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Critiques

  • William Sydney Graham, Les Dialogues obscurs

    w.s. graham,anne-sylvie homassel,black herald press,blandine longre,paul stubbs,critiques,librairies,poésiePlusieurs articles parus ces derniers temps à propos du recueil de poèmes choisis de l'Ecossais Graham (le tout premier en français), qu'Anne-Sylvie Homassel et moi-même avons traduit. 


    Un article de Romain Verger dans l'Anagnoste

    "J’imagine combien l’exercice de traduction, compliqué par la nature du langage poétique, l’a sans doute été plus encore ici, car la langue de Graham est truffée de ruptures de construction, de collisions d’images déroutantes ; il évoquait d’ailleurs sa poésie comme «une architecture d'associations»."


    Un article de Nathalie Riera (les Carnets d'Eucharis)

    "Pour écrire, il y a des lumières et des obscurités à emprunter de tous côtés, des dialogues à saisir, qui nous parlent d’Etre et de non-être, peut-être pour nous inciter à davantage de rêveries, de relâchements. Ces dialogues obscurs n’ont rien de mystique : ils nous laissent entrevoir une autre dimension de nous-mêmes, issus d’un ici et maintenant non dénué de singularité. La poésie ne doit pas rester parmi les mots. Elle doit emprunter au monde réel, et non au rempart de la pensée conceptuelle. Mais « Si ce lieu où j’écris est réel alors/Il me faut être allégorique »."


    L'ouvrage figure également parmi les coups de coeurs de la librairie Charybde (Paris) - lecture de Hugues Robert sur leur site

    "Une occasion rare de découvrir, dans une édition impeccable et totalement bilingue (même les préface, postface et chronologie sont présentées dans les deux langues), ce poète écossais mort en 1986, longtemps assimilé peu ou prou aux néo-romantiques (Dylan Thomas), qu'il fréquente beaucoup en effet dans l'immédiat après-guerre, avant d'émigrer vers la Cornouaille, y alternant les longs séjours avec de brèves incursions londoniennes jusqu'à son décès, étant devenu entre temps, en quelque sorte, le "protégé" éditorial de T.S. Eliot."


    Un article de Jean-Pierre Longre, sur son blog:

    "Selon Paul Stubbs, d’ailleurs, si cette publication est d’abord destinée à faire connaître cette œuvre aux lecteurs français, elle doit aussi permettre au poète « de se libérer de certaines comparaisons littéraires des plus superflues »… Propos quelque peu polémique mais pertinent, qui insiste sur le fait que la traduction est une mutation, une réadaptation de la poésie dans une langue différente, qui lui permet de sortir de son « insularité »."


    Lire un poème de Graham publié dans l'Anthologie d'un jour du site Terres de Femmes (Angèle Paoli), le 9 novembre dernier.

     

    Ecouter le poète lire certains de ses textes (enregistrement du 23 octobre 1979)

     

    ****

    Le recueil, dont on doit la postace au poète britannique Paul Stubbs, et l'introduction à Michael Snow, ami du poète, est disponible dans plusieurs librairies (voir ici : http://blackheraldpress.wordpress.com/buy-our-titles/ou directement depuis le site de l'éditeur:

    http://blackheraldpress.wordpress.com/books/les-dialogues-obscurs-the-dark-dialogues-w-s-graham/


    Les Dialogues obscurs — W.S. Graham
    Poèmes choisis

    Traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel & Blandine Longre
    Introduction de Michael Snow / Postface de Paul Stubbs
    recueil bilingue
    Black Herald Press, 2013
    174 pages - 14 - isbn 978-2-919582-07-5


    w.s graham, anne-sylvie homassel, black herald press, blandine longre, paul stubbs, critiques, librairies, poésie

    (William) Sydney Graham (1918-1986) with his painting on glass.
    by Michael Seward Snow, bromide print from original negative, 1958 © Michael Seward Snow.



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  • Oyez, oyez le noir héraut – par Frédéric Saenen

    "Les découragés d’office qui, à la feuilleter en hâte, ne verront qu’élitisme dans le parti pris de The Black Herald de se tenir au plus près du langage et des langues, passeront à côté d’une revue qui assume de se mettre pleinement au service de la littérature, en jouant son indispensable rôle de passeur. Passeur de mots, de vérités précaires, de risques aussi. Embarquement immédiat !" Frédéric SAENEN

    Pour lire l'article

    article paru dans le n°33 du Magazine des Livres (en kiosque)


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    Le 2e numéro du Black Heraldparu en septembre

    #2 – September 2011 - Septembre 2011 / 162 pages – 13.90 € – ISBN  978-2-919582-03-7

    Poetry, short fiction, prose, essays, translations / Poésie, fiction courte, prose, essais, traductions.

    En ligne

    • L'éditorial (Paul Stubbs) en VO et en français 

    • Le sommaire / the contents

    • A poem by Jos Roy in original version & translation / Un poème de Jos Roy, accompagné de sa traduction en anglais.

    • Un texte inédit de Jacques Sicard (à propos de The Murderer de Na Hong-jin).

    • Rimbaud & the New Inquisition (an excerpt from Paul Stubbs’s essay).

    Pour commander et/ou trouver la revue

     

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  • Les Fantômes du soir

    9782749110868FS.gifLes Fantômes du soir
    Sébastien Doubinsky
    (Le Cherche midi, 2008)

     

    Rubinstein, écrivain moyen

    Tout débute sur… une chute – quand Paul Rubinstein, invité d’une émission de télévision littéraire (ou qui, du moins, en a les prétentions, comme la plupart de ces programmes pipoles, indigestes et tristounets), dégringole en direct et en public du tabouret peu confortable sur lequel on l’a posé. Une chute qui marque un tournant dans la vie pourtant paisible de cet écrivain discret, dont le dernier roman figure (miracle !) sur la (fameuse ou infamante ?) liste des goncourables – à la grande joie de l’éditeur indépendant auquel Paul a toujours été fidèle. Serait-ce le commencement d’une gloire tardive (et vraisemblablement méritée) ? Rubinstein ne le croit pas, préférant n’y voir qu’un « hasard », plutôt que de nourrir de faux espoirs. Et puis, cette célébrité subite ne lui plaît guère, il en serait même un peu « agacé ». Surprise ! En rentrant chez lui ce soir-là, tout courbaturé (la faute au tabouret), il découvre « trois individus installés sur son canapé »… et pas n’importe lesquels : Henry Miller, Lawrence Durrell et Blaise Cendrars en personne. Rubinstein croit à une farce que lui jouerait son cerveau fatigué, à une illusion d’optique, et même s’il bavarde un bon moment avec eux, il reste sur ses gardes. Que lui veulent-ils ? Et pourquoi lui ? Sont-ils venus le « chercher » ?

    Au-delà de la satire évidente qui imprègne nombre de scènes et des piques délivrées au monde littéraire et éditorial dans son ensemble – une certaine sclérose franco-française, associée à un snobisme rédhibitoire – Sébastien Doubinsky dresse le portrait d’un homme en crise, qui cherche un sens à son existence tout en dressant le bilan d’une carrière littéraire certes gratifiante, mais méconnue. Car Rubinstein fait partie d’une catégorie qui compte des centaines de membres : il est l’écrivain « moyen » par excellence ; ni célèbre, ni maudit, ni trop obscur (son dernier roman s’est déjà vendu à 10 000 exemplaires…), il se situe dans la tranche un peu floue de ceux qui savent écrire (et le font bien), mais ne peuvent vivre de leurs écrits (il travaille comme archiviste chez un assureur...) tout en accédant parfois à une relative notoriété, souvent éphémère ou vite noyée par les nouvelles parutions qui envahissent les étals des librairies. Et pourtant, Rubinstein persévère, écrit, publie, continue de bâtir son œuvre. Il est érudit, cultivé, n’a rien d’un opportuniste – au contraire, il serait plutôt du genre intègre, voire gêné par les honneurs – et compte quelques admirateurs, dont un jeune écrivain prometteur venu d’Haïti (la relève, en quelque sorte), dont les mots le rassérènent un peu, malgré ses réticences initiales. En construisant le portrait de cet écrivain qui fait un bilan mitigé de sa « carrière » et vit une crise existentielle – et une crise du sens – sans précédent, on a l’impression que Sébastien Doubinsky donne indirectement la parole à toute cette catégorie, à qui Cendrars (qui lui, a tout compris !) reproche la chose suivante : « Vous nagez dans la contradiction. Vous êtes terrifié parce que le succès vous effleure de son aile aléatoire, mais vous semblez amer d’être aussi peu connu. » Là réside le point d’ancrage de cette quête improbable, indécise, parfois acide – des retours en arrière nostalgiques, des souvenirs qui refluent, aux préoccupations du présent et à l’angoisse de ne plus savoir qui on est ni pourquoi on fait ce que l’on fait. Ce passage à vide se transforme parfois en fantaisie onirique (les fantômes des trois grands – très vraisemblables - y sont pour beaucoup) ou en fable humaniste, et explore habilement, entre légèreté et gravité, les thèmes croisés de la reconnaissance (par qui? pour quoi ?), de la liberté (perdue ou retrouvée, c’est selon), de la fonction de la littérature et de la célébrité – cette façade dissimulant (souvent très mal) le vide vertigineux qui habite certains… inutile de citer des noms, on les connaît tous – il reste que ni Rubinstein, ni Doubinsky n’en sont.

    B. Longre

    (article publié en mars 2008 dans feu Sitartmag)

    Sur le site de l'éditeur

    Du même auteur

     

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  • Elles, de David Haziot

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    Elles
    David Haziot
    (Autrement, collection Littératures, 2004)

      

    Pour une révision de l'histoire et une audacieuse mythologie féminine

    L'histoire débute sur une course-poursuite étonnante, une chasse à l'homme (au sens propre du terme) organisée et impitoyable : les chasseurs sont des chasseresses, des femmes-gardes habiles et bien entraînées, des archères de premier ordre résolues à capturer leur proie masculine... Le mâle est roi, mais au lieu d'avoir accepté la castration rituelle qui devait mettre fin à son règne d'une année, il a tué la reine et s'est enfui...

    Nous sommes quelque part sur une île de la mer Égée (la Crète, peut-être), à une époque indéterminée du néolithique, un lieu où les femmes détiennent le pouvoir et vouent un culte quasi monothéiste à la Déesse-mère, une idole féconde, bienveillante envers ses croyantes mais terriblement belliqueuse envers les hommes. L'île de Keypora abrite ainsi un royaume prospère, une société rurale où la répartition des rôles est savamment agencée, de façon à assurer bien-être et confort aux femmes - un système qui ne peut passer que par la soumission des hommes. Afin de procréer, les femmes entretiennent une poignée d'hommes choisis pour leur docilité et leur obéissance aux désirs féminins, tandis que ceux qui sont jugés comme les plus agressifs sont émasculés, une façon d'éradiquer leurs penchants brutaux et leur agressivité naturelle.

    Ce bel équilibre est pourtant sur le point de se rompre et le drame, insensiblement, prend tournure, déterminé par les actes et les sentiments de quelques personnages pivots : Anya, la nouvelle reine, une jeune fille à qui Sakya, la grande prêtresse, transmet oralement ses savoirs et le grand "secret" de la procréation, détenu par quelques femmes seulement, un secret qui maintient les hommes à leur place et les empêche de se révolter ; Penthéa, une jeune guerrière fougueuse mais lucide, ennemie farouche de tout ce qui peut entraver les femmes ; Sigur, enfin, l'homme qu'Anya a choisi comme roi pour l'année à venir. Un homme dangereux selon Penthéa, l'Amazone qui déteste les hommes, mais dont la nouvelle reine, la douce Anya, est amoureuse.

    "Faute de mieux, nous appellerons roman le résultat de cette recherche (...) Conte, mythe des origines, fantasmes personnels ou libre enquête, chacun jugera selon son goût", nous dit l'auteur dans un éclairant prologue, refusant ainsi de se prononcer et dans le même temps d'imposer au lecteur une interprétation unique... Ceci étant, cet ouvrage peut d'abord se lire comme un merveilleux roman qui nous transporte dans un univers à la fois barbare et profondément humain, un âge d'or qui laisse songeuse, quand le monde appartenait encore à "elles"... Mais David Haziot n'a pas seulement voulu raconter l'amour, la trahison, la vengeance et l’extermination, et l’histoire sert avant tout d'une thèse, certes personnelle, mais étayée par de savantes recherches : ce récit inclassable interroge et remet en cause certains mythes fondateurs (avant un "dieu-père", il y aurait eu une "déesse-mère"), notre système social et notre regard sur la Préhistoire et les débuts de l'Antiquité. C'est ainsi qu'est explorée la théorie de l'existence d'un matriarcat ancestral sans lequel les premières tribus et les premières civilisations n'auraient pu survivre, une domination féminine qui aurait été ensuite éradiquée, occultée par les hommes durant des siècles - des hommes soucieux de maintenir, consciemment ou inconsciemment, un pouvoir durement gagné sur l'autre moitié de la race humaine. Cette reconstruction poétique de temps révolus, volontairement effacés des annales de l'histoire et de la mémoire collective est certes propice à la rêverie, mais pas seulement : les thèses ici avancées et le regard scientifique qui est porté sur l'histoire de l'humanité se fondent sur un abondant matériau livresque et une érudition de taille (présentés en détail en fin d'ouvrage, dans une passionnante bibliographie) et reprennent des recherches déjà effectuées par des historiens, des paléontologues, des primatologues, des anthropologues pour la plupart anglo-saxons (citons entre autres Marija Gimbutas, S. Blaffer Hrdy, Yves Coppens, C. Knight, M. Stone ou Merlin Stone).

    Il subsiste, au cœur de ces hypothèses, suffisamment de zones d'ombre pour entourer le récit d’une aura mythique et pour enclencher un riche processus imaginaire et une véritable attente dans l'esprit du lecteur, mais ce que le romancier-chercheur met en place apparaît comme hautement vraisemblable. En se penchant sur un moment pivot, l'époque où tout aurait basculé pour les femmes (entre 8000 et 4000 av. J.-C.) d'abord sur l'île de Keypora puis dans les territoires où les rescapées auraient tenté de reconstruire leur civilisation, David Haziot a pu construire une trame qui permet d'englober à la fois le passé lointain, le présent et l'avenir de la femme et de ses aspirations. On saura gré à l'auteur d'être un homme... Défenseur indirect de la cause des femmes, tout en refusant de promouvoir un féminisme de l'extrême, il met l'accent sur l’importance de la parité dans la dernière partie du roman (quand s’ébauchent les fondations d'une société plus juste, dans le respect mutuel et le partage des tâches et des pouvoirs - ce à quoi les sociétés occidentales tendent de nos jours, même maladroitement) ; un point de vue sociologique particulièrement intéressant, développé tout au long du roman, chacun des personnages principaux incarnant une conception différente de ce que doit être une vie en société : Penthéa la guerrière, convaincue de la suprématie intellectuelle et stratégique des femmes, a raison de se méfier des hommes et prône l'extermination et l'humiliation : "Sans la terreur que nous répandons, nous aurions depuis longtemps disparu. (...) Dès qu'ils mesurent leur force, ils ne rêvent que de s'en servir pour nous réduire en esclavage. (...) Partout des femmes vivent dans l’abjection, brutalisées, brisées, labourées par les hommes nuit et jour pour enfanter sans fin." Lance-t-elle à Anya, beaucoup plus mesurée et optimiste, peut-être plus naïve aussi : "Acceptons les hommes, élevons-les dès l'enfance dans l'idée du respect des femmes."

    C’est Sigur qui symbolise les hommes dont parle Penthéa - des hommes-esclaves, qu'ils soient objets sexuels ou eunuques, tous soumis aux lois des femmes qu’ils parviendront à combattre quand leur sera révélé le grand secret... C'est des années plus tard que Sigur comprendra que les hommes et les femmes gagneraient à vivre en harmonie, même s'il s'interroge toujours sur l'essence énigmatique de la féminité : "Comment les hommes avaient-ils pu voir des monstres en ces femmes ? Certes, il acceptait l’idée que la femme fût un être d'une étrangeté définitive. Ne l’avait-il pas remarqué même chez celles qui lui étaient apparemment soumises ? (...) Et pourquoi cette division de l'humanité en deux groupes liés pour la vie et si ennemis l'un de l'autre ? Les hommes autour se trompaient en leur attribuant des museaux de louve ou de panthère. Elles se montraient bien plus terribles en femmes, selon lui, car si dans l'âme elles étaient des fauves, leur masque de beauté les rendait beaucoup plus redoutables."

    Parabole universelle qui développe un révisionnisme éclairé, Elles est une vision fulgurante et lumineuse de l'histoire ancienne, revisitée par une plume vive et souple et une sécheresse narrative qui évite les digressions ; on appréciera la beauté et le souci de précision des descriptions de ce monde antique et parfois décadent, la grandeur des sentiments évoqués (sans pourtant en faire un mélo ou une interminable saga) et, bien entendu, l’évocation d’une société égalitaire, l’auteur opposant, au manichéisme des plus brutaux (qu’ils soient hommes ou femmes), les visions pacifiques d’Anya. Quand bien même certains seraient tentés de mettre à mal les théories ici émises (il est de bon ton aujourd'hui de dénigrer de nouvelles avancées féminines en se réconfortant dans l’idée que le statut des femmes a déjà pu bénéficier d'évolutions non négligeables et certainement suffisantes), cette re-création épique ne s'estompe pas avec le temps et pourrait peut-être devenir l'un des mythes fondateurs à propager autour de soi.

