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littérature, traduction - Page 14

  • « Au cœur du corps des choses »

    Perfection de Claude Minière
    Editions Rouge Profond, Stanze.

    « Au cœur du corps des choses »

    La collection « Stanze », créée et dirigée par Christian Tarting, entend « traiter les questions d’esthétique (contemporaines, et plus anciennes) selon une essentielle logique d’écriture », et les deux textes qui l’inaugurent sont sur ce point exemplaires, en cela que l’écriture y est en osmose avec les sujets traités : deux textes exigeants du poète, historien et critique d’art Claude Minière (son journal, Pall Mall, est paru aux éditions Comp’Act), dont Perfection, un traité transdisciplinaire, inclassablement poétique, qui nous mène sur les chemins escarpés d’une pensée toujours mouvante et complexe.

    1161355551.jpgL’auteur, entre vers et prose, se penche sur la perfection, qui est plus un idéal qu’un objet d’étude en soi ; il tâche cependant d’en circonscrire quelques facettes, de proposer des pistes pouvant mener à des définitions, malgré tout ce que la notion a de fuyant. Il s’efforce toutefois de résoudre cette question : comment en effet parler de ce qui échappe, à première vue et selon « un lieu commun », à l’entendement, de ce qui paraît insaisissable, sans existence tangible ? La poésie est l’une des voies possibles, car Claude Minière l’affirme (à la manière du peintre Barnett Newman) : il faut rendre la perfection au réel, la dégager de l’abstraction, de la dichotomie abstrait/concret, et suivre Lucrèce qui disait : «Nous n’existons que par un joint exact entre le corps et l’âme » ; l’idée de ce joint insécable fait nécessairement écho à une autre affirmation du poète : « La perfection est inséparable ». Ainsi, « la perfection n’est pas le perfectionnement. Elle n’est pas contre le quotidien, elle lui est coextensive », ancrée dans le monde, « les pieds sur terre », comme il aime à le répéter.

    Claude Minière exprime tout du long son désir de limpidité (« Je parle la langue de tous les jours. Je vous parle »), tout en revendiquant l’éclatement de ses pensées qui semblent délibérément dispersées de page en page – surtout que l’hermétisme apparent du propos ne perturbe pas le lecteur, mais qu'il se laisse plutôt porter par un texte où tout fait sens au bout de la route, qu'il accepte les collages, assemblages, juxtapositions et bonds en avant, les nombreux oxymores qui forment un beau tissage d’échos et de rappels, jamais linéaire, librement poétique : « sans que dominât une trame constante », car « la parole directe est sinueuse ».

    Une poésie douce et aride à la fois, convoquant des images qui font l’effet de taches de couleur dispersées sur la page, affectant visuellement la lecture, quelques belles évocations du monde végétal, une nature qui est là comme pour renforcer cette préoccupation constante d’un retour au sens premier des mots, à la source – d’un retour au réel et à sa perfection.
    Blandine Longre

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  • Courants Noirs

    1636530389.jpgToute nouvelle collection de romans lancée par les éditions Gulfstream avec, aux commandes, l’auteur Thierry Lefèvre, Courants Noirs propose des intrigues policières, des thrillers, des romans noirs, qui ont pour décor des époques révolues, proches ou lointaines. Les deux premiers titres, Ami, entends-tu… de Béatrice Nicodème et Fleurs de Dragons de Jérôme Noirez, transportent le lecteur, respectivement, dans la France de 1943 et dans le Japon médiéval. Des romans pour tous (entendez par-là ados comme adultes), exigeants, denses et dont le grand format et les couvertures signées Aurélien Police sont une belle incitation à la lecture.

    640352773.jpg

    Deux autres titres prévus pour septembre 2008 : Attaques nocturnes de Thierry Lefèvre et L’empire invisible de Jérôme Noirez.

    www.gulfstream.fr/courantsnoirs/accueil.php

    Thierry Lefèvre est l'auteur, entre autres, de recueils de poèmes - Petites chimères et monstres biscornus (illustré par Dominique Thibault et Philippe Mignon), Les Ogresses vertes (illustré par Frédérick Mansot) dans la collection Des Poèmes plein les poches, Actes Sud Junior, de Destination Paris, avec Claude Combet (Actes Sud Junior), ou encore de Ce qui compte dans le premier baiser (Gulf Stream, Les romans bleus) et de la série Europa avec Béatrice Nicodème (Nathan).

