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  • De la traduction

    On lira avec intérêt l'article stimulant de Sophie Képès intitulé Pour un traducteur, il n’est de bon auteur que mort. Elle y soulève avec intelligence et ouverture d'esprit nombre de questions, en se fondant entre autres sur sa propre expérience de traductrice du hongrois, et nous dit entre autres : « Au fond, il s’agit d’un perpétuel va-et-vient, d’une dialectique bien décrite par Jean-Pierre Carasso : " Traduire, c’est être capable de penser deux choses à la fois, mais souvent le traducteur est paralysé par la langue originale. Il est incapable non de s’en écarter, mais d’y revenir après être passé par la sienne ". (...) L’insatisfaction est la règle. L’une des plus belles formules que je connaisse, concernant cet acte de dévouement qui consiste à transférer une grande oeuvre d’une langue à une autre, vient de mon auteur hongrois préféré, Dezsö Kosztolányi : " Le traducteur crée du faux qui est du vrai. Traduire, c’est exécuter une danse pieds et poings liés "

    à découvrir ici : http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article307

     

    Par ailleurs, quelques sites / blogs dédiés à la traduction, liste non-exhaustive :

    Celui de Daniel Cunin, déjà évoqué plus bas, dont je recommande l'une des dernières traductions du néerlandais, Le Tant attendu d'Abdelkader Benali (Actes Sud, 2011).

    Littératures d'Extrême-Orient, textes et traduction, le blog des membres de la jeune équipe de recherche je2423 (université de Provence) et du traducteur Pierre Kaser, qui nous souhaite entre autres une bonne année du lièvre-lapin.

    Le blog d'Eric Boury, traducteur de l'islandais.

     

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  • D'une langue à l'autre

    tingo3.jpgJe découvre, via http://jelct.blogspot.com/2008/11/kmutonla-et-cetera.html, une excellente initiative intitulée "le Dictionnaire des Intraduisibles", mise en place par la Bulac. L'occasion de reparler de deux ouvrages qui se penchent sur les mots français et de nombreux autres.

    Tingo, Drôles de mots, drôles de mondes, d'Adam Jacot de Boinod, traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Dupin - 10-18, 2007

    Les mots Oiseaux de Marie Treps, illustrations Gwen Keraval - Le Sorbier, 2007

    Adam Jacot de Boinod, un amoureux des langues, a répertorié et classé des dizaines de mots appartenant à une centaine d’idiomes plus ou moins connues chez nous (de l’anglais au japonais, en passant par le persan, le maori, le pachto, le tulu…). Des mots amusants ou surprenants, qui recouvrent souvent diverses réalités culturelles, ou bien l’universalité de l’expérience humaine.
    Cet ouvrage d’ethnolinguistique, de prime abord léger et divertissant, est malgré tout le résultat de recherches longues et fouillées (plus de 200 dictionnaires consultés) ; sans pourtant céder à la simplification, l’auteur a su mettre son érudition au service du plus grand nombre en vulgarisant le jargon linguistique, et aborde divers domaines de la vie quotidienne (de l’alimentation à l’amour, des expressions animales à la météo…). On remarque que certaines langues font preuve d’un sens de l’économie étonnant, un terme très court pouvant exprimer une situation ou une idée pour laquelle aucun équivalent n’existe dans les autres langues. Ainsi, que signifie le fameux « tingo » du titre en rapanui (langue de l’île de Pâques) ? («Emprunter une à une les affaires d’un ami jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien chez lui. ») Même chose pour «rujuk », verbe indonésien (« se remarier avec une femme dont on a divorcé»), pour « ilunga », un mot tchiluba, langue africaine (« personne prête à pardonner n’importe quelle offense la première fois, à la tolérer une deuxième fois, mais jamais une troisième »…) L’auteur recense par ailleurs un grand nombre d’expressions figées, montrant que les métaphores varient avec la géographie. Un panorama qui témoigne en tout cas de l'indéniable richesse et de la diversité des langages humains.

    motsoiseaux.jpgIl en est de même avec Les mots Oiseaux, de Marie Treps (linguiste, attachée au Laboratoire d’anthropologie urbaine au CNRS) ; un ouvrage illustré avec finesse et humour par Gwen Keraval, certes d’abord destiné à de jeunes lecteurs (à partir de 8-9 ans), mais que les adultes auront plaisir à découvrir et feuilleter. Cet abécédaire des mots français venus d’ailleurs part du principe que « les mots sont des oiseaux », qu’ils « ignorent les frontières » et « nous relient à d’autres gens ». Le lecteur comprend comment, à travers les multiples exemples recensés par l’auteure, la langue n’est pas un matériau fixe, mais est en perpétuelle évolution, au fil de l’histoire et des échanges entre les peuples (d’où la nécessité de fuir les puristes ou censeurs qui aimeraient momifier le français). On apprendra ainsi d’où viennent des termes aussi banals que « cauchemar », « toboggan », « matelas », « caramel » ou « ballon »…

    (B. Longre)

     

    Toujours du côté de la traduction, je recommande un article fort instructif publié par Emmanuel Pallier : "Satané fucking", où l'on comprend que le terme en question n'est pas si simple à traduire...

