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Haïkus au féminin

haijin.jpgDu rouge aux lèvres
Haïjins japonaises
Traduction de Makoto Kemmoku et Dominique Chipot
(Points, 2010 / La Table Ronde, 2008)

« kare-kusa no hito omou toki konjiki ni »

« Quand je pense à mon amour
les herbes jaunies
paraissent d'or. »
(Masajo Suzuli, 1906-2003)

Même sans forcément maîtriser ses règles exactes de composition (hormis peut-être le rythme syllabique en 5-7-5) nous connaissons tous le haïku, ce court verset qui a rapidement fasciné l'occident (dès le début du XXe siècle), forme poétique maintes fois empruntée aux poètes japonais, où culmine l'art de la densité, de l'immédiateté et de l'impermanence. Cette belle anthologie regroupe les poèmes de plusieurs haïjins, uniquement des femmes, les traductrices ayant constaté que les poétesses ont souvent été oubliées par les traducteurs et les éditeurs français - alors que la littérature japonaise compte nombre d'auteures depuis des siècles, comme la très réputée Murasaki Shibiku (Xe siècle), à laquelle on doit le Dit de Genji, premier roman de la littérature mondiale, comme le rappelle l'introduction (peut-être un peu trop brève à notre goût).
Ainsi, on découvrira d'abord (et chronologiquement) la poésie de Chigetsu Kawaï (1640-1718), disciple de Basho, l'un des poètes les plus connus, dont elle était très proche. Des haïkus classiques, pour la plupart inspirés par la nature et ses transformations cycliques :

« En fondant
la neige
ravive les pousses. »

haijin3.jpgViennent ensuite les poétesses les plus célèbres du XVIIIe au XXe siècles, comme Chiyo-ni (qui se concentre sur la nature mais aussi sur les gestes de son quotidien, et à laquelle on doit le titre de ce recueil), Takako Hashimoto (que les Japonais considèrent comme un génie) ou Takajo Mitsuhashi (qui exprime des impressions plus mélancoliques).
Une bonne partie de l'ouvrage est consacré aux poétesses nées avant la première guerre mondiale, dont Sonoko Nakamura (1913-2001) - ses compositions, sans être morbides, abordent délicatement l'idée de mort, omniprésente, et le caractère éphémère de l'existence :

« La saison matinale
des volubilis,
interminable mort. »

« Voletant çà et là,
des lucioles
ou des âmes vivantes ? »

Mais les traductrices se sont aussi penchées sur les auteures nées entre les deux guerres (dont plusieurs encore vivantes), telle que Kiyoko Uda (1935-) qui propose des images plus audacieuses où le monde visible permet d'accéder à l'abstraction :

« Une mouche d'hiver.
Minuscule zéro
sur la pierre. »

« Tourniquets
qui tournent en rond.
Poème à forme fixe. »

Les thèmes abordés peuvent se faire graves, comme dans la brève série de haïkus consacrés aux bombes atomiques, tous écrits par des néophytes, ancrés dans un monde concret de souffrances :

« J'ai beau les chasser !
Les mouches reviennent
maintes fois sur mes plaies »

« Sous un soleil brûlant
je ramasse dans un seau
les os chauds. »

L'ouvrage s'achève sur des auteures nées entre 1945 (jusqu'aux années 1980), montrant combien cette tradition poétique est loin de tomber en désuétude ; mais l'échantillonnage proposé, même s'il reste très agréable à parcourir, ne permet pas de se faire une idée très précise du style ou des dominantes de chacune. On restera néanmoins sous le charme de quelques strophes, où la nature reste là encore au premier plan, harmonieuse ou discordante, épousant très subtilement, on l'imagine, les sensations et les émotions des poétesses :

« Bruit de l'eau,
chant de grillons
et battements de mon cœur. »
(Maya Okusaka, 1945 -)

« Printemps limpide -
j'entends les nuages
naître dans le ciel. »
(Reiko Akezumi,1972 -)

© B. Longre

http://www.editionspoints.com/

http://www.editionslatableronde.fr/

 

Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature étrangère, Poésie 1 commentaire 1 commentaire

Commentaires

  • Elle est debout seule
    et écoute ses dents
    blanches éclatantes.

    Beau contraste après l'enchanteur pourrissant !

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