    B. Longre

    (article publié en juillet 2004 dans feu Sitartmag)

    ******************

    Entretien avec l'auteur (novembre 2004) à lire en format pdf.

    "Le récit a encore de beaux jours devant lui."

     

     

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  • Lectures théâtrales

    Articles parus dans le n° 251 de la Revue des Livres pour Enfants (Joie par les livres / BNF), février 2010


    rengade-a-chaque-etage-7d70d.jpgÀ chaque étage on voit la mer

    de Claire Renegade

    Éditions Espaces 34, théâtre jeunesse, 2009


    Le périple de Pitch et Tiote, parsemé de rencontres (avec le loup, la fée, ou encore « plein d’enfants ») les mènent à la recherche de leur mère. L’originalité des dialogues doit beaucoup à la façon dont le langage enfantin subvertit sans relâche la syntaxe et le lexique et à la manière dont les deux enfants s’approprient et commentent le réel par le biais de leur débordante imagination. Les niveaux de lecture satisfont autant le lecteur adulte que les plus jeunes et cette aventure ludique, spontanément poétique, est une réussite. À noter, cette nouvelle collection jeunesse des Éditions Espaces 34, initiative qui mérite d’être soulignée, propose des textes de qualités, à l’égal des autres collections de la maison.

     

    tostain-par-la-voix-e2235.jpgPar la voix !

    de Christophe Tostain 

    Éditions Espaces 34, théâtre jeunesse, 2009

     

    Rosalie, bientôt dix ans, souffre d’un handicap majeur : elle déteste sa voix, semblable à celle d’un cochon. Elle se promet désormais de ne plus jamais parler et « d’enfermer sa voix dans un endroit secret ». La consternation de ses parents est grande, mais la fillette ne cède pas aux pressions et reste muette, « aphasique » selon l’orthophoniste qu’elle prend d’abord pour un ogre. En dépit d’une résolution un peu prévisible, ce texte de belle facture, entre théâtre et court roman (en effet, il s’agit plutôt du récit d’un narrateur omniscient, émaillé de monologues), propose des scènes oniriques dignes d’un conte de fée, l’auteur jouant sur plusieurs registres et réalités parallèles.

     

    9782742787029.jpgL'enfant caché dans l'encrier

    de Joël Jouanneau, Illustrations : Annie Drimaracci

    Actes sud papiers, Heyoka jeunesse, 2009

     

    On admire d’abord les illustrations abstraites d’Annie Drimaracci, entre calligraphie, aquarelle et collage, qui accompagnent intelligemment le texte, celui-ci restant parfois à décrypter ou à interpréter lui aussi ; il s’agit du journal de bord des aventures estivales et maritimes du petit Ellj, dont l’orthographe et la grammaire laissent à désirer : « Je doive vous raconter une histoire qu’elle être plus que trop vraie pour que je la mentir pas. » La poésie chaotique, primitive et involontaire qui en émane est peut-être adaptée à ce vagabondage imaginaire et enfantin, mais reste abrupte et le lecteur risque de se lasser de ce trop-plein de verbes à l’infinitif, entre autres, et de ce langage un peu forcé. Cependant, l’éditeur conseille de lire ce texte à haute voix afin de percevoir « la musique de la langue », et le parti-pris de l’auteur aura peut-être plus d’impact sur une scène que sur la page.

     

     

    9782742787036.jpgLes Orphelines

    de Marion Aubert, Illustrations : Fanny Michaëlis

    Actes sud papiers, Heyoka jeunesse, 2009

     

    Comment aborder le sujet des enfants que l’on tue car ils naissent filles ? L’approche de Marion Aubert sort de l’ordinaire : elle a imaginé un pays peuplée de petites filles disparues, celles « qui n’ont pas eu droit à la vie » ; elles sont recueillies par Violaine, elle-même tuée à la naissance, qui décide d’enlever un écrivain venu enquêter sur leur destin (« Elles se sont perdues entre les pages », dit-il, « Dans l’ombre. Et sous les mots. Il faut soulever les mots pour les voir. ») La violence est omniprésente, l’auteur ne cherchant pas à édulcorer les faits, mais tout passe par la parole, libératrice, un langage limpide et souvent direct, et par les jeux de rôle qu’un diablon et une diablonne infligent à des marionnettes, qui permettent de sonder ce qui demeure habituellement dans le non-dit.

     

     

    couv-Veilleurs-de-jour.jpgLes Veilleurs de jour

    de Laurent Contamin, illustrations Laurent Corvaisier

    Éditions du Bonhomme Vert, Théâtre illustré, 2009

     

    Les Veilleurs de jour aborde indirectement les débuts du cinématographe en s’inspirant d’une histoire vécue par les frères Lumière, ici représentés par Alex et Pierrot, toujours entre chamailleries et attachement, comme le sont souvent les frères. Ces derniers, en vacances à la mer, découvrent la « goule-aux-fées », une grotte magique qui permet d’évoquer différentes phases de la naissance du cinéma et de réconcilier les deux garçons. L’originalité de l’ouvrage vient plus particulièrement de la combinaison texte théâtral / album jeunesse, une approche qui redonne sa place au texte dramatique tout en ébauchant, par le biais des illustrations, une mise en scène possible.

     

     

    Couv-2-PH.jpgPetit homme

    de Françoise Gerbaulet, illustrations : Sylvaine Jenny

    Éditions du Bonhomme Vert, Théâtre illustré, 2009


    Camille, une petite fille qui se pose beaucoup de questions, des « pourquoi ? » incessants sur ceux qui l’entourent, mais aussi sur elle-même et sur l’univers, sur le temps et l’espace (« Tous ces signes que je ne comprends pas… »), part aux pays « des songes et des signes » ; là, quelques personnages (dont un « Raconteur ») lui apprennent à remonter aux origines (la préhistoire) pour qu’elle puisse comprendre d’où viennent les choses (la danse, l’écriture, le dessin, le feu…). Les illustrations, comme en mouvement, accompagnent joliment cette pièce aux aspects philosophiques évidents qui confronte le jeune lecteur à sa propre existence (« qui suis-je ? »).

     

     

    p705.jpgDe l'amour, de la rage et autres cocktails Molotov

    de Filip Forgeau

    Lansman, Urgence de la jeune parole, 2009

     

    Les scènes s’enchaînent sur un rythme alerte entre des filles et garçons à la dérive, qui entrent et sortent sur une scène terrain vague, où trône un énorme gâteau à la chantilly. Aucun ne se sent à sa place, tous ont « perdu quelque chose » ou quelqu’un, et ont aussi en commun un désir de révolte teinté d’un certain désabusement ainsi qu’une détresse parfois extrême comme celle de « la fille qui pleure », anonyme et invisible. Aucune résolution n’est attendue, car seul semble compter le partage temporaire d’histoires et d’émotions qui se bousculent en eux. Un texte cru, mais aussi poétique, entrecoupé de chants et d’échanges collectifs qui devraient toucher le lectorat ciblé.

     

    Dans la même collection :  

    La Mélancolie des Barbares de Koffi Kwahulé

    Deus Ex Machina de Perrine Griselin


    Collection Urgence de la jeune parole, Éditions Lansman

    Dirigée par Dominique Mercier, cette collection est le fruit de l’expérience menée depuis 1997 dans l’agglomération toulousaine, afin de sensibiliser les adolescents aux écritures et aux formes théâtrales contemporaines. Aussi, ces textes s’adressent d’abord aux lecteurs de plus de 14-15 ans, mais proposent divers niveaux de lecture susceptibles de satisfaire amplement un lectorat adulte.

     

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  • Quand les rois étaient des reines

    nabilnaoum5.jpgMoi, Toutankhamon, reine d’Egypte
    De Nabil Naoum
    traduit de l'arabe (Egypte) par Luc Barbulesco
    (Actes Sud, 2005)


    "Le roman n'examine pas la réalité mais l'existence (...) le champ des possibilités humaines." - Milan Kundera, L'Art du roman



    Le titre de ce saisissant roman offre déjà quelques clefs sur l’univers intimiste dans lequel le lecteur pénètre prudemment pour bientôt se trouver happé par le récit de la narratrice éponyme, personnage par essence hybride, inspirant d'abord une crainte mêlée d'admiration ; car (qui oserait en douter ?) c’est l’authentique Toutankhamon qui nous parle, et son récit obsédant a traversé les siècles après qu’elle l’a livré aux murs de sa prison : il est parvenu jusqu’à nous par le biais de la prose tour à tour audacieuse ou lyrique de Nabil Naoum.

    Le roman, certes ancré dans l’histoire de l’Égypte ancienne (dont on sait en réalité peu de choses, hormis ce que les tombeaux ont livré), retrace un destin invérifiable, que nulle source ne pourra venir confirmer ou infirmer – mais, à défaut d’être véridique, tout y est hautement vraisemblable, le romancier ayant déployé son imagination, en toute liberté, pour pallier les incertitudes de l’histoire. Il réinvente Tout, fille d’Amenothep et sœur d’Akhenaton (le roi rebelle qui remit en vogue le dieu Aton au détriment d’Amon), élevée comme un garçon, installée sur le trône à neuf ans ; pour se voir, à dix-huit ans, brutalement écartée de ce rôle masculin, créé de toutes pièces par sa mère et le grand vizir. Après avoir été le dieu vivant, sur lequel nul mortel ne peut poser le regard à moins d’y être autorisé, Tout-Nefret, enceinte de plusieurs mois, est jetée dans une fosse obscure tandis qu’un jeune prêtre est sacrifié pour servir de dépouille royale ; car un « roi » ne peut concevoir et encore moins enfanter, et devient gênant quand il s’obstine à vouloir mener une grossesse à terme…

    Dans sa dernière demeure, la jeune femme relate l’histoire de sa brève existence sur le point de s’achever par le poison – se confiant à des interlocuteurs invisibles ou absents, sa fidèle servante Senou (est-elle présente ?) ou son amant, Horemheb, celui qui l’aurait trahie.

    On trouve là des lamentations, il est vrai, mais étayées de souvenirs entrelacés, permettant à Tout de revivre tous les instants remémorés avant de mourir ; elle revient sans relâche sur son amour et sa haine mêlés, dirigés contre Horemheb, le chef des armées, celui qui l’a ouverte au plaisir des sens pour mieux la tromper ensuite, celui qui fut l’un des seuls à deviner que sous le costume du roi, se cachait une toute jeune fille.

    Le récit progresse par circonvolutions, retours et brusques avancées, par digressions temporelles, d’un souvenir à l’autre, au fil des sentiments souvent contradictoires éprouvés par la jeune Tout-Nefret (du désespoir à l’exaltation, de la fierté à la générosité, de l’abnégation de soi à la honte, etc.) – un mouvement de la pensée débarrassé de toute chronologie, qui se déploie au rythme des paradoxes d’un esprit subtil qui atteint peu à peu des vérités essentielles, et apprend à rejeter ce qui n’est qu’illusion – le pouvoir, les richesses et la vénalité de ceux qui ont pu commettre l'ultime trahison. Seule compte maintenant la vie nouvelle qu’elle abrite en elle (et pourtant condamnée). Le personnage grandit et s’affirme, et si elle s’écarte ainsi des lamentations et d’Horemheb, faisant preuve vis-à-vis de lui d’un cynisme montant, c'est bien grâce à ses multiples réminiscences : l’analyse du passé l’incite à dresser un bilan détaché de cette liaison secrète : « Comme les voies du souvenir sont curieuses… toutes les fois où je m’y suis enfoncée, j’ai découvert qu’elles étaient peuplées de mille détails, comme un rêve… Comme si le passé était plus clair que le présent… », confie-t-elle, comprenant que ces retours en arrière lui ont permis de se faire l’observatrice lucide et a posteriori d’événements sur lesquels elle n’avait aucune prise par le passé.

    Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte est surtout un hymne à la féminité qui revendique son droit au plaisir charnel et au pouvoir, refuse la domination masculine et le paternalisme brutal des hommes ; un récit parcouru de révélations existentielles et de judicieux commentaires (évidemment très contemporains) sur les relations entre les sexes, la place réelle des femmes dans la société (en définitive, bien peu nous sépare de l'Égypte ancienne), et sur les faiblesses et les paradoxes de la tyrannie et de la virilité masculines : « j’ai compris à quel point tu craignais la mort. La violence est l’expression de la crainte, comme la cruauté. », constate la reine, s’adressant à Horemheb l’absent ; ou encore : «les hommes ne connaîtront pas la vérité de l’amour tant qu’ils ne seront pas libérés de leur crainte de notre supériorité. » Des traits de caractère qu’elle retrouvait chez le « frère » tant admiré, Akhenaton, si prompt à libérer les femmes et à les protéger, contrairement aux autres hommes... Cette exaltante réécriture de l’histoire (qui n’est pas sans rappeler l'épique roman de David Haziot, Elles) sert la cause des femmes et prône une égalité nécessaire, montrant combien l’histoire, la « grande », peut se faire mensongère quand elle est écrite par des hommes : « les chroniques des règnes sont pleines d’hypocrisie et de mensonges », affirme la narratrice, sachant qu’ils « graveront sur la pierre le récit des victoires illusoires que je n’ai pas remportées. » Les traces laissées par l’histoire seraient-elle donc semblables au verbiage fleuri d’Horemheb, amant volage tentant de se disculper de ses multiples absences ? Au contraire, seules la poésie (l’une des passions de Tout) et la littérature libéreraient la vérité du joug masculin et lui redonneraient la place qui lui revient. C’est donc le langage, libérateur, qui conduit Tout-Nefret à se révolter contre les manipulations passées et à entrer en subversion (contre l’ordre établi, les carcans religieux, moraux, politiques, etc.), délaissant pour un temps son désespoir (qui lui a toutefois fait prendre conscience que « Tout va à son extinction. ») ; en se souvenant de sa liaison avec un autre homme, Ta’ou, elle analyse désormais finement pourquoi les autres ont pu voir en elle un danger: « il [Ta’ou ] voyait en moi cette aspiration à me libérer de toute servitude (…) le pouvoir de s’émanciper de l’emprisonnement de l’idée d’éternité, imposée par tous les rites minutieux du culte et de l’embaumement. » ; et plus loin, elle lègue à sa fille (et à travers elle, à toutes les filles à venir au monde), ce message d’exultation : elle « reviendra à la vie dans le ventre d’une autre femme , et elle se verra alors en possession de toute la terre. »

    Nabil Naoum ne se targue pas d’être historien, mais paradoxalement, Moi, Toutankhamon, reine d’Égypte dépasse sans mal ces ouvrages pseudo-historico-romanesques faciles et rébarbatifs sur l'Égypte ancienne, auxquels le public s'est malheureusement habitué. Cet ouvrage unique appartient plutôt à la catégorie des grandes œuvres entêtantes et atemporelles, où l’acte langagier, dans son urgence, participe à un mouvement libérateur, où chaque mot s'impose au lecteur et participe d'un cheminement humain irremplaçable.

    B. Longre (sept. 2005)

    http://www.actes-sud.fr/index.htm


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  • Lecture d'été - 2

    cette-guepe-me-regarde-de-travers.jpgCette guêpe me regarde de travers
    Poèmes en deux langues d’Oscar Mandel
    Éditions Bruno Doucey, Collection L’autre langue, 2010

    Oscar Mandel, né en Belgique en 1926, partage son temps entre Los Angeles et Paris et écrit librement en deux langues. Voilà pourquoi les poèmes en français en regard de chacun des poèmes en anglais (et vice-versa) ne sont nullement des traductions mais des variations qui « ne font que happer le moment », précise l’auteur, pour qui « chaque poème se veut molécule libre, et libre de se cogner contre une autre ». Au lecteur de tracer son chemin, donc, dans ce recueil dont la facétie n’est souvent qu’un leurre permettant de désamorcer temporairement des pensées intenses et des questionnements lucides, sans concession, comme dans le poème intitulé « Do not place your trust in babies » (« Méfie-toi des bébés ») :

    Do not place your trust in babies:

    Himmler was one.


    Ami, méfie-toi des bébés.

