Le dernier n° de la revue Citrouille propose un intéressant dossier intitulé D'une langue à l'autre. Parmi d'autres articles consacrés à la traduction, Madeline Roth, de la librairie L’Eau Vive, s'entretient avec Daniel Cunin, traducteur de littérature néerlandaise.
Quelques extraits :
" Traduire, c’est d’abord lire. Pour traduire, il faut être un bon lecteur, et maîtriser sa langue maternelle à l’écrit - puisqu’un traducteur traduit par principe une langue étrangère dans sa propre langue. Ensuite, il y a tout un travail d’écriture. Les écoles de traduction enseignent souvent et la traduction et l’interprétariat, mais il s’agit de deux métiers bien différents : un très bon interprète n’est pas forcément quelqu’un qui excelle à écrire dans sa langue maternelle. Chez moi, la tentation de la traduction est venue naturellement à partir du moment où j’ai eu envie de partager certains textes néerlandais avec des amis français. (...) Traduire me permet de concilier mes deux passions : la lecture et l’écriture, et d’en vivre, certes sans rouler sur l’or."
" Un traducteur est quelqu’un qui écrit, mais il n’a ni le souci de la page blanche - que n’a pas, je pense, le véritable écrivain-, ni le souci de créer à partir de rien. Quelqu’un a emprunté le chemin avant lui. Son travail ne consiste pas pour autant à simplement restituer plus ou moins correctement un texte ; l’essentiel à mon sens est d’obtenir en français un texte vivant, un texte qui dise ce que dit le texte original. La traduction n’affecte en rien l’original, puisque celui-ci continue son existence propre. (...) Il faut accepter que la traduction vive une vie autonome."
Commentaires
Bonjour Blandine,
et merci pour l'extrait.
Le travail d'analyse que tu fais ici, plus personnel, devient un contrepoint intéressant à Sitartmag. Sais-tu que nous allons publier un recueil des chroniques de Madeline Roth, illustré de photos d'Alice Sidoli ?
Merci Tieri. Non, je l'apprends - et c'est une excellente nouvelle. Je ne suis pas toujours d'accord avec Madeline sur certains bouquins mais j'apprécie sa plume et la façon qu'elle a de transmettre sa passion, à petits pas.
A tous : pour découvrir le travail photographique d'Alice Sidoli http://www.sitartmag.com/8h32.htm
Très intéressant...
Je lis beaucoup de traductions, en particulier de littérature chinoise et il m'arrive de râler contre certaines traductions.
Par exemple, ces romans de Lao She qui décrit la vie dans un "hutong" traduit en "ruelle" alors que tout le monde connaît le hutong type de ruelle très particulière...Ou un biscuit typiquement chinois traduit par "biscuit de Savoie" ce qui est une absurdité. Je ne connais pas le chinois mais il me semble qu'il aurait mieux valu garder le nom chinois.
Blandine, j'ai d'ailleurs une question à te poser.
Dans le dernier roman d'Elizabeth George, il est dit d'un personnage qu'il s'est mis à tutoyer son interlocuteur : comment est-ce possible en anglais ?
Je profite de cette note pour me dire que terminant un livre traduit j'ai toujours un temps de reconnaissance envers celui ou celle qui m'a permis de faire cette lecture.
Rosa : Je n'ai pas lu les romans de Lao She, mais je comprends ce que tu veux dire - il est vrai que parfois, le choix n'est pas aisé : vaut-il mieux transposer une réalité culturelle qui n'a pas d'équivalent dans la langue cible ou bien conserver un terme étranger tout en insérant une note de bas de page... Les deux positions sont défendables et tout dépend du type de roman, de son lectorat potentiel, de la culture décrite, etc.
Concernant le tutoiement : le traducteur va se repérer à d'autres indices afin de choisir TU ou VOUS (relations entre les personnages, âges respectifs, hiérarchie sociale, situation d'énonciation, etc.) Le passage du vouvoiement au tutoiement n'est évidemment pas visible en anglais et le terme "tutoyer" n'a pas d'équivalent, mais on emploiera par exemple "to be on first name terms" - littéralement : "appeler quelqu'un par son prénom", ce qui sous-entend une certaine intimité et un ton plus familier.
J'imagine que dans le roman dont tu parles (lequel est-ce ?!), les personnages ont déjà fait connaissance et décident à un moment donné de "s'appeler par leur prénom"... d'où le choix du traducteur d'employer le terme "tutoyer"... ce ne sont que des suppositions, il faudrait vérifier le texte d'origine. Quel est l'énoncé exact en français ? (si tu l'as relevé !)
Merci en tout cas pour ces questions pointues - en espérant que mes réponses t'éclairent...
Merci pour la réponse...
En ce qui concerne le lectorat des oeuvres chinoises, il me semble qu'"il" apprécierait l'option "conserver le culturel avec note en bas de page"...option heureusement fort souvent retenue. (pour hutong je ne pense pas que ce serait nécessaire !)