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  • Le jeu de l’amour et des incertitudes

    Autant en emporte la femme d'Erlend Loe - traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud - Gaïa, collection taille Unique 2005 / Parution en poche : 10-18, mars 2008

    Le jeu de l’amour et des incertitudes
    De la difficulté de vivre à deux – de la difficulté d’être soi-même.

    2142328917.jpgPrésentation audacieuse pour ce deuxième roman du Norvégien Erlend Loe traduit en français, après Naïf (paru lui aussi en 10-18) : des entrées numérotées, signe, en surface, d’un parcours balisé, d’un récit maîtrisé et d’un enchaînement narratif connu d’avance – un ordonnancement chronologique qui est un leurre car le narrateur, dont les doutes et les hésitations, les anxiétés et les incertitudes presque maladives ne cessent d’imprégner le récit, fait plutôt penser à ces autistes qui ont un besoin vital de repères, de jalons répétitifs et rassurants pour avoir la sensation de posséder quelque contrôle sur une existence et un monde angoissants.
    Une personnalité sans relief, des désirs informulés (en apparence presque inexistants), le sentiment d’être en décalage, une platitude et une circonspection qui marquent sa crainte de s’impliquer plus avant dans ses rapports avec les autres : ce portrait au départ peu flatteur du protagoniste central, soudain livré aux assauts amoureux de Marianne, dont la fantaisie est contagieuse, évolue au fur et à mesure que la relation entre les deux jeunes gens se transforme et s’amplifie, au point de devenir essentielle. Ils ne peuvent bientôt plus se passer l’un de l’autre, en dépit des querelles et des sautes d’humeur, des lubies ou des blessures qu’ils s’infligent mutuellement. Car si la fantasque et très épicurienne Marianne n’est pas toujours commode, il est vrai, le jeune homme, avec sa cohorte de doutes et de questionnements qui frisent parfois l’absurdité, n’est pas plus facile à vivre. Les malentendus – pourtant sans gravité et donnant lieu à des scènes loufoques – abondent et le narrateur comprend qu’il n’est pas si simple de vivre à deux, d’autant que Marianne s’est très naturellement installée chez lui, sans qu’il l’y ait invitée…

    Et pourtant, ce qu’elle éprouve pour lui sera réciproque, il le veut : « la présence soudaine de Marianne entre ces murs était, en un sens, foncièrement ahurissante (…) Je fus saisi par une fâcheuse sensation de précarité. (…) Je me décidai à tomber raide dingue amoureux d’elle. Voilà. J’allais même commencer pas plus tard que le jour d’après. » Mais il ne suffit pas de le décider pour éprouver un sentiment… et le narrateur s’interroge sans répit sur ses actes et ses pensées, renâclant à se persuader de l’authenticité de son amour : « je pinaillais en permanence sur des choses totalement superflues au regard de ce grand amour que nous étions en train de construire. » Plus loin, alors que Marianne l’a quitté (pour quelques jours) après une dispute : « je reconnaissais que je m’illusionnais en croyant que je n’avais pas besoin d’elle (…) j’étais surtout inquiet de ne pas pouvoir identifier ce que j’éprouvais comme étant du sentiment amoureux (…) Or juste avant de m’endormir, je me suggestionnais qu’il s’agissait néanmoins de sentiment amoureux.» On verra dans ce passage torturé l’illustration même des troubles existentiels du narrateur ; bientôt, il perd son travail et Marianne lui propose de partir en voyage – un périple spécial, unique et sans précédent : « des vacances durant lesquelles tout ne sera qu’expériences (…) et la voilà repartie à ressasser qu’il vaut mieux être en voyage qu’arriver à destination… » L’errance ferroviaire qui va suivre est tout aussi originale et imprévisible que les liens qui se font et se défont entre les deux personnages, et l’on se prend à s’imaginer être à leur place, entre insouciance et gravité, légèreté et grands sentiments, même si c’est Marianne qui mène le jeu dans lequel son amoureux se laisse emporter, opposant une résistance boudeuse peu efficace.

