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liban

  • Les malheurs de Rachid

    eldaif.jpgQu'elle aille au diable, Meryl Streep !
    de Rachid Ed-Daïf

    traduit de l'arabe (Liban) par Edgard Weber
    Actes Sud, 2004 / Babel 2010

    D'entrée de jeu, le narrateur nous embobine dans un discours emberlificoté et cocasse, sans jamais, semble-t-il, se départir d'un ton sentencieux qui sert à merveille l'ironie de ce roman. Sans relâche, le narrateur se réfugie dans les mots pour vivre une révolte qu'il n'a pas le courage de transposer en actes, ou pour s'assurer (il ne peut cependant nous tromper longtemps) que son statut d'homme et d'époux ne saurait être remis en question... Son monologue suit une logique qui lui est propre, donne lieu à de nombreuses confusions, et le lecteur, bien vite, se rend compte des contradictions qui régissent l'univers intérieur de Rachid. Faut-il le plaindre ? Le condamner ? Ou plutôt rire de lui ? Assurément, face à la déroutante naïveté de ce narrateur, pathétique macho tiraillé entre tradition et modernité, et face à sa mauvaise foi pathologique.

    Rachid, longtemps célibataire, est enfin marié ; cela fait un mois, mais les malentendus et les querelles se multiplient entre lui et sa femme, cette dernière passant ses soirées et parfois ses nuits chez ses parents, prétextant que ces derniers, eux, possèdent une télévision, de surcroît branchée au câble... Rachid, en époux attentif (en réalité désireux de satisfaire plus souvent ses ardeurs sexuelles), décide d'acquérir lui aussi l'objet du désir, tout en se souvenant des sages paroles de son père, qui disait de la télévision : "un monde qui détruisait l'homme à cause de sa dangereuse, efficace et impressionnante magie", ajoutant : " nous ne sommes plus seuls dans notre maison, nous ne sommes plus des humains à part entière. Nous ne sommes plus que des yeux exorbités et des oreilles dressées."

    En cédant à la modernité et au progrès, Rachid pense pouvoir gagner l'amour de sa femme. Son achat ne change pourtant rien à l'obstination de cette dernière, à qui l'auteur ne laisse pas la parole, sans que cela nous empêche de deviner son désir d'émancipation. La position sociale de Rachid et son honneur de mâle dominant sont irrémédiablement ébranlées quand son épouse le quitte... En mari abusé, humilié, il se lamente et s'apitoie sur le sort qui lui a envoyé une femme qui ne lui convient finalement pas tant que ça, et il continue de se mentir à lui-même et de se protéger derrière son mur de valeurs traditionalistes et un discours que la femme libanaise ne veut de toute évidence plus accepter (" réparer la division homme femme, est un devoir de femme", "j'aime beaucoup aider la femme à sortir de la coquille dans laquelle les coutumes l'ont enfermée. Mais, en même temps, j'aime que la femme conserve un minimum de retenue").

    Dans le même temps, il ne cesse de revenir à ses fantasmes sexuels, ne nous épargnant aucun détail, s'épanchant ouvertement sur la difficulté pour un homme célibataire de trouver des partenaires et de se forger une expérience, tout en rabâchant combien la virginité d'une femme doit être préservée jusqu'au mariage. La Meryl Streep du titre (qu'il a observée, grâce à sa télévision, dans le rôle de l'épouse qui quitte son mari dans Kramer contre Kramer) incarne la femme occidentale, libérée et provocante, et le dilemme de Rachid : une représentation qui l'éblouit ("Meryl Streep est une femme splendide qui me fascine") et le terrifie tout à la fois : "Meryl Streep et ses compatriotes (...) ne se voilent pas et ne voilent rien. Qu'elles aillent au diable ! Elles n'ont rien à voir avec nous."

    Cette fabuleuse étude de mœurs révèle un malaise palpable : celui de l'homme libanais aux prises avec des transformations sociales qu'il est dans l'incapacité de contrôler ou de réprimer ; les modifications des règles des jeux de l'amour et du sexe troublent profondément Rachid et ses interrogations, certes légitimes, de même que ses arguments souvent bancals, dévoilent le mal-être d'une société naturellement mutante et l'existence d'une guerre des sexes qui est loin d'être achevée. Difficile de s'attacher à ce personnage imbu de lui-même et du statut qu'il a reçu en naissant mâle, et sa mauvaise foi, sa lâcheté et son immoralité flagrantes laissent pantois. Mais c'est avant tout son inadaptation aux modifications sociales, sa naïveté maladroite et son discours répétitif, obsessionnel, qui en font un antihéros de choix.

    © B. Longre

    http://www.actes-sud.fr

     

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  • Revue Brèves n° 83

    aa605ea5d9346ddd3129a07f433265d9.jpgA l’occasion des Belles Etrangères 2007, la revue BRÈVES présente deux écrivains libanais.

    RACHID EL-DAÏF témoigne du dynamisme d’une littérature qui puise à la fois dans le patrimoine arabe et dans une large ouverture aux cultures du monde ; une nouvelle inédite, traduite de l’arabe par Franck Mermier.
    ZEINA ABIRACHED, illustratrice et créatrice de bandes dessinées conjugue la recherche graphique et le témoignage sur la vie des habitants à Beyrouth pendant la guerre. Elle capte ainsi des petits moments de vie au centre de la grande histoire.

     

    Ce numéro revient aussi sur le dossier Nouvelle-Zélande et poursuit le dialogue entamé au cours des Belles Etrangères 2006 avec « Retour au pays du long nuage blanc » avec PATRICIA GRACE dont on lira deux nouvelles inédites et un entretien. Patricia Grace, née en 1937, encore peu connue en France (un seul roman est paru en 1993 aux éditions Arléa, Potiki) écrit depuis près de trente ans. Voici ce que je disais (il y a quelques années en arrière...) de son roman Cousins (paru en 1992 en Nouvelle-Zélande).

     

    af00ae6c856014b0abcb50bce4b637fe.jpgCousins de Patricia Grace (Penguin NZ / The Women's Press)

    Trois cousines aux parcours différents mais partageant des racines communes : Mata, élevée dans un orphelinat, déracinée, séparée de sa famille maori, passive et résignée ; Missy, qui grandit sur les terres de sa grand-mère malgré le rejet de cette dernière, mais qui sauvera l'honneur de son clan ; enfin, Maraketa, choyée et servie, prisonnière des espoirs de la famille, mais prête à tout pour s'échapper.
    Ce roman retrace les histoires de trois femmes, des Maoris avant d'être néo-zélandaises. Patricia Grace, première auteure maori à avoir été publiée en 1975 (Waiariki), tisse ses récits autour de sa culture, ses rituels et ses chants, mais aussi autour de la douleur et des difficultés à vivre d'un peuple souvent oublié et rejeté. Les différents récits se séparent et se recoupent, et les chemins de ces trois femmes se croisent si subtilement qu'on a parfois le sentiment de lire des nouvelles. Ces histoires féminines ne sont pas sans rappeler les romans de la Canadienne Margaret Atwood (par la façon dont sont analysées les relations entre les personnages), les nouvelles de l'Indo-Américaine Chitra Divakaruni (la difficulté de vivre entre deux cultures), ou encore les romans de Toni Morrison (dans le traitement des relations entre les communautés, les oppresseurs et les opprimés) : une littérature qui dépasse les frontières néo-zélandaises et maoris, et qui nous parle de l'humain.

    Patricia Grace

    voir la présentation de Brèves n° 79 - à l'occasion des Belles étrangères 2006

    voir la présentation de Brèves n° 82

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