    Himmler en fut un.


    http://www.editions-brunodoucey.com/

    http://oscarmandel.com/

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  • Lecture d'été - 1

    arton319.jpgExposé des faits

    de Vanessa Place

    Traduit de l’anglais par Nathalie Peronny

    Parution août 2010

    Éditions è®e, Collection Littérature étrangè®e

     

    Exposé des faits est un texte dont le mode de visionnage s’apparente à 10e chambre, instants d’audience de Raymond Depardon ; soit un docutexte en prise avec le réel au sein duquel les cas sont simplement présentés sans ajout de commentaire. La langue de la transcription judiciaire se veut neutre et objective mais ne peut échapper à la subjectivité de ses acteurs. Face à la recrudescence des séries policières, des émissions de reconstitutions, des dossiers et autres enquêtes, Vanessa Place s’empare des matériaux issus de son quotidien d’avocate et annule les effets de suspense et autres accessoirisations émotionnelles des faits. C’est au lecteur de prendre en charge la spectacularisation de la trame fictionnelle.

    http://www.editions-ere.net/

    Vanessa Place : http://www.editions-ere.net/auteur82


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  • Jean-Pierre Longre, le blog

    Sans-titre-1.jpgJean-Pierre Longre tient désormais un blog de critiques littéraires (essai, romans, théâtre etc.) que l'on pourra découvrir à cette adresse

    http://jplongre.hautetfort.com/

     

    Certains de ses autres articles sont toujours disponibles ici

    http://sitartmaglesite.hautetfort.com/tag/jean-pierre+longre

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  • Poèmes pour le temps présent

    ferling.jpgBlind Poet / Poète aveugle
    De Lawrence Ferlinghetti
    édition bilingue, traduction de l'anglais par Marianne Costa
    Maelström & Le Veilleur, 2004

    Dernier poète vivant de la Beat Generation, Lawrence Ferlinghetti demeure prolifique, en témoignent ces poèmes publiés en 2004 par Maelström (éditeur "belge de littérature" - et non l'inverse) qui nous offre là un excellent recueil, entièrement bilingue, pour le plus grand plaisir du lecteur - qui s'intéressera ainsi au travail précis de la poétesse Marianne Costa, traductrice de l'ensemble ; une publication en français qui réjouit l'auteur "après un hiatus de près de trente ans, pendant lequel les lecteurs ont été privés de mon travail traduit dans la belle langue française."

    Composés après 9/11 et regroupés sous le titre Touriste des Révolutions (Prendre la parole après le 11/9) / A Tourist of Revolutions (Speaking Out after 9/11), ces poèmes sont ancrés dans une réalité géopolitique et sociale qui nous est familière : complaintes, accusations, et constat des "troubles" engendrés par la volonté d'omnipotence d'un gouvernement américain dont les actes impérialistes ne cessent de choquer les consciences ; et la plume du poète de dénoncer la déliquescence des libertés, d'interroger sans répit le nouveau visage du monde et d'éclairer nos esprits de vers libres lumineux, en un mixe de désillusion et de sagesse acquise au fil de l'Histoire ; des textes lucides qui, tout en délivrant un message complexe, sont volontairement explicites :

    "Et une vaste paranoïa déferle sur le pays
    Et l'Amérique transforme l'attentat contre ses Tours Jumelles
    En début de Troisième Guerre mondiale
    La Guerre contre le Tiers-Monde"

    (Speak Out)

    On regrettera que le français perde au passage le sens double du terme "Third" car le poète parle davantage de la guerre au "Third World" (Le Tiers-Monde) que de la "Troisième". Il reste que les positions politiques et humaines de Ferlinghetti, à travers ces quelques lignes, sont déjà circonscrites : sans jamais encourager le terrorisme, il revendique un droit à la parole, pour lui et pour ses concitoyens (la "Majorité silencieuse"), ou encore pour la marge, "ces freaks et ces libres penseurs / Poètes aux yeux fous Philosophes de l'asphalte (...) / Exilés dans leur propre pays !", incitant (non pas en moralisant, mais seulement par le biais de sa vision individuelle) les uns et les autres à enfin mêler leurs voix. La passion véhémente que le poète met dans ses vers ne lui fait nullement perdre sa lucidité politique et sa posture rationaliste, car c'est autant au coeur qu'à la raison qu'il choisit de s'adresser ("Pour chaque bombe qu'on largue / surgissent mille Ben Laden / Mille terroristes.") Les images sont parfois empruntées aux temps anciens, pour renforcer l'idée que c'est du désordre des esprits de la minorité - les gouvernants - que naissent les désordre du monde actuel, reprenant là une idée chère à Shakespeare, celle du chaos qu'un microcosme peut transmettre au macrocosme : "Ils ont transformé la Maison Blanche / en Cheval Blanc / leur Cheval de Troie / plein de soldats civils / avec des armes de destruction nocive / un mot nouveau pour leur cerveau / ou (...) leur personnalité pathologique."

    Mais les attaques directes contre Bush et ses sbires (les "nouveaux proto-fascistes de la Maison Blanche") s'accompagnent d'une désespérance palpable, plus particulièrement visible dans le poème "Démocratie Totalitaire/Totalitarian Democracy", lente et ambivalente énumération nominale retraçant dans le désordre l'histoire du monde (l'ancien et le nouveau), inventaire implacable, de "La première aube exquise de la vie sur terre" à "La dernière lamentation pour la démocratie perdue" ; un poème qui fait écho à une autre litanie ("J'attends / I am waiting") qui laisse, cette fois, une toute petite place à un espoir - certes teinté de cynisme : "J'attends avec bonheur / que les choses empirent beaucoup / avant de s'arranger."  Un poème où Ferlinghetti s'interroge aussi sur la fonction du poète tout en rendant un hommage discret à John Keats (Ode on a Grecian Urn) et, en remontant plus loin dans le temps, à John Donne (The Canonization) - dont la sarcastique et paradoxale lucidité valait bien, sur un tout autre terrain, celle du poète Américain - écho que l'on retrouve dans ces quelques vers :

    "J'attends d'écrire
    le grand poème indélébile
    (...) 
    et à perpétuité j'attends
    que les amants fuyant sur l'urne grecque
    se rattrapent enfin
    et s'enlacent."

    Mais c'est dans le poème intitulé "A Tourist of Revolutions" que l'auteur s'interroge plus ouvertement encore sur l'authenticité de son engagement passé (en particulier à Cuba) et sur sa postérité - pour lui compromise... Il est permis d'en douter quand on lit d'autres textes encore, des poèmes où la vision géopolitique d'un monde en perdition s'élargit et s'attache à décrire ce qui déjà fait notre quotidien ; par exemple à travers un dialogue entre un père et un fils ("It's Us Stupid / C'est nous, Idiot") qui prend la forme d'un cruel jeu de questions-réponses dévoilant l'absurde farce que nous nous jouons, malgré nous, et qui retrace les dysfonctionnements actuels (pollution et environnement, pauvreté matérielle et affective, outrances de la société de consommation, situation du tiers-monde, surpopulation - thème qu'il développe aussi dans le très ironique "Le blues de la ponte"). L'ensemble s'achève sur un habile et réjouissant détournement du Lord's Prayer (Notre Père), dans lequel on lit la détermination subversive du poète ("Our Father whose art's in Heaven / Hollow be thy name / Notre Père qui crées aux Cieux / que ton nom soit démystifié"), refus flagrant d'une instance supérieure, sur laquelle les humains n'auraient pas prise, pour finir sur un cinglant "Ah, Man !"- qui, hormis son insolence salutaire, replace d'emblée l'humain au centre du monde.

    Pilier de la contre-culture

    La dissidence active et courageuse de Lawrence Ferlinghetti résonne comme une évidence à travers ses textes ; la lecture de cette plume impatiente, pressée, osant dire sans feintes ce que la "majorité silencieuse" ne veut/peut/sait exprimer, qui a traversé le XXe siècle et perdure aujourd'hui, se vit comme une expérience unique et marquante. Davantage encore si l'on sait que le poète est aussi peintre, romancier, éditeur et traducteur (de Prévert ou de Pasolini...) ; une personnalité au centre de la Renaissance littéraire de San Francisco - et ce depuis les années 1950, quand il fonde, avec Peter Martin, City Lights, la désormais célèbre librairie indépendante de San Francisco. La librairie, qui vend du "paperback" (livre de poche) de qualité, s'est agrandie au fil des décennies, mais dès 1955, le poète décide d'étendre son champ action en montant, en parallèle, une maison d'édition (City Lights Publishers) ouverte aux littératures alternatives, aux idées progressistes et aux poètes dissidents (dont Georges Bataille et Charles Bukowski).

    Touriste des Révolutions est suivi d'autres textes choisis par Ferlinghetti lui-même, dont Allen, un émouvant hommage à Ginsberg (dont le célèbre Howl paraît en 1956, dans la première collection de la toute récente maison d'édition City Lights) et un ensemble de poèmes intitulé Comment peindre la lumière (plus précisément "Sunlight"), qui reflète les préoccupations du Ferlinghetti peintre et où l'esthétisme prend le pas sur le politique. Une poésie visuelle, dédiée au dieu soleil et pétrie d'ombres et de lumières, et qui, en mêlant poésie et art pictural, langage et vision dans une étonnante synesthésie (on pense entre autres à e.e. cummings), illustre pleinement la puissance d'évocation du verbe.

    Une autre partie, Migrations Surréelles / Surreal Migrations (1999), fait la part belle à une poésie cosmique, inspirée par l'antiquité et par des croyances disparues : une géographie liquide de l'esprit qui épouse les flux des pensées ("Surreal Migrations II") ; et sans s'éloigner des préoccupations politiques que l'on trouve dans Touriste des Révolutions ("Venus de Milo sur une demi-coquille / Statues de la Liberté à Las Vegas (...) Et inondés de baratin / des millions de gens salivent / sous les panneaux"), le poète offre des vers qui dévoilent son rapport au monde avec, au premier plan, l'omniprésence des éléments naturels et un retour nostalgique sur sa jeunesse révolue de bohémien éclairé. Un groupement de textes plus optimistes, qui s'achève sur une autre prière, cette fois adressée "À l'oracle de Delphes ("To the Oracle at Delphi") :

    lawrenceferl.jpg"Sors enfin de ta grotte
    Et parle-nous par la voix du poète
    La voix de la quatrième personne au singulier 
    (...)
    Et donne-nous de nouveaux rêves à rêver
    de nouveaux mythes à vivre !"

    Tant que les poètes parleront ainsi, tant qu'ils refuseront la facilité de l'aveuglement, nous les écouterons.

    (B. Longre, juillet 2005)

    http://www.maelstromeditions.com/

    http://www.citylights.com/CLlf.html

    Chez le même éditeur, a paru en traduction (par Marianne Costa) A Coney Island of the Mind et autre poèmes ; ce recueil initialement publié en juin 1958 par City Lights, a été réédité dans un beau format en 2008 (avec un CD) pour fêter son cinquantième anniversaire.

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  • La mémoire des Pierres

    chantal.jpgLa cérémonie des poupées
    de Chantal Deltenre

    Éditions
    Maelström, 2005

    Tout fait sens dans ce palpitant roman, d'un bout à l'autre du récit de Keiko qui relate son séjour au Japon - un pays qu'elle ne connaissait pas en dépit de ses origines. Elle le découvre aux côtés de Pierre, son ami français que la langue et la culture japonaises fascinent. Cela fait maintenant un an qu'ils se sont installés dans un petit appartement, à Tokyo, un lieu que Keiko s'est appropriée avec une férocité dont elle seule a conscience (« m'arracher à l'appartement m'est devenu aussi douloureux qu'une amputation »), sacralisant secrètement l'endroit et engageant, au quotidien, un dialogue muet avec les objets et les meubles qui étaient déjà là lors de leur emménagement - elle les dote d'une vie propre (particulièrement la collection de poupées alignées au fond d'une alcôve percée dans le mur), entretenant avec chacun d'eux une relation sensorielle singulière, entre attraction et répulsion, une relation qui prend des tournures animistes à la fois belles et inquiétantes.

    Peu à peu, elle s'est détachée de Pierre, préférant, à sa présence amoureuse mais passablement étouffante («son amour absolu, son admiration sans bornes, m'éloignent de lui»), une solitude qui, pense-t-elle, peut l'aider à retrouver sa véritable identité, dont elle se sent désormais privée : sa mère a voulu faire d'elle une vraie française, « débarrassée de l'encombrant bagage des origines », tandis que Pierre ne la voit qu'à travers ces mêmes origines - « même en rêve, il a besoin de me savoir japonaise. Il ne peut m'aimer en dehors de cet univers étranger ». Ce qu'elle désigne comme une « fusion » qu'il lui imposerait lui est devenu insupportable et il lui semble même qu'elle et l'appartement se liguent contre lui chaque jour un peu plus (« de partout son corps déborde, en proie à l'hostilité des choses »), comme l'humidité et la poussière qui imprègnent les tatamis de la chambre et qui accentuent les crises d'asthme de Pierre - car lui aussi étouffe ici, à sa manière, et l'hostilité du lieu se fait plus prégnante, le gouffre entre les deux amants plus sombre ; à l'image d'un autre gouffre, celui dont la jeune femme sera proche tant qu'elle n'aura pas trouvé une voie à suivre ou à inventer, une manière de se faufiler entre les identités que les autres veulent lui imposer ; située dans un entre-deux « gris », « ni nuit, ni jour », elle ajoute : « c'est ainsi que je vis (...), titubant d'être sans racines comme cet espace, à chaque secousse sismique, vacille sur ses fondations hâtivement creusées dans les ruines. » - tout en cherchant à se débarrasser des accoutrements stéréotypés (symboliques ou concrets) dont on l'a affublée.

    Les tensions qui ne cessent de grandir entre les protagonistes et la confusion existentielle et identitaire de Keiko (qui s'accompagne d'un trouble linguistique logique et récurrent - « je perds la mémoire des lettres et des signes ») sont paradoxalement en décalage avec le ton posé, le lent pas de l'écriture soigneusement ciselée, non dépourvue d'un lyrisme soigné, qui s'attarde inlassablement sur chaque mouvement de pensée de la narratrice, chacun de ses gestes, du plus essentiel au plus ténu, sur chacun des échanges entre elle et les choses, qui « s'ouvrent à vous ou se rétractent au plus profond de la matière, rétives. » ; sensible à chaque ombre, chaque grain de poussière, aux moindres modifications de l'espace qu'elle a intériorisé et qui la hante, Keiko l'est aussi avec les pierres, matières mortes qu'elle collectionne depuis l'enfance (serait-ce parce que son prénom signifie « pierre » en japonais ?) - et plus particulièrement les pierres volcaniques, froides et éteintes, mais qui conservent la mémoire du feu des origines qui les a fait vivre un jour.

    On l'aura compris : on pénètre ici un monde intime et fragile, chargé de lourds et profonds secrets et, comme Keiko, on y avance avec circonspection, à tâtons, participant à sa quête désespérée et par instants fragmentée, sans parvenir à l'éloigner des fêlures qui la poussent vers des abîmes psychiques insoupçonnables. Ce roman à la fois polymorphe et épuré se bâtit autour d'une multiplicité de paradoxes (de la fascination à la répulsion, de l'amour à la haine, de la matière à l'esprit), de métaphores filées habiles et cohérentes, qui traversent le récit de part et d'autre, le nourrissent aussi, pour en faire une œuvre complexe et surprenante.

    (B. Longre, décembre 2005)

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  • (Re-)vivre enfin

    cleblanc.jpgCatherine Leblanc m'annonce la réédition (dans un nouvel habillage) chez Actes Sud Junior de Rester Vivante, roman dont j'avais parlé à l'époque de sa première parution. On pourra relire cet article sur son blog ou directement ici.

    Elle est aussi l'auteure, entre autres, de Ma couleur  (illustrations de Sophie Charpin, Ed. Balivernes), du très beau Litli Soliquiétude (photos de Séverine Thevenet, Editions Où sont les enfants ?) et d'un recueil de nouvelles, Silences (Les Découvertes de la Lucioles).

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  • Archéologie littéraire en gestation, anthropologie de l'intime.

    carvalho3.jpgNeuf nuits, de Bernardo Carvalho
    Traduit du brésilien par Geneviève Leibrich, Métailié, 2005

    « On se suicide toujours trop tard. » (Cioran)

    Roman ou documentaire ? Autofiction ou travail journalistique ? Il serait téméraire de trop vouloir démêler les fils narratifs et génériques de cet ouvrage saisissant, qui se veut finalement tel que l'auteur le revendique, ébauche docu-romanesque avouée. Neuf nuits se comporte comme la transcription en apparence chaotique d'un work in progress, le lecteur assistant à l'enquête qui semble se dérouler simultanément à la lecture... Effet d'optique, certes, mais la profonde empathie ressentie pour l'auteur (son obsession devenant la nôtre...) et pour l'objet de son investigation (l'anthropologue Buell Quain), est un sentiment bien réel. Et, au bout de quelques pages, on est déjà happé par "l'affaire" Quain : l'anthropologue nord-américain de l'université de Columbia qui s'est donné la mort en 1939 au fin fond du Xingu à l'âge indécent de 27 ans, laissant derrière lui des lettres qui apportent quelques indices sur les motifs de son geste ultime, sans qu'ils suffisent à percer un secret que l'on devine dévastateur.

    Bernado Carvalho, tombé sur un article mentionnant brièvement cette tragédie, a fouillé sans répit le passé du jeune homme, est parti sur les traces de ceux qui l'ont connu (famille, confrères, Indiens), a interrogé et comparé les articles, les ouvrages, les lettres et les archives... et de nous en faire part avec une surprenante minutie, comme si sa propre vie en dépendait. Est-ce la passion que Bernado Carvalho met dans sa quête qui transforme Buell Quain en être fascinant, ou bien l'anthropologue disparu l'est-il par essence ? L'auteur retrace les étapes de son enquête et s'explique régulièrement sur ses motivations : "L'histoire était réellement incroyable. (...) J'ai reconstitué un puzzle et je me suis créé une image de celui que je cherchais." Une image sans nul doute incomplète, mais cependant construite à partir de documents et de témoignages authentiques. Il est certain que Buell Quain avait été très affecté par un séjour antérieur chez les Indiens Trumaï, un peuple terrorisé, en voie d'extinction, et que lors de son séjour chez les Kraho, peu de temps avant de se donner la mort, il semblait particulièrement instable et agité. L'auteur ne délaisse aucune piste, réelle ou imaginaire : on parle d'un mal incurable (la syphilis, selon Claude Lévi-Strauss, que Buell Quain avait croisé brièvement au Brésil), de difficultés familiales, de son souci de paraître moins riche qu'il n'était, ou du sentiment d'avoir déjà trop voyagé, d'avoir fait le tour de ce que la vie et le monde pouvaient lui apporter et d'avoir quitté le paradis qu'il pensait avoir trouvé aux îles Fidji.

