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10-18

  • Suite au billet précédent...

    J'ai reçu hier soir une réponse fort courtoise d'Emmanuelle Heurtebize, directrice éditoriale des éditions 10-18, qui s'excuse de son silence (suite à un premier message de ma part envoyé en janvier) et de ce "dérapage incontrôlé " qui n'est pas dans les habitudes de la maison. Elle s'engage à corriger cette 4e de couv lors de la prochaine réimpression de l'ouvrage - nouvelle 4e de couv en ligne dès aujourd'hui ; en outre, elle m'a proposé d'ajouter un extrait de mon article assorti de la source. Je me réjouis de cette saine résolution de l'affaire, et remercie l'éditrice d'avoir réagi, même tardivement.

    Je remercie aussi tous ceux qui m'ont apporté leur soutien et me l'ont fait savoir, soit dans les commentaires de ce blog, soit par mail, soit sur Facebook, et tout particulièrement Grégoire Leménager pour son éclairant papier sur Bibliobs (ce dernier,  contacté hier après-midi, m'avait devancée).

    Je n'oublie par Gilda pour son billet d'hier et Pascale pour son billet d'humeur, indirectement lié au débat, et qui revient sur l'idée parfois pernicieuse de gratuité. Mes divers articles paraissent soit sur l'internet, soit dans des revues papier, mais j'ai conscience qu'il est plus simple (et tentant ?) de faire un copié-collé que de reproduire un article papier - il n'empêche que la pratique est répandue dans les deux cas (et je ne parle pas des journalistes et critiques qui se contentent de paraphraser 4e de couv. ou argumentaires presse, phénomène inverse et lui aussi fort répandu) et qu'il est nécessaire de faire preuve de vigilance face à ces dérives.

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  • Le bonheur est dans la forêt

    doppler3.jpgDoppler d'Erlend Loe
    traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
    Gaïa, collection taille Unique, 2006 / parution en 10-18, janvier 2009

     

    Qui est réellement ce Doppler qui donne son nom au quatrième roman d’Erlend Loe publié en français et qui, soit dit en passant, nous fait tant rire ? Un irrécupérable ahuri ? Un asocial invétéré ? Ou tout simplement un sage, qui a bien raison de fuir travail, épouse et enfants, d’aller trouver refuge dans la forêt proche d’Oslo et d’adopter un jeune élan comme seul compagnon ? Certes, Doppler reconnaît ouvertement sa misanthropie en admettant ne pas aimer les gens (surtout les Norvégiens…) et son départ s’accorde à la logique jusqu’au-boutiste qu’il a décidé de suivre désormais. Avide de silence, il vit depuis six mois dans la forêt où il a planté sa tente dans un coin tranquille et érige petit à petit un système de valeurs dont le premier commandement est le suivant : fuir l’application humaine, qui caractérisait la vie étriquée qu’il menait avant, faite de petites obsessions matérielles et de préoccupations déshumanisantes, vécue au rythme des Teletubbies, héros de son fils téléphage, ou des élucubrations tolkieniennes de son adolescente de fille.

    Cette exclusion volontaire est le résultat d’un long processus mental, d’une crise existentielle qui ne fait que débuter, d’un dégoût progressif d’une vie sans joie, où le moindre geste était régi par un perfectionnisme effréné, où toujours il fallait prouver (à soi et aux autres) ses compétences : « Pendant des décennies, j’ai pataugé dans cette mare d’application (…) J’ai respiré de l’application et, peu à peu, j’ai perdu la vie. » Ainsi, pour faire contrepoids, Doppler a décidé de ne plus rien faire… ou presque ; de se prélasser sous sa tente ou près d’un feu de camp, de rêvasser ou de penser à son père, mort quelques mois plus tôt, se contentant de vivre de rapines, du troc ou de la chasse. Son élan et lui s’amusent comme des fous sous leur tente, mais il lui faut cependant se ravitailler de temps à autres – et malheureusement côtoyer brièvement quelques spécimens de l’espèce humaine. Et quand son épouse (qui est parfois venue lui rendre visite – Doppler est admirablement membré, il ne s’en cache pas !) lui annonce tout de go qu’elle est enceinte, lui pose un ultimatum, ou lui impose la garde partagée de Gregus, leur fils de quatre ans, comment va-t-il réagir ? Quand son ascétisme fera naître d’autres vocations, parviendra-t-il à échapper à ses pathétiques admirateurs ? Car en dépit de son entêtement et de tout ce qu’il peut affirmer sur sa détestation d’autrui, Doppler n’est pas un « méchant » ; ce serait presque tout le contraire... il se montre très attachant et s’attache lui-même aux autres, contre son gré. À l’instar de Jonathan Swift (“Je hais et je déteste cet animal qu'on appelle homme encore que je puisse aimer de tout mon coeur John, Peter, Thomas.»), c’est en groupe que Doppler déteste l’être humain.

