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Les Fantômes du soir

9782749110868FS.gifLes Fantômes du soir
Sébastien Doubinsky
(Le Cherche midi, 2008)

 

Rubinstein, écrivain moyen

Tout débute sur… une chute – quand Paul Rubinstein, invité d’une émission de télévision littéraire (ou qui, du moins, en a les prétentions, comme la plupart de ces programmes pipoles, indigestes et tristounets), dégringole en direct et en public du tabouret peu confortable sur lequel on l’a posé. Une chute qui marque un tournant dans la vie pourtant paisible de cet écrivain discret, dont le dernier roman figure (miracle !) sur la (fameuse ou infamante ?) liste des goncourables – à la grande joie de l’éditeur indépendant auquel Paul a toujours été fidèle. Serait-ce le commencement d’une gloire tardive (et vraisemblablement méritée) ? Rubinstein ne le croit pas, préférant n’y voir qu’un « hasard », plutôt que de nourrir de faux espoirs. Et puis, cette célébrité subite ne lui plaît guère, il en serait même un peu « agacé ». Surprise ! En rentrant chez lui ce soir-là, tout courbaturé (la faute au tabouret), il découvre « trois individus installés sur son canapé »… et pas n’importe lesquels : Henry Miller, Lawrence Durrell et Blaise Cendrars en personne. Rubinstein croit à une farce que lui jouerait son cerveau fatigué, à une illusion d’optique, et même s’il bavarde un bon moment avec eux, il reste sur ses gardes. Que lui veulent-ils ? Et pourquoi lui ? Sont-ils venus le « chercher » ?

Au-delà de la satire évidente qui imprègne nombre de scènes et des piques délivrées au monde littéraire et éditorial dans son ensemble – une certaine sclérose franco-française, associée à un snobisme rédhibitoire – Sébastien Doubinsky dresse le portrait d’un homme en crise, qui cherche un sens à son existence tout en dressant le bilan d’une carrière littéraire certes gratifiante, mais méconnue. Car Rubinstein fait partie d’une catégorie qui compte des centaines de membres : il est l’écrivain « moyen » par excellence ; ni célèbre, ni maudit, ni trop obscur (son dernier roman s’est déjà vendu à 10 000 exemplaires…), il se situe dans la tranche un peu floue de ceux qui savent écrire (et le font bien), mais ne peuvent vivre de leurs écrits (il travaille comme archiviste chez un assureur...) tout en accédant parfois à une relative notoriété, souvent éphémère ou vite noyée par les nouvelles parutions qui envahissent les étals des librairies. Et pourtant, Rubinstein persévère, écrit, publie, continue de bâtir son œuvre. Il est érudit, cultivé, n’a rien d’un opportuniste – au contraire, il serait plutôt du genre intègre, voire gêné par les honneurs – et compte quelques admirateurs, dont un jeune écrivain prometteur venu d’Haïti (la relève, en quelque sorte), dont les mots le rassérènent un peu, malgré ses réticences initiales. En construisant le portrait de cet écrivain qui fait un bilan mitigé de sa « carrière » et vit une crise existentielle – et une crise du sens – sans précédent, on a l’impression que Sébastien Doubinsky donne indirectement la parole à toute cette catégorie, à qui Cendrars (qui lui, a tout compris !) reproche la chose suivante : « Vous nagez dans la contradiction. Vous êtes terrifié parce que le succès vous effleure de son aile aléatoire, mais vous semblez amer d’être aussi peu connu. » Là réside le point d’ancrage de cette quête improbable, indécise, parfois acide – des retours en arrière nostalgiques, des souvenirs qui refluent, aux préoccupations du présent et à l’angoisse de ne plus savoir qui on est ni pourquoi on fait ce que l’on fait. Ce passage à vide se transforme parfois en fantaisie onirique (les fantômes des trois grands – très vraisemblables - y sont pour beaucoup) ou en fable humaniste, et explore habilement, entre légèreté et gravité, les thèmes croisés de la reconnaissance (par qui? pour quoi ?), de la liberté (perdue ou retrouvée, c’est selon), de la fonction de la littérature et de la célébrité – cette façade dissimulant (souvent très mal) le vide vertigineux qui habite certains… inutile de citer des noms, on les connaît tous – il reste que ni Rubinstein, ni Doubinsky n’en sont.

B. Longre

(article publié en mars 2008 dans feu Sitartmag)

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