Le n° 50 du magazine Citrouille, qui paraît le 20 juin, propose un dossier portant sur le roman pour ados. A l'occasion de l'anniversaire de la revue, la rédaction met ce dossier en ligne, et invite à participer à un forum.
J'ai lu attentivement l'article de José Lartet-Geffard (qui parle de subterfuge et d’hypocrisie parce que la loi obsolète de 49 n’est pas mentionnée dans les ouvrages de la collection Exprim – c’est assez édifiant…) et celui d'Ariane Tapinos portant sur le roman d'Antoine Dole, Je reviens de mourir (la libraire l'accuse - on ne sait plus s'il est question du roman ou de l'auteur... - de misogynie et d’« étalage malsain et largement fantasmagorique »).Cet article, en particulier, m’inspire plusieurs remarques. Chacun est en droit de ne pas aimer un roman. Mais faut-il dans ce cas adopter des points de vue et des critères aussi réducteurs pour en parler ? Pourrait-on aussi se pencher sur la langue, l'écriture, l'architecture narrative ? Et pas seulement sur les "messages", ou les "thématiques" ? Ou sur le caractère (soi-disant) transgressif (voire "pornographique" - dès qu'il est question de sexualité décrite crûment) de l'ouvrage ? Certes, les prescriptrices citées ci-dessus sont dans leur rôle : déconseiller un roman qui, potentiellement, sera lu par des "adolescents" (13, 15, 17 ans ???) et qui représenterait un "danger" pour ces derniers (c'est du moins ainsi que je comprends et interprète les articles lus).
On peut aussi se demander si les auteures de ces papiers ne confondent pas (et ce ne serait pas nouveau…) réalité et fiction... Une narratrice se suicide ? Quelle noirceur ! Cela pourrait désespérer les "jeunes" lecteurs... Une autre se prostitue ou se fait violer ? Et si cela donnait des idées à quelques adolescents désoeuvrés ? Pour ma part, je me refuse à critiquer un livre (jeunesse ou non) dans des termes purement utilitaristes ou éducatifs (je renvoie encore une fois à cet article et aux commentaires pleins de bon sens de Jean-paul Nozière)
La fiction appartient forcément au domaine de l'imaginaire et ne saurait se confondre avec le réel ; nul n’a jamais été capable de prouver si un roman était susceptible de mener au meurtre, au suicide, à la prise de drogues, bref à des « conduites à risque » (qui existent aussi chez les ados qui ne sont pas lecteurs… !). On pourrait, si on allait dans ce sens « éducatif », poser les termes inverses, comme le fait judicieusement Caroline Scandale (prescriptrice à ses heures !) : « Vous craignez donc que nos lecteur-trice-s adolescent-e-s se prostituent ou se suicident (ou pire les 2) après la lecture de ce roman? Et si au contraire, en s'identifiant à l'héroïne, ils ressentaient une forte envie de vivre et relativisaient leurs problèmes au regard de sa terrible souffrance ? Laissons les adolescents libres de lire des romans qui parlent de sexualité transgressive, vous les prenez donc pour des enfants de chœurs ?! »
Des jeunes filles subissent des humiliations ? Elles sont avant tout des personnages... de papier et de mots. La littérature EST fantasme (ou fantasmagorie, si l’on veut) et ses liens avec la réalité sont plus ou moins ténus. Un roman peut mettre mal à l’aise quand il s’empare, comme ici, de personnages égarés, en souffrance et en violence. Un roman peut parfois être un exutoire pour un auteur, mais les amalgames entre un auteur et ses écrits me semblent très imprudent d’un point de vue strictement littéraire. Quand Ariane Tapinos écrit : " Antoine Dole est un homme qui écrit : une fille violentée est une femme dépravée. Une prostituée doit bien, quelque part, prendre son pied. Prétend-il dénoncer, qu'il exhibe et se complaît. Cette violence exhibée est le reflet de la domination - ici, même pas stylisée, mais bêtement hyper violente - des hommes sur les femmes." (on se demande ce qu'elle entend par "stylisée" ?) elle confond assurément fiction et réalité, tout comme elle confond l'auteur en tant qu'individu et ses écrits, en lui faisant dire ce qu’il n’a nullement dit, mais en interprétant une œuvre fictive de façon subjective, à l'aune du réel. Et si Antoine Dole avait été une femme ? Les accusations auraient-elle été les mêmes ? Ou bien aurait-on alors accusé une femme d'avoir intégré des valeurs misogynes et de les véhiculer ?
Je peux concevoir que ce roman puisse choquer, interpeller, mais la lecture que j'en fais est tout autre. L'auteur n'entend rien dénoncer (est-ce là son tort ?), hormis, peut-être, le formatage social qui incite les jeunes filles à croire au prince charmant, et il ne fait certainement pas l'apologie de la prostitution, de la violence masculine ou de la soumission féminine... Il se contente de dire l'indicible, de raconter l'horreur au quotidien, la désespérance et la souffrance et les tentatives pour survivre malgré tout. Rien de complaisant dans ce récit des sentiments extrêmes et ambivalents. Rien de gratuit dans la langue violente et poétique. Surtout, ce n'est plus un homme ou une femme qui met tout cela en mots, mais seulement un auteur ; et justement, la question des genres est bel et bien brouillée dans Je reviens de mourir (et c’est tant mieux) car en le lisant, j'ai souvent eu l'impression, presque inconsciemment, qu'une femme aurait pu l'écrire, tant certains passages pénètrent avec habileté les pensées et les émotions de personnages féminins. Et quand on sait que l’auteur lui-même recherche « une certaine universalité des émotions, au-delà des questions de genre et de sexe » car « on est tous égaux face à la perte de l’autre, l’absence de l’autre, le besoin de l’autre… », les accusations de misogynie frisent le contresens.
L’amalgame entre réalité et fiction me rappelle entre autres le rapport demandant l'interdiction de Sang et Stupre au lycée de Kathy Acker, en Allemagne (1986) ; le censeur s’expliquait ainsi : « il est partiellement très difficile voire complètement impossible au lecteur de comprendre s'il se trouve face à l'imagination du personnage principal ou de vrais événements."... ce qui fera dire à l’auteure : "le pauvre gars qui s'y est collé n'y comprenait rien. (...) ils ont cru que c'était vrai." !
Un libraire est en droit de ne pas vouloir conseiller un ouvrage, en revanche, qu’il refuse de le vendre ou de le commander… on appelle cela de la censure, me semble-t-il… « Si Comptines était une librairie générale, on n'y proposerait pas plus ce livre, ramassis de clichés misogynes. » ajoute Ariane Tapinos. Dans ce cas, il leur faudrait ôter de nombreux livres de leurs rayons… de Sade (dont on sait qu’il n’a pas vécu le quart de ce qu’il imaginait dans ses écrits…) à Baudelaire, sans oublier Montherlant, cet affreux bonhomme (dont Les Jeunes filles m’ont pourtant accompagnée à l’adolescence, sans que je devienne pour autant cynique et misogyne), sans parler de tous les ouvrages douteux (érotiques) qui pourraient choquer les bonnes âmes.
Je préfère de loin l’ouverture d’esprit de Madeline Roth qui, dans un autre article du même numéro de Citrouille, écrit : « Moi, et tant pis si certains ne sont pas d’accord, ou tant mieux, je ne crois pas au danger d’un livre "qui ne serait pas pour adolescents". Je crois aux dangers des silences. Et juger qu’un livre n’est pas pour quelqu’un, c’est une décision personnelle et subjective."
Commentaires
(ma remarque postée sur le forum de Citrouille étant courte, je la copie ici ;-)
Poser la question de ce qu'un adulte peut explicitement proposer via un livre à un adolescent identifié comme tel (par le ciblage éditorial et/ou marketing par exemple) n'a rien à voir avec la dangerosité supposé du livre. Mais avec le respect dû à l'ado par l'adulte dans son rapport direct à lui - dans l'indispensable distance due par l'adulte.
Ce qui est pernicieux, ce n'est pas le contenu du roman, mais la proposition explicite qui est faite du roman à un ado par un adulte.
C'est une question qui est posée au-delà de la seule littérature.
Il y a des livres et d'autres choses que les ados ont à aller chercher seuls, d'eux-mêmes, sans que les adultes ne leur tiennent la main ou leur flèchent le chemin.
Pour ma part je n'appelle pas cette absence de balise "censure" ;-)
Mais pourquoi lier "littérature jeunesse" et pédagogie ou éducation? on parle de création artistique, cessons de croire que les livres dès lors qu'ils sont dans les mains des ados, sont des manuels de vie, les ados sont bien moins malléables que beaucoup semblent le penser.
Merci Thierry - Mais dans l'article que je commente, le contenu du roman est lui aussi jugé pernicieux... voire davantage. Quant à la collection Exprim, je ne la juge pas, pour ma part, spécifiquement ado ou adulte, mais je peux comprendre que son caractère inclassable (et incasable ?) irrite ou du moins interpelle les prescripteurs. Pourquoi ne pas mettre en place des rayons ados/adultes, histoire de briser cette frontière ? Le fléchage serait fait, discrètement, sans pour autant obliger un libraire à conseiller ou non tel ou tel livre.
Et puis cet article va au-delà de l'idée d' "absence de balise" et de la proposition ou non à faire à des ados, en disant explicitement : "Si Comptines était une librairie générale, on n'y proposerait pas plus ce livre". Pour moi, c'est de la censure bête (et méchante ?).
Le sexe, on en parle dans nos livres autrement que comme d'une maladie, un désordre, une contrainte ou une obligation, on évoque même le plaisir (rarement , c'est vrai), la jouissance, les caresses... l'érotisme, idem, la prostitution, la pornographie, qui sont d'autres thèmes, on les représente tout aussi bien, et le sida, et le suicide, pareil. N'est-ce pas l'une des menaces qui plane tant sur les adultes (revoir l'affaire Renault) que sur la jeunesse, d'ici, d'ailleurs, Japon en tête? On essaie de rendre le monde qui nous traverse quand on écrit pour les adultes. Il faudrait donc édulcorer, masquer, en un mot trahir quand on s'adresse aux adolescents? Bien entendu, il ne s'agit pas d'étaler mais de dire juste. Sans parler d' Arte,ou des rares dossiers et essais consacrés à ces thèmes, si on regarde simplement les séries, numéro 1 de la culture des jeunes, si on écoute la musique -et les textes qui l'accompagnent-que capte-t-on d'autre? On devrait donc quand on écrit pour les adolescents se transformer en pédagogues, qu'on introduise transgressions, désespérances, réel, par un paragraphe explicatif,( ce qui serait nier la littérature), qu'om travestisse l'état du monde , qu'une part importante de ce qui fait vibrer, questionner les jeunes on la passe sous silence, pour rajouter sur ce qui est déjà écaillé un vernis " vertes années"?
Jocelyne Sauvard
@ Jocelyne - Bonjour
S'il n'y a pas de différence entre écrire pour les adolescents et écrire pour les adultes ou écrire tout court, je me demande ce que c'est que ce projet, cette revendication d'écrire "pour les adolescents" ?
Et s'il y a une différence justifiant un tel projet de destinataires ciblés, je me demande où ceux qui pratiquent cette écriture et cette édition situent cette différence ? Le sujet ? Le vocabulaire ? Le style ? La retenue ? Nulle part ? Mais alors... ça veut dire quoi, «écrire pour les adolescents» ??
