"Louis ne se faisait pas d’illusions. Les intuitions, les suggestions, les convictions elles-mêmes pouvaient s’avérer inutiles. Toutes les hypothèses antérieures pouvaient se révéler fausses. Ce qui était vrai de la fièvre charbonneuse, de ce qui avait provoqué la maladie des betteraves, de ce qui gardait la levure en vie ou la tuait, de ce qui décimait les vers à soie n’avait sans doute rien à voir avec les causes du choléra. Un scientifique se devait d’être son propre hérétique.
« Nous sommes fous, dit Edmond, un soir que les trois hommes finissaient leur dîner dans la cabine du capitaine.
— Que voulez-vous dire ? s’enquit Louis. Pour ma part, je suis parfaitement sain d’esprit.
— Mais alors, reprit Edmond tout en plongeant sa cuiller dans les restes du pudding au pain d’Émile, pourquoi naviguez-vous vers une ville où sévit le choléra ? La plupart des gens normaux voyageraient dans la direction opposée.
— Vous n’avez pas tort, répondit Roux en riant. Nous devrions immédiatement rentrer en France.
— Si je meurs, dit Nocard, mes chiens seront inconsolables. Et mon frère cupide héritera de ma maison et de mes terres.
— Dans ce cas, fit Roux, veillez à ne pas mourir. »
(extrait du chapitre 2, mettant en scène Louis Thuillier, Edmond Nocard et Emile Roux).
L'Insaisissable, Anne Roiphe
traduction de l’anglais (États-Unis) de Blandine Longre
(traduit avec le concours du CNL), avril 2015, les Editions du Sonneur.
http://www.editionsdusonneur.com/livre/linsaisissable-anne-roiphe/
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Portrait d'Edmond Nocard, vers 1890. Vétérinaire. Collaborateur de Pasteur, puis de Roux.
Emile Roux dans son laboratoire travaillant sur la toxine diphtérique, vers 1890
Louis Thuillier, vers 1880
Source :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b32000224
[Pasteuriens et personnalités du monde médical, 1868- 1970]