Pour Elizabeth Georges, il s'agit du dernier roman, en français "Autonomie d'un crime" : je ne peux te donner le titre anglais car je l'ai déjà prêté. Très intéressant car il raconte, contrairement aux romans policiers traditionnels, comment le meurtrier en vient à tuer : le meurtre est dans le dénouement.
Intéressante description d'ailleurs des milieux défavorisés de Londres, habités par les gens issus de l'émigration. Dans ces ghettos la violence, sous toutes ses formes, est le seul moyen de survivre.
D'actualité pour nous aussi !
Quelle bonne nouvelle de voir Citrouille s'intéresser à la traduction ! et les questions de Rosa sont intéressantes.
Pour les gâteaux chinois, comme le dit Blandine, tout est question de contexte.
Si c'est anecdotique, je trouve pour ma part un peu lourd l'utilisation de note en bas de page. Il faut aussi savoir ce qui se cache derrière ces gâteaux...;-)
A ceux et celles que ça intéresse, voici un lien vers un article sur la traduction, paru il y a quelques temps (et auquel j'avais participé)
http://www.evene.fr/livres/actualite/traduction-traducteur-interprete-langue-version-412.php
Il existe aussi les publications d'Actes Sud sur les "Assises de la traduction" à Arles. Chaque année, ce gros livre reprend l'intégralité de ce qui s'est dit lors des "Assises de la traduction" qui se tiennent tous les ans, à Arles. Débats, tables rondes, etc.
Cathy (écrivaine ET traductrice passionnée !)
Salut Blandine
Au risque de passer pour un pédant, je te signale ma bible en théorie de la traduction : Poétique du traduire, d'Henri Meschonnic (bouquin qui n'est par ailleurs d'aucune utilité technique pour la trad), qui démonte quelques clichés sur le traducteur (passeur, modeste, traître, etc) en se basant sur une évidence : un texte littéraire traduit doit être lui-même un texte littéraire, si bien que le traducteur ne peut s'en absenter. Son audace, la violence qu'il impose à la langue doivent équivaloir celle de l'auteur traduit. Il dit ça vachement mieux, de manière beaucoup plus convaincante, quoique assez technique (c'est une sorte de poète-linguiste, Meschonnic).
Peut-être connaissais-tu tout cela, d'ailleurs.
En tous cas, bonjour à tout le monde !
jb
J'ai essayé de retrouver une page web très intéressante où Sean James Rose, traducteur du vietnamien et critique littéraire à Libération expliquait les choix qu'il a dû faire pour la publication de "A nos vingt ans" de Huy-Thiêp Nguyên. Plus j'en découvre et plus je me dis que la traduction des langues d'extrême orient génère une monstrueuse déperdition...
Et donc, je n'ai pour l'instant pas retrouvé cette page, pour vous la signaler, mais ce n'est que partie remise.
Ceci mis à part, le dit Sean James Rose est quelqu'un que j'apprécie beaucoup (c'est un très bon lecteur d'Erwin Mortier, autre auteur béni par une traductrice fidèle, Marie Hooghe).
Voici le lien évoqué dans mon commentaire précédent :
http://www.penseelibre.info/blog/2007/10/02/note-du-traducteur-sean-james-rose/
En "googlisant" d'abondance pour cette recherche, j'ai été confirmé dans mes intuitions sur le caractère remarquable des activités franco-vietnamiennes de Sean James Rose (que je ne connais pas personnellement, je tiens à le préciser !)
Merci, jb pour ta contribution (loin d'être pédante, rassure-toi) - je ne connais pas cet ouvrage, je vais suivre ton conseil et me le procurer !
Merci aussi à Joannic - le lien qu'il indique ci-dessus donne effectivement un point de vue intéressant sur l'usage de la note de bas de page, à partir de l'exemple du vietnamien. Le traducteur donne aussi quelques explications sur les formes de politesse. ("Sont pris en compte l’âge et le rang dans la famille ou la société. Le confucianisme, avec sa mise en exergue de la hiérarchie sociale et du droit d’aînesse, influe sur la manière de parler.")
J'ajoute par ailleurs qu'en littérature jeunesse ou dans les romans pour ados, on a parfois tendance à proposer des notes de bas de page qui ne seraient pas toujours nécessaires en littérature générale, puisque l'on tient compte de l'âge des lecteurs, qui n'ont pas forcément connaissance de certains traits culturels.
Enfin, merci à Cathy Ytak (traductrice du catalan) qui intervient ci-dessus. L'article qu'elle signale (même si le site Evene est assailli par la pub !) propose un panorama instructif sur le métier de traducteur.
Pascale me transmet l'info suivante :
Si jamais la traduction hispanophone vous intéresse, j'ai discuté avec Elena Zayas, traductrice du cubain Leonardo Padura : http://pagesperso-orange.fr/calounet/interview/zayasexclusivite.htm
Merci !