     

    doppler1.jpgAu-delà du parcours singulier et atypique de Doppler, grand philosophe des temps modernes, sorte de Bouddha en quête d’un éveil improbable quittant la chaleur du foyer familial pour aller chercher ailleurs des questions et des réponses, et au-delà de la loufoquerie délibérée du récit, l’auteur expose en filigrane quelques maux qui frappent notre époque – consumérisme outrancier, accumulation de biens matériels, aveuglement des illusoires échappatoires qu’offrent la culture de masse et ses avatars - ou, tout simplement, la condition qui frappe l’humain en tant qu’être social.

    Au pragmatisme de son épouse, le narrateur oppose une logique qui n’appartient qu’à lui et quand la réalité cherche à le rattraper, il reste fidèle à lui-même, osant ce que jamais il n’aurait osé faire par le passé. Doppler est un personnage qui fait office de fou – au sens noble du terme : celui qui entend déciller les yeux du lecteur par sa posture extrême et sans compromis, et pourtant jamais morale, et dit tout haut ce que l’on n’ose même penser… Hormis ces salutaires réflexions que nous impose Doppler, le roman a le grand mérite de divertir le lecteur, page après page, de situations ubuesques en épisodes invraisemblables (quoique…), d’expériences malencontreuses en rebondissements inopinés. Erlend Loe a créé là une importante figure humanisante de la marge qu’on aura le bonheur de retrouver dans Volvo Trucks, paru il y a quelques mois.

     

    erlendloe.jpghttp://www.gaia-editions.com

     

    www.10-18.fr

     

     

    du même auteur :
    Autant en emporte la femme traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud - Gaïa, collection taille Unique 2005

    Maria & José (illustrations de Kim Hiorthøy) roman graphique traduit du norvégien par J-B. Coursaud - Gaïa 2005

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  • Good and/or Evil ?

    mattruff.jpgBad Monkeys de Matt Ruff, traduit de l’anglais par Laurence Viallet, 10-18, 2008

     

    Joli tour de force narratif, Bad Monkeys démarre comme une chronique adolescente, se mue en polar, puis navigue inlassablement entre les genres et les atmosphères, de la farce tragique à la parodie la plus grotesque - sans oublier l’anticipation et le fantastique. On trouve ici un mixe qui a de quoi réjouir : un rythme échevelé, un enchaînement d’événements de prime abord invraisemblables qui obéissent pourtant à une logique implacable, et une narratrice à la fois désinvolte et surmenée, à laquelle on s’attache (est-ce bien raisonnable ?) dès les premières pages – Jane Charlotte, enfermée dans « l’aile des barjots » de la prison de Las Vegas, accusée de meurtre. Là, elle se confie à un psychiatre et tâche de justifier ses actes en racontant qu’elle oeuvre pour le compte d’une société secrète… « L’organisation », qui « lutte contre le mal », rend sa propre justice en surveillant et exécutant sommairement des « malfaisants », forcément irrécupérables – meurtriers, fous dangereux, kidnappeurs d’enfants – en partant du principe que le monde se portera mieux sans eux. Jane Charlotte est-elle une affabulatrice hors pair ? Comme le soupçonne son médecin, ment-elle par omission, préférant laisser dans l’ombre certains pans de son existence ? Qui cherche-t-elle à convaincre ? Ou bien, tout simplement, se contente-t-elle de raconter sa vérité ? À chacun de le découvrir en lisant d’une traite ce roman inclassable, époustouflant, qui s'interroge sur la frontière, décidément perméable, entre bien et mal.

    (B. Longre, août 2008)

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  • " L'ennemi " est dans la place.