    A défaut de faire toute la lumière sur ce mal (physiologique et/ou existentiel) qui rongeait le chercheur, à défaut d'atteindre une vérité volatile (que la subjectivité et les propres secrets des personnes ayant été en contact avec Buell Quain rendent plus mouvante encore), Bernado Carvalho emprunte les voies certainement plus rassurantes de la fiction en insérant à son enquête des lettres inventées, sorte de testament-confession que Manoel Perna, un ingénieur de la ville la plus proche, le seul ami de Quain dans le Xingu, aurait écrit ; en se réappropriant les événements, en réinventant un Quain à son image, Bernado Carvalho libère son imagination, lui évitant ainsi de s'atrophier face à la frustrante investigation entreprise. Ces textes lancinants, adressés à un interlocuteur invisible, apportent des éclaircissements pourtant inadéquats, mais l'énigme se fait moins lointaine. Manoel Perna se remémore le temps passé (« neuf nuits » en tout et pour tout) avec celui qu'il considérait comme un ami - parvenant à cerner son désespoir tout en répétant que ce qu'il relate « est un mélange entre ce qu'il m'a raconté et ce que j'ai imaginé. », sa confession se faisant le reflet du roman tout entier : comme si l'alternance entre faits et fiction, entre témoignages contradictoires et écrits authentiques, était, en définitive, l'unique recours ; et l'auteur compte sur le lecteur pour compléter le récit en faisant dire à son personnage Manoel : « Les histoires dépendent avant tout de la confiance de celui qui les écoute et de sa capacité de les interpréter. »

    Pourtant, on entraperçoit ici les limites de la fiction, insuffisante à combler les vacances de l'histoire. C'est ainsi qu'à mi-parcours, le romancier change provisoirement de tactique et met en parallèle ses propres expériences et celles de Quain, une manière de renforcer l'obsession qu'il éprouve pour le fantôme de l'anthropologue. Il se remémore les vacances qu'il passait dans le Xingu avec son père, qui y possédait des terres : « la représentation de l'enfer, tel que je me l'imagine, (...) remontait au Xingu de mon enfance. » Plus loin, il ajoute : « Je ne comprenais pas pourquoi les Indiens s'étaient installés là, ce qui leur avait pris, cela me paraissait d'une bêtise incroyable, et même d'un masochisme certain et une espèce de suicide. » C'est un anthropologue qui l'éclairera, expliquant que les Indiens « ont été repoussés, acculés, ils ont fui jusqu'à s'établir dans le lieu le plus inhospitalier et inaccessible, le plus impropre à leur survie et en même temps leur unique et dernier refuge. »

    Le souvenir de cette région, peuplée d'Indiens acculturés (« spectacle déprimant ») concorde en partie avec ce que Quain avait pu écrire, déjà, en 1939 (« Le traitement officiel a réduit les Indiens à la paupérisation »). De retour dans le Xingu en 2001, pour les besoins de son enquête, l'auteur vit une expérience passablement traumatisante, un séjour relaté dans le détail, dominé par une terreur des rituels qui prend le pas sur sa compassion : « Je ne suis pas anthropologue, je n'ai pas une belle âme. J'en ai eu plein le dos. » ; un épisode que l'on découvre, partagé entre rire et malaise : l'intellectuel n'a rien d'un aventurier et atterri dans un milieu hostile, humilié et ridiculisé par des Indiens entre deux mondes, tandis qu'il se sent paradoxalement coupable de se comporter avec tant de mauvaise humeur.

    Mais sans être anthropologue, Bernado Carvalho, tout en s'émerveillant de la tendresse et de la tolérance dont les Indiens font montre à l'égard des enfants, s'efforce de comprendre (une admirable volonté d'aller au-delà des clichés paternalistes) et met le doigt sur ce qui provoque l'incompréhension mutuelle entre les deux peuples, Brésiliens et Indiens, sur l'impossibilité pour les Blancs individualistes de s'adapter à la vision indienne des interactions humaines : «Ce n'est pas une relation d'égal à égal, mais d'adoption mutuelle (...) : au village, vous êtes leur enfant ; en ville, ils sont votre enfant. » Mais les Indiens sont aussi des victimes, « les orphelins de la civilisation. Ils sont abandonnés. » - une solitude analogue à celle que l'anthropologue ressentait dans le Xingu et qui rejoint l'analyse de Manoel Perna parlant de Quain et des Indiens Trumaï : « il avait rencontré un peuple dont la culture était la représentation collective du désespoir qu'il vivait lui-même. »

    Les liens entre anthropologie et littérature peuvent se faire ténus (par exemple, on renverra le lecteur à Eden Cannibale de l'anthropologue Alain Testart, dans la veine des grands romans philosophiques, où connaissances scientifiques et fiction font bon ménage), les deux disciplines se donnant pour tâche, en définitive, d'explorer l'humain dans toutes ses dimensions et de débusquer des invariants de notre condition - analogie que l'on trouvera tout au long de ce roman à nul autre pareil, palpitante quête effectuée par un homme qui s'avoue «complètement obsédé », « hypnotisé » par la béance des faits et par l'anthropologue Quain lui-même : le vide qu'il laisse en se suicidant évoque naturellement la vacuité de toute existence. L'architecture romanesque d'abord déroutante remporte rapidement l'adhésion du lecteur, qui est prêt à suivre fidèlement les hypothèses que l'auteur échafaude, les différents niveaux de lecture qu'il impose et ses propres tâtonnements, dans une prose précise et sobre.
    Mais qui possède véritablement les clés ? Le romancier, archéologue de l'âme, ou son personnage, Manoel Perna, dépositaire imaginaire des secrets de Quain ? On penchera pour le second, dont la prose emberlificotée révèle ce que nous nous surprenons aussi à vouloir ardemment saisir : « Nous sommes tous des chiens de bord de route, pris au dépourvu, incapables de comprendre que c'est toujours le mauvais moment pour traverser. »

    B. Longre (août 2005)

    http://www.editions-metailie.com/index.php

     

     

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  • Les malheurs de Rachid

    eldaif.jpgQu'elle aille au diable, Meryl Streep !
    de Rachid Ed-Daïf

    traduit de l'arabe (Liban) par Edgard Weber
    Actes Sud, 2004 / Babel 2010

    D'entrée de jeu, le narrateur nous embobine dans un discours emberlificoté et cocasse, sans jamais, semble-t-il, se départir d'un ton sentencieux qui sert à merveille l'ironie de ce roman. Sans relâche, le narrateur se réfugie dans les mots pour vivre une révolte qu'il n'a pas le courage de transposer en actes, ou pour s'assurer (il ne peut cependant nous tromper longtemps) que son statut d'homme et d'époux ne saurait être remis en question... Son monologue suit une logique qui lui est propre, donne lieu à de nombreuses confusions, et le lecteur, bien vite, se rend compte des contradictions qui régissent l'univers intérieur de Rachid. Faut-il le plaindre ? Le condamner ? Ou plutôt rire de lui ? Assurément, face à la déroutante naïveté de ce narrateur, pathétique macho tiraillé entre tradition et modernité, et face à sa mauvaise foi pathologique.

    Rachid, longtemps célibataire, est enfin marié ; cela fait un mois, mais les malentendus et les querelles se multiplient entre lui et sa femme, cette dernière passant ses soirées et parfois ses nuits chez ses parents, prétextant que ces derniers, eux, possèdent une télévision, de surcroît branchée au câble... Rachid, en époux attentif (en réalité désireux de satisfaire plus souvent ses ardeurs sexuelles), décide d'acquérir lui aussi l'objet du désir, tout en se souvenant des sages paroles de son père, qui disait de la télévision : "un monde qui détruisait l'homme à cause de sa dangereuse, efficace et impressionnante magie", ajoutant : " nous ne sommes plus seuls dans notre maison, nous ne sommes plus des humains à part entière. Nous ne sommes plus que des yeux exorbités et des oreilles dressées."

    En cédant à la modernité et au progrès, Rachid pense pouvoir gagner l'amour de sa femme. Son achat ne change pourtant rien à l'obstination de cette dernière, à qui l'auteur ne laisse pas la parole, sans que cela nous empêche de deviner son désir d'émancipation. La position sociale de Rachid et son honneur de mâle dominant sont irrémédiablement ébranlées quand son épouse le quitte... En mari abusé, humilié, il se lamente et s'apitoie sur le sort qui lui a envoyé une femme qui ne lui convient finalement pas tant que ça, et il continue de se mentir à lui-même et de se protéger derrière son mur de valeurs traditionalistes et un discours que la femme libanaise ne veut de toute évidence plus accepter (" réparer la division homme femme, est un devoir de femme", "j'aime beaucoup aider la femme à sortir de la coquille dans laquelle les coutumes l'ont enfermée. Mais, en même temps, j'aime que la femme conserve un minimum de retenue").

    Dans le même temps, il ne cesse de revenir à ses fantasmes sexuels, ne nous épargnant aucun détail, s'épanchant ouvertement sur la difficulté pour un homme célibataire de trouver des partenaires et de se forger une expérience, tout en rabâchant combien la virginité d'une femme doit être préservée jusqu'au mariage. La Meryl Streep du titre (qu'il a observée, grâce à sa télévision, dans le rôle de l'épouse qui quitte son mari dans Kramer contre Kramer) incarne la femme occidentale, libérée et provocante, et le dilemme de Rachid : une représentation qui l'éblouit ("Meryl Streep est une femme splendide qui me fascine") et le terrifie tout à la fois : "Meryl Streep et ses compatriotes (...) ne se voilent pas et ne voilent rien. Qu'elles aillent au diable ! Elles n'ont rien à voir avec nous."

    Cette fabuleuse étude de mœurs révèle un malaise palpable : celui de l'homme libanais aux prises avec des transformations sociales qu'il est dans l'incapacité de contrôler ou de réprimer ; les modifications des règles des jeux de l'amour et du sexe troublent profondément Rachid et ses interrogations, certes légitimes, de même que ses arguments souvent bancals, dévoilent le mal-être d'une société naturellement mutante et l'existence d'une guerre des sexes qui est loin d'être achevée. Difficile de s'attacher à ce personnage imbu de lui-même et du statut qu'il a reçu en naissant mâle, et sa mauvaise foi, sa lâcheté et son immoralité flagrantes laissent pantois. Mais c'est avant tout son inadaptation aux modifications sociales, sa naïveté maladroite et son discours répétitif, obsessionnel, qui en font un antihéros de choix.

    © B. Longre

    http://www.actes-sud.fr

     

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  • Haïkus au féminin

    haijin.jpgDu rouge aux lèvres
    Haïjins japonaises
    Traduction de Makoto Kemmoku et Dominique Chipot
    (Points, 2010 / La Table Ronde, 2008)

    « kare-kusa no hito omou toki konjiki ni »

    « Quand je pense à mon amour
    les herbes jaunies
    paraissent d'or. »
    (Masajo Suzuli, 1906-2003)

    Même sans forcément maîtriser ses règles exactes de composition (hormis peut-être le rythme syllabique en 5-7-5) nous connaissons tous le haïku, ce court verset qui a rapidement fasciné l'occident (dès le début du XXe siècle), forme poétique maintes fois empruntée aux poètes japonais, où culmine l'art de la densité, de l'immédiateté et de l'impermanence. Cette belle anthologie regroupe les poèmes de plusieurs haïjins, uniquement des femmes, les traductrices ayant constaté que les poétesses ont souvent été oubliées par les traducteurs et les éditeurs français - alors que la littérature japonaise compte nombre d'auteures depuis des siècles, comme la très réputée Murasaki Shibiku (Xe siècle), à laquelle on doit le Dit de Genji, premier roman de la littérature mondiale, comme le rappelle l'introduction (peut-être un peu trop brève à notre goût).
    Ainsi, on découvrira d'abord (et chronologiquement) la poésie de Chigetsu Kawaï (1640-1718), disciple de Basho, l'un des poètes les plus connus, dont elle était très proche. Des haïkus classiques, pour la plupart inspirés par la nature et ses transformations cycliques :

    « En fondant
    la neige
    ravive les pousses. »

    haijin3.jpgViennent ensuite les poétesses les plus célèbres du XVIIIe au XXe siècles, comme Chiyo-ni (qui se concentre sur la nature mais aussi sur les gestes de son quotidien, et à laquelle on doit le titre de ce recueil), Takako Hashimoto (que les Japonais considèrent comme un génie) ou Takajo Mitsuhashi (qui exprime des impressions plus mélancoliques).
    Une bonne partie de l'ouvrage est consacré aux poétesses nées avant la première guerre mondiale, dont Sonoko Nakamura (1913-2001) - ses compositions, sans être morbides, abordent délicatement l'idée de mort, omniprésente, et le caractère éphémère de l'existence :

    « La saison matinale
    des volubilis,
    interminable mort. »

    « Voletant çà et là,
    des lucioles
    ou des âmes vivantes ? »

    Mais les traductrices se sont aussi penchées sur les auteures nées entre les deux guerres (dont plusieurs encore vivantes), telle que Kiyoko Uda (1935-) qui propose des images plus audacieuses où le monde visible permet d'accéder à l'abstraction :

    « Une mouche d'hiver.
    Minuscule zéro
    sur la pierre. »

    « Tourniquets
    qui tournent en rond.
    Poème à forme fixe. »

    Les thèmes abordés peuvent se faire graves, comme dans la brève série de haïkus consacrés aux bombes atomiques, tous écrits par des néophytes, ancrés dans un monde concret de souffrances :

    « J'ai beau les chasser !
    Les mouches reviennent
    maintes fois sur mes plaies »

    « Sous un soleil brûlant
    je ramasse dans un seau
    les os chauds. »

    L'ouvrage s'achève sur des auteures nées entre 1945 (jusqu'aux années 1980), montrant combien cette tradition poétique est loin de tomber en désuétude ; mais l'échantillonnage proposé, même s'il reste très agréable à parcourir, ne permet pas de se faire une idée très précise du style ou des dominantes de chacune. On restera néanmoins sous le charme de quelques strophes, où la nature reste là encore au premier plan, harmonieuse ou discordante, épousant très subtilement, on l'imagine, les sensations et les émotions des poétesses :

    « Bruit de l'eau,
    chant de grillons
    et battements de mon cœur. »
    (Maya Okusaka, 1945 -)

    « Printemps limpide -
    j'entends les nuages
    naître dans le ciel. »
    (Reiko Akezumi,1972 -)

    © B. Longre

    http://www.editionspoints.com/

    http://www.editionslatableronde.fr/

     

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  • Sobriété, rigueur, suspense

    mat.jpgMat de Ronan Bennett
    Traduit de l'anglais par Danielle Mazingarbe, Editions Sonatine, 2009 (titre original, Zugzwang, Bloomsbury)

    St Pétersbourg, 1914. Un tournoi d'échecs international se prépare. Otto Spethmann, un veuf sans histoires, psychanalyste et amateur d'échecs, est interrogé par la police secrète, qui soutient que le docteur et sa fille de dix-huit ans, Catherine, seraient impliqués dans le meurtre d'un jeune poète. Parmi ses patients, Otto compte trois personnages relativement importants : Rozental, champion d'échecs (pressenti comme favori pour le tournoi mais sujet à de profondes angoisses), Gregory Petrov, député bolchevique, défenseur des ouvriers, et Anna Ziatdinov, épuisée par des cauchemars récurrents. Otto, très attiré par elle, lui parle de la visite de la police et la jeune femme tâche de faire intervenir son père, un industriel influent.

