Hontes
Confessions impudiques mises en scène par les auteurs
anthologie composée par Robin Robertson, traduction de Catherine Richard - Ed. Joëlle Losfeld
Où l'on découvre que les écrivains sont parfois des êtres humains ...
Robin Robertson, poète écossais, a convaincu plusieurs dizaines d'écrivains anglophones d'avouer sur le papier quelques-uns des épisodes les plus humiliants de leur carrière… Ces confessions sont réunies dans un ouvrage atypique où l’on découvre que des auteurs en majorité célèbres ont tous connu (et connaîtront certainement à nouveau) des moments bien pénibles à vivre ; on compatit, certes (dans la majorité des cas, personne n’aimerait se retrouver à leur place…) mais on ne peut s’empêcher de se réjouir de ces mésaventures parfois douloureuses, en prenant conscience qu’après tout, la gloire littéraire est tout aussi éphémère que d’autres formes d’hommages. La force de l’ouvrage tient principalement au fait que c’est justement ce fantasme de l’écrivain intouchable qui, du début à la fin, est mis à mal, ce « culte de l’intellectuel littéraire » qui fait tant horreur à Louis de Bernières (en particulier en France, où il « atteint des sommets délirants ») ; cet individu imaginaire, à jamais enfermé dans un monde parallèle qui ne serait pas celui du commun des mortels, n’existe pas ; si ce n’est déjà fait, cette anthologie est là pour le prouver.
Il est bien évidemment impossible de résumer ici toutes les croustillantes déconvenues qui constituent ce recueil – narrées avec une bonne dose d'humilité – mais on peut s’arrêter sur quelques-uns de ces éprouvants incidents de parcours que les victimes regardent, a posteriori, avec humour. La plupart de ces épisodes s’inscrivent dans un contexte littéraire – lors de rencontres avec le public (parfois si clairsemé que ç’en est déjà une humiliation en soi), de salons, de tournées promotionnelles ou des éternelles séances de signatures (souvent un véritable pensum pour les écrivains, qu’on se le dise…). Ainsi, Margaret Atwood se souvient entre autres de sa toute première séance de dédicace, dans un grand magasin, quand on l’installe « dans le rayon des chaussettes et sous-vêtements pour homme », entourée d’une pile de son roman La femme comestible ; et de conclure, « Ce jour-là, j’ai vendu deux livres. » Rien à voir avec Chuck Palahniuk, qui raconte comment certaines séances se transforment presque en émeutes, tandis que Jonathan Coe évoque plusieurs souvenirs humiliants qui l’ont amené à « forger la même résolution (…) : ne plus aller me fourrer dans ce genre d’événements. Rester à la maison, assis à mon bureau, comme sont censés le faire les vrais écrivains. » - et pourtant, il continue. D’autres anecdotes à recommander : celle du poète Matthew Sweeney qui perd une dent en public, la bourde de jeunesse racontée par André Brink, la cuite d’Irvine Welsh, l’amusante erreur du poète Andrew Motion ou le cauchemardesque salon du livre de Bordeaux, tel que Paul Bailey l’a vécu…
On rit aussi beaucoup du texte concocté par Simon Armitage, poète et romancier, qui a l’habitude de sillonner les routes et qui a choisi de proposer un « medley » de ses pires moments… Une synthèse hilarante et fantaisiste, où tout est pourtant vraisemblable, et qui se rapproche de nombreuses autres expériences d’auteurs invités çà et là à venir lire des extraits de leurs écrits. Des expériences mortifiantes, dégrisantes, qui font de cet ouvrage une somme chaleureuse de moments de bravoure uniques en leur genre, incitant pourtant à souscrire au point de vue d’A.L. Kennedy (« Les rassemblements littéraires sont à éviter »). Seul regret, que les auteures soient sous-représentées (une petite dizaine seulement) ; mais ceci n’est pas dû à l’anthologiste, ainsi qu’il s’en explique en postface ; d'après lui, «le mâle de l’espèce humaine est plus enclin à l’indignité »…
(B. Longre)
Commentaires
Le salon du livre à Bordeaux, je fis en 2004...Plus qu'un cauchemar.
Votre note se termine par un postulat qui me laisse pantois..
In cauda venemum
Amicalement
Venenum...je voulais dire
Surprenant, n'est-ce pas ?
En réalité, je me dois de préciser...
L'auteur indique en postface : "Bien que j'aie convié autant de femmes que d'hommes à cette lugubre célébration, on note une nette prépondérance de récits masculins" - apparemment, peu de femmes ont accepté cette invitation (même si on imagine qu'elles subissent tout autant d'humiliations que leurs homologues maculins...).