(pour donner mon point de vue sur cette question : ça ne veut rien dire, écrire pour les adolescents -j'entends pour les plus de quinze ans. Et si écrire pour les adolescents, c'est écrire intentionnellement pour les moins de quinze ans, alors oui, évidemment, qu'on ne peut pas écrire n'importe quoi et n'importe comment pour eux - même s'ils peuvent par ailleurs lire entendre et voir n'importe quoi)
@ Blandine
> ""Si Comptines était une librairie générale, on n'y proposerait pas plus ce livre". Pour moi, c'est de la censure bête (et méchante ?)."
De multiples livres ne sont pas critiqués sur ton blog. De multiples livres ne sont pas proposés par telle ou telle libraires (toutes confondues !)... Certains "libraires" se contentent des offices, d'autres des listings de la centrale d'achat, d'autres effectuent leurs choix en fonction de leurs spécialités ou de leurs goûts... je n'y vois pas de censure - d'autant plus qu'il reste à tous l'obligation de commander tout livre qui leur serait demandé.
Thierry
http://sitedethierrylenain.free.fr
Thierry
"de multiples livres ne sont pas proposés par telle ou telle libraires" - évidemment. Mais dans ce cas précis, ce sont les raisons de refuser ce livre qui me semblent fallacieuses - et non le fait de ne pas le proposer en soi. Parce que si l'on refuse ce livre pour misogynie (je me contente de reprendre les termes de l'article, car je crois au contraire qu'il n'y a pas moins misogyne que ce bouquin), autant pousser la logique jusqu'au bout et expurger une bonne partie de la littérature classique et moderne...
A Thierry (en vous remerciant de nous poser la question -enfin - !)
"Et s'il y a une différence justifiant un tel projet de destinataires ciblés, je me demande où ceux qui pratiquent cette écriture et cette édition situent cette différence ? Le sujet ? Le vocabulaire ? Le style ? La retenue ? Nulle part ? Mais alors... ça veut dire quoi, «écrire pour les adolescents» ??
Vous avez raison, "écrire pour les adolescents" ne veut rien dire. "Roman ado", en l'état, pas beaucoup plus.
En revanche, qu'une littérature soit en pleine jeunesse, et susceptible de toucher particulièrement les jeunes, c'est autre chose...
Notre conviction, cher Thierry, est que la littérature que nous proposons via les auteurs de la collection EXPRIM' est par essence moderne, innovante et déroutante - d'abord du fait de son rapport créatif et ludique à la langue.
Notre problématique n'est donc ni commerciale ni pédagogique, mais littéraire ; nous proposons une nouvelle énergie, voire un nouveau courant littéraire.
De ce point de vue, il nous semble que le secteur jeunesse, en admettant qu'il tienne compte de l'évolution des auteurs, des lecteurs et des romans de son siècle, est le plus à même d'accueillir cette littérature non-académique qui, par sa modernité, son goût de l'innovation, touchera d'une façon générale les lecteurs curieux et notamment, oui, les jeunes.
L'idée est donc de comprendre le sens du mot jeunesse sous une acceptation nouvelle : non pas "bas en âge" ou "en-dessous de ...", mais au sens de dynamique, novateur, curieux. Dos Passos définissait ainsi la jeunesse : "des sens en alerte, des oreilles aux affuts, un regard aux aguets" (je cite de mémoire).
N'est-il pas temps que le mot jeunesse signifie en librairie ce qu'il signifie partout ailleurs, dans la rue comme dans les concerts par exemple ?
Alors, il ne sera plus étonnant de trouver un roman de Bret Easton Ellis ou de Mark Z. Danielewsky, qui traitent des problématiques les plus contemporaines du réel avec une liberté et une inventivité débridées, aux côtés de ceux d'auteurs comme Antoine Dole, Guillaume Guéraud, Rachid Djaïdani ou Insa Sané : les auteurs des lecteurs de demain, oui, car ce sont les auteurs qui ré-INVENTENT sans cesse la littérature, la débrident et "l'hybrident".
Au plaisir de poursuivre ce débat, car il faut que les choses bougent !!!
Tibo Bérard
Responsable de la collection EXPRIM' (Sarbacane)
Merci, Tibo, pour ces précisions sur ce qu'on peut faire du terme "jeunesse", qui sert souvent à ne désigner que les enfants en littérature, ce qui est forcément réducteur...
A ta liste, j'ajouterais aussi (entre autres, évidemment !) un roman comme FEUX de Jocelyne Sauvard, qui justement, intervient ci-dessus.
http://www.sitartmag.com/jsauvard3.htm
moi, ce qui me sidère, c'est qu'il existe une littérature spécialisée pour adolescent. qu'il y en ait une pour la jeunesse, les tous petits, les jeunes ado, soit. mais à quinze ans, on est en âge de faire certains choix artistiques.
on fait lire, dans les écoles, du schmidt (et c'est pas d'arno qu'il s'agit) ou du lévy, quand ce n'est pas la collection travelling... sous prétexte qu'il faudrait avant tout "donner le goût de lire". indifféremment, harry potter ou barbara cartland...
si l'on m'avait biberonné comme ça, je ne lirais plus rien aujourd'hui.
@ Tibo
Que vous oeuvriez à faire émerger un nouveau courant littéraire, débridé et hybride, en vibration avec d'autres arts qui sont (prioritairement, mais pas que) ceux de ce qu'il est communément convenu d'appeler la jeunesse (dans un sens bien plus large que dans "livre jeunesse"), j'applaudis à deux mains. Ça me rappelle quand j'avais 20 ans et ma rencontre avec la littérature, la BD et le graphisme post-punk, Bazooka et cie.
Maintenant, que vous choisissiez, pour vous implanter, l'endroit du livre jeunesse sous prétexte que dans cette expression, il y a "jeunesse", et qu'ensuite, comme ça gêne quand même un peu aux entournures, vous proposiez de refondre le mot "jeunesse" dans la dite expression pour qu'elle vous convienne mieux, là je trouve que vous poussez le hold up un peu loin.
Le livre jeunesse, c'est avant tout et même si au fil du temps on a abandonné le terme, l'endroit de l'enfance, même quelque peu tardive :-). Il y a cependant toujours eu à sa marge des créations autres qui y ont trouvé asile, et c'est tant mieux, grand bien lui en a toujours fait - belles nourritures, beaux métissages. Mais ce n'est pas une raison pour vouloir remodeler à son image la terre d'accueil.
Il me semble, si vous le permettez, que la place de votre collection est en édition adulte, dans son segment "jeunes adultes (mais pas que !)". Il n'est sans doute pas facile d'y faire son trou pour un éditeur, encore moins qu'en jeunesse, mais bon, ce n'est pas de la faute du livre jeunesse, hein ! Et si à la vue de votre littérature urbaine et/ou générationnelle dont je dis sans ironie qu'elle peut être cinglante et excitante, des ados quittent alors l'exclusivité d'une "littérature jeunesse" qui les aura magnifiquement accompagnés jusque là, pour être embarqués sur la berge adulte, alors je dirai : bravo Tibo !
Thierry
ps : je précise que je m'exprime ici en mon seul nom et que mes propos n'engagent ni Citrouille, ni les Librairies qui l'éditent. C'est juste mon avis...
D'accord avec vous.
Formater une "littérature spécialisée pour adolescents", ça n'a pas de sens. Notre démarche consiste plutôt à jeter un pavé dans la mare ado, et à proposer aux jeunes - notamment - le bouillonnement littéraire de leur époque (ce qui est très différent). Et ce, à travers les écritures les plus riches, explosives, inventives, héritières de Céline ou de... Arno Schmidt, justement !
A Thierry : le "d'accord avec vous" s'adressait à Xavier (nos messages se sont croisés) !!
Cela étant, j'entends votre point de vue. Nous plaidons justement pour l'émergence en jeunesse d'un nouveau rayon, qui commence d'ailleurs à apparaître en librairie et en bibliothèque, et qui correspond peu ou prou au "young adults" anglo-saxon (à part qu'il reste cette notion de tranche d'âge...)
Mais pourquoi assimiler notre démarche à un hold-up ? Je regrette, mais jeunesse n'est pas synonyme d'enfance !! Je pense très sincèrement que l'acceptation que nous donnons au mot jeunesse est pertinente. Un roman EXPRIM' détonerait autant aux cotés d'un roman de Pascal Quignard (pour citer un auteur que j'aime du reste beaucoup) que d'un Harry Potter.
Mais ne trouvez-vous pas que le secteur jeunesse, qui justement est le plus dynamique en ce qui concerne les rencontres d'auteurs, les animations, la vie du livre en fait, devrait être celui qui "porte" les oeuvres des nouvelles générations ?
J'insiste, pas de hold-up ici... juste une entrée un peu musclée en matière, pour bousculer l'ordre établi et faire évoluer une vision pédagogique du livre assez irritante.
Du reste, nombreux sont les professionnels du livre, libraires, bibliothécaires, enseignants, à soutenir notre démarche, heureux de voir qu'en direction des jeunes, on propose des romans aussi innovants !
Je ne connais pas le livre. Mais je partage entièrement votre point de vue, Blandine, sur la soi-disant "responsabilitè" que pourrait avoir une oeuvre sur des comportements dèviants ou dangereux.
C'est prendre l'art pour ce qu'il n'est pas et l'humain pour encore moins responsable qu'il n'est.
Ce trou de souris, hèlas, la censure l'a souvent mis à son profit et pas seulement pour les lectures pour ados.
Ne pas tomber dans le piège, procès facile, bonne conscience achetèe à pas cher, etc...
Souvent, ce ne sont pas les ouvrages - mais vous le savez aussi bien sinon mieux que moi - les plus clairs en matière de violence sociale ou d'amours osées, si j'ose ainsi m'exprimer, qui sont les plus dangereux pour la santé "morale" du lecteur, jeune ou moins jeune.
Cordialement
Bonjour,
@ Redonnet, pour commencer, je vous conseille de le lire car il est vraiment très bien construit, écrit, et innovant. J'ai trouvé que c'était un très bon roman.
@ Blandine et les autres :
comme certains, j'étais surprise que ce livre s'adresse à la littérature pour la jeunesse que je connais mal du reste même si je suis prof en collège et que je devrais m'intéresser davantage à la question. Mais les ados, je les vois faire, je les vois lire.
Ils sont comme les adultes ! Certains aiment les gentilles petites histoires qui se lisent vite et donnent du baume au coeur; d'autres au contraire viennent y chercher des réponses à des questions; d'autres enfin aiment les histoires décapantes, violentes parce que c'est ce qu'ils écoutent comme musique, voient comme film... Parce que c'est ça qui structure leur imaginaire.
La collection Exprim' a donc tout à fait sa place en librairie. Il faudrait revoir sa place sur les gondoles car les livres brouillent les pistes. Mais je suis persuadée que nous sommes nombreux, ados comme adultes à avoir aimé ce livre.
Comme Madeline envie de dire : "je crois aux dangers des silences." Et ici les seuls silences viennent de ces jeunes lecteurs qu'on n'entend pas. Les paroles d'ados recueillies à la librairie La courte échelle sont sûrement trop partielles, pas assez déployées.
Mais ce serait quand même une hypothèse intéressante à creuser : la littérature qui s'invente aujourd'hui, déplacée loin des centres identifiés de la création littéraire, loin des foyers de l'avant-garde auto-proclamée, cette littérature vivace et chercheuse aurait ses résurgences du côté de la littérature jeunesse ?