    Ainsi débute ce thriller qui n'est pas à proprement parler un roman historique, même si à l'arrière-plan de l'intrigue, se dessine une époque trouble de l'histoire russe ; en contraste avec ses quartiers sordides, la magnificence de la ville est évoquée, un faste qui incarne un impérialisme tremblant sur ses fondations - les attentats, le peuple affamé, les manifestations réprimées dans le sang, les différentes factions politiques (autocrates, anarchistes, bolcheviques, Juifs polonais...). La guerre aussi approche et la révolution est insidieusement en marche, ce dont le narrateur, Otto Spethmann, est convaincu ; pour lui, les puissants sont « en Zugzwang » (terme allemand, signifiant "obligation de jouer", lorsqu'un joueur est contraint de jouer un coup perdant) : « When things reach this pitch, we are all in Zugzwang. Past wrongs will not be forgiven. Rage and numbers will tell. » Les échecs (un jeu « meurtrier ») sont en effet omniprésents : Otto s'efforce de réfléchir en stratège quand la situation paraît inextricable et, en parallèle à l'intrigue, on suit la longue partie qui l'oppose à un ami violoniste, Kopelzon, une partie qui rejoint l'évolution de l'amitié entre les deux hommes. Dans le même temps, plus Otto avance, et quoi qu'il fasse, plus le piège se referme sur lui, un engrenage terrible et peut-être mortel. En définitive, lui qui s'oppose à toute forme de violence devra à son tour tuer un homme, plutôt que de voir des centaines d'autres mourir, et 'idée de libre-arbitre est sans cesse remise en cause : selon le député Petrov, un individu n'a jamais le choix de ses actes.

    mat2.jpgAussi, ce psychanalyste sans allégeances politiques, qui mène une existence paisible, se retrouve aux prises avec des forces d'abord invisibles, en tout cas quasi omnipotentes. Sa situation rappelle immanquablement celle du personnage central de Havoc in its third year, roman précédent de Ronan Bennett, fresque fascinante qui se déroulait dans l'Angleterre des années 1630, période de bouleversements religieux et politiques. Pour Mat, l'auteur a choisi un contexte spatio-temporel bien différent, mais similaire sur de nombreux points (une crise politique, une société sur le point d'exploser) ; les problèmes abordés et le schéma éthique (la façon dont Otto perçoit ces changements mais aussi les actes criminels qui se succèdent) restent en effet semblables, comme les grands thèmes qui traversent le roman : les mécanismes du pouvoir, ses dangers et ses limites, les dérives qui l'accompagnent quand il est entre les mains de fanatiques (antisémites, bolcheviques, tyrans...) ou sous l'influence d'idéologies qui, en dépit de leurs éventuelles qualités premières, mènent à des compromis, à des trahisons et corrompent les individus.

    Otto possède malgré tout un pouvoir sur la psyché, son matériau de travail ; son rôle consiste à décrypter les troubles psychologiques et à appréhender l'esprit humain, sans toutefois être en position de tout saisir : d'abord dans la position du candide qui croit pouvoir se distancer du monde et des troubles du pays, il comprend peu à peu qu'il lui est impossible de conserver une position neutre. Il s'agit donc ici (comme dans Havoc in its third year) du roman d'un homme seul contre tous, héros malgré lui, écartelé entre ses valeurs morales, son honnêteté intellectuelle, sa quête de bonheur privé, et les actes de violence ou les compromis que requiert la situation. Lui aussi est faillible : il tombe amoureux d'une patiente (déontologiquement, une faute) dont il doute parfois de la sincérité et dont on se méfie. De même, on l'accuse de passivité, de s'être assoupi dans son confort bourgeois (la visite de la police secrète est sa première confrontation réelle avec le despotisme), tandis que d'autres Juifs sont des victimes (la menace des pogroms n'est jamais loin) et vivent misérablement en Pologne.

    On apprécie l'écriture sobre, rigoureuse (à l'image du narrateur), le style sans fioritures, la narration linéaire, avant tout au service de l'action et de son inéluctable progression, mais encore le très classique procédé d'ironie dramatique employé par l'auteur, quand Otto reste aveugle face à des événements et des ramifications qui n'échappent pas au lecteur, qui s'identifie malgré tout très vite au personnage malmené par son créateur. Le suspense est amplifié par les multiples rebondissements (les masques tombent successivement, aucun personnage n'étant en réalité celui qu'il donnait l'impression d'être) et par la progressive accélération de l'action. Efficace et savoureux, malgré sa relative complexité, le roman possède d'évidentes résonances contemporaines dans le traitement du fanatisme (politique ou religieux, il mène aux mêmes exactions et actes sacrificiels) et ouvre de multiples pistes de réflexions.

    B. Longre, février 2010

    http://www.sonatine-editions.fr/

    Ronan Bennett

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  • Après Désordres, Laurence Viallet

    couv_quichotte.jpgLaurence Viallet crée les Éditions Laurence Viallet, maison indépendante dont les publications vont s'inscrire dans la lignée de la collection Désordres et s'attacheront "à publier une littérature ambitieuse, à faire circuler des pensées, des formes originales et iconoclastes. Loin du consensus, du divertissement neutre, du produit de consommation courante rapidement oublié, il nous apparaît que la littérature a vocation à semer le désordre partout où l'ordre s'installe." On se réjouit de ce retour dans le paysage littéraire.

    à paraître

    Don Quichotte, de Kathy Acker (18 mars 2010), traduit de l'anglais par L. Viallet.

    Numbers de John Rechy (16 avril 2010)

    http://www.editions-laurence-viallet.com/

     

    Lire aussi, parmi les parutions précédentes

    Yapou, Bétail humain de Shozo Numa (trad. du japonais par Sylvain Cardonnel)

    Chroniques des quais de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

    Au bord du gouffre de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

     

    à propos de Kathy Acker

    (Don Quixote which was a dream, Grandes espérances, La vie enfantine de la Tarentule Noire, Spread Wide, Sang et Stupre au lycée...)

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  • Apocalyptique, métaphysique, subversive

    capturepstubbs.jpgEn ligne, le site de Paul Stubbs, dont la poésie ne se résume pas aux quelques adjectifs ci-dessus, adoptés en guise de titre.

    The Icon Maker, by Paul Stubbbs (Arc Publications, 2008)

    Paul Stubbs's disruptive poems definitely go off every known trodden path: fraught with paradox, saturnian-like reversals, universal questioning about death, decay, doom, cosmic and spiritual disorder, fragmentation of selves and human condition, they generate stunning images that reach heart and mind alike and that are rooted in the metaphysical but also in the concreteness of the flesh; the way the poet spontaneously subverts language triggers a constant enthusing stimulation as the recurrent synctatic ruptures produce an almost unexpected rhythmic fluidity that constantly rings true, vividly spontaneous yet cerebral and never dully trite nor mainstream at all, the least that can be said – a voice whose genuine uniqueness stands out above that of many other living poets, charged with Donnian & visionary Blakian overtones (without mentioning Yeats, Trakl, Holderlin or Milton, among others) and which, as such, will undoubtedly withstand the test of time.

     (B. Longre, sept 2009)

     

    Deathbed vision of Ungaretti

    in the desert: the trinity
    like a mirage of some giant
                                      termite

    (using Adam's lost
    rib as a pincer)

    Writing man's last
    date into the sand.

    © Paul Stubbs.

    Vision d’Ungaretti sur son lit de mort

     

    dans le désert : la trinité,

    pareille au mirage d’un termite

    géant.

     

    (se servant de la côte perdue

     d’Adam comme d’une tenaille)

     

    Inscrivant la dernière date

    de l’homme dans le sable.

    (© traduction : B. Longre)

     

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  • Hommage à la démesure et à l'implacable

    sarahkane5.jpg

    Love me or Kill me
    Sarah Kane et le théâtre
    de Graham Saunders
    traduit de l'anglais par Georges Bas
    (titre original Love me or Kill me : Sarah Kane and the theatre of extremes)
    L'Arche Editeur, 2004

    "Livre pionnier" selon Edward Bond, Love me or Kill me : Sarah Kane et le théâtre (la traduction française n'a pas retenu l'expression "le théâtre des extrêmes", sans raison apparente) retrace le parcours atypique d'une jeune dramaturge qui s'est suicidée en février 1999, en laissant derrière elle cinq pièces qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre et qui forment déjà une œuvre - chose que l'auteur souhaite démontrer dans cet ouvrage passionnant. On est cependant en droit de se demander si l'intérêt que suscite encore Sarah Kane n'est pas dû à sa mort prématurée et aux réactions parfois scandalisées qui avaient pu accueillir ses pièces en Grande-Bretagne ; ou bien si, au contraire, elle fut réellement novatrice et si sa dramaturgie est de l'ordre de la création véritable. Graham Saunders, dans la préface, lance cet avertissement : "dans sa dernière pièce, 4.48 Psychose, la plupart des critiques ne virent guère plus que la version théâtrale d'un billet annonçant un suicide, et l'appréciation des pièces précédentes se fit dans une optique biographique : on tentait de découvrir des liens entre son œuvre et sa vie. Quiconque attendrait de l'ouvrage qui suit une méthodologie analogue risque d'être fort déçu." C'est donc l'œuvre per se que Graham Saunders s'est donné pour tâche d'analyser et d'éclairer, se proposant de livrer quelques clés afin d'y pénétrer et de s'en imprégner. Il est vrai que dans le cas de Sarah Kane, il paraît quasi impossible de ne pas tenir compte de la désespérance individuelle qui rejaillit dans l'œuvre (elle-même disait : "je n'ai jamais écrit que pour échapper à l'enfer - et ça n'a jamais marché."), de sa sombre vision du monde, de son statut d'auteure "torturée", du grand chaos psychique ou extérieur dans lequel nous évoluons et qu'elle recréait dans ses pièces.

    Chacune des cinq pièces est commentée avec soin, dans une approche qui se réfère aux productions et aux réactions de la presse ou du public, mais aussi à la genèse et à l'évolution des textes (que la dramaturge ne cessait de retoucher), à un commentaire serré et rigoureux des thématiques qui traversent ce théâtre, des éléments qui font de cet ouvrage un merveilleux outil d'approfondissement destiné non seulement aux metteurs en scène ou aux comédiens potentiels mais aussi aux spectateurs passés et espérons-le à venir.

    Que trouve-t-on dans les pièces de Sarah Kane qui mérite que l'on s'y attarde ? Un radicalisme (structurel et langagier) proche du nihilisme, une volonté affirmée d'inventer de nouvelles formes éclatées, impossible à ranger dans les petits tiroirs génériques conventionnels ; un déséquilibre désiré, comme dans Anéantis (Blasted), où le désordre structurel de la pièce incarne le désordre engendré par la guerre ; un théâtre où, selon la dramaturge elle-même, "la forme et le fond s'efforcent de ne faire qu'un - la forme, c'est le sens.", mais capable par instants de conserver les unités classiques, qui voleront en éclats dans 4.48 Psychose ; on y trouve aussi des dialogues minimalistes, volontairement épurés, dans lesquels les silences comptent autant que les mots ; puis de moins en moins de caractérisation, les personnages devenant des réceptacles incarnant davantage des états d'âme que des individus fictifs ; des violences et une cruauté mentales et physiques réitérées, une violence aux allures artaudiennes ; enfin, une "théâtralité explosive, le lyrisme, la puissance d'émotion et l'humour glacé" selon le dramaturge David Greig.

    Graham Saunders établit un judicieux parallèle entre Sarah Kane et John Osborne, chef de file des "angry young men", et dont la pièce contestataire Look back in anger (La paix du dimanche) fustigeait l'Establishment dans les années 1950 ("une véritable explosion qui régénéra un théâtre britannique dont l'état avait jusqu'alors été celui d'un déclin distingué") ; et il est vrai que certains critiques ont tenté, début 1995 (quelques semaines après la mort d'Osborne), lors de la création d'Anéantis au Royal Court Theatre, de faire de Sarah Kane l'égérie d'un renouveau théâtral en Grande-Bretagne (marqué entre autres par Shopping and fucking de Mark Ravenhill), d'un mouvement nommé "Cool britannia" ou "New Brutality" - ce que rejetait la dramaturge : "On a estimé qu'Anéantis marquait le début d'un mouvement qualifié de «Brutalité Nouvelle». Ce n'est rien d'autre qu'une étiquette utilisée par les médias pour désigner certaines choses qui pourraient se produire dans une pièce particulière. En fait ça ne sert pas à grand-chose. (...) Je ne me considère pas comme relevant d'une Brutalité Nouvelle."

    Quoi qu'il en soit, l'analogie entre les effets qu'eut le théâtre d'Osborne (puis d'Arden et de Wesker), et ceux du théâtre de Sarah Kane permet de rattacher ce dernier à l'histoire du théâtre britannique, à l'histoire du théâtre tout court et à la littérature en général ; car les pièces de Kane sont pétries d'intertextualité et ces influences diverses et éclectiques se conjuguent formidablement : les textes et les créations d'Ibsen, Shakespeare, Beckett, Pinter, Brecht, Camus, Kafka, Orwell, Büchner, Strindberg, Crimp, Sénèque, Fassbinder, TS Eliott, etc. etc. résonnent à travers ses pièces, même si elles obéissent d'abord aux règles ultra-personnelles que l'auteure a développées. C'est ainsi que dans 4.48 Psychose, la dramaturge supprime toute didascalie, tout personnage à proprement parler, ne nous laissant que des voix mêlées, comme pour marquer l'irruption d'une fusion entre la vie et le rêve, le réel et le cauchemar, l'extérieur et l'intérieur, la matière et l'âme, créant ainsi un flottement indéfinissable de "discours" qui n'en forment, en définitive, qu'un seul.

    Le théâtre de Kane est un théâtre du bouleversement, un théâtre expérimental et extrême, mais pourtant abouti, dans lequel la violence et la provocation démesurée ne sont jamais gratuites, et répondent à un besoin vital de transmettre une vision bouleversante du monde ; l'écriture y est peut-être thérapeutique, un formidable exutoire pour qui la compose, mais, comme nous l'avons déjà précisé, il est nécessaire d'aller au-delà des tentations biographiques ; ce que fait Graham Saunders en explorant les thèmes de ce théâtre et les procédés dramaturgiques : rejet du réalisme, humour noir, caractère éphémère de la représentation, souci de créer un langage théâtral "capable de susciter une forte réaction affective et intellectuelle (...) Même si de telles réactions provoquent inconfort et douleur" ; le caractère viscéral et physique de ce théâtre (qui le rapproche du Théâtre de la cruauté ou du Théâtre de la catastrophe de Howard Barker) à l'opposé du théâtre "psychologique" classique ; pour l'auteur : "la vision de Kane, comme celle de ses prédécesseurs de la Renaissance, est elle aussi dépourvue de compromis. Pour elle, la tragédie est une situation où l'auteur, l'acteur et le public « descendent en enfer dans leur imagination afin de ne pas avoir à y aller dans la réalité. » (...) Et le théâtre de Kane semble lui aussi faire sienne la conviction que des actions extrêmes et brutales peuvent servir à susciter, chez ses spectateurs, une révélation ou un changement."... On est bien là dans le domaine de la catharsis. D'autres thématiques sont analysées : l'amour, la tendresse et l'espoir sont sans cesse juxtaposés à la violence, l'exploration des relations entre les êtres (Kane refusant le manichéisme d'un "monde comme se divisant entre les hommes et femmes, les oppresseurs et les victimes.")

    Cet ouvrage essentiel pour qui s'intéresse un tant soit peu au théâtre contemporain mais aussi à l'intertextualité en général comprend une deuxième partie, composée des entretiens réalisés par Graham Saunders, qu'il retranscrit de façon brute, sans commentaire aucun, laissant à chacun le soin de se faire une opinion ; il a rencontré plusieurs personnes qui, à un moment ou un autre, se sont retrouvés au cœur des créations de Sarah Kane, ou en contact avec elle : les metteurs en scène James MacDonald et Vicky Featherstone, Nils Tabert, qui a collaboré aux traductions en allemand des pièces de Kane, la dramaturge Phyllis Nagy, son agente, Mel Kenyon, et les comédiens Kate Ashfield, Daniel Evans et Stuart McQuarrie. Une œuvre à laquelle Edward Bond ("l'un des tout premiers commentateurs de l'œuvre de Kane et l'un des plus perspicaces") rend aussi hommage en fin d'ouvrage : "il existe deux types de dramaturges. Ceux du premier type s'amusent à des jeux théâtraux avec la réalité. Les dramaturges du second type changent la réalité. (...) L'œuvre dramatique du second type affronte le stade ultime de l'expérience humaine pour que nous puissions tenter de comprendre ce que sont les humains et comment ils créent leur humanité. (...) Sarah Kane était une dramaturge du second type. C'est l'affrontement de l'implacable qui a créé ses pièces."

    À leur tour, les pièces et leurs mises en scène devraient influer sur d'autres œuvres en devenir ; pour Graham Saunders, le théâtre hanté, rageur mais généreux et lucide de Sarah Kane ne peut sombrer dans l'oubli ; comme Look back in anger, en son temps, cette œuvre fulgurante est cependant vouée à ne pas disparaître, en témoignent les nombreuses traductions (en allemand et en français, entre autres) et les mises en scène passées et à venir. Un ouvrage critique approfondi, le tout premier à analyser l'œuvre d'une dramaturge partie trop tôt.

     © B. Longre (article paru en 2004 dans Sitartmag).

    http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Sarah-Kane/

    http://www.arche-editeur.com

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  • Si j'ai une âme

     

    vpeyrel3.jpgSi j'ai une âme

    De Vincent Peyrel

    Dessin à la pierre noire d'Ernest Pignon-Ernest, Editions de L'Amourier

     

    Inhumaine humanité

    « Il n'existe pas de phénomènes moraux, mais seulement une interprétation morale des phénomènes. » Nietzsche.


