parents coréens qui s'exilent ensuite à Montréal, cet écrivain francophone mais polyglotte vit aujourd'hui au Japon, un pays (re)découvert sur le tard. Ses Nouvelles orientales et désorientées attestaient, ne serait-ce que par le titre même de l'ouvrage, de son désir d'être reconnu comme une anomalie littéraire, un déraciné notoire et dysfonctionnel. Lire la suite

    fdavidalibeu.jpgOn n’aime pas les chats
    François David et Géraldine Alibeu

    Sarbacane, 2006

    En des temps bien mouvementés pour les différences et la pluralité (des origines, des couleurs, des opinions…) cet album tombe à point nommé : On n’aime pas les chats se présente comme une fable universelle qui transcende les époques et les lieux, à la fois grave et éminemment ironique, et le texte de François David, illuminé par les étonnantes illustrations pleine page de Géraldine Alibeu, se lit et se relit avec un bonheur toujours renouvelé, chaque lecture apportant des éléments nouveaux et engendrant de multiples échos avec ce que l’on peut lire ou entendre quotidiennement, dans la presse ou autour de soi. Lire la suite

    changraelee1.gifLes sombres feux du passé
    Chang-Rae Lee

    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Pavans
    Editions de l'Olivier, 2001 /
    Seuil, Points, 2002

     

    Le docteur Hata vit une retraite paisible et ordonnée dans la petite ville de Bedley Run, dans l'état de New-York. Rien dans son existence routinière ou dans son allure de citoyen respectable ne semble trahir "les sombres feux" d'un passé tragique. Et pourtant, tandis qu'il se remémore comment il a perdu de vue sa fille unique Sunny, une jeune coréenne adoptée à l'âge de six ans, une adolescente difficile et distante, d'autres souvenirs font surface, nourris par la vision d'un visage apeuré : celui d'une autre jeune coréenne rencontrée des années auparavant, alors qu'en tant qu'officier médical dans l'armée japonaise durant la deuxième guerre mondiale, il était cantonné dans un sinistre campement en Birmanie. Lire la suite

     

    aliettearmel3.jpgLe voyage de Bilqîs

    Aliette Armel
    Autrement, collection Littératures, 2002

     

    La reine de Saba et sa rencontre avec le roi Salomon n'ont eu de cesse, au fil des âges, que d'inspirer nombre d'écrivains et poètes (Nerval, Flaubert...) et, dans le même temps, cette histoire mythique (dont les sources historiques demeurent plutôt vagues), n'a cessé d'être récupérée et remaniée par les juifs, les chrétiens, les musulmans, ou encore les Ethiopiens, quand elle servait leurs intérêts spirituels ou politiques... Dès lors, quoi d'étonnant qu'une auteure française se l'approprie et la réinvente, tout en l'incrustant délicatement dans un autre récit, celui d'une lutte entre le peintre de la Renaissance italienne Piero Della Francesca (1415?-1478) et sa passion dévorante pour son art ? Lire la suite

     

     

    alkennedy3.jpgIndelible Acts

    A.L. Kennedy
    Jonathan Cape, 2002

     

    En quelques lignes, A.L. Kennedy pose chacun de ses personnages avec une minutie qui sied parfaitement au genre nouvellistique : êtres égarés, repliés sur eux-mêmes, qui se racontent (ou se laissent raconter) en amplifiant chaque geste anodin, en analysant la moindre pensée ; c’est ainsi que se dessine une succession de révélations intimes (la désormais très classique "épiphanie" joycienne, chère à Raymond Carver, autre nouvelliste de talent), ici microscopiques, par le biais d’une exploration solitaire et toujours imprégnée de doute... Lire la suite

     

    chenez3.jpgLe Resquilleur du Louvre
    Bernard Chenez

    Editions Héloïse d’Ormesson, 2005

    Pensant pénétrer dans l'univers d'une humanité aux abois, celle des abandonnés rencontrés par hasard au coin d’une rue (et dont on évite soigneusement de croiser le regard, par crainte d'y lire, justement, trop d'humanité) le lecteur entre sans grande méfiance dans le récit d'un "sans domicile fixe" ; de magouilles en combines, entre débrouillardise et roublardise, entre désespérance lucide, nostalgie et illusion comique, le narrateur anonyme se métamorphose pourtant en sage éclaireur, philosophe dépenaillé mais détenteur d'une vérité unique. Lire la suite

    chomeurs3.jpgChômeurs, qu'attendez-vous pour disparaître ?
    Collectif - textes réunis par Jean-Jacques Reboux
    Collection Tous les possibles
    Editions Après la lune, 2007