On a envie d'y croire et de vérifier juste un peu l'hypothèse. Si le roman est l'art de la polyphonie et de l'impureté, pour reprendre les théories de H. Broch et de G. Scarpetta, alors ces romans qui incluent les torsions du rap et de la pub, les slogans des bandes annonces et des jingles, les raccourcis des sms et les expressions trash de la pornographie, ces romans-là inventent une littérature nécessaire puisqu'elle résonne du monde où vont nos vies. Un monde confus, hyper-violent et passionnant où une langue neutre, désamorcée et sans aucune cicatrice serait avant tout un mensonge, au mieux une nostalgie.
L'envie de lire à 13 ou 14 ans n'a pas besoin de restrictions morales ou thématiques, c'est une envie qui passera outre en s'approchant, à l'instinct, des zones d'intensité maximale. Là où prend feu la langue va la littérature. Alors on peut toujours tenter de la repousser du bon côté des barbelés, quitte à faire croire que la langue ne s'invente plus dans les livres mais seulement sur scène ou sur écran. Ce serait peine perdue, et condamner des livres à ne pas rencontrer ces lecteurs qui voudraient lire à ce niveau d'intensité, justement.
A Thierry : le "d'accord avec vous" s'adressait à Xavier (nos messages se sont croisés) !!
Cela étant, j'entends votre point de vue. Nous plaidons justement pour l'émergence en jeunesse d'un nouveau rayon, qui commence d'ailleurs à apparaître en librairie et en bibliothèque, et qui correspond peu ou prou au "young adults" anglo-saxon (à part qu'il reste cette notion de tranche d'âge...)
Mais pourquoi assimiler notre démarche à un hold-up ? Je regrette, mais jeunesse n'est pas synonyme d'enfance !! Je pense très sincèrement que l'acceptation que nous donnons au mot jeunesse est pertinente. Un roman EXPRIM' détonerait autant aux cotés d'un roman de Pascal Quignard (pour citer un auteur que j'aime du reste beaucoup) que d'un Harry Potter.
Mais ne trouvez-vous pas que le secteur jeunesse, qui justement est le plus dynamique en ce qui concerne les rencontres d'auteurs, les animations, la vie du livre en fait, devrait être celui qui "porte" les oeuvres des nouvelles générations ?
J'insiste, pas de hold-up ici... juste une entrée un peu musclée en matière, pour bousculer l'ordre établi et faire évoluer une vision pédagogique du livre assez irritante.
Du reste, nombreux sont les professionnels du livre, libraires, bibliothécaires, enseignants, à soutenir notre démarche, heureux de voir qu'en direction des jeunes, on propose des romans aussi innovants !
Merci Blandine pour ton texte salvateur écrit en réaction à celui de la « ligue de vertu des gentilles libraires »… Difficile de savoir par quel bout commencer tant je m’inscris en faux à peu prés contre tout dans le dernier dossier de Citrouille… Mais la critique faite envers Antoine Dole, traité de misogyne du fait de ses personnages féminins transgressifs est celle qui me choque le plus.
Je commencerai donc par apporter quelques précisions sur l’intention de l’auteur. Un échange avec lui m’a permis de comprendre le point de départ de « Je reviens de mourir ». Je lui ai demandé comment lui était venue l’idée d’écrire une telle histoire et de quelle manière il s’y était pris pour se glisser dans la peau d’un personnage de l’autre sexe avec autant de justesse. A cela il m’a répondu que l’idée s’était imposée naturellement à lui suite à une relation « dé-constructive » qui lui avait fait réaliser qu’il avait sans cesse dû jouer avec cette notion de limite, très présente dans le roman. « Est ce que c'est nous qui posons la limite en ayant conscience de jusqu'où nous sommes capables d'aller par amour, ou est ce que c'est la personne en face de nous qui doit avoir conscience de jusqu'où elle est capable de nous laisser aller... Marion et Eve sont chacune le pendant d'une réponse à cette question… La prostitution dans le roman est métaphorique, j'avais la sensation de m'être prostitué pour cette relation, d'avoir vendu qui j'étais, la portée universelle de ce sentiment c'est qu'on est tous amenés à se "prostituer" par amour, quand la peur de perdre l'autre (au sens viscéral) devient plus forte que le reste, qu'on vend ce qu'on est pour préserver les choses dans un état plus ou moins stable (alors qu'en vrai la limite devient complètement mouvante et que c'est l'engrenage).. » Là où Ariane Tapinos, dans son article « Femme fantasme en pâture » voit « des hommes en guerre contre les femmes » dans le « merveilleux monde de l’égalité des sexes » il n’y a qu’une tentative littéraire de métaphoriser la soumission à autrui par amour et non du fait de son sexe. Ce texte a une portée universaliste et non différentialiste !
Elle nous parle ensuite de « violence exhibée », « reflet de la domination masculine des hommes sur les femmes », qui les place dans la dépendance et la soumission. Là encore je réfute car Marion/Eve, dixit Ariane Tapinos « victime et salope à la fois », n’incarnent pas toutes les femmes mais symbolisent plutôt les deux pulsions de vie et de mort antagonistes en tout être humain. De plus le simple fait que l’héroïne qui dévore les hommes s’appelle Eve est un pied de nez au cliché éculé de la pècheresse originelle, la sorcière, la femme hypersexuelle. « Je reviens de mourir » ne fait en aucun cas l’apologie de la domination masculine mais renvoie plutôt un reflet sensible et juste de la souffrance de personnages désespérés prêts à tout pour être aimés. Alors oui, leur quête est une spirale infernale qui passe pour l’une par une sexualité débridée et pour l’autre par l’acceptation des coups et la prostitution… Mais enfin, ce livre dénonce cela et ne fait en aucun cas l’apologie de la femme-objet!!! Au contraire il décortique les raisons psychologiques et sociales qui poussent les héroïnes à agir ainsi.
Enfin Josée Lartet-Geffard évoque « la tentative de séduction perverse pour la déchéance décrite », « la fascination voyeuriste » et qualifie ce texte de pornographique… Là encore je m’insurge, en quoi est-il pornographique ??? En comparaison de tout ce que les jeunes peuvent malheureusement trouver sur le Net, ce roman passe pour mièvre…
La vraie question est ailleurs… Pourquoi la figure féminine sexuellement transgressive, même traitée de manière littéraire plutôt soft, soulève un tel tollé moralisateur ? Parce que cela dérange les bonnes consciences et qu’il est encore tabou d’associer la femme à une sexualité non conventionnelle…
Pour finir sur le côté pessimiste du livre d’Antoine Dole, de quelle manière ressent-on les choses à 15 ans ? Et bien de manière entière, parfois désespérée et les livres qui font des passerelles entre les interrogations d’ados et les explications possibles sont rares, donc précieux.
@ Tibo
>> "Je regrette, mais jeunesse n'est pas synonyme d'enfance !!"
Je ne parlais d'un sens restrictif du mot "jeunesse" que dans l'expression "livre jeunesse" qui pour moi s'adresse en gros aux 0-15 ans (ce qui ne signifie pas qu'on ne puisse pas y trouver des oeuvres transgénérationnelles et universelles - ce qui ne signifie pas non plus qu'il soit interdit à un lecteur de 13 ans d'aller voir ailleurs ce qui se passe, et même sacrément ailleurs, sans qu'un adulte lui tienne la main…)
Maintenant, si au motif que la jeunesse c'est en gros jusqu'à 25/30 ans, on décrète que le "livre jeunesse" vise aujourd'hui les 0- 30 ans, alors oui, ok, EXPRIM' y a sa place. Comme toute la littérature d'ailleurs. Et l'on pourra même se réjouir alors, à l'instar d'aucuns ici, que le littérature jeunesse intègre «les expressions trash de la pornographie».
> "Nombreux sont les professionnels du livre, libraires, bibliothécaires, enseignants, à soutenir notre démarche, heureux de voir qu'en direction des jeunes, on propose des romans aussi innovants !"
Je fais partie du lot. Mais par ailleurs je n'ai pas attendu votre collection pour penser que tout ce qui s'adressait aux plus de 15 ans (même ce que vous trouvez poussif et ennuyeux :-) devait être proposé à partir du monde éditorial "adulte", justement pour ne pas enfermer les plus de 15 ans dans une tranche d'âge.
Thierry
A Thierry
J'avais bien compris que vous vouliez parler uniquement de l'expression "livre jeunesse", mais c'est justement là le problème : pourquoi cet adjectif, quand il est accolé au nom "livre", prendrait-il aussitôt uniquement et nécessairement le sens de "pour enfants" ?
Avez-vous entendu parler de "disques jeunesse" ? Non ! Et pourtant, quand le rap a déboulé en France, c'était une jeunesse de la musique, un renouveau. Et les jeunes ont accroché.
A Tieri Briet
Je suis on ne peut plus d'accord avec vous quand vous évoquez "ces romans qui incluent les torsions du rap et de la pub, les slogans des bande-annonces et des jingles, les raccourcis des sms et les expressions trash de la pornographie" : OUI!!! La littérature moderne se joue là - notamment. Elle est en vie, en émergence, en chantier... en pleine jeunesse.
A tous :
MERCI à toutes et tous pour ces commentaires qui font avancer la réflexion ! Je ne réagis pas ici sur l'article d'Ariane Tapinos, mais la réponse arrive...
Tibo
Relire Maldoror... Relire Radiguet...
Ce qui est intéressant, c'est de lire la critique d'Ariane Tapinos dont le propos se rapproche de la fibre MLF (femmes asservies, femmes objets, femmes instrumentalisées, etc.). Elle traite Antoine Dole de mysogine, mais j'ai beau relire le roman je ne trouve jamais le mot "salope" dans le texte, ou ne trouve de propos dégradant émis par un narrateur quelconque sur les femmes. Seulement la douleur et le ressenti d'une jeune femme, un regard d'elle à elle. Ariane Tapinos en revanche, use de cet axe mysogine dans son approche du roman, en jugeant les héroines selon des critères d'hommes ("salope" en est un bon exemple, quand elle définit la jeune femme à la sexualité transgressive), on observe alors le discours d'une femme rodée à ce féminisme conditionné par une société d'hommes, qui juge ses paires selon les critères qu'elle condamne : un féminisme sous contrôle, asservie par des siècles de culture mâle. S'il y a mysoginie ici selon moi elle émane de l'auteur de ce papier dans Citrouille (à la limite de la diffamation) et de la perception qu'elle retire de la femme à la lecture de ce roman (j'y vois de véritables héroïnes quand elle y voit des salopes et des objets), plus que de l'auteur de ce roman qui s'est ouvert à un exercice de création littéraire.
Madame Tapinos n'aurait t-elle pas été plus chamboulée par ce roman qu'elle ne voudrait l'admettre? un tel rejet de ce livre, sur des critères complètement dénués de notion littéraire, mais attaquant l'auteur sur son intégrité morale, me semble un procès d'intention un peu louche.
Redonnet : merci, nous sommes bien d’accord. Et je vois parfaitement à quels ouvrages vous faites allusion quand vous parlez de « santé morale » mise à mal… on les retrouve trop souvent, malheureusement, en tête des ventes (ce qui ne veut pas dire qu’un bouquin qui se vend bien est nécessairement médiocre !)