    « Je m'appelle Hans. Je m'appelais Hans. Déjà. Le 7 novembre 1919. J'ai rencontré Frédéric à la gare de Hanovre. Il faisait froid. »

    « Les flics sont venus le 23 juin 1924. Frédéric n'était pas là. Le piano ne jouait pas depuis quelques jours. Je dormais. Encore. »

    Si j'ai une âme pourrait être contenu dans ces deux déclarations, qui ponctuent le récit de temps à autre, à la manière d'un refrain lancinant qui semble aider Hans, le narrateur, à garder un point d'ancrage dans le réel ou à reprendre le fil de son monologue. Entre ces deux dates, l'histoire d'un couple atypique : un tout jeune homme et un homme mûr ; le premier, très beau, le second, beaucoup moins. Hans, débrouillard, fugueur depuis quelques années déjà quand il rencontre Frédéric, après avoir survécu seul, au jour le jour, vendant son corps à des dizaines d'hommes croisés au hasard des gares, pour l'argent mais aussi par goût, parce qu'il a « presque toujours envie de baiser. Avec n'importe qui. » La relation de Hans et Frédéric n'a rien à voir avec l'amour, tel qu'on l'entend communément, ni avec une quelconque forme de bonheur, mais avec cet homme, Hans sait qu'il est « à sa place » ; « On ne cherche pas le bonheur, ni la vérité », dit un jour Frédéric, « on veut l'attention, le contact, la chaleur et le goût des autres », ajoute-t-il. Frédéric est respecté, intelligent, plutôt cultivé, peut-être informateur pour la police, au-dessus de tout soupçon, même s'il ramène régulièrement chez lui de jeunes garçons qu'il tue, découpe, cuisine et mange, en fin gastronome, et dont il vend quelques morceaux - à une époque où le marché noir est en pleine expansion. Hans le découvre peu à peu, mais reste avec lui, comprenant que « Manger. Tuer.» sont des actes auxquels il prend goût, lui aussi.

    Le long monologue (qui n'est pas à proprement parler une confession) de Hans, enfermé dans une cellule dans l'attente de l'issue de son procès, se construit autour de quelques motifs récurrents, ressassés jusqu'à l'obsession avec une apparente froideur qui épouse la posture mentale du narrateur, capable d'objectiver et de se détacher du réel ; il évolue dans une sorte d'état d'indifférence au monde, derrière laquelle se devine la frénésie sexuelle - comme si cet acte seul pouvait l'animer, l'humaniser ; c'est avec Frédéric qu'il « se sent » à nouveau, qu'il se trouve et s'habitue à une vie stable, qu'il se retrouve aussi dans sa chair - dans le mélange des corps et de la viande qu'ils partagent, même s'il reconnaît, sans pourtant exprimer de regrets, qu'il n'aimait pas vraiment tuer, que c'était « douloureux », « un peu comme si je me tuais moi-même. » et peu à peu, il s'autorise des pensées qui ne lui auraient pas traversé l'esprit quelques mois plut tôt.

    Si j'ai une âme n'a rien d'un exutoire complaisant ni d'un épanchement gratuit : toute parole y est mesurée, parfois hésitante, posée avec sobriété, même les séquences les plus crues ou les plus sanglantes. Dans une écriture saccadée, qui avance par à-coups, Hans passe très vite sur l'enfance, retraçant quelques épisodes de sa courte vie dans un ordre aléatoire, ses errances et rencontres furtives dans les toilettes des gares, puis la vie à deux, les nombreux clients et leurs désirs pervers dont il se moque, ses meurtres (seulement trois) et ceux de Frédéric, leur anthropophagie naturelle et leurs fantasmes de dévoration, qu'ils prennent au mot. Un monologue entrecoupé de quelques saynètes dialoguées - des interludes théâtraux qui nous placent en voyeurs de l'intimité du couple, entre la logorrhée de Frédéric et les nombreux silences de Hans, à l'écoute des mots de son amant, sauf lorsque la parole se délie avec le vin

    Exhumant de l'oubli le « boucher de Hanovre » (Fritz Haarmann, 1879-1925), l'auteur s'en est emparé pour construire un récit ambivalent, par instants glaçant, mais qui n'appelle aucun jugement moral - surtout pas : au lecteur de le recevoir sans se voiler la face, d'écouter le narrateur tel qu'il se livre, de ne pas voir en lui le « monstre » à montrer du doigt... car l'humanité est là, au cœur des mots, au-delà des actes inhumains qui, paradoxalement, montrent à quel point Hans n'est qu'un humain, faillible, fragile et fluctuant - aussi fluctuant que la "morale". On perçoit aussi ses tentatives pour éprouver des sentiments et donner un sens, même infime, au monde et à son existence ; on entend sa solitude extrême, celle d'un esprit prompt à se détacher des autres (« je ne suis pas comme eux »), martelant sa différence et affirmant par-là même son individualité, en réaction à la société peu reluisante dans laquelle il vit, contre son gré.

    Happé par ce récit tortueux mais limpide, le lecteur se fraye un chemin dans les pensées de Hans, entre fascination, répulsion et compassion, tâchant de saisir l'essence de ce narrateur qui fait, quoi qu'on en dise, figure de victime sacrificielle ; son témoignage déplace le concept de «normalité» et affirme la relativité du bien et du mal, des notions qui n'apparaissent ici que comme de pures constructions sociales :« Je ne comprends toujours pas ce qui autorise quelqu'un à définir ce que l'on aime appeler le mal », dit Hans, dont les paroles dénoncent indirectement la société hypocrite et bien-pensante, garante de l'ordre moral, qui dissimule ses propres crimes en en dévoilant d'autres... éliminant les gêneurs et choisissant soigneusement ses boucs émissaires. « Un tribunal qui condamne quelqu'un à mort tue aussi. », constate le garçon, qui refuse d'être asservi à un monde qui l'a tué à la naissance, aspirant à une liberté qu'on lui refuse, dans une société qui, finalement, n'a que les "monstres" qu'elle mérite et qui lui ressemblent.

    © Blandine Longre

     

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  • Farce tragique et totalitarismes

    manea.jpgLes clowns : le dictateur et l'artiste, traduit du roumain par Marily Le Nir et Odile Serre, Le Seuil, 2009.

    L'enveloppe noire, traduit du roumain par Marily Le Nir, Le Seuil, « Fictions & Cie », 2009

    De Norman Manea

    Par Jean-Pierre Longre

    Les deux ouvrages de Norman Manea parus au Seuil en octobre 2009 peuvent se lire simultanément, en alternance, l'un après l'autre, selon l'humeur... L'un est un recueil d'essais qui, s'appuyant sur l'histoire récente de la Roumanie, aide à méditer non seulement sur le communisme et ses déviances (la dictature, le nationalisme), mais aussi sur des sujets plus généraux tels que les rapports de l'art avec le politique, la censure, l'ambiguïté des relations internationales, l'antisémitisme, le monde d'aujourd'hui et son « hystérie carnavalesque »... L'autre est un roman où l'étrange (des personnages et de leurs destinées) le dispute au réalisme (de la toile de fond, des situations), où l'imaginaire prend corps sur la cruelle absurdité des régimes dictatoriaux (des années 1940 et des années 1980).

    Les clowns : le dictateur et l'artiste répond, selon l'auteur, à une urgence : celles de « décrire la vie sous la dictature roumaine » et d'en « tirer enseignement », notamment en ce qui concerne « la relation entre l'écrivain, l'idéologie et la société totalitaire ». Chaque texte vise ainsi à peindre la tyrannie (sous un jour tragique ou comique, burlesque ou insupportable), et à en tirer des réflexions qui se fondent sur l'expérience personnelle. Car Norman Manea a vécu, comme un certain nombre d'autres, le triple drame du siècle : « l'Holocauste, le totalitarisme, l'exil » ; son mérite exceptionnel est de ne jamais prendre la posture de la victime, de se donner suffisamment de recul pour analyser avec lucidité et vigueur, d'une plume implacable, parfois violente, voire sarcastique, les débats, les aberrations, les contradictions, les ridicules, les abus de la grotesque dictature de Ceauşescu. Sans négliger les échos et comparaisons (nazisme et communisme, Hitler et Staline), Norma Manea met en avant les spécificités roumaines des années 1980 - la volonté de cacher la diversité sous les proclamations nationalistes, les subtilités de la censure, la récupération des positions nationalistes de Mircea Eliade, l'antisémitisme, les rapports avec (et de) la Securitate, les hypocrisies (et les révoltes plus ou moins larvées) du monde intellectuel... Tout cela mis en perspective, selon le « mouvement simultané en avant - en arrière » qu'il revendique en tête de son essai sur le Journal de Mihail Sebastian. « Les fondements de l'avenir tiennent à la qualité et à la probité de l'appréhension du passé » : la dernière phrase est une belle synthèse de ce qui est mis en œuvre tout au long du livre.

    L'enveloppe noire est, dans le domaine de la fiction, une sorte de caisse de résonance artistique des Clowns, dont l'un des chapitres relate d'ailleurs l'histoire de la difficile publication du roman, soumis à l'approbation pleine d'embûches du « Conseil de la Culture et de l'Éducation Socialistes - Service Lecture » (disons : la Censure) ; et ce n'est pas un hasard si, quelques mois après sa parution, en 1986, Norman Manea quittait la Roumanie.

    Dans le roman, Anatol Dominic Vancea Voinov, dit plus simplement Tolia, a été privé de son poste de professeur pour se retrouver réceptionniste à l'hôtel TRANZIT ; confronté aux vicissitudes de la vie quotidienne sous la dictature et aux soubresauts de sa propre personnalité, il est en même temps en proie aux souvenirs et à la quête des circonstances de la mort de son père, « suicidé ou trucidé » sous une autre dictature, celle des années 1940 - et cela jusqu'à l'irruption du rêve dans les souvenirs et dans la vie, jusqu'à la folie. L'enveloppe noire  est certes le roman d'un individu qui bute sur « les arêtes du concret », mais aussi celui d'une société, des relations humaines, et de l'histoire d'un demi-siècle ; le roman des destins individuels et de la destinée collective. On y assiste à la mise en scène, en instantanés tragi-comiques, des absurdités d'un système où « les poursuivants sont à leur tour poursuivis, la suspicion, la peur stimulent et font dévier leurs propres ondes », où « tout se dilate, glisse, s'effiloche », où le mieux considéré est, par exemple, « Toma, le sourd-muet exemplaire ! Qui voit tout, sait tout, est informé de tout, mais n'en parle qu'à qui de droit, quand il le faut ». Spectacle plein d'échos (dont celui de la fameuse pièce de Ion Luca Caragiale La lettre volée), écriture foisonnante et débordante, humour salutaire et absurde abyssal... Le roman de Norman Manea est une porte ouverte sur un hors-scène infini, « un vide grandiose » dont il est difficile de sortir indemne.

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  • Brian Evenson (lecture obligatoire)

    wavering_knife.jpgA l’occasion de la sortie de Père des Mensonges (Cherche-midi, Lot 49, traduit de l'anglais par Héloïse Esquié) de Brian Evenson, voici une présentation et un entretien originellement parus dans Le Magazine des Livres du mois de novembre 2009, à découvrir sur le blog de Bartleby.

    "La trajectoire de Brian Evenson est si étrange qu’elle pourrait être celle d’un personnage de fiction. Né en 1966 dans une famille mormone depuis six générations, Brian Evenson fut lui-même prêtre et enseigna à l’Université mormone de Brigham Young jusqu’à la parution, en 1996, de son premier recueil de nouvelles Altmann’s Tongue qui provoqua la colère des hautes autorités de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Brian Evenson est menacé d’excommunication et subit de telles pressions qu’il est contraint de quitter l’Eglise, l’Université et de rompre avec sa famille. Le prêtre mormon est mort, l’écrivain est né. La reconnaissance de son talent est immédiate. Les critiques sont élogieuses." (Bartleby)
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  • Lectures vampiriques...

    Quelques suggestions et autres variations draculéennes, des classiques aux plus récentes.

     

    a5709af3c0dbe70d01da0807aba1fb24.jpgCarmilla de Sheridan Le Fanu Zulma Classics, 2005

    La fiancée de Vlad

    Que les amateurs se réjouissent : ce roman atypique aurait été une source d'inspiration non négligeable pour Bram Stoker ; publié en 1872, bien avant le (presque trop) célèbre Dracula (1897), Carmilla est l'une des premières histoires de vampires de la littérature anglophone et met en scène une femme redoutable (désignée comme « oupire ») ouvertement attirée par les jeunes filles ; un saphisme cannibale évoqué avec finesse et qui confère à ce roman (ou longue nouvelle) une touche érotique résolument subversive, la narratrice étant une jeune fille assez candide, justement, sur laquelle Carmilla a jeté son dévolu. Récit rétrospectif - et subjectif -, aux fonctions thérapeutiques évidentes, Carmilla est une curiosité littéraire raffinée et brutale tout à la fois, dont l’atmosphère en huis clos renvoie, par instants, au roman d’Henry James Le tour d’écrou. B.L. (août 2005)

    Le roman est paru en français en 1996 chez Actes Sud / Babel (traduction de Girard Gaïd) et en 2004 en Livre de Poche (traduction de Jacques Papy)

     

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    L'historienne et drakula d’Elizabeth Kostova (trad. de l'anglais Evelyne Jouve, éditions XO, 2006 - parution en poche : Pocket, octobre 2007) (titre original : The Historian - Little, Brown, 2005)

    Variations draculéennes

    Plus de cinq siècles après sa mort, Vlad Tepes frappe encore : cette fois par l’intermédiaire d’Elizabeth Kostova, dont le volumineux premier roman renouvelle intelligemment le folklore qui entoure l’ombre sinistre de Dracula (littéralement « le fils du dragon ») – depuis que Bram Stoker a vulgarisé le mythe du vampire, comme certains de ses prédécesseurs (dont Sheridan Le Fanu avec Carmilla). D’emblée, il est clairement énoncé qu’en dépit de sa cruauté, Vlad Tepes n'a pas été soupçonné de vampirisme de son vivant – c’est Bram Stoker qui popularisa cette association en recourrant à des légendes, plus tard (sur-)exploitée par le cinéma ou la littérature gothique (en particulier les romans d’Ann Rice).

    c94570f4f2482f50d23e388d83a85610.jpgThe Historian est une palpitante chasse au vampire étalée sur plusieurs décennies, orchestrée par des personnages dont le sort est fatalement lié à l'emprise de Dracula sur leurs existences (tout part d’un livre aux pages vierges, orné d’un dragon en son centre) ; il s'oppose cependant à cet être évanescent qui semble se jouer d’eux, tout en les attirant à lui, pour d’obscurs motifs. Le premier d’entre eux, le professeur Rossi, l’affirme : Dracula est bien vivant… Ce terrible secret, il le transmet, quelques instants avant de disparaître, à l’un de ses étudiants, Paul, qui lui-même le lèguera plus tard à sa fille – la narratrice du récit principal. La complexité de ces parcours entrelacés et des récits juxtaposés (auxquels s'ajoutent archives, lettres et témoignages d'un autre temps) témoigne d’une excellente maîtrise narrative ; véritable « page-turner », ainsi que l’écrivent les anglophones, ce roman possède une intrigue subtile et exploite agréablement les données historiques, tout en y mêlant des faits imaginaires.

    A plusieurs années d’écart les uns des autres, de bibliothèques en monastères, d’hypothèses en trouvailles, des Etats-Unis à Oxford, d’Istanbul à la Hongrie, les personnages apportent leur contribution à la quête et progressent dans leur invraisemblable investigation, parsemée de fausses pistes et de présages, d’apparitions ou d’amicales rencontres, d’inquiétants bibliothécaires et d’agents communistes peu affables (ou encore de personnages ambigus, que l’on apprend à reconnaître à leurs traits tirés et à leurs lèvres rouge sang…). Mais le roman d’Elizabeth Kostova, même s’il en comporte quelques caractéristiques génériques, n’est pas seulement un roman gothique : fresque familiale et quête historique, The Historian est une relecture qui s’efforce de reconstruire les origines – sinon les raisons - de la légende et de sa propagation, en particulier à travers l’Europe de l’Est. Plus spécifiquement, la romancière s’attaque à des domaines rarement explorés (après quelques années de recherches), à savoir les liens entre Vlad L’Empaleur et l’Empire Ottoman, une manière d’exposer ses propres vues sur l’Histoire, sa signification et sa fonction.
    Le récit est un hommage ardent au roman de Stoker sans pour autant en être une pâle copie ou un « remake » contemporain : en réinventant un Dracula particulièrement érudit, assoiffé de savoir, Elizabeth Kostova mène son lecteur en terra incognita, et fait preuve d’un admirable talent de conteuse – et d’historienne – multipliant les mises en abîmes, créant une vaste spirale temporelle qui englobe peu à peu l’ensemble des personnages, tout en dégageant, à travers de perpétuelles répétitions, une certaine idée de l’Histoire en tant que discipline essentielle à l’appréhension du temps présent. Blandine Longre (août 2005)

     

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    Une histoire sans nom de Sarah K. (Hachette jeunesse, 2006)

    813bbfe87a0727ac3d9e738f07845d2e.jpgLe dernier roman de de Sarah K  s’inspire très librement d’une nouvelle fantastique de Barbey D’Aurevilly, transposée à notre époque. Et pourtant, on a d’emblée l’impression d’être transporté dans un univers hors du temps, dans la sinistre maison que la jeune Aurore, pensionnaire à Reims, retrouve lors des Fêtes de Noël. Il y a là sa mère, une veuve murée dans sa dignité, autoritaire et rétrograde, et une vieille servante, Agathe, qui fait de son mieux pour égayer la vie de la jeune fille. Un prêtre étranger est invité à séjourner chez ces trois femmes, le temps des vacances ; il se montre énigmatique, presque séduisant, et tient des propos qui choquent la mère d’Aurore. Mais ce n’est qu’après son départ qu’Aurore semble perdre toute vitalité ; elle s’affaiblit de semaine en semaine et seule la fidèle Agathe paraît s’en inquiéter…
    L’atmosphère, oppressante à souhait, et les forces sinistres qui pèsent sur la jeune Aurore inquiètent le lecteur, pourtant partagé entre rationalité et fantastique : histoire de vampire ou simple affaire de mœurs ? Et plus que le personnage du prêtre, c’est sans doute la mère de la jeune fille qui terrifie dans ce conte cruel – dont le dénouement reste étonnant et agréablement ambivalent. A déguster un soir d’hiver... B. Longre (octobre 2006)

    De Sarah K. on conseille aussi la lecture de Disparus (Grasset jeunesse, 2006), dont Catherine Gentile fait la chronique.