    Ce n’est pas un scoop : les chiffres et autres statistiques du chômage sont « grossièrement truqués ». Dans le Canard Enchaîné du 4 avril, on apprend même que la soixantaine d’experts de la Dares (Ministère du travail) protestent contre la très optimiste baisse récemment annoncée par le gouvernement (et que de nombreux médias ont allègrement relayée sans la commenter), une baisse « concomitante avec une série de changements dans les règles administratives de gestion des listes et dans les modalités du suivi des demandeurs d’emploi», et le Canard d’ajouter, « en bon français », que c’est « le résultat d’une tricherie qui a consisté à radier massivement les chômeurs ». Lire la suite

    etc.

     

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  • Amour partagé

    stjean.jpgL’amant de Saint-Jean
    Vedrana Donić

    Vedrana éditions, 2007

     

    (par B. Longre)

     

    En accord avec l’un des objectifs de la petite structure éditoriale montée par l’auteure, qui entend inciter les lecteurs « à trouver, lier, relier, tisser les éléments pour tisser lui-même sa propre lecture », ce livre en apparence déstructuré se présente comme un puzzle amoureux et ludique à éventuellement reconstituer, à feuilleter, à lire dans le désordre (ou non). Pas de trame narrative à proprement parler, mais des instantanés évoquant des sensations, quelques gestes, des moments captés en quelques mots (« Comme deux fleurs d’églantiers, nos tiges sont enlacées », « Tu te cambres, parfum d’ambre »…). Les poèmes en vers libres sont accompagnés de créations visuelles réussies, composées de papiers déchirés, collages, découpages, gribouillages, pochoirs, superpositions, où les corps, morcelés ou non, se devinent. Ce livre atypique m’a rappelé, peut-être pour sa liberté de ton et son audace formelle, Amourons-nous de Geert De Kockere et Sabien Clement (Le Rouergue), un ouvrage poétique en images qui lui aussi parlait d’amour partagé.

     

    http://www.vedranaeditions.com/

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  • Miracle de l’écriture

    remington.jpgRemington de Joseph Incardona, Fayard Noir, 2008

    « On a beau dire, on écrit pour se raconter soi-même, le plus souvent, les autres ne sont qu’un prétexte. Meubler le vide est une imposture. »

    On s’attend parfois à lire un polar (et tout l’indique – ne serait-ce que le titre de la collection ou le titre tout court), et on se trouve littéralement pris de court, plongé dès les premières pages dans une chronique désenchantée où la froideur de ton le dispute à la désespérance, où le quotidien du narrateur, cadré, organisé, ne suffit pas à nous duper sur le mal-être qui l’habite, ni sur les émotions qui le malmènent. Matteo Greco n’est ni flic, ni voyou. Il mène au contraire une vie réglée, disciplinée, même, et sans drames (si l’on omet les faits divers qu’il découpe dans les journaux) et parvient à cumuler plusieurs activités, alternant brèves missions pour une agence de sécurité (par nécessité financière), entraînements de boxe et séances d’écriture, qui se déroulent à sa table de cuisine, sur laquelle séjourne une vieille Remington portative. Il écrit des nouvelles (inspirées, justement, des petites coupures qu’il collectionne) et, bientôt, un roman, sur lequel il reste malgré tout très discret.

     

    Pourtant, une rencontre va dérégler, puis bouleverser cet ordonnancement solitaire et ce leurre du temps réglé. Elle s’appelle Elsa, elle est belle, arrogante, abrupte voire davantage, et participe au même atelier d’écriture que Matteo, un rendez-vous hebdomadaire que propose Daniel, un écrivain qui n’a plus publié depuis des années. Matteo, sous le charme, n’a pas encore saisi qu’Elsa était prête à tout pour changer de statut social, en étant publiée, par exemple – et que le plus tôt serait le mieux. Aussi, après qu’elle s’est glissée (sans peine) dans le lit et la vie du jeune homme et qu’elle lui a demandé de relire le manuscrit de son roman, il fonce tête baissée et s’investit totalement dans cette entreprise, allant même jusqu’à en faire un peu trop, à l’insu de l'auteure du roman. « Je sabrais, peaufinais le montage, ajoutais quelques phrases çà et là. Les faiblesses saillaient au même endroit, ce n’était pas trop difficile. » Il est « conscient d’exagérer », mais cette tâche qu’il s’est fixée (améliorer le roman de celle qui ne peut lui offrir que son corps et certainement pas l’exclusivité) est pour lui de l’ordre du défi, un défi dont il ne mesure pas encore les conséquences, ni l’ironie à venir.