    9782264046673R1.JPGQuand l'empereur était un dieu de Julie Otsuka
    traduit de l'anglais par Bruno Boudard - 10-18 (juin 2008)

    L'attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, a de nombreuses répercussions, dont l'entrée en guerre des Etats-Unis ; rétrospectivement, on ne peut remettre en cause le caractère bénéfique de cette décision pour l'avenir du monde et de l'Europe ; mais pour les citoyens américains d'origine japonaise et les résidents japonais vivant aux Etats-Unis, parfois depuis des décennies, ces événements ont des conséquences dramatiques : le gouvernement américain les voit désormais comme des ennemis potentiels, infiltrés dans la place et susceptibles d'entraver l'effort de guerre... Le roman de Julie Otsuka retrace, à travers le parcours d'une famille japonaise parfaitement américanisée, ce pan d'histoire longtemps occulté, un épisode honteux, "justifié" par l'état de guerre. De nombreux Japonais, soupçonnés de trahison, sont arrêtés dès le 8 décembre 1941 ; des familles entières sont déportées dans des camps d'internement ; et même si leur sort n'est en rien comparable à celui des victimes de l'holocauste orchestré par les nazis, il demeure que cette expérience a moralement affecté la communauté nippone des Etats-Unis.

    C'est le cas des deux enfants dont il est ici question : un garçon de sept ans et sa soeur de onze ans, obligés de quitter leur maison de Berkeley, en Californie, avec leur mère (leur père a été arrêté plus tôt et est détenu au Nouveau Mexique) ; ils sont envoyés au camp de Topaz, dans l'Utah, au beau milieu du désert ; des blocs, des baraquements qui laissent entrer le froid ou le sable, selon la saison, des appels, des repas au réfectoire et des journées qui n'en finissent pas de s'étirer sous la neige ou le soleil, des enfants, des femmes et des vieillards surveillés jour et nuit par des soldats perchés sur des miradors... Les enfants et leur mère vivront là trois ans durant, dans une seule pièce, tentant de conjurer comme ils le peuvent l'ennui qui les ronge, la désolation de l'endroit et l'idée que la vie s'est arrêtée là.

    L'écriture neutre et distancée de Julie Otsuka laisse entrevoir un drame feutré, mais néanmoins palpable ; et l'auteure, dont c'est le premier roman, nous guide avec talent dans l'espace mental de chacun des personnages, qui vivent tous leur enfermement différemment : d'abord la mère, qui vient de lire les affichettes placardées en ville ("Instructions à tout individu d'origine japonaise") donnant les ordres de départ : elle s'applique à faire des préparatifs minutieux et à mettre en ordre la maison, un peu à la façon d'un robot, comme si elle entrevoyait déjà sa destinée et celle de ses enfants ; puis sa fille, qui se remémore l'interminable voyage en train (stores baissés lorsqu'il traverse des villes) vers une destination inconnue ; enfin, le petit frère, qui se souvient de la vie au camp, des journées qui s'éternisent, de sa mère happée par la folie et de son père, arrêté en pleine nuit, en pantoufles et robe de chambre, un père qu'il doute de revoir un jour.

    Julie Otsuka s'attache aux détails qui passent habituellement inaperçus, à la minutie des gestes d'un quotidien épuisant et vidé de sa substance, d'une existence qui n'a plus aucun sens, et le ton détaché de l'ensemble évite tout mélodrame. Ses personnages n'ont pas de nom, mais leurs personnalités respectives sont particulièrement bien dessinées ; par ce biais, l'auteure mêle habilement drame personnel et destin collectif. De retour chez eux après la guerre, les enfants, passablement déstabilisés (le petit garçon a rêvé de combattre auprès de MacArthur, tout en se demandant à quoi ressemble l'empereur dont on leur a interdit de prononcer le nom...) sont accueillis avec méfiance et leur mère reçoit 25 dollars, somme dérisoire généralement attribuée aux criminels qui sortent de prisons, censée compenser trois années d'enfermement... Chaque miroir est une épreuve : "nous n'aimions pas ce que nous regardions : cheveux bruns, peau jaune, yeux bridés. Le visage cruel de l'ennemi." et ils ressentent un profond sentiment de culpabilité. Le récit de cet épisode traumatique n'emprunte jamais la voie du sentimentalisme outrancier, ni même celle de la haine, bien au contraire ; mais le désespoir latent, l'incompréhension honteuse et le sentiment d'injustice larvé des protagonistes résonnent de façon beaucoup plus terrible que ne le ferait la colère exacerbée de n'importe quel pamphlet.

    B. Longre

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  • Le jeu de l’amour et des incertitudes

    Autant en emporte la femme d'Erlend Loe - traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud - Gaïa, collection taille Unique 2005 / Parution en poche : 10-18, mars 2008

    Le jeu de l’amour et des incertitudes
    De la difficulté de vivre à deux – de la difficulté d’être soi-même.