     

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    V-Virus de Scott Westerfeld (traduit de l’anglais par Guillaume Fournier - Milan, Macadam, 2007)

    V. comme… vampire

    Originaire du Texas, venu faire des études de biologie à New York, Cal est un jeune homme tout ce qu’il y a de plus banal –– en apparence. Personne ne se doute qu’il appartient, depuis quelques mois, à une organisation secrète surnommée la Garde de Nuit, ayant pour mission de pourchasser des créatures sanguinaires, victimes d’un virus qui existe depuis la nuit des temps, afin de les contenir – à défaut de pouvoir les guérir : des peeps (abréviation de « positifs au parasite »). Un virus appelé très simplement « le parasite », qui modifie durablement le métabolisme de celui qui le porte et lui donne des pouvoirs qui le rapprochent de la bête et l’écartent du reste de l’humanité. Un virus qui se transmet par morsure ou par voie sexuelle, et dont Cal a lui aussi été victime, lors d’une rencontre sans lendemain avec la belle Morgane – à la différence que Cal est un porteur sain : « je suis partiellement immunisé – l’heureux gagnant de la loterie génétique », nous dit-il ; il peut donc transmettre le parasite sans en subir toutes les conséquences, et vivre à peu près normalement… à condition de se priver de toute vie amoureuse (il a déjà contaminé, sans le savoir, quelques conquêtes) et de nourrir son parasite en engloutissant de la viande plusieurs fois par jour.
    Rapidement repéré par la Garde de Nuit qui l’a informé de son état (et de celui de ses ex-petites copines…) et recruté dans ses rangs, Cal a suivi des cours intensifs en parasitologie et a appris à pourchasser les peeps, monstres cannibales terrorisés par la lumière et victimes du processus d’abomination (qui les incite à prendre en horreur tout ce qu’ils aimaient avant d’avoir été infectés). Il recherche à présent sa « génitrice » (plus exactement celle qui lui a transmis son parasite), Morgane, dont il ne sait presque rien… mais ce qu’il va découvrir va bientôt ébranler ses convictions.

    d113341dd6e32a039d74ee81de06af1c.jpgUne quête, un jeune héros solitaire hybride, en lutte permanente contre un ennemi intérieur (qui aimerait voir son hôte propager le virus…) et doté de sens ultradéveloppés, des adversaires visibles ou non (dont certains encore inconnus), une alliée à venir, au caractère bien trempé, (Lacey, étudiante en journalisme malencontreusement impliquée), une histoire d’amour et de pulsions réprimées (jusqu’à un certain point), des créatures cruelles mais pathétiques et désemparées, des chats et, surtout, des rats par milliers… Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce roman une aventure urbaine à l’intrigue palpitante, un thriller d’anticipation ambivalent qui plonge le lecteur dans un univers cohérent de bout en bout, et si proche de notre réalité que l’on serait tenté d’y croire.

    Mais l’auteur est aussi parvenu à exploiter avec originalité le mythe du vampire en apportant une explication scientifique très vraisemblable aux légendes véhiculées depuis des siècles aux quatre coins du monde, explication qui lèverait le voile sur bien des incidents (la chasse aux sorcière, la lycanthropie, certaines idées reçues généralement associées au vampirisme…). Le tout est ainsi ancré dans une démarche rationnelle ingénieusement incorporée à la trame centrale, par le biais de courts chapitres pairs construits comme des leçons d’histoire naturelle mettant en scène des parasites divers et variés… des plus inoffensifs aux plus terrifiants, des plus utiles au plus retors (toxoplasmes, wolbachias, et autres Cochliomyia hominivorax…), qui tous ont en tête la survie de leur espèce. Loin d’être rébarbatifs, ces interludes (!) concoctés par Cal (au ton faussement badin…) donnent à voir tout un monde microscopique dont on n’a généralement pas conscience et interrogent très intelligemment la notion de libre-arbitre. Incontournable, V-Virus s’achève sur un épilogue très satisfaisant qui laisse toutefois deviner que l’auteur prépare une suite… Blandine Longre (mai 2007)

     

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    Dracula’s guest and other weird stories de Bram Stoker (introduction de Kate Hebblethwaite - Penguin Classics, 2006)

    Transgressions

    Le Dracula de Stoker a laissé dans l’ombre les autres écrits de l’écrivain, pourtant prolifique ; cet ouvrage érudit permet de les découvrir, tout en incitant à mieux comprendre les diverses évolutions du mythe vampirique ainsi que tout un pan de la veine « gothique », à laquelle appartiennent entre autres Sheridan Le Fanu ou Ann Radcliffe, et qui continue d'inspirer nombre d'écrivains. Stoker lui-même était un homme énigmatique (sa discrétion a suscité nombre de conjectures sur sa vie sexuelle) et on a souvent eu tendance à émettre des hypothèses biographiques à l’aune de son œuvre. Il est vrai que Dracula (« le texte freudien par excellence » selon un critique) est révélateur de désirs refoulés et de préoccupations d’ordre pulsionnel, mais il faut aussi savoir étudier les écrits en tant que tels, comme le rappelle Kate Hebblethwaite dans son excellente introduction.

    Le premier des récits, Dracula’s guest, a parfois été considéré comme un fragment qui aurait pu être le premier chapitre original de Dracula ; l’histoire de ce voyageur anglais qui se retrouve seul dans un village abandonné des Carpates a en effet des points communs avec le roman, et tout se prête évidemment à une étude comparative – l’atmosphère sinistre de l’aventure, les éléments surnaturels, la présence d’une créature tapie dans l’ombre, les effets « spéciaux »…

    960521104040b17bc19f61e9d8ae9e0f.jpgLe surnaturel réapparaît dans chacun des récits suivants, plus ou moins cruels et toujours ambigus. The Squaw relate la vengeance d’une chatte dont le petit vient d’être tué par un grossier personnage, un Américain qui visite la forteresse de Nuremberg en compagnie d’un jeune couple d’Anglais. La tour des tortures, la tradition de la « vierge de fer » (un engin diabolique), l’émotivité de la jeune femme et la farouche détermination de l’animal tendent vers une inéluctable tragédie dont le lecteur devine le dénouement, sans pourtant pouvoir lâcher le livre… Tout comme dans The Secret of the Growing Gold, où un autre assassin est poursuivi sans relâche par sa victime. Le destin est parfois moins terrible et l’on peut aussi lui forcer la main, comme dans A Gipsy Prophecy.

    La transgression est au cœur de ces récits, qui posent en creux la notion de limite ; les frontières entre la vie et la mort, entre l’animalité et l’humanité, entre le réel et l’imaginaire sont allègrement franchies. Même si les intrigues ne sont jamais novatrices, c’est dans l’évolution du suspense et dans l’habileté à créer des atmosphères et des tensions que l’auteur excelle. Ces « contes de l’étrange » décrivent un univers où l’horreur côtoie le quotidien, où le monstrueux l’emporte sur les sentiments et où le macabre et le mortifère règnent en maîtres. Un pur régal. Blandine Longre (février 2007)

    La traduction de ces nouvelles ou courts romans se trouve dans le recueil Œuvres publié chez Omnibus (Edition établie par Alain Pozzuoli et Jean-Pierre Krémer.)

     

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    6b8996f13b389c925fcd10c58ca65b96.jpgFascination, Tentation, Hésitation de Stephenie Meyer (Hachette roman jeunesse, collection Black Moon, traduit de l’anglais par Luc Rigoureau)

     

    Tout commence le jour où Isabella rencontre Edward, un jeune homme troublé par la présence de la jeune fille, au point qu'il la repousse, apparemment sans raison. On comprend assez vite que le garçon est un vampire, et que pour la première fois de sa longue existence, il est en train de tomber amoureux. Le traitement vampirique s'écarte là encore des stéréotypes habituels et l'auteure a su créer un univers singulier dans lequel le lecteur est entraîné malgré lui, si bien que fantastique et réel se côtoient de manière très cohérente – une belle alchimie romanesque. (B. L.)

     

    à lire également : 

    Sanguine
    de Cynthia Leitich Smith, traduction Blandine Longre
    Editions Intervista, 2009

     

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    Je découvre un blog qui parle des vampires sous toutes leurs formes... en particulier littéraires, et qui propose quelques articles intéressants.

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  • Suite au billet précédent...

    J'ai reçu hier soir une réponse fort courtoise d'Emmanuelle Heurtebize, directrice éditoriale des éditions 10-18, qui s'excuse de son silence (suite à un premier message de ma part envoyé en janvier) et de ce "dérapage incontrôlé " qui n'est pas dans les habitudes de la maison. Elle s'engage à corriger cette 4e de couv lors de la prochaine réimpression de l'ouvrage - nouvelle 4e de couv en ligne dès aujourd'hui ; en outre, elle m'a proposé d'ajouter un extrait de mon article assorti de la source. Je me réjouis de cette saine résolution de l'affaire, et remercie l'éditrice d'avoir réagi, même tardivement.

    Je remercie aussi tous ceux qui m'ont apporté leur soutien et me l'ont fait savoir, soit dans les commentaires de ce blog, soit par mail, soit sur Facebook, et tout particulièrement Grégoire Leménager pour son éclairant papier sur Bibliobs (ce dernier,  contacté hier après-midi, m'avait devancée).

    Je n'oublie par Gilda pour son billet d'hier et Pascale pour son billet d'humeur, indirectement lié au débat, et qui revient sur l'idée parfois pernicieuse de gratuité. Mes divers articles paraissent soit sur l'internet, soit dans des revues papier, mais j'ai conscience qu'il est plus simple (et tentant ?) de faire un copié-collé que de reproduire un article papier - il n'empêche que la pratique est répandue dans les deux cas (et je ne parle pas des journalistes et critiques qui se contentent de paraphraser 4e de couv. ou argumentaires presse, phénomène inverse et lui aussi fort répandu) et qu'il est nécessaire de faire preuve de vigilance face à ces dérives.

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  • Plagiaires anonymes

    Je ne sais qui est chargé d'imaginer les 4e de couverture chez 10-18... en revanche, je sais exactement d'où vient celle de Doppler, d'Erlend Loe, roman d'abord paru aux éditions Gaïa en 2006 (traduction J.-B. Coursaud). Je ne vais pas épiloguer, mais vu que la pratique ne semble pas gêner l'éditeur (que j'ai évidemment contacté mais qui n'a pas daigné me répondre), autant en faire profiter le plus grand nombre – qui sait, cette façon de faire pourrait peut-être encourager d'autres maisons d'édition en panne d'inspiration à procéder de même. En attendant, je vous laisse juges.

    La 4e de couv (qui, décidément, est bien rédigée, même si elle manque légèrement d'étoffe à mon goût...)

    "Qui est réellement ce Doppler ? Un irrécupérable ahuri ? Un asocial invétéré ? Ou un sage, qui a bien raison de fuir travail, épouse, enfants et d'aller trouver refuge dans la forêt proche d'Oslo ? Après un vol plané lors d’une promenade à vélo, le monde de ce brave père de famille de la middle class norvégienne bascule. Physiquement, tout va bien, mais mentalement, c’est une révélation : Doppler veut rompre avec la civilisation. Il décide d’aller vivre dans les bois et érige un système de valeurs dont le premier commandement est le suivant : fuir l’application humaine. Aussi, quand son épouse lui impose la garde partagée de leur fils, comment va-t-il bien pouvoir réagir ?"

    1834871177.jpgExtrait d'un article paru en 2006 dans Sitartmag (remis en ligne depuis peu, à l'occasion de la parution du roman en 10-18... on appréciera l'ironie de la chose).

    Qui est réellement ce Doppler qui donne son nom au quatrième roman d’Erlend Loe publié en français et qui, soit dit en passant, nous fait tant rire ? Un irrécupérable ahuri ? Un asocial invétéré ? Ou tout simplement un sage, qui a bien raison de fuir travail, épouse et enfants, d’aller trouver refuge dans la forêt proche d’Oslo et d’adopter un jeune élan comme seul compagnon ? Certes, Doppler reconnaît ouvertement sa misanthropie en admettant ne pas aimer les gens (surtout les Norvégiens…) et son départ s’accorde à la logique jusqu’au-boutiste qu’il a décidé de suivre désormais. Avide de silence, il vit depuis six mois dans la forêt où il a planté sa tente dans un coin tranquille et érige petit à petit un système de valeurs dont le premier commandement est le suivant : fuir l’application humaine, qui caractérisait la vie étriquée qu’il menait avant, faite de petites obsessions matérielles et de préoccupations déshumanisantes, vécue au rythme des Teletubbies, héros de son fils téléphage, ou des élucubrations tolkieniennes de son adolescente de fille. (…) Et quand son épouse (qui est parfois venue lui rendre visite – Doppler est admirablement membré, il ne s’en cache pas !) lui annonce tout de go qu’elle est enceinte, lui pose un ultimatum, ou lui impose la garde partagée de Gregus, leur fils de quatre ans, comment va-t-il réagir ? (B. Longre, 2006)

    Bon, est-il besoin de rappeler ceci ?

    Droits de reproduction des articles et propriété intellectuelle : " Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque." (Article L.122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle)

    pbayard.jpgAprès, il est fort possible qu'on me reproche d'avoir pratiqué le plagiat par anticipation, notion introduite par l'OULIPO et que Pierre Bayard a choisi de réhabiliter et de prolonger dans un livre aussi sérieux qu'amusant, érudit que facétieux. (Le Plagiat par anticipation, Ed. de Minuit, 2009) Certes, il ne s'agit là que d'un simple article, mais ce qui est valable pour une création hautement littéraire ne pourrait-il aussi l'être de n'importe quel autre type de texte ? Il reste que je suis plutôt contente d'apprendre a posteriori que j'ai pu travailler par anticipation pour le compte des éditions 10-18, prestigieuse maison à qui l'on doit tant de bons livres.

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  • Souvenirs contre oubli

    block.jpgHistoire de l’oubli de Stefan Merrill Block
    traduit de l’anglais par Valérie Malfoy, Albin Michel, 2009

     

    « A place where nothing was remembered and so nothing was lost »

     

    Fresque sur la filiation et la transmission combinant tous les ingrédients que l’on attend d’un roman bien dosé, entre émotion et érudition, Histoire de l’oubli se fonde sur quatre récits morcelés, parallèles, alternés, puis croisés et nous mène en un seul mouvement de l’histoire à la préhistoire, de la génétique au fantastique, du pouvoir des histoires transmises oralement à la puissance de l’imagination, du microcosme au macrocosme, des affres de l’adolescence à la dégénérescence intellectuelle qui accompagne parfois la vieillesse… Une complexité qui ne doit pas rebuter le lecteur, qui découvre en temps voulu ce qui rapproche Abel, ermite texan de 70 ans, bossu de naissance, qui vit sur ce qui reste de la ferme familiale, et Seth, adolescent solitaire qui, à 14 ans, a compris que sa mère souffrait d’une forme rare et héréditaire de la maladie d’Alzheimer ; une situation qui incite le jeune homme à reconstruire empiriquement l’histoire génétique de sa mère, malgré les secrets et les non-dits qui polluent l’histoire familiale. Car Seth peut aussi compter sur des récits réinventés et transmis de génération en génération : l’histoire intercalée de la cité d’Isadora, monde parallèle intemporel, fascinant, reflet paradisiaque du nôtre, où les habitants sont dépourvus de mémoire.

     

    La multiplicité des voix narratives et le désordre chronologique délibéré (à l’image du chaos qui règne dans nos cerveaux saturés de souvenirs plus ou moins fiables…) invitent le lecteur à reconstruire un puzzle impeccablement élaboré ; l’on passe ainsi d’une intrigue à l’autre sans effort, prenant plaisir à comprendre comment tout fait peu à peu sens. Fils conducteurs inévitables de ce beau roman, l’idée de mémoire, constamment fouillée – une mémoire toujours sélective (« We remember what we want to remember ») – et la place accordée au souvenir dans le temps présent.

    Lire aussi un entretien avec l'auteur, qui signe là son premier roman :
    http://www.albin-michel.fr/pages/interview/mblock/interviewmb.html

     

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  • Rien de gratuit

    glu.jpgGlue, d'Irvine Welsh
    traduit de l’anglais par Laura Derajinski - Au Diable Vauvert, 2009 (2001 Jonathan Cape)

     

    Décidément, on est en droit de se demander si Irvine Welsh se lassera un jour des cités écossaises et de leurs populations déshéritées, que les auteurs littérairement corrects oublient souvent... Après un roman qui narrait les souffrances d'un policier purement haïssable (Une ordure), l'auteur revient à ses premières amours, dans la droite lignée du fameux Trainspotting ou du moins connu Marabou stork nigthmares, pour le pire et le meilleur.