    Cette histoire d’amour à la fois familière et atypique, piquante et singulière du premier au trois centième épisode, forme un roman pittoresque, ponctué d’événements ou de conversations cocasses qui oscillent entre absurde et idiosyncrasies - grâce aussi à quelques personnages secondaires gentiment ridicules ou farfelus (dont Nidar-Bergene, amie de Marianne et adepte de la thérapie par le cristal…). Mais au-delà de l’humour omniprésent (renforcé par la naïveté - toute relative - du narrateur, Autant en emporte la femme appartient à ce nouveau genre littéraire nommé le «naïvisme»), c’est à une quête identitaire que nous convie Erlend Loe, à travers le portrait ce personnage qui ne cesse d’avancer, en dépit de ses incertitudes, dans sa connaissance de lui-même, remettant au goût du jour le célèbre précepte socratique…
    © B. Longre

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  • Jacques Chesnel

    910740580.jpgUn blog ami à découvrir, tout nouveau : des textes de fiction signés Jacques Chesnel

    http://jacqueschesnel.hautetfort.com/

    Fidèle chroniqueur jazz sur Sitartmag depuis quelques années déjà, mais aussi auteur et peintre, Jacques expose ses toiles jusqu'au 8 juin 2008 à Espace Musée Charles Léandre.
    50 ans de peintures inspirées par le jazz
    Espace Musée Charles Léandre
    9/11 rue Saint Martin - 14110 Condé-sur-Noireau
    Pour plus d'informations : http://www.jazzcaen.com/actu200803b.htm

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  • Pas Raccord vu par Antoine Dole

    Un article qui me fait grand plaisir, paru dans le n° 23 du magazine Sensitif et qu'Antoine Dole propose maintenant sur son blog 

    1444236797.jpgMilitant actif pour la défense des droits des homosexuels à NY, Stephen Chbosky est un témoin pluridisciplinaire : écrivain, scénariste, éditeur, réalisateur, autant de casquettes qui n’ont d’autre but que de témoigner d’une réalité où marginaux et vilains petits canards ont une place prépondérante. Pas étonnant, donc, de le retrouver co-créateur de la série « Jericho » (actuellement diffusée sur M6) où l’isolement et ses dérives sont des données obsessionnelles de premier plan.
    « Pas raccord » est la traduction du roman culte « The perks of being a wallflower », traduit dans pas moins de six langues. On y suit Charlie, un ado « freak » pour ses petits camarades, lycéens formatés, mais un surdoué pour son prof de littérature qui tente de l’éveiller à sa singularité en lui proposant des oeuvres exigeantes et hors circuit. Bonhomme à deux vitesses, en dehors des normes assurément, et "parce qu'il est unique, le monde dans lequel il vit ne lui pardonnera pas d'exister". On se réjouit quand le pote homo et la jolie Sam décident de le prendre sous leur aile, de séances du Rocky Horror Picture Show en apprentissage de soi et de la vie : l’éveil est total. Le tour de force de Stephen Chbosky est de restituer cette adolescence faussement naïve, dont les bouleversements se révèlent à la fois drôles et douloureux. La langue chahutée du héros de l’édition originale est parfaitement confortée dans cette traduction habitée de Blandine Longre, restituant la singularité du bonhomme : de la (dé)construction syntaxique particulière et baignée d’un lexique azimuté, émerge un Charlie à fleur de peau, tout en décharges, faux contacts et explosions. (A. Dole)

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  • Grand Prix de littérature dramatique

    548292166.2.jpgLa 4ème édition de ce prix, qui récompense un texte dramatique, est l'occasion de mettre en avant une catégorie d'oeuvres largement oubliées dans les médias... et pourtant littéraires (est-il besoin de le rappeler ?)
    24 pièces parues en 2007 ont été sélectionnées ; le prix sera remis le 24 juin 2008 (à l’Odéon - Théâtre de l’Europe, Paris), en présence d'un jury composé exclusivement d'auteurs dramatiques : Olivier Py (président), Louise Doutreligne, Christophe Honoré, Claudine Galea, Mohamed Kacimi, Koffi Kwahulé, Elisabeth Mazev, Jean-Marie Piemme, Natacha de Pontcharra, Karin Serres, Christian Siméon et Biljana Srbljanovic.

    http://www.aneth.net/actu_grandprix.htm

    Quelques chiffres clés sur l'édition théâtrale (d’après L’Édition Théâtrale Aujourd’hui, thèse de Pierre Banos-Ruf, 2008)
    Entre 1985 et 2007, le nombre de parutions à compte d’éditeur a grimpé de 400%.
    La moyenne de titres édités par an s’élève désormais à 360.
    En 2004, 75 % des textes édités sont écrits par des auteurs francophones et n’ont fait l’objet d’aucune traduction.
    Pour le Grand Prix de littérature dramatique, 29 éditeurs spécialisés ont envoyé une sélection de 76 titres.