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  • La peau et le cœur des livres

    alzamora3.jpgIl y a des livres qu’on a envie de défendre davantage que d’autres, ne serait-ce que pour pallier leur (inexplicable) invisibilité médiatique. C'est le cas de La Fleur de peau, premier roman de l'auteur catalan Sébastià Alzamora à avoir été traduit en français.
    On peut aussi lire l'article ci-dessous sur www.sitartmag.com/alzamora.htm , accompagné des regards croisés de l'auteur et de la traductrice. J'avais d'abord suggéré à Cathy Ytak de répondre à quelques questions à propos de ce roman ; ce qu'elle a accepté, me proposant ensuite de recueillir le témoignage de Sébastià Alzamora. Je les remercie tous deux de cette contribution.

     

     

     

    La Fleur de peau de Sébastià Alzamora
    traduit du catalan par Cathy Ytak - Métailié, 2007

     

    La peau et le cœur des livres

    « Il est important que nous les laissions nous protéger, il est très important que notre peau mortelle se laisse imprégner par ce qu’il y a d’éternel dans la peau des livres. »

    Quels liens complexes et incertains peuvent s’échafauder entre Puppa, un vieil homme énigmatique, ancien héros devenu relieur, un tailleur de pierre unijambiste, une religieuse versée dans les livres, une gitane ensorcelante qui cherche un « progéniteur », une princesse, « personnification de la beauté pure », une reine nymphomane, un rabbin célèbre pour avoir accompli l’impensable ? Entre le treizième chant de l’Odyssée, les rivalités religieuses et les sombres manœuvres politiques qui agitent la ville de Prague à la veille de la guerre de Trente ans ? Au lecteur de démêler peu à peu cet enchevêtrement fascinant, proprement irracontable, à la limite du conte et de la mascarade théâtrale, oscillant entre fantasmagorie et onirisme, tout en se laissant porter par l’épopée de Puppa, récit qui nous est rapporté par un autre conteur, installé dans une taverne un soir de tempête...

    alzamora5.jpgDes cadres narratifs en apparence circonscrits, que l’auteur n’hésite pourtant pas à faire exploser tout en dévoilant les ficelles retorses de son récit premier : une façon de mieux nous déstabiliser encore, de semer le trouble dans nos esprits échauffés par la multiplicité d’émotions, de symétries et de questions qui nous assaillent, au fil des péripéties rocambolesques, invraisemblables, narrées dans une langue lyrique et sophistiquée. Ces pertes de repères successives s’accompagnent d’un bouleversement spatio-temporel vertigineux, comme si ces frontières devaient être une bonne fois pour toutes abolies afin que l'on puisse goûter pleinement aux histoires enchâssées qui composent ce roman étonnant et vivre ses aventures avec Puppa : « Je me souviens de cette suite de jours naissants comme d’un tout, » dit-il, se remémorant une année passée dans le Château de Prague, « comme s’il s’agissait d’un seul et même jour renaissant encore et encore, inexorablement, de manière inaltérable, un jour têtu et rebelle, réfractaire aux strictes coordinations de l’espace et du temps tels que nous les concevons par l’habitude d’une logique imposée. »

    Au cœur de cette prose étincelante et imprévisible, riche en métaphores et en symboles, demeure l’idée qu’un roman forme un tout inaltérable, obéit à une logique qui lui est propre, au-delà de tout référent réel, et que pour goûter à la fiction, il faut accepter qu’un début contienne déjà la fin, et vice-versa. Aussi, et c’est là que réside tout son art, Sébastià Alzamora parvient à nous divertir, à donner corps à des personnages et à des événements inoubliables, tout en élaborant, sans jamais passer par la voie de l’essai didactique, une véritable philosophie de la fiction, multipliant les approches et les définitions possibles, laissant la voie ouverte à de nombreuses interprétations. (B. Longre, sept. 2008)

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  • Néologisme, équivalents

    Je découvre un glossaire en ligne fort instructif, mis en place par le ministère de la culture, dont l'objectif est de proposer des termes équivalents qui remplaceraient les anglicismes ou les emprunts que nous employons en français... rien d'obligatoire, donc, mais le site décline une suite de "recommandations" terminologiques présentées thématiquement, que nous sommes encouragés à faire entrer dans l'usage...

     http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/

    Au-delà de la volonté politique qui sous-tend une telle initiative (du genre "rendons le français aux français !"), on peut reconnaître que certains anglicismes sont agaçants au quotidien (tel l'emploi erroné du verbe "réaliser" au lieu de "prendre conscience de") et que d'autres sont nécessaires - dans les cas où il n'existe aucun équivalent satisfaisant dans notre langue. Certaines recommandations sont de bon sens, mais d'autres me gênent... ou plutôt, c'est le fait de systématiser et d'ériger des principes immuables (1 terme anglais = 1 terme français) dans un domaine par nature mouvant et fluctuant (le langage) qui me dérange ici.