    Là encore, Welsh décrit l'existence de gens qui ne penseraient même pas à s'acheter un bouquin (et encore moins l'un des siens) et l'histoire en elle-même n'a rien que de très ordinaire : le récit d'une quadruple amitié, de l'enfance (difficile, on s'en doute) à la trentaine (non moins difficile, mais pour d'autres raisons), des années 70 à notre époque. Carl Ewart (futur DJ) est un peu rêveur, grand timide, le seul à avoir eu un père capable de l'élever ; Billy Birrel, le plus solide des quatre, a la tête sur les épaules (futur boxeur) ; Andrew Galloway, le malchanceux de la bande, est entraîné malgré lui dans une spirale désastreuse (futur junkie) ; et enfin, Terry Lawson, obsédé sexuel, intellectuellement limité mais fidèle en amitié (futur loser). Les quatre amis vivent de multiples aventures sordides (hooliganisme, chasse aux filles, beuveries diverses, petits cambriolages ou larcins et vacances à l'étranger) et tentent de faire vivre des rêves, quand ils parviennent à en avoir, pour toujours se retrouver face à la glaçante réalité.

     

    Au-delà de l'excellente structure narrative (toujours élaborée avec soin, l'auteur donnant la parole à de multiples personnages) et du charme du langage (l'écriture mime encore les caractéristiques phonétiques du milieu décrit), on retiendra surtout la démarche sociale de l'ensemble : Irvine Welsh affirme que ce qu'il raconte correspond bien à une réalité occultée, celle de toute une partie de la population écossaise (on pourrait élargir à la Grande-Bretagne) qui vit dans un dénuement matériel et culturel inimaginable ; un quart-monde qui a ses propres lois (le père de Carl les lui énonce très souvent), comme la fidélité en amitié... Une substance incroyablement tenace (de la glue) qui lie les quatre copains, même lorsque leurs vies prennent des directions différentes.

     

    Glue est ainsi la peinture hyperréaliste (on retrouve le penchant de l'auteur pour le grotesque) et crue d'un univers en marge, où tout ce qui représente l'autorité, de l'école à la police en passant par les pompiers, est nié, rejeté ; une fresque sociale et humaine qui prouve que le talent de Welsh pour observer puis retranscrire ne s'est pas émoussé. Il est vrai toutefois que son incapacité à décrire avec le même talent le reste du monde au-delà de la cité écossaise est un sérieux handicap pour son inspiration et que certains chapitres peuvent apparaître comme de la (bonne) redite. Et cependant, il est difficile de se lasser de ces romans tant les dialogues y sont truculents, tant l'humour y est toujours aussi noir et tant l'amour du romancier pour ses personnages transparaît tout du long ; et lorsque l'on a dépassé le stade de la provocation (scatologie et pornographie), on perçoit les aspects symboliques de l'ensemble qui nous font dire que rien de ce que Welsh écrit n'est gratuit... 

     

    (B. Longre)

     

    www.audiable.com

    www.irvinewelsh.net

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  • Lectures théâtrales - BIS

    pommerat.jpgPinocchio de Joël Pommerat, illustrations d'Olivier Besson

    Actes Sud papiers - collection Heyoka jeunesse, 2008

     

    On pourrait croire l’histoire usée jusqu’à la corde et pourtant, Joël Pommerat signe un Pinocchio résolument optimiste et innovant, en particulier du point de vue de la langue ; une interprétation où l’humanité du pantin n’est pas engendrée par un phénomène magique, mais se construit « tellement progressivement que même le père ne s’en était pas rendu compte ».

    La construction suit toutefois la trame de l’original, tout en adoptant un rythme énergique et en proposant des dialogues enlevés, souvent amusants, voire insolents. Un « présentateur » fait office de récitant, ce qui permet de faire le lien entre les épisodes et de planter les différents décors.

     

    adkeene.jpgL’apprenti, de Daniel Keene
    traduction de l’anglais (Australie) Séverine, Magois

    Éditions Théâtrales - jeunesse, 2008

     

    L’Apprenti se penche intelligemment sur la relation entre les pères et leurs fils, par le biais d’une amitié choisie entre Pascal, un quadragénaire qui n’a pas vu son père depuis longtemps et Julien, 12 ans, qui regrette qu’on ne puisse choisir son père idéal… Le sien, indifférent, ne lui convenant pas, il a décidé d’enseigner à Pascal (malgré les réticences de celui-ci), l’art d’être père. Ils apprennent à se connaître à mesure que les mois passent, lors de promenades et de rendez-vous dans des lieux variés. Naît une belle complicité, dont on sait pourtant qu’elle ne serait pas la même si Pascal était le père véritable du garçon… Un décor épuré, « non réaliste » (ainsi que l’indique l’auteur) sert de cadre à cette intrigue bien bâtie et d’une grande finesse psychologique.

     

    madani.gifErnest ou comment l’oublier d’Ahmed Madani

    L’école des loisirs, théâtre, 2008

     

    Marie-Louise et Yvonne, deux vieilles artistes de cirque, vivent dans l’attente de l’improbable retour de l’homme aimé, Ernest, et passent leur temps à se chamailler plus ou moins gentiment ; ce qui ne les empêche pas de se soutenir mutuellement quand l’une perd la mémoire ou que l’autre ne tient plus sur ses jambes. Leurs souvenirs les entraînent sur les pistes qu’elles ont connues, quand elles étaient Miss Lévitos et Melle Saltarella, tandis que dans le présent, elles s’escriment à balayer la poussière (préfigurant leur fin proche) qui s’accumule étrangement autour d’elles, envahissant l’espace scénique. Un duo attachant, dont la paradoxale vivacité réjouit le lecteur, et qui rappelle par instants (à travers la thématique de l’humain face à la mort) la pièce de Suzanne Van Lohuizen, Les trois petits vieux qui ne voulaient pas mourir (L’Arche éditeur, 2006).

     

     (Blandine Longre, décembre 2008)

     

    revue244.jpgCes articles ont paru en compagnie de quelques autres dans le numéro 244 de La Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, décembre 2008)

    les autres numéros : les sommaires des numéros des deux dernières années sont consultables en ligne. Les numéros des années précédentes ont été numérisés et sont consultables en texte intégral sur le site. 

    http://www.editionstheatrales.fr/

     

    http://www.ecoledesloisirs.fr/index1.htm

     

    http://www.actes-sud.fr

     

     

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  • Lectures théâtrales

    carel.gifInséparables ! de Fanny Carel
    L’école des loisirs, théâtre, 2008

     

    Violette et son frère Bruno sont aux prises avec Nasta, une abominable marâtre qui a tué leurs parents ; refusant de les voir grandir, elle affame délibérément les deux petits. Mais Violette n’y tient plus et les enfants prennent la fuite. L’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre ne suffira pas à les sauver des griffes de Nasta, et il faudra l’intervention d’un roi pour qu’enfin ils puissent vivre en paix.
    Dans cette pièce inspirée de nombreux contes, la résilience enfantine (ou simplement humaine) est à l’honneur. Le conte s’achève avec la mort de la sorcière, incarnation du mal et de la cruauté, mais aussi de la part sombre de la maternité (quand elle maintient volontairement les enfants dans un état de dépendance alimentaire). Ces ramifications psychanalytiques fort intéressantes (qui satisferont les lecteurs adultes) témoignent de la richesse des niveaux de lecture de ce texte.

     

    milovanoff.jpgLa carpe de Tante Gobert de Jean-Pierre Milovanoff, illustrations de Lino

    Actes Sud papiers - collection Heyoka jeunesse, 2008

     

    Selon son père, Philippon pourrait être « le meilleur élève du collège », s’il n’était pas un cancre… Pour le remettre dans le droit chemin, on envoie le garçon en vacances forcées chez Tante Gobert, une « femme rude et imprévisible » qui n’a qu’une obsession depuis 30 ans : pêcher le plus beau poisson du lac situé devant sa masure. Au fil des rencontres – un lutin, une carpe, un peintre, une jeune fille, un pêcheur – la tante revêche se radoucit… Mais Philippon mûrit-il vraiment ? Rien n’est moins sûr. Cette histoire fantaisiste, agréablement illustrée, entrecoupée de chansons, est une comédie légère qui célèbre avant tout l’insouciance de l’enfance : « Enfant, on reste un enfant / Pas moyen de faire autrement, On s’amuse et on attend / Le jour où l’on sera grand / Pour regretter le bon temps », ainsi que l’affirme l’un des chants.

     

    gauthier.gifUne jeune fille et un pendu de Philippe Gauthier

    L’école des loisirs, théâtre, 2008

     

    Dans un décor indéfini dominé par un vieux chêne, Marc, une corde autour du cou, voit arriver Déborah, une jeune fille aux jambes ensanglantées. Tandis que le garçon tâche de lui transmettre sa passion pour les chiffres (et son besoin compulsif de compter tout ce qui lui tombe sous la main, des feuilles aux flocons de neige), Déborah lui apprend à danser. Ils s’attachent l’un à l’autre au fil des saisons, jusqu’au jour où un certain Pierre entre en scène...
    Le texte, qui met en contact deux souffrances, est composé dans une langue familière, aux phrases brèves, coupantes. La vie, la mort, l’amour s’enchevêtrent entre tragédie et légèreté, tandis que les corbeaux qui s’insinuent entre les scènes, commentant les activités des humains ou vivant leur propre vie (avec ses querelles, ses amitiés ou ses attachements) participent de la tonalité parfois très irrévérencieuse de l’ensemble ; une impertinence qui, au-delà du sort tragique des personnages et de la thématique, nous arrache quelques sourires.

     

     (Blandine Longre, décembre 2008)

     

    Ces articles ont paru en compagnie de quelques autres dans le numéro 244 de La Revue des livres pour enfants (La Joie par les livres / BNF, décembre 2008)

    les autres numéros : les sommaires des numéros des deux dernières années sont consultables en ligne. Les numéros des années précédentes ont été numérisés et sont consultables en texte intégral sur le site. 

    http://www.ecoledesloisirs.fr/index1.htm

     

    http://www.actes-sud.fr

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  • Karpe diem...

    karmasutra.jpgKarma Sutra, 30 positions à fantasmer
    de Maïa Brami et Barroux

    Magellan & Cie, 2008

     

    Caractérisé par un humour léger et un ton vivifiant, cet ouvrage atypique, unique en son genre, énumère des positions sexuelles fantasques tout en égrenant quelques conseils (à ne pas suivre pour certains !) permettant de jouir au mieux de la rencontre amoureuse et/ou charnelle…

    Les textes, courts poèmes subtils qui évitent habilement l’écueil de la vulgarité, décrivent chaque acrobatique position (de celle du petit-beurre à celle du bourdon ardent…), et sont accompagnés d’illustrations graphiquement sobres, qui suggèrent plus qu’elles ne montrent – et, quand elles montrent, la fantaisie l’emporte haut la main. Attention, ne vous méprenez pas sur l’objectif de ce beau livre, qui prend le contrepied des guides et autres manuels susceptibles d’éradiquer toute spontanéité : ici, la lecture stimule avant tout le cerveau et l’imagination de chacun.
    (B. Longre, janvier 2009)

     

     

    Afin de mieux saisir la démarche des auteurs, quelques question posées à Maïa Brami, qui a bien voulu y répondre.

     

    Maïa Brami, comment est né ce projet ? De quelles envies ?

    Ce projet est né autour d’une table, dans un Café. Barroux et moi étions en train de travailler à un album jeunesse — « Goûte au moins » ed. Circonflexe, 2005 — quand il m’a confié son envie de dessiner des hommes et des femmes… tous nus ! Il a alors joint le geste à la parole et en découvrant son croquis sur la nappe un peu « naïf » proche du dessin d’enfant, j’ai compris que notre projet serait certes érotique mais traité sous un angle drôle et poétique. Dans une société où les cartes de St Valentin ont été remplacées par des canards vibrants, nous avons eu envie de rappeler aux gens que le désir est avant tout affaire d’imagination. D’où la phrase d’exergue tirée du film culte des Frères Cohen — The Big Lebowski : « Les gens oublient que le cerveau est la plus grande zone érogène », réplique lancée par le producteur de films porno joué par Ben Gazzara. 

     

    De quelle façon avez-vous procédé ? Les textes d’abord, les illustrations venant ensuite, ou bien l’inverse ou dans le désordre ?

    Après avoir parcouru le véritable Kama Sutra — hautement instructif et surtout d’une grande poésie ! —, je me suis dit qu’il serait amusant d’inventer des positions infaisables, surréalistes. Et très vite, je me suis aperçue qu’en prenant les mots au pied de la lettre — « s’envoyer en l’air » par exemple —, on arrivait à des situations cocasses. Chacun a ensuite apporté de l’eau au moulin. Nous avons essayé de veiller à ce qu’il y en ait pour tous les goûts ! De l’écriture proprement dite, je me souviens surtout de mes éclats de rires toute seule devant mon écran d’ordinateur ! Après avoir imaginé une trentaine de positions, Barroux a pris ses plus beaux pinceaux pour en peindre quelques-unes dans un style élégant et épuré — contours noirs et lavis ocre. Nous sommes ensuite allés démarcher les éditeurs.

     

    Justement, comment ce projet a-t-il été accueilli par les éditeurs ? Avez-vous eu des retours plutôt positifs dans l’ensemble ?

    Dans l’ensemble, les éditeurs se  sont bien amusés à la lecture, mais tous nous ont répondu qu’il n’entrait dans aucune case — N’est-ce pas pourtant le propre de tout projet artistique ?! Cependant, nous avons eu le choix entre Magellan & Co et un éditeur de littérature érotique, mais ça aurait cantonné le livre à un public d’avertis.

     

    Il est rare de parler de sexualité de façon aussi décalée. Des ouvrages qui traitent du rapport amoureux vous ont-ils inspirée, stimulée ou irritée ?

    Je trouve absurde toutes ces émissions télés et ces journaux qui réduisent le sexe à un plaisir égoïste qu’il faut assouvir à tout prix et par n’importe quel moyen — commercial de préférence —  au risque d’être taxé d’anormal ! Le sexe est avant tout langage, dialogue, jeu amoureux fondé sur une écoute et un don mutuels, où l’on n’a jamais fini de se surprendre et de s’amuser.

     

    À travers vos publications, vous êtes généralement associée à la littérature jeunesse (tout comme l’illustrateur Barroux). Pensez-vous que cet ouvrage marque un tournant dans votre travail ?

    Un tournant ? Je ne pense pas. Chaque projet m’apprend et m’empêche de tomber dans la répétition. De son côté, Barroux a publié des carnets de voyage qui visent un public adulte et il a pas mal travaillé pour la presse. Vous savez, ce qui me motive avant tout, c’est d’écrire, peu importe l’âge du lecteur pourvu qu’il y en ait un !

     

    http://www.barroux.info

     

    http://www.editions-magellan.com/

     

    Maïa Brami est aussi l'auteure de Norma, de Neuf mois par moi, et de nombreux ouvrages pour la jeunesse.

     

     

    *********************************

     

    9mois.jpg9 mois par moi de Maïa Brami et Karine Daisay, La Martinière, 2007

    Maïa Brami et Karine Daisay ont concocté un ouvrage réalisé avec soin, poétique et innovant, qui se démarque du journal intime traditionnel ou des multiples guides existants, un livre-cahier qui tient davantage du carnet de bord ; elles proposent ainsi aux futures mères (et ce sans exclure les pères) de mettre en mots et en images l’expérience de leur grossesse, en offrant poésie, citations, recettes traditionnelles, et guide des prénoms (venus du monde entier) qui sort des sentiers rebattus. Les décors monochromes, discrètement rehaussés de collages et d’illustrations très sobres, qui évoquent pour la plupart vie végétale et animale, permettront de faire sien ce cahier où tout reste évidemment à écrire (et/ou à coller). Une belle incitation à la création, à la réflexion, à la rêverie et, plus tard, aux réminiscences.
    B. Longre (mars 2007)

    barroux.jpgMon poisson rouge de Barroux, Nathan, 2006

    Quoi de plus banal et d'ennuyeux qu’un poisson rouge qui tourne dans son bocal ? Ce n’est pourtant pas l’avis de Barroux, pour qui le poisson rouge peut devenir un fabuleux animal de compagnie… à condition de faire preuve d’imagination ! Le poisson en question est costaud, curieux et téméraire (mais pas trop…), il aime chanter, se déguiser, nager (de préférence en piscine), mais par contre, il mange comme un cochon, attrape des coups de soleils et a plutôt mauvaise mémoire… On peut le consoler quand il a peur la nuit et lui offrir son amour, ce qui lui permettra d’atteindre un âge canonique. Barroux signe là son premier ouvrage en tant qu’auteur-illustrateur, un album cocasse et décalé qui enchante les jeunes lecteurs ; de belles illustrations (entre peinture et gravure), des coloris vifs et contrastés, pour le portrait original d’un petit poisson en définitive très attachant…
    B.L. (février 2006)

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