"Black celebration", Mmmm ? :-)
eh bien, voilà un livre que j'ai envie de lire pour mieux me convaincre, s'il en était besoin, de la parfaite inutilité de cet exercice de style appelé avec sadisme "rencontrer ses lecteurs". Les lecteurs se rencontrent dans les livres, rarement au rayon chaussettes. J'ai une énorme tendresse (et même plus) pour tous ceux qui m'ont lue et que je ne connais pas, mais il est difficile, quand on est un "sujet sensible", de supporter le regard des spectateurs qui viennent vous voir comme une vache de comice agricole.
Ne s'en sortent, à mon sens, que les écrivains qui ont la fibre théâtrale : comédiens dans l'âme, ils savent capter un public qui est là pour le visuel et l'oral, pas pour l'écrit. Pour tous les autres, c'est infiniment triste...
Personnellement, bien que j'ai très envie de lire ce livre, je doute de me réjouir au spectacle du fantasme de "l'écrivain intouchable mis à mal".
Notre société moderne a sacralisé l'artiste, ce qui était un moyen de le tenir à distance -(relire Totem et tabou ?)- comme, dans les sociétés primitves, un statut d'intouchable était conféré aux sorciers, chamanes, mais aussi à ceux qui portaient une différence notable de moeurs (je pense aux bardaches). Bref, l'art est un masque sacré qui rend tolérable pour la société ce(ux) qu'elle aurait par ailleurs rejeté(s).
La théorie de l'albatros, quoi. Oui, oui, je sais que c'est une conception Romantique, mais ça ne prouve pas qu'elle soit fausse, si ? ;-)
Que l'intouchable se trouve, lorsqu'il est exposé, égratigné, mis à mal, attaqué, humilié, cela me semble presque inévitable, fatal : il y a là une forme de cruauté faussement naïve, inconsciente, envers ce qu'on ne "comprend" pas. (comprendre au sens de partager) On peut certes s'en amuser, mais je ne vois guère de raisons de s'en réjouir...
PS : La phrase finale me semble à moi aussi bien étrange, je ne peux la comprendre que comme : "enclin à l'indignation" au lieu de " l’indignité" ?
" c'est une conception Romantique, mais ça ne prouve pas qu'elle soit fausse, si ? ;-) "
Non. Même que ça prouverait presque le contraire...
L'artiste, et en particulier l'écrivain dont il est ici question, est quelqu'un qui s'expose forcément. Dans ce que j'en conçois.
Ecrire le monde et son monde prête le flanc à bien des critiques, normal, des attaques, normal aussi, des sournoiseries, un peu moins normal...
L'artiste vit sa vie en artiste. Tel que je le conçois, encore une fois. Sans quoi, ça m'intéresse moins.Confronté au protocole des hommes, c'est souvent un fiasco, un décalage.
On a souvent vu des gens écrire des choses d'une intelligence exquise et en dire d'autres d'une platitude à mourir d'ennui.
Et vice-versa.
Cordialement
"L'artiste, et en particulier l'écrivain dont il est ici question, est quelqu'un qui s'expose forcément."
Tout à fait d'accord, mais il a choisi son mode d'exposition. Le monde l'écrase, mais sa liberté, c'est le choix des armes.
L'écrivain s'expose dans son livre, et c'est le livre qui doit être en vitrine, pas l'artiste. Comme l'écrivain appartient au monde des mots, on se figure à tort qu'il saura aussi bien les dire que les écrire. Il me semble qu'on en attend moins d'un peintre par exemple. Ça me rappelle une anecdote au sujet de Jackson Pollock, à qui on demandait de dire quelques mots lors d'une exosition, et qui s'est mis à pousser des cris devant ses toiles... (exprimant en cela ce qu'il ressentait en la peignant, mais sur le coup, il a fait peur à tout le monde)
Les écrivains devraient faire pareil, peut-être ?
Il y a des années de cela, j'ai vu une émission littéraire à la télé avec Sagan et Modiano : on ne comprenait pas un traître mot à ce qu'ils disaient. C'était délicieusement absurde.
D'accord avec votre propos, Anne (et il est illustré. J'aime bien le "délicieusement absurde"), d'accord donc, sauf là :
"L'écrivain s'expose dans son livre, et c'est le livre qui doit être en vitrine, pas l'artiste.."
Quand on s'expose, même par le biais d'une vitrine, le livre, on est exposé. Car il n'y a pas d'écriture d'outre tombe, une écriture qui ne tremperait pas sa plume dans la vie... Une écriture comme une entité abstraite surgie d'on ne saurait où...