    2142328917.jpgPrésentation audacieuse pour ce deuxième roman du Norvégien Erlend Loe traduit en français, après Naïf (paru lui aussi en 10-18) : des entrées numérotées, signe, en surface, d’un parcours balisé, d’un récit maîtrisé et d’un enchaînement narratif connu d’avance – un ordonnancement chronologique qui est un leurre car le narrateur, dont les doutes et les hésitations, les anxiétés et les incertitudes presque maladives ne cessent d’imprégner le récit, fait plutôt penser à ces autistes qui ont un besoin vital de repères, de jalons répétitifs et rassurants pour avoir la sensation de posséder quelque contrôle sur une existence et un monde angoissants.
    Une personnalité sans relief, des désirs informulés (en apparence presque inexistants), le sentiment d’être en décalage, une platitude et une circonspection qui marquent sa crainte de s’impliquer plus avant dans ses rapports avec les autres : ce portrait au départ peu flatteur du protagoniste central, soudain livré aux assauts amoureux de Marianne, dont la fantaisie est contagieuse, évolue au fur et à mesure que la relation entre les deux jeunes gens se transforme et s’amplifie, au point de devenir essentielle. Ils ne peuvent bientôt plus se passer l’un de l’autre, en dépit des querelles et des sautes d’humeur, des lubies ou des blessures qu’ils s’infligent mutuellement. Car si la fantasque et très épicurienne Marianne n’est pas toujours commode, il est vrai, le jeune homme, avec sa cohorte de doutes et de questionnements qui frisent parfois l’absurdité, n’est pas plus facile à vivre. Les malentendus – pourtant sans gravité et donnant lieu à des scènes loufoques – abondent et le narrateur comprend qu’il n’est pas si simple de vivre à deux, d’autant que Marianne s’est très naturellement installée chez lui, sans qu’il l’y ait invitée…

    Et pourtant, ce qu’elle éprouve pour lui sera réciproque, il le veut : « la présence soudaine de Marianne entre ces murs était, en un sens, foncièrement ahurissante (…) Je fus saisi par une fâcheuse sensation de précarité. (…) Je me décidai à tomber raide dingue amoureux d’elle. Voilà. J’allais même commencer pas plus tard que le jour d’après. » Mais il ne suffit pas de le décider pour éprouver un sentiment… et le narrateur s’interroge sans répit sur ses actes et ses pensées, renâclant à se persuader de l’authenticité de son amour : « je pinaillais en permanence sur des choses totalement superflues au regard de ce grand amour que nous étions en train de construire. » Plus loin, alors que Marianne l’a quitté (pour quelques jours) après une dispute : « je reconnaissais que je m’illusionnais en croyant que je n’avais pas besoin d’elle (…) j’étais surtout inquiet de ne pas pouvoir identifier ce que j’éprouvais comme étant du sentiment amoureux (…) Or juste avant de m’endormir, je me suggestionnais qu’il s’agissait néanmoins de sentiment amoureux.» On verra dans ce passage torturé l’illustration même des troubles existentiels du narrateur ; bientôt, il perd son travail et Marianne lui propose de partir en voyage – un périple spécial, unique et sans précédent : « des vacances durant lesquelles tout ne sera qu’expériences (…) et la voilà repartie à ressasser qu’il vaut mieux être en voyage qu’arriver à destination… » L’errance ferroviaire qui va suivre est tout aussi originale et imprévisible que les liens qui se font et se défont entre les deux personnages, et l’on se prend à s’imaginer être à leur place, entre insouciance et gravité, légèreté et grands sentiments, même si c’est Marianne qui mène le jeu dans lequel son amoureux se laisse emporter, opposant une résistance boudeuse peu efficace.

    Cette histoire d’amour à la fois familière et atypique, piquante et singulière du premier au trois centième épisode, forme un roman pittoresque, ponctué d’événements ou de conversations cocasses qui oscillent entre absurde et idiosyncrasies - grâce aussi à quelques personnages secondaires gentiment ridicules ou farfelus (dont Nidar-Bergene, amie de Marianne et adepte de la thérapie par le cristal…). Mais au-delà de l’humour omniprésent (renforcé par la naïveté - toute relative - du narrateur, Autant en emporte la femme appartient à ce nouveau genre littéraire nommé le «naïvisme»), c’est à une quête identitaire que nous convie Erlend Loe, à travers le portrait ce personnage qui ne cesse d’avancer, en dépit de ses incertitudes, dans sa connaissance de lui-même, remettant au goût du jour le célèbre précepte socratique…
    © B. Longre

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