Anne-Sophie – merci de donner votre point de vue, vous qui avez lu ce roman et l’avez apprécié. Quant aux ados, je suis du même avis : tous n’ont pas les mêmes envies, désirs, passions, et c’est tant mieux. C’est bien pour cette raison que la diversité éditoriale d’aujourd’hui (en jeunesse et en littérature générale) est une chance. La collection Exprim brouille en effet les frontières, et c’est une bonne chose, il me semble, de sortir de ces cases, comme le font d’autres romans étiquetés « grands ados / jeunes adultes » - je pense entre autres à ces romans publiés en jeunesse puis en littérature générale, ou vice-versa, tels que le roman de Mark Haddon, celui de Gregory Galloway (La disparition d’Anastasia Cayne) ou encore Tout ira bien de Kéthévane Davrichewy (d’abord chez Arléa, et maintenant à l’école des loisirs…)
Tieri : j'abonde dans ton sens.
Quant à l'article auquel tu fais référence dans le dossier Citrouille voici un extrait : « Mais visiblement les ados en ont assez des sujets tristes, des situations improbables où les pires possibilités adviennent, où l’abandon, la mort, la culpabilité règnent. »
On tire des généralités à partir de 4 ou 5 témoignages. C’est fort dommage. Et encore une fois, on nous ressert le même refrain, le critère bateau par excellence : le « sujet », la « thématique ». Et nulle part on ne parle d’écriture, de langue ou de style, de traitement littéraire. Et là encore, on confond réalité et fiction.
La conclusion de l’article : "Alors amis éditeurs, on aime vos publications, mais n’oubliez pas les ados dont la vie est sans drame et dont l’envie de s’évader d’un quotidien (pas forcément simple pour autant), l'envie de vivre et de rire voudrait passer par des livres gais et passionnants !" Des propos qui, pour ma part, ont le don de me déprimer... (mais je suis une vieille ado aigrie, certainement !) Parce que la littérature est par essence évasion... et s’écarte du réel ; parce qu’il existe d’excellents romans de divertissement, parfois «gais et passionnants », bien écrits sans être formatés, tous genres confondus. Dans le même temps, «gais et passionnants » me semblent être des critères passablement restreints...
Caroline : de même ! Ton analyse est passionnante (et gaie ? :- D) et précise ; merci ! Comme toi, l’accusation de pornographie me fait doucement rigoler (encore faut-il savoir de quoi on parle). je le disais sur un autre blog : je préfèrerais que certains ados lisent ce roman, du Anaïs Nin ou du Sade (entre autres !) plutôt que de se gaver d'images pornographiques vides de sens.
Tibo : merci de tes interventions qui apportent un éclairage élargi – la « jeunesse », telle que tu l’entends, n’est pas une question d’âge (que veut dire, plus ou moins de 15 ans ? pourquoi pas 13, ou 17, dans ce cas ?) mais est davantage de l’ordre d’un renouveau littéraire, d’un renouvellement de la langue, du style, de la manière de traiter une histoire.
Sébastien : Radiguet ? Trop malsain, tu penses ! (Quelle idée, franchement :-D)
Irma : merci pour cette analyse pointue. En effet, il s’opère dans l’article d’Ariane Tapinos un drôle de renversement… De même, l’insistance sur le genre des personnages et sur celui de l’auteur m’a semblé d’emblée très réductrice, forcément binaire et manichéenne, alors que le roman est loin de l’être. Tout ceci est péremptoire, moralisateur et caricatural. Quant aux propos qui cataloguent l’auteur… j'ai du mal à concevoir la critique littéraire de cette manière ; on est libre de ne pas aimer un livre et de le dire, en argumentant de préférence (ce qui est loin d'être le cas ici) mais le texte devrait rester au centre du débat.
>>"Tibo, merci de tes interventions qui apportent un éclairage élargi – la « jeunesse », telle que tu l’entends, n’est pas une question d’âge (que veut dire, plus ou moins de 15 ans ? pourquoi pas 13, ou 17, dans ce cas ?)"
Je me permets de rapporter ici les propos de Frédéric, l'éditeur de Tibo, sur le site Ricochet :
http://www.ricochet-jeunes.org/rech.asp?id=113
- "L’album illustré et la BD Jeunesse s’adressent au même lectorat, à une même catégorie d’âge, celle des 4-12 ans."
- "l’album illustré s’adresse à un lectorat assez jeune, il est difficile, avec lui, de cibler un lectorat de plus de 10 ans"
- "Ce que nous faisons en BD avec Gwen est très proche dans l'esprit de ce que nous réalisons avec Tibo sur le roman 15-25 ans."
Tibo n'est pas en reste dans l'interview accordée à Madeline Roth, dans Citrouille :
- "Avec des éditeurs comme Naïve, on se rend compte qu'on est sur le même lectorat (15-25 ans)"
C'est certain - comment ai-je pu avoir cette idée ?- mon "plus ou moins 15 ans" est absurde !
Ce qui n'est pas le cas des tranches "4-12 ans", "+ de 10 ans", et "15-25 ans" - dont il est bien évident qu'elles ne sont par ailleurs pas à confondre avec les tranches "5-11 ans", "+ de 9ans" et "17-28 ans", n'est-ce pas Blandine ;-)
Thierry
Le sexe, on en parle dans nos livres autrement que comme d'une maladie, un désordre, une contrainte ou une obligation, on évoque même le plaisir (rarement , c'est vrai), la jouissance, les caresses... l'érotisme, idem, la prostitution, la pornographie, qui sont d'autres thèmes, on les évoque tout aussi bien, et le sida, et le suicide, pareil, n'est-ce pas l'une des menaces qui plane tant sur les adultes (revoir l'affaire Renault) que sur la jeunesse, d'ici, d'ailleurs, Japon en tête? On essaie de rendre le monde qui nous traverse quand on écrit pour les adultes. Il faudrait donc édulcorer, masquer, en un mot trahir quand on s'adresse aux adolescents? Bien entendu, il ne s'agit pas d'étaler mais de dire juste. Sans parler d' Arte,ou des rares dossiers et essais consacrés àces thèmes, si on regarde simplement les séries, numéro 1 de la culture des jeunes, si on écoute de la musique -et les textes qui l'accompagnent-que capte-t-on d'autre? il faudrait quand on écrit pour les adolescents qu'on se transforme en pédagogues, qu'on introduise transgressions, désespérances, réel, par un paragraphe explicatif, qu'om travestisse l'état du monde , qu'une part importante de ce qui fait vibrer, questionner les jeunes on la passe sous silence, pour rajouter sur ce qui est écaillé un vernis " vertes années"?
Jocelyne Sauvard
À Thierry,
Ce qui est intéressant dans la création d'une collection, c'est la façon dont elle trouve, de livre en livre, son identité.
On est peu à peu reconnu par les libraires, les bibliothécaires et la presse, on reconnaît à notre tour un lectorat en le rencontrant sur les Salons, sur Internet, lors d'animations, etc. On avance, avec l'équipe, les auteurs, les rencontres. Et on affine un discours en le confrontant toujours plus au réel.
Alors, c'est vrai, on s'est aperçu que beaucoup de nos lecteurs avaient "entre 15 et 25 ans". On s'est dit que, pour participer de l'émergence de ce rayon nouveau en librairie, il était peut-être plus facile de communiquer sur cette tranche d'âge - même si l'expression ne nous séduisait pas, même si elle nous semblait réductrice.
Ce que je dis ici, Thierry, c'est que notre préoccupation n'a rien à voir avec un "ciblage", mais avec une certaine idée de la littérature. Vous évoquez un segment jeunes adultes dans le rayon adulte, nous recherchons un rayon nouveau venu de la jeunesse, car nous pensons que beaucoup de nos romans sont héritiers d'un Attrape-coeurs, par exemple. Je crois que vous et moi sommes d'accord sur le caractère hybride de ces romans, et c'est l'essentiel, non ?
Nous proposons des romans singuliers. Après, c'est aux professionnels du livre - et à nous - d'imaginer les meilleures manières de faire rencontrer ces livres et leurs lecteurs.
Voilà tout
Tibo
@ Tibo
Vous dites : “Alors, c'est vrai, on s'est aperçu que beaucoup de nos lecteurs avaient "entre 15 et 25 ans”.
Il me semble que c'est bien la tranche d'âge que vous espériez avant même le lancement de votre collection, quand vous passiez des appels à manuscrits :
«Je travaille comme éditeur au sein de la maison de littérature jeunesse SARBACANE. Je suis chargé d'y développer une collection de romans ado - ou plutôt, de romans qui s'adresseraient en priorité (mais non exclusivement) aux adolescents.»
On se gausse beaucoup ici d'une littérature qui s'adresserait à un âge plutôt qu'à un autre. Mais un tel ciblage était un des deux piliers de votre projet - qui n'était pas uniquement de faire émerger une nouvelle jeunesse de l'écriture. De ce fait il était logique que vous cherchiez à positionner votre collection en "littérature jeunesse", là où pour l'instant se trouvent plutôt les collections pour la cible que vous aviez définie.
Peut-être, depuis, trouvez-vous cette contrainte de départ trop étroite et du coup cherchez-vous à écarter le cadre dans lequel elle vous avait conduit à vous inscrire. Personnellement, pour ce courant d'écriture pour lequel, oui, je manifeste le plus vif intérêt, je trouve que vous auriez tout intérêt à sortir du cadre plutôt que d'essayer de le tordre. Comme un ado qui, un jour, doit couper les ponts :-)
Thierry
A relire le dossier de Citrouille sur le roman ado - et ce dossier nous intéresse puisque nous préparons une collection de romans ados mis en images par de jeunes photographes - je crois quand même que s'y opère une sorte d'entourloupe qui ressemble à de la malhonnêteté intellectuelle.
Dans ce dossier l'avis des premiers intéressés - les ados lecteurs de ces romans - est donné dans le cadre d'un seul article intitulé : On n'est pas comme ça dans la vie. A lire l'article on peut s'en persuader, ils sont unanimes et n'en veulent pas de ces livres avec "des sujets tristes, des situations improbables où les pires possibilités adviennent, où l'abandon, la mort, la culpabilité règnent", pour reprendre cette drôle de catégorisation. Alors si les ados de Rennes n'en veulent pas, aucune raison de ne pas attaquer dans Citrouille un livre que personne ne voudra plus défendre.
La malhonnêteté intellectuelle consiste ici à présenter ce rejet comme unanime. Or cette unanimité est loin d'être avérée, et ne peut pas servir longtemps de poudre aux yeux, encore moins de caution à une montée d'intolérance qui semble devenir majoritaire à Citrouille , et annoncer ainsi le nouveau "droit chemin" dont parle T. Lenain : une littérature sans souillures et sans zones d'ombres. Ils vont se régaler les "ados dont la vie est sans drame", il y aura plein d'éditeurs pour leur proposer "des livres gais et passionnants" qu'aucune librairie n'aura l'idée de refuser, puisque l'unanimité est acquise, cautionnée maintenant par la revue des librairies jeunesse.
je n'ai qu'un mot à dire : merci Tieri.
(ça fait 2, pardon)
C'est très intéressant, dans les développements de Tibo, que le ciblage de la tranche d'âge, forcément plus ou moins présent au départ comme le souligne Tierry Lenain, soit dynamité par une énergie jeune, par la question de la langue, par la force des textes qui donnent peu à peu son identité à la collection, peut-être au-delà de ce qui était prévu au départ. Tant mieux !
C'est une grande chance que soit proposé un nouvel espace de liberté, de paroles, d'inventions. On peut être forcément surpris ou dérangé.
