Le premier prix lab-elle 2007 jury adultes a été décerné le 7 novembre à l'Université de Genève à Un bon point pour Zoé, de Peter H. Reynolds (Milan).
L'association suisse lab-elle – "laboratoire pour elle" - a pour objectif d’œuvrer pour une attention soutenue aux potentiels féminins dans le domaine de la littérature enfantine et de rendre visibles les albums allant dans ce sens.
On lit sur leur site : "Afin de permettre à chacun et à chacune de faire des choix qui ne soient pas dictés par les stéréotypes de genre, il est important de proposer aux enfants des albums qui contiennent des représentations d'hommes et de femmes, de garçons et de filles, non figés dans des rôles cloisonnés. De tels livres, même rares, existent !"
Je n'ai rien contre la déconstruction des stéréotypes et l'égalité dans tous les domaines (bien au contraire) et la démarche mérite d'être soulignée. Il reste que je suis partagée... Je me dis qu'en instrumentalisant ainsi un domaine qui reste avant tout littéraire et artistique, en multipliant les étiquettes (dans ce cas, littéralement, en proposant un autocollant à placer sur les ouvrages sélectionnés, indiquant "Album attentif aux potentiels féminins"), on risque aussi de cloisonner davantage... et de moins tenir compte (voire d'oublier) d'autres critères (esthétiques, graphiques, narratifs, rapports texte-images et subversions des genres ou clichés littéraires...), qui restent essentiels. Signaler que certains ouvrages abordent des thématiques qui vont dans le sens d'un progrès procède d'une démarche évidemment louable, et je ne remets pas en cause le bien-fondé du travail de Lab-elle, mais je m'interroge sur les dérives possibles de ces étiquetages, qui peuvent inciter à choisir un livre sur ce seul critère et à construire, justement, de nouveaux stéréotypes... tout en insistant là encore sur la fonctionalité de tel ou tel ouvrage, au détriment de ses qualités propres.
En parlant de stéréotype... le choix d'une fillette en rose sur le logo ci-dessus reste étonnant. L'association s'explique ainsi : "Reste le ROSE, couleur souvent décriée car massivement associée de manière peu valorisée au féminin. C'est justement pour cela que le rose a été délibérément retenu. En effet, le but du label est de mettre en évidence les potentiels féminins à travers toutes les catégories de personnages: fille, garçon, femme et homme. Il s’agit clairement d’une action de discrimination positive envers le féminin. Dès lors, pourquoi ne pas le faire avec du rose, mais décliné de manière positive?"
Si on veut. Se réapproprier une couleur qui est déjà associée, traditionnellement au féminin... ? Choix paradoxal... qui pourrait même desservir le projet en ayant l'effet inverse. Pourquoi pas les couleurs de l'arc-en-ciel ? Car "Il s’agit clairement d’une action de discrimination positive envers le féminin " ? J'avoue que la discrimination positive en général n'est pas ma tasse de thé. D'où ces réticences, probablement, qui n'engagent que moi.
Qu'il existe (voir les travaux d'Anne Dafflon Novelle, chercheuse) des asymétries entre héros et héroïnes, est une évidence, mais ce constat : "les enfants des deux sexes préfèrent lire des histoires avec un personnage de leur propre sexe." me paraît, par expérience, sujet à controverse... Tout dépend (justement) de la qualité de l'ouvrage (et dans ce cas, le lecteur se moque bien de savoir si le héros est fille ou garçon) mais aussi des "passeurs" (bibliothécaires, parents, libraires, enseignants, médias...), qui peuvent eux aussi véhiculer des stéréotypes et autres valeurs sexistes... Et là encore, la démarche est paradoxale, car si on pousse la logique, le vrai progrès ne serait-il pas, justement, d'inciter les enfants à lire des livres avec des héros ou des héroïnes, indifféremment... ? (et ils le font déjà souvent).