     

    L’écriture, à l’image du protagoniste, est franche et nette comme pourraient l’être les coups que se portent les boxeurs lors des entraînements suivis par Matteo, sans détour ni manipulation (apparente) du lecteur, et tout sonne juste, d’un bout à l’autre des combats qu’il mène comme il peut, en se raccrochant à ce qu’il aime (les livres, le cinéma, la boxe) et à son emploi du temps minutieux, une béquille. Les détours sont ailleurs, dans la manière subtile dont les événements vont s’articuler, se superposer et s’entrelacer, quand le narrateur perd pied mais que la construction narrative conserve sa rigueur implacable (comme lui conserve son organisation de surface) et continue d’égrener les faits divers réels, tous tirés de Libération (placés à des endroits stratégiques du récit).

     

    Remington a tout d’un roman noir et l’atmosphère, en symbiose avec l’écriture, y est pour beaucoup, de même que les références qui le parsèment (littéraires et cinématographiques, surtout) et certains événements (qu’on laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même) qui l’inscrivent dans le genre. Mais il reste avant tout un roman ancré dans notre temps, qui flirte avec le social et qui parle de la difficulté à vivre – à vivre et à écrire, et à vivre de l’écriture. Un roman d’écrivain, en somme, qui dévoile des préoccupations d'écrivain et qui expose entre autres, par le biais de la fiction, ce qu’on peut penser de la scène littéraire médiatisée (qui étouffe ou ignore les véritables auteurs), mais aussi de l’écriture tout court, discipline exigeante, qui requiert solitude et persévérance. Matteo en train d’écrire se présente plus souvent comme un laborieux, un artisan du verbe qui réfléchit au meilleur moyen d’agencer les mots et de se les approprier (quitte à manipuler ceux des autres), tout en étant conscient que ce n’est pas la gloire qui l’intéresse, « mais plutôt l’idée que l’on puisse obtenir quelque chose de concret à partir de son imagination. Il n’y a rien, et puis la phrase existe. » Miracle de l’écriture, ou de l’acte créatif en général, l’écrivain se posant d’emblée comme démiurge en composant à partir d’un « rien ». Une position pourtant instable dans le cas du narrateur, malgré le contrôle qu’il cherche à exercer sur son écriture et sur sa vie, qui l’amènera à outrepasser ses droits de créateur, libérant ainsi un ubris au fondement de toute tragédie humaine et littéraire.


    (B. Longre)

     

    Dans la même collection, plusieurs titres ont paru récemment.

    La récup' de Jean-Bernard Pouy, Le doigt coupé de la rue du Bison de  François Caradec, Noir béton de Eric Miles Williamson ou encore le premier tome de Lolita complex de Romain Slocombe.

     

    http://www.editions-fayard.fr

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  • Leçon d'orthographe intelligente

    sur nonfiction.fr

    nonfiction.fr : Pourquoi, selon vous, assiste-t-on parfois à tant de réactions "passionnées" lorsque l'on parle de l'orthographe ?

    Pierre Encrevé : Parce que les Français ignorent généralement tout de l'histoire de l'orthographe du français, langue dont ils semblent souvent penser qu'elle est la propriété privée de la France alors qu'on parlait français à Québec, Bruxelles ou Genève quand la langue commune était toujours la langue d'oc à Toulouse, l'alsacien à Strasbourg, le breton à Quimper et le basque à Bayonne. L'orthographe du français n'a pas cessé de varier depuis qu'on écrit cette langue, et c'est l'Académie qui a joué le rôle principal dans cette métamorphose continue des formes des mots, avec les nombreuses variantes co-existantes que cela entraîne dans les usages. Mais les français ont toujours tendance à croire que chaque mot possède, de toute éternité, dans le ciel des idées une forme graphique unique et perpétuelle à laquelle, par on ne sait quelle magie, les dictionnaristes et eux seuls auraient accès. L'École des "noirs hussards" chers à Péguy a beaucoup fait pour enraciner et répandre cette croyance naïve, fondée sur une ignorance soigneusement entretenue parce qu'indispensable à légitimer la sélection par l'orthographe. L'orthographe est une production culturelle multiple, complexe, et continue des écrivains, éditeurs, imprimeurs, lexicologues et lexicographes ainsi que des usagers ordinaires dont les prétendues "fautes" finissent souvent par s'imposer lorsqu'elles rectifient l'arbitraire de la convention.