Je fais confiance aussi à Tieri Briet pour ne pas se laisser enfermer dans des catégories d'âges, de thématiques, de formes et de permettre que les livres "débordent", proposent des approches neuves.
c'est une belle définition du mot jeunesse.
PS Blandine, ça discute plus chez toi que chez Citrouille !
"puisque l'unanimité est acquise, cautionnée maintenant par la revue des librairies jeunesse."
waouh ! je ne peux évidemment pas laisser dire ça ! je ne vais pas raconter l'historique de la conception de ce dossier, mais je suis d'accord avec beaucoup des avis échangés ici, ce dossier a quelque chose de très dangereux dans la manière d'assembler plusieurs avis qui vont dans le même sens, et de ne pas assez tempérer les propos, de ne pas avoir opéré l'équilibre des échanges. Il était évident pour moi, par exemple, que l'article qui ouvre le dossier, avec les avis d'ados recueillis sur une collection de romans, était une erreur.
Nous sommes libraires. Spécialisés jeunesse. Je pense que l'association des librairies spécialisées jeunesse s'est toujours battue pour défendre des livres audacieux, courageux, et chaque libraire, dans sa librairie, mène ce combat, économiquement aussi, rappelons-le, pour défendre des livres de fond que l'on ne trouve pas ailleurs. Il est évident que les libraires de l'ALSJ lisent beaucoup, sélectionnent beaucoup, font un énorme travail de promotion d'une littérature de qualité, de création. L'association, comme la revue, apporte une quantité d'avis différents. Contraires, aussi, souvent. Rarement unanimes.
Que ce dossier soulève de tels débats, j'en étais sûre, mais il me semble que ces questions ne surgissent pas de nulle part. Elles émergent à un moment où effectivement, les frontières de la littérature jeunesse sont peut-être en train de bouger ? Ou je dis une connerie ? Mais ce qui m'ennuie, c'est la violence que je lis parfois dans certains commentaires, sur ce blog ou sur celui de citrouille dans d'autres pseudo-débats qui vont faire bouger quoi ? C'était ça l'agacement de Sébastien Joanniez quand je l'ai contacté pour citrouille, et cette colère, je la comprends. Il me semble que la meilleure manière de parler, c'est encore de le faire oralement. A quand les assises du roman ado ?
Merci Madeline de rappeler qu'en effet, les libraires indépendants font beaucoup pour le livre et les lecteurs en général, même si la plupart des éléments de ce dossier m'ont fait penser à un certain article du Monde des livres paru il y a quelques mois.
Quant à la violence de certains commentaires, je ne la vois pas, en tout cas pas sur cette page - que certaines réactions puissent être tranchées (vu la virulence de l'article d'Ariane Tapinos) que d'autres manient l'ironie, c'est possible, mais en tout cas, chacun a pris la peine d'argumenter son point de vue, parfois longuement (et ce n'est pas un reproche !!)
Quant au "pseudo-débat", pour reprendre votre terme, il me semble malgré tout qu'il permet d'approfondir la réflexion et de confronter des points de vue avec, mais je peux me tromper, intelligence.
Pour ma part, j'ai de plus en plus tendance à penser qu'il n'y a pas de "roman ado", mais de la littérature tout court (je n'ai certes pas de préoccupation de prescription) même si, dans le cadre de mon travail (du côté de l'édition), il faut néanmoins penser au lectorat potentiel de tel ou tel ouvrage - mais pas nécessairement en termes d'âge.
Citrouille reproche au roman d'Antoine Dole sa "tentative de séduction perverse pour la déchéance décrite"(sic!)... où on reconnaît l'éternel reproche de la Vertu, dont le terme "éthique" n'est jamais, sous la plume de certains, que l'euphémisme contemporain.
Déjà en 1868, un journaliste du Figaro écrivait à propos de Zola: "Il s'est établi depuis quelques années une école monstrueuse de romanciers, qui prétend substituer l'éloquence du charnier à l'éloquence de la chair, (...) qui s'inspire directement du choléra, son maître, et qui fait jaillir le pus de la conscience"
Réponse de Zola, à propos de son roman "Thèrèse Raquin": "Certaines gens vertueux, dans des journaux non moins vertueux, ont fait une grimace de dégoût, en le prenant avec des pincettes pour le jeter au feu. (...) Je ne me plains nullement de cet accueil; au contraire, je suis charmé de constater que mes confrères ont des nerfs sensibles de jeune fille. Il est bien évident que mon oeuvre appartient à mes juges, et qu'ils peuvent la trouver nauséabonde sans que j'aie le droit de réclamer. Ce dont je me plains, c'est que pas un des pudiques journalistes qui ont rougi en lisant "Thérèse Raquin" ne me paraît avoir compris ce roman." (extrait de la préface)
N'était cet alibi de la jeunesse des lecteurs, qui paraît justifier toutes les censures, je recommanderais bien à nos vertueuses libraires de lire "Les testaments trahis" de Kundera, peut-être que cela pourra les aider à avoir "bonne conscience", comme elles disent, en confiant à de jeunes personnes des romans "qui font mal".
Extrait: "La création du champ imaginaire [=le roman] où le jugement moral est suspendu fut un exploit d'une immense portée: là seulement peuvent s'épanouir des personnages romanesques, à savoir des individus conçus non pas en fonction de vérité préexistante, en tant qu'exemples du bien ou du mal, ou en tant que représentations de lois objectives qui s'affrontent, mais en tant qu'êtres autonomes fondés sur leur propre morale, sur leurs propres lois."
"Children's literature", "literatura infantil"... La façon dont on parle de la littérature dite "jeunesse" n'est pas la même dans nos pays voisins, qui marquent une différence.
L'apparition récente dans les librairies d'un secteur "young adults" correspond à l'apparition récente de romans s'adressant aux "young adults". Peut-être devrions-nous suivre l'exemple des Anglais en France ?
Parler de littérature pour enfants ?
De littérature ados-adultes ?
Oui mais, à quel âge devient-on ado ? De plus en plus tôt. Adulte ?
De plus en plus tard.
Oui mais, ça dépend.
Je dirais que tous ces débats se mordent la queue. Les prescripteurs ne devraient jamais oublier qu'ils ont été des enfants, des adolescents. C'est drôle comme, lorsqu'on devient adulte, on a peur de tout !
Rappelons que finalement, ce ne sont que des livres, dont on parle(et mon "que" ne se veut en aucun cas réducteur). Des romans réfléchis, écrits avec style - par des auteurs responsables. Des fictions. You hou ! les amis, tout ceci n'est pas la réalité.
En revanche, euh... la censure est une réalité.
Et là, c'est grave.
Qu'on ne décide pas pour les jeunes. Ils ne grandiront jamais, ainsi. Qu'ils décident eux-mêmes. Qu'ils réagissent. Qu'ils s'expriment.
Qu'ils pensent.
Vous savez, ils en sont capables. Ben ouais !
"Si Comptines était une librairie générale, on n'y proposerait pas plus ce livre". Pour moi, c'est de la censure bête (et méchante ?)" peut on lire plus haut....
Etrange....le rôle d'un libraire, la définition même de son métier, n'est-il pas de sélectionner, proposer et défendre les livres qu'il a lui-même choisis?
Par-delà même, lui est-il interdit, sous peine d'être traité d'abominable censeur, de ne pas retenir tel ou tel titre, selon des critères qui lui sont propres, et que dans le cas présent, il a le courage et l'honnêteté de justifier?
Tel libraire ne veut pas chez lui de tel ou tel titre. Et alors? Où est sa liberté?
Assez de ce mot "censure" mis à toutes les sauces, dès qu'une critique n'est pas dans l'air du temps...
Il me semble que l'intolérance n'est pas toujours là où on la pointe.
Didier de Régis
Librairie des 3 Mages
@ Didier de Régis
Je réponds comme je l'ai fait précédemment : dans ce cas précis, ce sont les raisons de rejeter ce livre d’un bloc qui me semblent tendancieuses - et non le fait de ne pas le proposer en soi. Parce que si l'on refuse ce livre pour misogynie (je me contente de reprendre les termes d'Ariane Tapinos, ce roman ne l’étant nullement…), autant pousser la logique jusqu'au bout et expurger une bonne partie de la littérature classique et moderne...
L'article en question n'est en effet pas dans l'air du temps, du moins j'ose espérer - car j'y vois plutôt un retour de la bonne vieille morale qui ne s'embarrasse pas des éléments qu'on s'attendrait à trouver dans une analyse littéraire digne de ce nom, qui sache à la fois faire montre d'objectivité et de subjectivité réfléchie, et laisser une ouverture ou une porte de sortie au lecteur (que penser par exemple d'une critique qui dévoile d'emblée au lecteur l'une des clés narratives d'un roman dès les premières lignes ? Comme pour dire : "je l'ai lu pour vous, pas la peine d'aller plus loin, ne vous fatiguez pas, ce n'est qu'une daube" ??). La publication d'un article de ce type dans une revue telle que Citrouille, amenée à être lue par un grand nombre de lecteurs et diffusée dans de nombreux lieux, a forcément de l'impact et ceci est assez dommageable pour ce roman, entre autres, pour la littérature en général.
DEFENDRE des livres, d'accord - je ne suis pas libraire, je n'ai rien à vendre, mais je le fais au quotidien ici ou ailleurs.
En revanche, DEMOLIR parce que le contenu d’un livre vous choque, sans prendre la peine de réfléchir au pourquoi ou au comment, sans chercher plus loin que la supposée "misogynie" d'un auteur, je trouve cela regrettable. Si les "critères" de la critique sont de cet ordre, il est normal d'en être choqué. Dans ce cas, autant s’arrêter à l’antisémitisme d’un Céline ou à la misogynie d’un Montherlant, sans chercher plus loin.
Par conséquent, l'intolérance n'est certainement pas de mon côté, contrairement à ce que vous laissez si finement entendre - je respecte le travail des auteurs et des éditeurs (et aussi des libraires en général !). Mais je revendique l'intolérance face à des articles outranciers et moralisateurs (voir ce qu’écrit pertinemment Myriam Gallot ci-dessus, à propos de Zola), face aux jugement à l'emporte-pièce et à l'étroitesse d'esprit, au manque d'analyse critique (confondre réalité et fiction ? confondre un auteur et son roman ? où est le recul que l’on attend du critique ?).
Je ne reviens pas sur le fait qu'on puisse ne pas aimer un roman : justement, les goûts et les couleurs... Seulement, le rôle du critique est d'être capable d'objectiver un minimum sa lecture… peut-être faudrait-il voir dans ce roman autre chose qu’une « ramassis de clichés misogynes », aller au-delà de la surface des choses. Les éditeurs ne publient pas n'importe quoi ou sans raison et les auteurs qu'ils publient ont travaillé leurs textes - que le résultat ne soit pas à la hauteur de nos attentes de lecteurs est une chose. Mais descendre en flèche un roman sans argumenter, en se contentant d’attribuer à l’auteur des propos qui ne sont pas les siens et de s’offusquer qu’un tel livre puisse passer entre les mains d’innocentes têtes blondes (qui ont vu pire, croyez-moi), ou en schématisant volontairement la démarche narrative, tout ceci en soi pernicieux et d'un autre âge.
Et j'oubliais, Antoine Dole, contrairement aux auteurs que je cite ci-dessus, n'est ni misogyne, ni antisémite :-) (tout le monde l'aura compris... mais on ne sait jamais !)
