« Le verbe le plus ancien qui ait signifié travailler est ouvrer (…) Il n’a pas dépassé le XVIe siècle et ne subsiste plus que dans l’expression fer ouvré, « fer façonné à la forge ». (…) Cette disparition est d’autant plus remarquable qu’ouvrer était soutenu par toute une série de noms indiquant le travail et son résultat (…) : œuvre, ouvrage, ouvrier… (…) Mais ouvrer n’a pu se dégager de l’homonymie avec ouvrir. Des formes telles que nous ouvrons, vous ouvrez, étaient communes aux deux verbes… (…).
Le verbe qui, en fait, a succédé à ouvrer, est travailler.
Pour l’expliquer, il faut partir d’un mot latin d’époque mérovingienne, tripalium, qui se trouve dans les décisions du concile d’Auxerre (578). Ce mot qui, par son étymologie, signifie « machine faite de trois pieux », désigne dans ce texte un instrument de torture. (…)
La notion de « travailler », essentielle à la civilisation moderne, s’exprime par un verbe qui évoquait à l’origine l’idée de « tourment ». Mais il ne faudrait pas tirer de ce fait des conclusions excessives : travailler ne s’est imposé que parce que l’ancien verbe ouvrer s’est trouvé défaillant. »
Georges Gougenheim, Les mots français dans l’histoire et dans la vie, Omnibus, 2008
Comme on l’aura compris à travers cet extrait, le grammairien se fait explorateur, archéologue, et analyse le langage avec une justesse remarquable - quitte à revenir sur quelques idées reçues.