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  • Du côté de blogs et sites dédiés (entre autres) à la littérature jeunesse

    hf.jpgLes éditions Hongfei-cultures (lire entre autres Yllavu de Gambhiro Bhikkhu et Samuel Ribeyron, ou découvrir une collection pour tout petits) : malgré son jeune âge (un peu plus d'un an d'existence), la maison, entre Chine et France, a déjà un site et vient d'ouvrir son blog, géré par Chun-Liang YEH, l'un des deux éditeurs.

    http://blog-de-hongfei-cultures.hautetfort.com/

     

     

    ljacob.jpgDe son côté, Loïc jacob, le second éditeur, tient un blog, joliment baptisé Pavillon du lac de l'ouest, qui entend "accoster le continent culturel chinois, pour son exploration délicate, subtile, précise, par touches impressionnistes. "

    http://pavillondulacdelouest.hautetfort.com/

     

     

     

     

     luciole.jpgLa Luciole masquée, un site qui se trouve dans mes liens depuis longtemps mais dont je n'avais pas encore parlé : une plateforme qui se présente comme un site informatif, créé et géré par "Ezra et La Luciole Masquée alias Maryse Alonso, à usage des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse - des informations, mais pas seulement, car on y trouve aussi des "cartes blanches", sous forme d'entretiens avec des illustrateurs et des éditeurs (parmi eux, quelques-uns dont je ne connaissais pas l'existence). http://luciolemasquee.hautetfort.com/

     

     

    ddurand.jpgOn ira aussi faire un tour sur le blog tenu par l'illustratrice Delphine Durand, à qui l'on doit nombre de personnages amusants et décalés, dont la Mlle Zazie de Thierry Lenain.

    http://www.delphinedurand.blogspot.com/

     

    Du côté de l'édition, Flammarion a ouvert un site dédié aux publications jeunesse et certains des sites des éditions Hachette jeunesse ont fait peau neuve.

    salonmontreuil2008.jpgLe site du salon du livre de Montreuil propose aussi de nombreuses ressources (liens, catalogue des exposants, pistes de lecture, etc). Il se tiendra du 26 novembre au 1er décembre 2008 à Montreuil. Pour résumer : 322 exposants, 2 000 auteurs et illustrateurs présents, une quinzaine d’espaces de programmation dédiés à tous les genres littéraires, pour les publics de tout âge, sur le thème "Peurs et Frissons" et autour de l’actualité éditoriale. Pour être informé, on peut s'abonner à la newsletter.

    On pourra aussi découvrir la nouvelle version du site Ricochet et, pour terminer, on trouvera sur le site du CNL une synthèse dédiée à la littérature jeunesse - un tour d'horizon fort intéressant signé Claude Combet, effectué dans le cadre de Lire en fête 2008.

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  • Poésie du quotidien, beauté des choses

    izumi3.jpgLa femme ailée, IZUMI Kyôka
    récits traduits du Japonais par Dominique Danesin-Komiyama
    (Titres originaux : Kechô ; Sanjakkaku) - Philippe Picquier, 2003

     

    IZUMI Kyôka (1873-1939) est né quelques années après le début de l'ère Meiji, un temps de bouleversements sociaux, politiques et culturels qui marque l'entrée du Japon dans la "modernité" ; véritable passionné de littérature, il ira jusqu'à quitter sa ville natale, Kanazawa, pour Tôkyô, afin de rencontrer Ozaki Kôyo, qu'il admire — ce dernier l'emploie alors comme portier, lui fournissant dans le même temps une aide précieuse dans l'apprentissage du "métier" d'écrivain.
    De prime abord, les deux récits (ou longues nouvelles ?) que comporte ce recueil, La femme ailée et Le camphrier (parus respectivement en 1897 et en 1899) ne se ressemblent pas ; mais on y retrouve en filigrane le thème de l'attachement filial, l’intérêt de l'auteur pour les petites gens et le souci constant de décrire la nature environnante (dénaturée ou non) le mieux possible, comme pour nous faire partager un peu de sa beauté poétique, tout en l'opposant subtilement aux mutations que les hommes lui imposent.