C'est bien parce que Citrouille est une revue nécessaire, plus qu'importante à mes yeux dans ses positionnements et ses combats comme dans les thèmes explorés, c'est bien à cause de cet attachement de lecteur que je m'inquiète d'une dérive qui me semble, oui, intellectuellement malhonnête.
C'est l'avis d'un lecteur attentif et qu'il soit jugé irrecevable par certains rédacteurs ou libraires ne manque pas de m'inquiéter davantage : L'article reprenant les avis unanimes des ados pour rejeter une certaine littérature manque d'informations : Aucune précision sur le nombre et l'âge des ados. Encore moins sur leurs appartenances sociales et, comme le remarque Anne Percin, on ne sait même pas s'ils les ont lus ces livres, ou s'ils répondent seulement à une présentation faite par les libraires. La valeur sociologique de ce document est donc à peu près inexistante, mais elle crée une unanimité fausse parce que partielle, tendancieuse. Dommage, mais le plus grave est que ce recueil très flou de témoignages vienne renforcer une mise à l'index d'un autre roman, la justifier en quelque sorte. Il fallait au moins ça pour faire avaler un article qui ressemble quand même à un retour à l'ordre. Un retour à l'ordre moral. Ariane Tapinos pourrait refuser ce livre pour des raisons littéraires, philosophiques, j'arriverais à comprendre et à accepter une position que je trouve de toute façon courageuse. Mais dans cet article elle s'en prend à son auteur et ce n'est pas acceptable. J'ai tendance à partager ses convictions féministes, et sa voix engagée est souvent pertinente, nécessaire en littérature jeunesse où la régression quant aux représentations de la femme est inquiétante, inacceptable. La voix d'Ariane Tapinos rejoint la position engagée de Talents Hauts et de Lab-Elle, elles forment une zone de résistance face à une régression généralisée et tant mieux, je dis bravo. Mais la valeur de cet engagement ne justifie pas "la confusion entre réalité et fiction", pour reprendre l'analyse de Blandine, et s'en prendre ainsi à l'auteur quand dans un entretien du même dossier, Sébastien Joanniez raconte s'"être pris plein de trucs dans la gueule", pour un texte paru dans la même collection. Là c'est au tour d'Antoine Dole de se prendre plein de trucs dans la gueule et attention, un auteur c'est fragile, on peut critiquer son livre mais pas lancer l'anathème sur le bonhomme.
Alors oui cette confusion et ce retour à l'ordre m'inquiètent, d'autant plus que la seule comparaison littéraire opérée par Ariane Tapinos (dans l'échange de mails reproduits) porte sur les pamphlets de Céline (Bagatelles pour un massacre) qui ne forment pas un livre de fiction mais d'opinion. Céline y déploie sa haine antisémite et il revendique chaque idée comme sienne. Rien à voir avec un récit donc où on le sait l'auteur ne revendique pas les opinions de ses personnages. Là aussi on peut s'inquiéter : Est-ce parce que ce livre est devenu introuvable depuis la libération, mis à l'index et diabolisé puisque Lucie Almansor-Destouches, veuve de Céline et ayant droit en la matière, s'oppose à sa réédition ? Est-ce qu'il faut diaboliser "Je reviens de mourir" et le rendre introuvable en l'expulsant des librairies comme cela s'est passé pour Bagatelles ? Alors ce n'est peut-être pas une question de censure, non, mais parlons de MISES A L'INDEX et de DIABOLISATION sous prétexte qu'il y a des sentiments, des passions humaines si abjectes qu'il faudrait interdire à la littérature d'en explorer les effets, la dévastation dans nos vies.
Lisant Citrouille depuis toutes ces années où je lis des livres à mes enfants, je n'imaginais pas trouver dans ses pages une mise à l'index aussi peu justifiée, s'appuyant sur une unanimité floue et malhonnête - celles des ados-lecteurs, pas des libraires - et sur une indignation morale qui n'a rien à voir, malheureusement, avec le cœur secret, labyrinthique et trop humain de la littérature.
De la mise à l'index à la censure, il n'y a qu'un pas...
merci, Tieri, pour tes points de vue, j'y reviendrai, comme sur d'autres commentaires ci-dessus. En revanche, de quel échange de mails parles-tu ?
L'article "Pour qui et pour quoi ?" reprend des extraits des mails échangés entre les auteurs du dossier sur les romans ados.
C'est sûrement une marque de courage que de publier ces mails dans la revue. Une sorte de making off du débat qui fût à l'origine du dossier. Dans un de ses mails Ariane y évoque les pamphlets de Céline, j'imagine qu'il s'agit des "Bagatelles pour un massacre" et non "Mea Culpa", qui a déjà été réédité.
Merci Tieri, l'allusion à Céline m'avait échappé.
Concernant le féminisme... il y a féminisme et féminisme, si j'ose dire. Mais celui d'Ariane Tapinos (binaire - hommes contre femmes, d'après ce que je lis dans l'article portant sur Je reviens de mourir) n'est certainement pas le mien - (voir entre autres ce que j'écrivais à propos de Lab'elle http://blongre.hautetfort.com/archive/2007/11/25/lab-elle.html)
Blandine le lien ne fonctionne pas.
le voilà de nouveau !
http://blongre.hautetfort.com/archive/2007/11/25/lab-elle.html
@ Myriam Gallot :
merci, du fond du coeur, d'avoir cité Zola - en tant que "Zolienne" (ou Zoliste ? ;-) je me sens (ré)confortée, touchée, émue.
Ce qui en revanche me chagrine par avance, c'est qu'il va encore se trouver de bonnes âmes pour nous dire que "ce n'est pas comparable", qu'on ne peut comparer la censure morale de la fin du 19ème siècle, avec la saine critique bienveillante-et-sans-oeillères du début du 21ème...
Le propre de la censure est justement de convaincre le public qu'elle agit dans son intérêt.
Petite digression : lundi, c'était le bac de philo. Un lycéen que je connais bien m'a rapporté son sujet, agrémenté de notes marginales de sa main. C'était trés émouvant. J'ai failli pleurer en pensant que les pious-pious (qu'on se figure assez naïfs pour être influencés par un roman) ont planché pendant 4 heures sur cette question : "L'art transforme-t-il notre conscience du réel ?"
(A la pensée que la majorité des adultes n'y songent même pas, à cette question, et qu'imposer aux ados d'y réfléchir constitue une forme de torture mentale d'un autre âge, il s'est élevé en France des voix pour suggérer l'abolition de l'enseignement de la philo...)
Sinon, le piou-piou avait aussi la possibilité de méditer sur un texte de Schopenhauer, qui définit le champ d'action de la morale... Je ne vais pas résumer ici (!) mais je conseille à tous les apprentis-censeurs d'aller voir de quoi il en retourne. C'est édifiant.
Pourquoi donc ai-je presque toujours l'impression que les adolescents sont plus intelligents et moins superficiels que beaucoup d'adultes... ?
Même sentiment Anne, en lisant les sujets de philo de mon fils qui a choisi le texte de Schopenhauer...
Puis, très belle surprise en espagnol où il fallait plancher sur un extrait du magnifique "Vent de la lune" d'Antonio Munoz Molina.
bon, je n'ai pas (encore) lu ce livre, mais, pour commencer, je suis contre la censure.
J'avais lu votre article sur ce lien: http://www. sitartmag. com/adole. htm et noté le titre dans un coin, vous m'aviez donné envie de le lire.
bon je ne sais plus où était écrit que le roman pour "ado" était "création hybride".
Mais forcément, puisque l'"ado" est un hybride!
ensuite il ne faut en effet pas confondre l'auteur avec ses écrits, j'entends par là, le point de vue qu'il adopte et le contenu (la façon d'écrire).
un "danger"?, moi aussi je ne pense pas qu'après un bouquin on ait l'idée d'aller se prostituer où se flinguer: c'est totalement absurde!
au contraire si le style et les mots sont aussi choquants, -il semble ici que ça soit le cas- c'est peut-être pour provoquer "réaction" et pas "ah oui tiens qu'elle bonne idée! je suis tellement désœuvré moi-même, ça donnera un sens à ma vie!" ^^
le commentaire de Caroline Scandale est tout à fait ce que je pense.
et pour terminer je vous cite "La littérature EST fantasme"
point.
après si les gens sont incapables de faire la part entre la vie et la fiction, on ne peut que les plaindre, et subire éventuellemnt les méfaits de leurs propositions de censure (ps: l'article "Censures et autocensures Autour du livre de jeunesse" démontre assez bien l'état d'esprit de ceux qui attentent à la vie d'un ouvrage
ps2: par chance, les "ados" sont beaucoup plus ouverts d'esprit! et les critiques leur passent probablement au dessus de la tête!)
@ tous les participants à cette discussion.
Je suis un jeune libraire de l'ALSJ et un contributeur régulier de Citrouille depuis deux ans. Je viens ici (merci de m'y accueillir) sous l'effet d'une profonde tristesse en raison des conséquences douloureuses qu'a déjà engendrées la polémique autour du dossier "Ados" du Citrouille n°50 (en général) et de la critique du livre d'Antoine Dole (en particulier). Je n'engage que moi et vous écris de ma propre initiative.
Je tiens d'emblée à préciser que je ne suis pas (ne veux surtout pas être) animé de la volonté d'attaquer qui que ce soit dans cette histoire.Surtout ne pas verser encore de l'huile sur le feu. Je réagis avec émotion certes, mais sans abdiquer toute réflexion (j'espère). Je pense sincèrement que tous les participants à cette discussion sur blog de Blandine Longre, que j'ai plaisir à lire, sont des personnes vraiment passionnées de littérature, talentueuses sur le plan des idées et honnêtes intellectuellement. Et pourtant, dans cette histoire, j'ai le sentiment que plusieurs se sont en partie abandonnés, sur quelques aspects particuliers, à des dérives problématiques. Mon propos porte essentiellement sur les critiques adressées à Ariane Tapinos et sur les insinuations/accusations de censure ou de retour à un ordre moral étriqué au sein de l'ALSJ/Citrouille. Je m'explique.
Quiconque a beaucoup aimé le livre d'Antoine Dole a tout à fait le droit d'estimer que la critique d'Ariane était excessive. C'est une question d'analyse, ouverte au débat d'idées. On peut donc contre-argumenter, de manière aussi radicale qu'Ariane éventuellement, en défendant bec et ongles les qualités du livre en question. Madeline Roth l'a fait, par exemple, avec talent et conviction, et d'autres aussi, ce qui m'a vivement intéressé. Je n'ai pas encore lu le livre mais j'en ai "littérairement" très envie. La question n'est pas là du tout en fait. Le problème à mes yeux c'est que pour tenter de réduire à néant l'article d'Ariane, au-delà d'une contre-critique argumentaire bienvenue, on a déversé ici sur elle un tombereau d'attaques en des termes très durs et que j'estime tout à fait humiliants, pour elle et mais aussi pour tous les libraires de l'ALSJ et le travail qu'ils accomplissent vaille que vaille depuis vingt ans - j'y reviendrai un peu plus loin. Cela serait tombé sur moi, je me serais affreusement effondré, mais mon cuir n'est pas réputé pour son épaisseur ; vous pouvez d'ailleurs mettre mon intervention ici au crédit d'une sensibilité à fleur de peau (et non au débit, s'il vous plait).