Commentaires
Moui... sceptique aussi. Je suis contre tout étiquetage et pour une totale liberté dans le choix de ce que les enfants lisent, écoutent, regardent, dans la mesure où ils sont demandeurs et qu'il y a un oeil parental qui surveille pour éviter de trop grandes déviances. C'est ainsi que j'ai été éduquée et je ne pense pas m'en tirer plus mal qu'un autre. Mes enfants subissent l'héritage familial, ils vont bien, équilibrés, bien dans leurs baskets, leurs découvertes et les couleurs.
Je ne vois pas pourquoi une telle démarche vous rend sceptique. Compte tenu du fait que la littérature enfantine connait un retour du sexisme (collections sexuées, héroïnes ultra stéréotypées...), que les filles lisent statistiquement plus que les garçons et que le nombre d'héroïnes positives et modernes reste inférieur à celui des héros, il est plutôt judicieux, voir nécessaire, de mettre en avant des albums proposant des personnages des deux sexes qui cassent les stéréotypes ambiants... De toute manière, la qualité littéraire (ex: Verte de Marie Desplechin) va souvent de pair avec la modernité des représentation du féminin et du masculin.
Merci de votre réaction.
Ce n'est pas le combat contre les stéréotypes et le sexisme qui me gêne ici, évidemment, mais l'instrumentalisation d'un artefact littéraire à des fins qui ne sont pas littéraires. On peut bien entendu souligner que tel ou tel ouvrage développe un point de vue innovant ou aborde des thématiques progressistes, mais un étiquetage systématique peut être propice à des dérives (ne plus voir QUE cela quand on choisit un ouvrage).
Je travaille davantage sur le roman pour ados que sur l’album et ce type d’approche utilitariste, je l’ai souvent remarqué, se fait souvent au détriment des qualités littéraires – car ces romans sont alors conseillés comme des manuels de savoir être (quand ils ne sont pas purement déconseillés ou écartés par les prescripteurs si l’on considère qu’ils n’apportent pas de « solutions » pratiques au lecteur adolescent !)
Voir entre autres, si la question vous intéresse, la réaction de JP Nozière à l’un de mes articles parus dans Citrouille, à propos de l'un de ses romans :
http://lsj.hautetfort.com/archive/2006/03/28/%C2%BB-le-roman-%C2%AB-pour-adolescents-%C2%BB-une-creation-hybride.html
Ces remarques me paraissent aussi applicables aux albums pour les plus jeunes.
J'ai par ailleurs pu dialoguer par mail avec Anne Dafflon Novelle, à l'initiative de ce projet et je respecte ses points de vue sur la question. En fin de compte, nous partageons, je pense, les mêmes préoccupations mais ne sommes pas forcément d'accord sur les moyens à mettre en oeuvre pour combattre les inégalités...
L'autocollant rose que Lab-elle propose, par exemple, n'incitera pas les garçons à ouvrir ces ouvrages (j'ai sondé quelques enfants autour de moi), alors que les garçons ont bien besoin de s'ouvrir à l'idée que des "portentiels féminin" existent... Justement, pourquoi
" Les filles lisent statistiquement plus que les garçons " ? Ce n'est évidemment pas un trait inné... Certains garçons subissent de nombreuses pressions sexistes de leur côté, implicites ou non, quand on leur fait entendre par exemple que lire serait une activité féminine (car "passive"), qu'il ferait mieux d'aller taper dans une ballon...
Quant au retour du sexisme dans la littérature jeunesse, je ne suis pas spécialiste de la question, mais la "production" est telle aujourd'hui, qu'il semble difficile de tout analyser. Je veux néanmoins ajouter que les séries ou les collections, même très marquées pour les filles, proposent aussi des héroïnes positives, pas seulement préoccupées par leur tour de poitrine... et il arrive justement que des garçons en lisent, ne serait-ce que pour se renseigner sur les filles...
Pour finir, je découvre votre blog grâce à votre commentaire - je vais l'explorer et l'ajouter à mes liens, car il m'a l'air vraiment riche. Je vois entre autres que nous apprécions toutes deux l'ouvrage de Georges-Claude Guilbert.
bien cordialement