     

    Dans La femme ailée, le narrateur déplie soigneusement quelques souvenirs d'enfance et pose un regard profondément nostalgique sur l'existence qu'il menait alors, une vie simple et pourtant comblée de petits bonheurs, de drôles de contrariétés et de grands questionnements. L'on se doute que le narrateur a grandi, mais le récit conserve la fraîcheur et la spontanéité que l'on attend d'un enfant et l'histoire, ou plutôt les historiettes, avancent comme par à-coups, une idée en entraînant une autre, sans suivre un ordre déterminé : déconstruction chronologique voulue par l'auteur, qui tente ici de reproduire le chaos d'une mémoire au travail et de sentiments qui ressurgissent brièvement : d'abord l’amour profond éprouvé pour sa mère, qui l'élève seule, dans une petite maison (une "boîte") au pied d'un pont ; c'est elle qui a en charge de récolter le péage du pont, leur seul moyen de subsistance. Leur isolement social relatif favorise la symbiose mère-fils qui transparaît dès les premières réminiscences et sur laquelle s'achèvera le récit — un dénouement qui dégage une indicible mélancolie. Puis vient l’incompréhension de l’enfant face à l'aversion que semble éprouver la maîtresse d'école pour ce jeune garçon qui ose lui tenir tête et la contredire ; avec une candeur touchante, il raconte à sa mère comment ses remarques ont pu irriter cette femme arrogante, sans poésie et sans humour, et perturber la leçon : "L'être humain est une créature remarquable, bien au-dessus des arbres ou des plantes, ça, tu peux le comprendre, tout de même ?" lui dit la maîtresse. "Je ne comprenais pas. Non, penser ainsi, je ne le pouvais pas (...) J'ai dit à la maîtresse : "Mais, maîtresse, les fleurs sont plus jolies que vous !"

     

    L'enfant, partagé entre les vérités de sa mère et celles que l'école tente de lui inculquer, vit un vrai dilemme, sans parvenir à réconcilier deux visions diamétralement opposées du vivant. Une façon pour l'auteur de transmettre quelques-unes de ses conceptions éthiques : "Que nous soyons hommes, chats, chiens, ours, c'est pareil, nous sommes tous des êtres vivants", s'opposant ainsi aux maîtresses d'école qui aimeraient faire passer l'homme devant les autres créatures... On trouvera beaucoup d'autres choses dans ce petit récit, des facéties d'un vieux singe aux descriptions hautement burlesques des passants qui empruntent le petit pont, que l'enfant compare à divers animaux ; de même, le titre de la nouvelle sera élucidé, du moins en partie... Car ce texte, tout comme Le camphrier, recèle aussi sa part d'obscurité, de non-dit et de suspens, comme si l'auteur souhaitait ne pas tout dévoiler, par pudeur mais aussi par souci poétique, laissant ainsi au lecteur le soin de prolonger la rêverie.

     

    Si La femme ailée se présente comme une série désordonnée de brèves (et belles) évocations contées à la première personne, il n'en va pas de même pour Le camphrier, qui déroule quelques heures de la vie d'un quartier de Tôkyô — un petit coin isolé qui conserve encore quelques particularités rurales, dans un monde, un paysage et une société en mutation. Le récit est centré autour de Yokichi, un jeune scieur, inquiet pour son père alité, qui refuse de manger du poisson et préfère se nourrir de tôfu, malgré sa faiblesse physique. On retrouve là une préoccupation de La femme ailée : le vieil homme considère qu'il ne peut infliger une quelconque souffrance à un être vivant, fût-ce un poisson ; des réflexions qui poussent le lecteur et les personnages à s'interroger sur la place de l'homme dans la nature. O Shina, l'épouse du marchand de tôfu, va jusqu'à se demander si une feuille d'arbre ne souffre pas elle aussi, tandis que Yokichi part scier l’énorme tronc d'un camphrier que l'on a fait venir des montagnes...