Je ne suis pas un universitaire, ni un spécialiste de la littérature et de son étude, ni même un libraire très expérimenté. Cependant, je crois que la critique d'un livre a entièrement le droit d'être virulente et même violente parfois, au sein d'une publication libre issue d'une association libre (qui ont l'une et l'autre depuis longtemps donné des gages innombrables de leur sérieux mais aussi de leur soutien enthousiaste à la littérature jeunesse), aussi injuste et désagréable que cela puisse paraître le cas échéant. De même, une contre-critique peut être légitimement tout aussi virulente pour défendre le-dit livre. Mais elle n'a pas de légitimité à démolir la personne même ayant écrit la critique initiale pour disqualifier tout son discours mais aussi son être. Ou alors on ne vit pas dans le même monde.
Et puis, au-delà d'Ariane, il y a ces accusations tout de même hallucinantes de censure (jusque dans le titre de cet article de blog), qui m'ont littéralement sidéré, écoeuré, accablé (je le dis sans violence mais non sans heurt). Permettez-moi un préambule avant d'en venir au cas précis qui nous occupe. On ne peut bien sûr pas confondre avec de la censure le tri subjectif que tout libraire, fier et digne de ce nom, fait nécessairement et librement dans son assortiment. Et même si ce tri peut sembler à d'autres injuste, partial, lamentable, mauvais (parce qu'ils auraient fait un tri différent), comment diable faire l'amalgame avec de la censure !?! Y a t-il pire épouvantail, pire insulte, dans le monde de l'art, de la culture ou de l'esprit que celui-là !?! C'est précisément parce que les libraires ont la capacité de faire des choix LIBRES et DIFFERENTS les uns des autres que la censure n'existe pas. Jamais "Je reviens de mourir" ne sera présent sur les rayons de Comptines ? Eh bien il s'agit de LA MEME LIBERTE de choix qui permettra à d'autres libraires d'aimer le livre, de le mettre en valeur, de le défendre et de le conseiller ! Et vice-versa pour d'autres livres. Et c'est ainsi que chaque livre a sa place au soleil. C'est cela vivre dans un pays libre. Appeler censeur un libraire qui refuse de mettre un livre en rayon, c'est précisément mettre en danger cette liberté fondamentale (le libraire commandera bien sûr le-dit livre si on lui en fait la demande - la loi y veille mais aussi l'honneur du libraire -, il ne dissuadera pas son client de le lire si celui-ci ne lui demande rien à ce moment là en terme d'avis ou de conseil). Une "anti-censure" qui imposerait que tel livre soit présent partout, ce ne serait qu'une autre version dictatoriale de la pensée. Je suis certain que ce n'est pas cela que vous souhaitez, ni ce que vous vouliez exprimer. Ou alors j'ai très peur.
J'en viens à notre affaire présente afin que vous ne me reprochiez pas d'avoir déformé la pensée de ceux qui ont parlé de censure. Je tenais à faire le préambule précédent qui me tenait très à coeur, mais j'entends bien que plusieurs de ceux qui avancent la notion de "censure" ont ajouté qu'ils ne reprochent pas à Ariane de ne pas avoir le livre dans sa librairie ; ils lui reprochent les RAISONS pour lesquelles elle ne veut pas l'avoir. Mais enfin, cet argument est-il meilleur... ou PIRE encore !?! Parce que c'est à partir de là que tout dérape et qu'on se met à critiquer Ariane sur ses "raisons" : son incapacité à lire sensément les livres, à les analyser, à en parler, à concevoir intelligemment les notions de féminisme, à avoir des problèmes personnels de rapport à la sexualité ou que sais-je ; on se met à accuser et à salir et ça c'est moche, franchement. Et ça ne se justifie pas une seconde sous prétexte qu'Ariane aurait initialement étrillé le livre. Certains me diront peut-être qu'elle a elle-même porté atteinte à Antoine Dole en tant que personne et non en tant qu'auteur... Est-ce si évident ? Est-ce même interdit en terme de critique ? L'exposition de la personne d'un auteur ne relève t'elle pas d'une autre nature que l'exposition de la personne d'un critique ? Et s'il devait y avoir parallélisme, n'était-ce pas à Antoine Dole d'abord qu'appartenait le droit de répondre ? Sur ces questions, je vous avoue ne pas avoir de certitude ni d'avis tranché. Mais l'amer malaise qu'elles ont suscité me bouleverse encore.
Bon, je ne veux SURTOUT PAS à mon tour tomber dans le même travers en disqualifiant celles et ceux qui ont, sur ce blog, descendu en flamme Ariane. D'une part parce j'y ai lu nombre d'interventions ouvertes et constructives. D'autre part parce que je suis intimement convaincu, comme je vous l'ai écrit dès le départ, que les participants à cette discussions sont tous des gens passionnés de littérature, avant tout et essentiellement. Comme moi. Comme Ariane. Comme tous les membres de l'ALSJ.
Si vous m'autorisez, sans vouloir vous froisser le moins du monde, à émettre une hypothèse... Je crois que certains intervenants dans ce débat, parfois professionnellement ou personnellement impliqués, donc prenant les choses très à coeur (c'est bien compréhensible) ont été sous l'influence d'un effet de contexte. Sous "pression" depuis le fameux article du Monde en début d'année et les attaques contre tels ou tels éditeurs, "agressés" par la critique virulente d'Ariane, "angoissés" à l'idée de l'audience que le cachet Citrouille+ALSJ pouvait donner à cette critique (ce que je ne peux pas comprendre car il y avait tout un VRAI dossier pondéré et ouvert autour, très maîtrisé par Thierry Lenain ; sans compter que les lecteurs de Citrouille, dont vous êtes, ont évidemment une distance critique qui n'est pas négligeable - j'euphémise), bref, certains n'ont pas pu s'empêcher de répliquer en agressant en retour Ariane puis ont en partie dérapé en pilonnant toute la zone du débat pour qu'il ne reste aucun "adversaire" debout. Tout s'est en effet emballé, embrouillé, envenimé jusqu'à l'overdose et aux dommages collatéraux aveugles contre Citrouille et l'ALSJ (retour de l'ordre moral ! censure ! conservatisme ! esprits étroits ! etc.).
Drapeau blanc ! Cessons de creuser ce gouffre ubuesque et retrouvons si possible le chemin d'une réflexion non pas unique mais commune ou composite, au-delà de nos humaines divergences d'idées. Je veux croire qu'il est possible de refaire des pas les uns vers les autres. Peut-être en ouvrant les colonnes du prochain Citrouille à une "réponse" qui ne serait ni un droit de réponse procédurier, ni un droit du talion, mais l'illustration d'un bonheur littéraire. Peut-être aussi en revenant sur les accusations de censure qui ont été émises dès le titre de cet article de blog. Peut-être, le plus délicat, le plus difficile, le plus nécessaire humainement parlant, en trouvant mutuellement des mots d'apaisement entre les principaux protagonistes.
Mais je ne suis ni l'ALSJ, ni Citrouille, ni Ariane, ni Blandine Longre, ni aucun d'entre vous. Il m'appartenait simplement de vous exprimer ce que j'avais sur le coeur. C'est fait.
Bien à vous (et bon dimanche ou bonne semaine),
OLIVIER (librairie Voyelles, une librairie en train de mourir, mais c'est un autre problème)
Merci Olivier, pour votre long message, et d’avoir pris le temps. Quelques remarques avant tout, sur des points qui me chiffonnent.
Quand vous dites : « De même, une contre-critique peut être légitimement tout aussi virulente pour défendre le-dit livre. Mais elle n'a pas de légitimité à démolir la personne même ayant écrit la critique initiale pour disqualifier tout son discours mais aussi son être. »
Ai-je « démoli » Ariane Tapinos en tant qu’individu ?!! Etonnant de me reprocher ceci - pour ma part, cela reste un débat d’idées et non des attaques à l’encontre de personnes physiques. Pourquoi déformer ainsi mes intentions (comme cela a déjà été fait sur le forum de Citrouille, où la rédaction remettait en cause dans des termes méprisants mon exigence critique, alors que mes propos n’attaquaient personne - et où j’ai cessé tout débat) ?
Inversement, A. Tapinos s’en prenait à un auteur en tant que personne, l’accusant avec virulence dans son article et c’est cela qui me semble regrettable. Et vous aurez beau dire qu’elle attaquait un auteur et non pas une personne - mais il y a certains passages assez ambigus dans son article, où l’on ne sait si elle cite l’auteur lui-même ou si elle extrapole (je cite - " Antoine Dole est un homme qui écrit : une fille violentée est une femme dépravée. Une prostituée doit bien, quelque part, prendre son pied. ». ) Où des termes (« salope », entre autres…) semblent être tirés du roman alors qu’ils n’y sont pas.
Quant aux compétences critiques d’Ariane Tapinos, je ne les ai pas attaquées en général, seulement sur CET ARTICLE en particulier. Je suis aussi en droit de dire que son féminisme n’est pas le mien, sans pour autant l’attaquer en tant que personne. Je vous invite à relire le commentaire d’Irma, ci-dessus, très instructif à ce sujet. Il existe nombre de lectures possibles d’un livre, pas toujours recommandées car biaisées (et plus il sera riche, complexe et polysémique, plus il y en aura), certaines très connotées : on connaît la critique psychanalytique, l’analyse à l’aune de la biographie d’un auteur, la critique sociologique (dont les Américains raffolent, par exemple) etc. etc. Des approches et des modes d’analyse souvent limitées, qui ne tiennent compte que d’un seul critère et pas de la qualité FICTIVE des créations décortiquées, et les plient à leurs objectifs ou à leur domaine. Qui ne parlent ni d’écriture, ni de poétique, qui n’abordent pas la littérature en tant qu’artefact imaginaire, déconnecté du réel, mais uniquement en tant que commentaire de ce réel. Ici, la critique est partielle et partiale (comme le serait une critique purement psychanalytique par exemple) car la lecture qui a été faite ne pose que des critères gendérisés et binaires (hommes contre femmes). L’auteur est un homme, ses personnages sont des femmes. Et l’analyse part de ces deux données somme toute anecdotiques. Et si l’auteur avait été une femme ? Que les héros avaient été des hommes ? ou des femmes ? ou des hermaphrodites ? Des transsexuel(le)s ? Le roman en soi n’en aurait pas été changé. En revanche, la lecture gendérisée qui en aurait été faite aurait été différente, c’est certain. Je trouve réductrice ce type de lecture, et je suis en droit de le dire, il me semble ? On reste là sur le terrain des idées.
On a le droit de ne pas aimer un roman et de le dire - quitte à me répéter, il faut savoir mesurer ses mots : confondre réalité et fiction ? Confondre un auteur et son roman ? Où est le recul que l’on attend du critique ? Pour ma part, quand je n’aime pas un roman, ou que je ne le comprends pas, j’essaye de m’interroger sur ce qui sous-tend malgré tout la démarche de l’auteur, et je respecte son travail. Quitte à le contacter pour en discuter, à proposer un entretien. Le rôle du critique est d'être capable d'objectiver un minimum sa lecture… sans en faire une lecture universitaire. Peut-être faudrait-il voir dans ce roman autre chose qu’une «ramassis de clichés misogynes », aller au-delà de la surface des choses. (je reprends texto ce que je disais plus haut, car je ne saurais le dire mieux) Les éditeurs ne publient pas n'importe quoi ou sans raison et les auteurs ont travaillé leurs textes - que le résultat ne soit pas à la hauteur de nos attentes de lecteurs est une chose. Mais descendre en flèche un roman sans argumenter, en se contentant d’attribuer à l’auteur des propos qui ne sont pas les siens et de s’offusquer qu’un tel livre puisse passer entre les mains d’adolescents, ou en schématisant volontairement la démarche narrative, tout ceci en soi pernicieux et d'un autre âge : je m’obstine à le répéter.