L'imaginaire. Oui. Mais l'imaginaire c'est la puissance à saisir autrement sa réalité, comme la poésie à voir autrement le quotidien des jours...
Ca revient au même.Il n'y a pas d'imaginaire imaginaire, passez-moi la tautologie.
C'est ce que je pense. C'est ce que j'écris aussi.
De là à dire que c'est exact, il y a un monde. Plusieurs même...
je comprends bien ce que vous voulez dire : bien sûr, de ce point de vue là, on s'expose ! Imaginaire ou pas, comme disait Montaigne "ma matière est ma vie". OK. Mais tout de même, il y a une marge entre ce qu'on révèle de soi dans un livre, et notre présence physique, non ? Un exemple concret (encore) : mon voisin l'écrivain Christian Bobin ne se montre pas, ne fait pas de télés. Je sais beaucoup de choses de sa vie depuis que je le lis, je sais que je peux le croiser dans la rue au Creusot et ne pas le reconnaître... Je sais qu'il sera dans un mois à Autun (car il a accepté une causerie au théâtre municipal) mais ce micro-événement (qui ne déclenche pas l'hystérie des masses) est annoncé fort discrètement, et sans que jamais on ne montre, par exemple, sa photo.Bref, depuis des décennies, il a choisi la discrétion la plus totale - Julien Gracq faisait de même, rappelons qu'il fut le premier et le seul à ma connaissance à refuser le Goncourt.
N'est-il donc pas possible d'imaginer une "pose" de l'écrivain, engagé dans la vie par ses livres, et dégagé des obligations de représentation ?
Pardon, Blandine, de nous être installés chez vous pour faire la causette...
Anne, de ce point de vue là, entièrement d'accord....Je ne parlais pas de présence physique et autres pitreries du style Houellebecq et Henri levy sur les plateaux de TF1...
J'aime tout de Brassens ,mais en particulier " Les trompettes de la renommée".
Sartre m'inspire beaucoup moins mais je le cite quand même :"Je n’essaie pas de protéger ma vie après coup par ma philosophie, ce qui est salaud, ni de conformer ma vie à ma philosophie, ce qui est pédantesque, mais vraiment, vie et philo ne font plus qu’un."
Anne et Bertrand, je suis votre discussion avec un grand intérêt, j'ajouterai mon grain de sel plus tard...
une seule précision, à propos de ta remarque, Anne : "Personnellement, bien que j'ai très envie de lire ce livre, je doute de me réjouir au spectacle du fantasme de "l'écrivain intouchable mis à mal".
Si je parle de se réjouir, c'est pour deux raisons : de nombreuses contributions sont pétries d'autodérision ou de tragi-comédie et leurs auteurs ont exploité cette veine avec beaucoup de justesse.
Par ailleurs, c'est l'idée du culte de l'écrivain à la française qui est malmené ici (indirectement) – cette manière qu’ont les médias (ou le public) d’idolâtrer un petit nombre d’élus (dont le pédantisme n’a d’égal, très souvent, que la vacuité du discours poétique), au détriment des livres, des vrais auteurs et de la création.
à très bientôt.
Aaaah ! d'accord ! à la bonne heure... Si c'est des pédants, alors, ça va :-) je me réjouis aussi... Bon, j'attends de pouvoir me bidonner très vite : j'ai commandé le livre ! Et pardon pour ce squattage intensif de blog :-))
pourquoi pardon ? c'est toujours instructif, non ?
(quant aux pédants... je parlais plutôt de certains auteurs franco-français :-))
Oui, oui,oui !! je crois qu'on aura compris cette offensive contre les Ecrivains Français (avec des Mahajuscules)... Question subsidiaire : il n'y a donc pas de pédants ailleurs ?
Evidemment oui :-)
(mais peut-être moins qu'ici... ?)
Je suis ravie de voir ce livre chroniqué ici. Je l'ai lu lorsqu'il est sorti, et je me suis franchement régalée !
(et puis il est très bien traduit, ce qui ne gâche rien).
"....dont le pédantisme n’a d’égal, très souvent, que la vacuité du discours poétique"
Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! comme disait Molière sur un tout autre sujet.
L'équation est parfaite tant le rapport est souvent inversement proportionnel et c'est là joliment dit.
Anne sait sans doute que le pédantisme est partout. Mais c'est quoi le pédantisme ? Quand il est sot, qu'il s'assimile à la bêtise, il est facilement identifiable et aussitôt grotesque.
Mais il en est de plus fins.J'en connois dont le pédantisme réside aussi dans une fausse modestie de bon aloi.
Pas ici, je vous rassure.