     

    izumi.jpgDans le même temps, les multiples allusions à la modernisation forcée du paysage en disent long sur les regrets et les pensées de l'écrivain : « là, s'étire en ligne droite un chemin grisâtre, au bord duquel sont plantés à l'infini des pylônes électriques considérablement inclinés, qui oscillent, tête ballante, vers l'avant ou vers l'arrière. (...) De fait, pylônes et fils électriques ne sont pas les seuls de travers : le ginkgo près du pont, les saules sur la rive, le bord du toit de la maison de tôfu (...) tout ce qu'on voit à l’entour est incliné. Tout penche. ». Là, ce ne sont plus les animaux à qui l'on prête des caractéristiques humaines (ou vice-versa) mais la nature ou les objets qui composent le paysage. Cette déstructuration topographique est renforcée par d'autres remarques et, plus loin, lors de cette même petite visite guidée, on nous décrit le paysage comme « mélancolique », « maussade » : le «progrès » ambiant, loin d'être le signe d'un renouveau, semble ici marquer la fin d'une époque, endeuillant un paysage qui perd de sa beauté, tout en devenant autre : « Chère terre vide et chimérique... Donnera-t-elle, malgré tout, naissance à quelque chose de beau ? » se lamente-t-on.

    Et cependant, ce récit bref et étonnant ne manque pas d'humour, en témoignent par exemple les politesses que Yokichi et O Shina s'échangent, comme un jeu, et qui contiennent leur part de suggestion érotique ; de même, la poésie du phrasé et des évocations est d'importance, ce que l'auteur réaffirme dans quelques paragraphes qui jouent le rôle de prologue, où il examine la fonction du chant du travailleur face aux rudesses de l’existence : « il se libère de sa fatigue et efface de son esprit toutes choses et pensées inutiles ou plutôt... Il cherche à se divertir de ses peines, à dissiper ses chagrins, à oublier l'amour, à boire ses larmes... » En ramenant ainsi le poétique dans le quotidien prosaïque des gens du peuple, IZUMI Kyôka réconcilie deux mondes et affirme ses penchants humanistes.

    Cet ouvrage très complet, outre les récits, comporte aussi une chronologie, une préface de Dominique Danesin-Komiyama, une liste de traductions et de nombreuses notes très utiles (expliquant le plus souvent quelques points de traductions délicats et des particularismes culturels) ; jusqu'à présent, IZUMI Kyôka a peu été traduit en français, si on observe le grand nombre de publications dont son œuvre fait l'objet en anglais (traductions, essais, biographie, colloques...) ; hormis Une femme fidèle et L’Histoire de Biwa (P.Picquier, 1998 et 2002), deux à trois nouvelles publiées dans des anthologies, et cet ouvrage, on connaît peu et mal ce contemporain d'Akutagawa, de Sôseki et d'Arishima, pour n'en citer que quelques-uns ; aussi, on regrette que d'autres textes (les « romans à idées » ou bien les œuvres fantastiques et gothiques) de ce grand auteur, désormais reconnu en tant que "classique", au Japon comme aux États-Unis, ne soient pas encore disponibles en français.

     

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Articles et livres à re-découvrir

    Je continue d'archiver sur Sitartmag (rythme très irrégulier...). L'occasion de reparler d'ouvrages passés inaperçus ou peut-être trop vite oubliés... en voici quelques-uns.

    canxue1.gifLa rue de la boue jaune
    de Can Xue

    traduit du chinois par Geneviève Imbot-Bichet, Introduction de Françoise Naour , Bleu de Chine, 2001

     

    Can Xue, considérée comme "la plus moderniste des écrivains chinoises contemporaines" a écrit La rue de la boue jaune en 1983 : un ouvrage atypique et extrême, qu'on aurait du mal à qualifier de roman, quoiqu'il en possède certaines caractéristiques. Publié en Chine en 1987, cette allégorie sauvage et semi-fantastique d'une Chine en pleine mutation capitaliste est terrifiante : la rue de la boue jaune est une rue introuvable, souvent invisible, peuplée d'environ six cents êtres qui composent un grouillant microcosme grotesque et mesquin. La plupart des habitants de cette rue maudite sont accablés de fatigue, affectés de tous les vices ou de tous les maux possibles, qui s'accumulent au fur et à mesure que l'on avance dans les descriptions : maladies de peau, intestinales et surtout, folie dévastatrice. Lire l'article