Car ce qui détermine aussi la lecture d’Ariane Tapinos, c’est l’idée que ce livre pourrait être un danger pour la jeunesse. Je ne reviens pas sur cette appréciation - pour ma part, je ne me pose pas en tant que prescriptrice et ne m’aventure pas à décréter que tel ou tel livre serait potentiellement dangereux - ne serait-ce qu’en souvenir des livres que j’ai lu très tôt.
Quant à la censure, puisque le titre de ce billet vous choque, elle peut prendre divers visages, souvent insidieux - car une revue comme Citrouille, certes libre de publier ce qu'elle veut (mais cela ne m'ôte pas la liberté de commenter), a cependant de l’impact : elle sera lue et certains (libraires, bibliothécaires, lecteurs lambdas) s’en serviront comme guide d’achat. Les jugements moraux portés sur ce livre sont proches du discours de certains censeurs. De même, le fait que dès les premières lignes, l’une des clés essentielles de l’intrigue du roman soit dévoilée, montre qu’on entend, consciemment ou non, dérober au lecteur potentiel le plaisir de la découverte de la construction narrative. La censure peut se faire diabolisation ou bien mise à l’index (« attention : misogynie. propos malsains. Ecartez-vous de ce roman » - je schématise, mais c’est bien cela qui est dit au fond), en particulier en s’appuyant sur des jugements moraux. Alors que là, il est question de FICTION, d’imaginaire, de création littéraire, et non pas de FAITS REELS.
Ce livre ne serait pas choisi par Comptines à cause de sa prétendue misogynie : je me répète encore (et je radote peut-être, mais avez-vous lu les commentaires précédents ?) : ce sont les raisons de refuser ce livre qui me semblent erronées - et non le fait de ne pas le proposer en soi, bien évidemment - les libraires font des choix, quelle question ! Mais si l'on refuse ce livre pour misogynie autant expurger une bonne partie de la littérature classique et moderne... j’en donne des exemples plus haut.
Pour conclure, s’il y a eu dérive, elle n’est pas de mon fait ni des intervenants, il me semble, de ce débat. (La rédaction de Citrouille, alors que je ne discute que d’un seul article dans ce billet, sans m’appesantir sur le dossier, s’imagine que je mets tous les articles dans le même sac depuis le début…) Je crois surtout que cette dérive inconsciente tient au fait que l’on voudrait que les livres soient des manuels qui aident à vivre et à apprendre à penser. J’en parle déjà plus haut. Les romans ne sont pas là pour panser des blessures ou pour en rouvrir, pour donner des recettes ou des solutions à des situations réelles, pour déprimer ou redonner le moral, pour inciter au suicide ou détourner de la prostitution (et s’ils le font, c’est à leur insu) - il n’ont pas vocation à se substituer à la réalité et à ses enjeux, ils ne sont pas responsables du réel. On exagère l’impact des livres, tout comme ceux des films ou de la musique (voir la façon dont on diabolise Marilyn Manson et consorts). Si les créations littéraires aident à vivre, à penser, à s’interroger, tant mieux, en même temps, là n’est pas leur fonction à l’origine. L’article en question parle de Livre « malsain ». C'est-à-dire nuisible, pervers, ou bien pour reprendre le dictionnaire : « QUI CORROMPT L'ESPRIT», «immoral et pernicieux » (Petit Robert) Si ce ne sont pas des termes de censeurs, dites-moi dans ce cas ce qu’ils signifient dans un article qui se veut critique littéraire ?
Pour finir, je ne me sens nullement responsable de ce que vous appelez « des conséquences douloureuses qu'a déjà engendrées la polémique autour du dossier "Ados" du Citrouille n°50 (en général) et de la critique du livre d'Antoine Dole (en particulier). » : J’ai modéré les commentaires qui suivent ce billet de mon mieux et même si je n’ai pas encore répondu à tous, je compte le faire. J’ai aussi commenté dans mon billet deux extraits de ce dossier, l’article en question et celui de Madeline Roth, ne serait-ce que pour montrer que le dossier comportait, justement, des points de vue opposés. J’ai moi-même eu l’occasion de participer à des numéros papier de Citrouille par le passé, avec des liens depuis ce blog. Sitartmag est en lien avec Citrouille depuis de nombreuses années aussi. Par conséquent, je ne vois pas en quoi d'autres passerelles seraient nécessaires ? Combler un gouffre ? Lequel ? Parce que j’ai critiqué de façon argumentée un article d’un dossier et la démarche intellectuelle qui sous-tend cet article ?
A court d’arguments (car on m’oppose toujours les mêmes et que je suis un peu lasse de me répéter, ici ou ailleurs), je vous remercie néanmoins de votre intervention, et j’espère que vous aurez envie de lire ce roman (même si vous connaissez en partie l’intrigue, donc).
@ Blandine Longre
Merci pour votre réponse.
Je vais être franc : je crains que, malgré notre bonne volonté commune, la votre dont je ne doute pas, la notre dont je suis certain, nous soyons désormais au coeur d'un dialogue de sourds. Sans moyen évident d'en sortir. Et j'en suis désolé, parce que j'ai le sentiment d'un lien précieux et agréable qui s'est rompu, d'une famille (celle des amoureux de la littérature jeunesse) dont des membres ne se comprennent plus vraiment, campent sur leurs oppositions et leur défiance respectives, sans avoir tout à fait tort ni complètement raison, et n'en sortiront plus parce que les choses sont déjà allées trop loin, intellectuellement (les idées) et psychologiquement (les sentiments blessés).
Il n'y a pas de responsable unique à la situation ; chacun y a sa part (et moi aussi). Je ne sais pas si j'ai cru pouvoir rétablir un semblant de confiance, mais en tout cas je ne regrette pas d'avoir essayé tout en me désolant que cela n'ait pas servi à grand chose ; c'est mon côté Saint-Bernard neurasthénique.
Sans doute il y a des choses que je n'ai pas comprises et qui m'échappent encore. Beaucoup des points que vous reprenez dans la réponse que vous me faites, je les avais néanmoins parfaitement entendues et j'en ai réellement tenu compte dans les tours et détours de mon message initial. Du moins je le crois. J'ai tenté de déplacer la perspective, de trouver un angle à partir duquel soulager le mal fait ("mal fait" au sens de douleur, pas au sens de faute morale) sans que chacun ait à manger son chapeau. (Je précise incidemment que mon premier message ne s'adressait pas personnellement à vous et ne répondait pas à votre seul billet ; je l'ai écrit en pensant à tout ce que j'ai lu, compris et ressenti en lisant tous les messages du débat engendré par les réponses à votre billet, réponses riches et variées dont j'ai distingué les enseignements divers que j'en retirai). Mais bon, je ne suis parvenu à rien de concret puisque vous affirmez que je vous ai opposé des arguments déjà connus de vous et que vous êtes lasse de vous répéter. Cela m'attriste parce que, justement, j'ai veillé à ce qu'il n'en soit pas ainsi, apportant une eau nouvelle au moulin, eau qui s'est hélas perdue dans les sables. Echec.
Une fois les passions retombées, un regard différent se posera peut-être sur tout cela. Quant à moi, vu la situation dramatique de notre petite librairie en ce moment et son existence compromise même si elle n'est pas définitivement condamnée, je n'aurai pas l'énergie d'aller plus loin dans cette discussion qui m'affecte plus que vous ne pouvez l'imaginer. Merci de ne pas considérer cela comme une désertion ni comme une forme de dédain.
Bien à vous,
Olivier
Olivier : merci à nouveau de votre message, qui témoigne de votre ouverture d'esprit.
Je n'ai pas encore eu le temps de vous répondre sur tout, je me suis contentée ci-dessus de reprendre quelques points seulement. Je le ferai plus tard, car le travail m’appelle.
Pour l'instant, une dernière chose : je ne peux laisser dire que "nous" (j'entends les commentateurs et moi) aurions "descendu en flammes" qui que ce soit sur ce blog, nous contenant de rester sur le terrain des idées.
J’en appelle comme vous à l’apaisement des esprits et persiste à penser que certains des propos échangés ici ont été mal interprétés – ainsi, l’idée qu’il y aurait eu un «tombereau d’attaques » à l’encontre d’A. Tapinos et de la revue Citrouille (car j’ai beau chercher, je ne trouve pas). Après, chacun est libre de penser et de dire qu'un article lui paraît biaisé ou non, de trouver un dossier équilibré ou non, de façon argumentée, s'entend. cela ne remet pas en cause, il me semble, le travail des libraires de l'association - ce serait vraiment me faire un procès d'intention que de le penser.
Il me semble aussi que de nombreux points de vue présents ici sont constructifs et abordés sainement, de façon réfléchie (comme le fait entre autres Tibo Bérard, le directeur de la collection Exprim, dans son débat avec Thierry Lenain) et qu’il serait dommage de voir de l’agressivité là où il n’y en a pas.
En tout cas, bon courage à vous pour Voyelles – je connais le travail des libraires indépendants (jeunesse ou généralistes) et l’investissement que cela demande.
Olivier
" Quiconque a beaucoup aimé le livre d'Antoine Dole a tout à fait le droit d'estimer que la critique d'Ariane était excessive. C'est une question d'analyse, ouverte au débat d'idées. On peut donc contre-argumenter, de manière aussi radicale qu'Ariane éventuellement, en défendant bec et ongles les qualités du livre en question."
Justement, je crois que j'aurais abordé les mêmes problématiques dans mon billet si j'avais moyennement aimé ce roman, voire pas du tout. Car comme je le disais, les goûts et les couleurs... bref.
C'est une question de principe, de vision personnelle de ce qu'est la littérature. Il y a des oeuvres de fiction que je ne suis pas arrivée à lire jusqu'au bout, comme Hogg de Samuel R. Delany. D'autres y sont parvenus, c'est tant mieux. Voir cet article en ligne (on sort du domaine de la littérature jeunesse, mais peu importe, on parle avant tout de littérature et je prends cet exemple pour mieux me faire comprendre) :
http://www.sitartmag.com/hogg.htm
J'avais essayé de le lire et l'avais trouvé insoutenable - mais cela ne regarde que moi, de façon très subjective. Car jamais je ne m'opposerai à ce qu'un roman comme celui-ci soit publié ou lu, au contraire, je me réjouis qu'il puisse être disponible en français. Et il ne me viendrait pas à l'idée d'accuser l'auteur de perversité ou de je ne sais quelle tare, de le confondre avec ses écrits, aussi monstrueux puissent-ils être, ni d'aller dire qu'ils pourraient corrompre les esprits.
C'est ce que j'essayais aussi de dire à travers mon billet.
A tous :
je ferme les commentaires de ce billet, pour diverses raisons qui seraient trop longues et complexes à expliquer ici - moi-même je ne les comprends pas toutes.
Toutefois, ceux qui voudraient ajouter leur point de vue peuvent évidemment me l'envoyer à l'adresse mail qui se trouve dans la rubrique "A propos" (en haut à droite) de ce blog.