    Car avant d'accuser la langue de Shakespeare de tous les maux, il faut savoir que l'anglais est une langue tout sauf chauviniste, qui a toujours accueilli et intégré les mots venus d'ailleurs, sans que personne s'en offusque. Ajoutons que sa capacité à se renouveler et à évoluer en empruntant aux autres langues, depuis des siècles (chose qui fait tant horreur aux puristes français qui voudraient voir leur langue se figer pour l'éternité) explique en partie pourquoi elle est, du point de vue lexical, l'une des plus riches au monde...

    J'apprécie le point de vue d'Anthony Lodge, linguiste spécialisé du français, qui remet un peu les pendules à l'heure en expliquant :  "Le français est-il en train d'être submergé par les mots anglais ? Ce n'est pas le cas. Les Français continuent à parler français. Ajoutons aussi que même si le pourcentage de mots anglais arrivant en France était de 40%, il n'y aurait pas autant de mots anglais en français que de mots français en anglais. L'arrivée en masse de mots étrangers ne veut pas dire la fin d'une langue. Vous n'avez qu'à examiner l'histoire de la langue anglaise : au Moyen-âge, en Angleterre, le français était la langue dominante, avec le latin ; la langue de la masse de la population était une langue méprisée. Toutes les personnes importantes parlaient français, puis, au cours du Moyen-âge, le français a été remplacé par l'anglais comme langue dominante. Cependant, la montée de l'anglais s'est faite seulement en empruntant massivement des mots au français, ce qui fait que l'anglais que nous parlons est un anglais absolument inondé de mots français. C'est une langue mixte, hybride, et mixité ou hybridité ne veulent pas dire déperdition, disparition d'une langue. "

    Bref. Revenons à notre fameux glossaire. Et à titre d'exemple, au hasard (!) consultons le terme « fantasy » (en tant que genre littéraire) que l'on nous recommande de bannir et de remplacer par... "fantaisie". Il suffit de changer deux lettres et d'en ajouter une pour avoir un mot bien de chez nous, qui sonne enfin "français" (dire que cette proposition révolutionnaire a eu droit à une parution au Journal Officiel du 23 décembre 2007)... sauf que dans ce cas précis, le terme "fantasy" (Genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique, qui prend ses sources dans l'histoire, les mythes, les contes et la science-fiction) perd en partie son sens... et les risques de confusion (et de faux-sens) sont grands.

    Quant à la "mercatique" cela fait quelques décennies qu'on nous le ressort régulièrement, en pure perte... (avez-vous déjà croisé un "directeur de la mercatique" ?) Dans ce cas précis, rien ne s'oppose à ce néologisme... mais qui l'emploie ? Même chose pour "autocaravane" (un... camping-car ?!) Dans le domaine informatique, plus amusant, je découvre entre autres que le "spamming" devient de "l'arrosage", le "hacker" est un "fouineur" et que le "smiley" se transforme en "frimousse"... ! En revanche, "réalité de synthèse" pour "virtual reality" est un peu tiré par les cheveux et sent le jeu de mots.

     

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  • Traduire, c'est d'abord lire...

    120c185e5f358f6f77fbdea3adc3b69f.jpgLe dernier n° de la revue Citrouille propose un intéressant dossier intitulé D'une langue à l'autre. Parmi d'autres articles consacrés à la traduction, Madeline Roth, de la librairie L’Eau Vive, s'entretient avec Daniel Cunin, traducteur de littérature néerlandaise.

    Quelques extraits :

    " Traduire, c’est d’abord lire. Pour traduire, il faut être un bon lecteur, et maîtriser sa langue maternelle à l’écrit - puisqu’un traducteur traduit par principe une langue étrangère dans sa propre langue. Ensuite, il y a tout un travail d’écriture. Les écoles de traduction enseignent souvent et la traduction et l’interprétariat, mais il s’agit de deux métiers bien différents : un très bon interprète n’est pas forcément quelqu’un qui excelle à écrire dans sa langue maternelle. Chez moi, la tentation de la traduction est venue naturellement à partir du moment où j’ai eu envie de partager certains textes néerlandais avec des amis français. (...) Traduire me permet de concilier mes deux passions : la lecture et l’écriture, et d’en vivre, certes sans rouler sur l’or."

    " Un traducteur est quelqu’un qui écrit, mais il n’a ni le souci de la page blanche - que n’a pas, je pense, le véritable écrivain-, ni le souci de créer à partir de rien. Quelqu’un a emprunté le chemin avant lui. Son travail ne consiste pas pour autant à simplement restituer plus ou moins correctement un texte ; l’essentiel à mon sens est d’obtenir en français un texte vivant, un texte qui dise ce que dit le texte original. La traduction n’affecte en rien l’original, puisque celui-ci continue son existence propre. (...) Il faut accepter que la traduction vive une vie autonome."

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