     

    alavi3.jpgDanse macabre
    Bozorg Alavi
    traduit du persan par Renaud Salins, L'Aube, 2004

     

    Bozorg Alavi, comme nombre de ses compatriotes iraniens, a préféré l'exil à la censure et à l'enfermement ; en 1953, l'écrivain part pour l'Allemagne, terre d'accueil où il s'éteindra quelque quarante années plus tard. C'est pourquoi les textes que contient ce recueil (les premiers à paraître en français) prennent des teintes occidentales tenaces et l'atmosphère parfois tchékhovienne qui s'en dégage y est tout à la fois étonnante et délicieuse. Lire l'article

     

     

    adaniashibli3.jpgReflets sur un mur blanc

    Adania Shibli

    traduit de l'arabe (Palestine) par S. Dujols, Actes Sud, 2004

     

    L'écriture de ce roman (qui se déroule en Palestine, mais qui semble comme hors du temps et de l'Histoire) repose sur une lecture intime et singulière du réel : une vision décomposée en infimes détails qui forment un réseau d'impressions visuelles, tactiles et sonores (taches de couleur, fissures, matières écaillées — un leitmotiv) où chaque sens joue un rôle bien défini. Des personnages anonymes, désignés par leur fonction sociale ou familiale, tissent un univers entropique qui enveloppe la jeune fille, pivot submergé de la narration : comme si cette dernière, impuissante, ne pouvait influer sur les événements et les êtres qui l'entourent et la malmènent, parfois involontairement. Lire l'article

     

     

    christophepaviot3.jpgMissiles. Et souvenirs cardiaques
    Christophe Paviot

    Le Serpent à Plumes, 2002

     

    Christophe Paviot a ajusté son tir à la perfection et en 18 nouvelles, il dynamite tabous et préjugés ; des récits qui flirtent avec un gore décapant, de petites plongées dans un univers inquiétant et paradoxalement très familier et qui oscillent entre horreur et burlesque. Chacune de ces nouvelles nous réserve une surprise explosive, à tendance macabre...
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    Christophe Paviot est aussi l'auteur de Cassé (Kurt Cobain).

     

    rupertthomson1.gifThe Book of Revelation
    de Rupert Thomson -
    Bloomsbury, 2000

    Rupture - Stock, 2001
    traduit de l'anglais par Bernard Turle

     

    La ville d'Amsterdam ne cesse d'inspirer nombre de brillants auteurs, de Ian McEwan (Amsterdam) à John Irving (Une veuve de Papier), jusqu'à Rupert Thomson qui signe là son sixième roman. The Book of Revelation narre avec précision l'épopée identitaire et urbaine d'un homme dont on ne connaîtra jamais le nom. Mais ce que le narrateur révèle de lui-même est de loin plus essentiel qu'un simple prénom : cet homme, jeune danseur anglais, chorégraphe déjà talentueux, vit à Amsterdam depuis quelques années. Tout bascule le jour où il croise trois femmes en noir qui l'enlèvent puis le retiennent prisonnier, enchaîné, dix-huit jours durant, dans une pièce nue... Lire l'article

     Rupert Thomson est aussi l'auteur de Mort d’une tueuse.

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  • Livre & Lire

    Je n'avais pas encore remercié l'écrivain Frédérick Houdaer pour son article consacré entre autres à ce blog, et paru dans le n° 231 de la très dynamique revue Livre & Lire (mensuel du livre en Rhône-Alpes et supplément régional à Livres Hebdo, publié par l'Arald).
    L'occasion de mentionner le blog http://houdaer.hautetfort.com/ et le travail d'éditeur de Frédérick, qui dirige depuis peu la collection À Charge, aux éditions À plus d’un titre. Une collection "dédiée à une littérature noire, vibrante et contemporaine", avec deux premiers romans : LES RUINES DE LA FUTURE MAISON d’Hélène Dassavray et CURTIS de Dominique Salon.

    arald.jpg

     

     

     

     

     

     

    Tous les numéros de Livre & Lire sont disponibles ici http://www.arald.org/journal_archives.php.

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