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  • Révolution porcine… affreuse, sale et méchante ?

    Sept petits porcelets de Dorothée De Monfreid, Gallimard jeunesse, 2008

    Révolution porcine… affreuse, sale et méchante ?


    Dorothée de Monfreid, que l'on connaît entre autres à travers ses romans publiés à L'école des loisirs (dont l'excellent Croquepied), s’en donne ici à cœur joie pour brouiller les pistes narratives et proposer un joyeux panachage intertextuel, le récit s'inspirant ouvertement de contes bien connus : les allusions aux Sept petits chevreaux ou aux Trois petits cochons, déjà contenues dans le titre, ont été habilement déguisées et "digérées" par l'auteure, qui offre la vision moderne d'une famille nombreuse dont le quotidien se résume à un invraisemblable chaos. Monsieur et Madames Porc "enragent" d'avoir à contenir leurs sept porcelets, qui se comportent comme des... cochons et transforment leur maison en véritable porcherie... "Il y a de la boue sur les fauteuils, de la vieille purée séchée par terre, des meubles cassés, des traces de chocolat sur les murs, des giclées de soupe jusqu'au plafond. Et en plus, ça sent souvent mauvais."

    329039523.jpgSans parler de la pollution sonore émise par la tribu tout entière, la maison résonnant des cris et des insultes qui fusent sans discontinuer. Logique, se disent les humains, les porcs sont des porcs... tout en prenant conscience des parallèles à établir entre cette famille cochon et les familles humaines : les parents débordés, irrités à longueur de journée par une progéniture dénuée de savoir-vivre, distribuent sans compter fessées et brimades, tandis que les enfants, de plus en plus désobéissants, aimeraient bien se débarrasser de ceux qu'ils considèrent comme des tyrans en puissance qui leur imposent d’intolérable limites : "Non, vraiment, on ne peut plus supporter d'être traités de cette manière." s'exclame l’aîné (à l'allure plutôt inquiétante), instigateur d'un complot qui, dans les grandes lignes, détourne les aventures du Petit Poucet : "On va abandonner les parents dans la forêt."

    Le texte ne manque pas de cocasserie, mais demeure indissociable des illustrations qui l'accompagnent, dans lesquelles sont contenues plusieurs parties du récit. Petit ou grand, chacun y trouve son compte et l’on s'amuse tout autant des délirantes facéties des jeunes cochons livrés à eux-mêmes (qui, bientôt, sans autorité pour les guider, font de leur maison le décor d'un huis-clos digne de Sa Majesté des mouches) que l’on comprend, à demi-mots, les belles « leçons » éducatives et démocratiques suggérées par le récit ; récit qui s'apparente à la célèbre fable politique de George Orwell, La ferme des animaux... Un pur régal, à déguster de préférence en famille…
    © B. Longre

    Cet ouvrage a d'abord paru aux éditions Bréal en 2004.

    D'autres ouvrages "cochons"

    Pas cochon ! de Christine Beigel, Illustrations d’Anna Karlson - Gautier-Languereau

    Copains comme cochons de Jean-François Dumont - Flammarion, Albums du père castor

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  • L'avis d'un éditeur et auteur jeunesse (et le mien...)

    Avec son accord, je reproduis ici de façon plus visible le commentaire que Jack Chaboud, éditeur (Magnard, Plon) et auteur (jeunesse et "vieillesse" !) a laissé récemment à la suite d'un de mes billets, où il fait référence au débat qui en a agité plus d'un ces derniers temps.

    1182461711.jpg"Je lis souvent des commentaires sur le livre de jeunesse, du genre "les adolescents ont droit à toute la vérité..." ou "des ouvrages jugés trop sombres par les adultes ne le sont pas par les jeunes...".
    Je suis tout à fait d'accord, mais je crois que le problème du livre de jeunesse, dès lors qu'il entre dans le territoire intime et social, c'est qu'il doit ménager une entrée pour les jeunes, afin qu'ils puissent être concernés par les problèmes évoqués, même si ce sont des problèmes d'adultes.
    Dans ce sens, je suis quelque peu interloqué par l'attribution du prix Rhône-Alpes à un texte, Les giétes de Fabrice Vigne, dont le narrateur est un vieilllard en maison de retraite, qui évoque ses souvenirs passés à grand renfort de références historiques.
    Je pense également que Je ne veux pas mourir gibier de G. Gueraud va au-delà de ce que l'on peut proposer à de jeunes lecteurs sous le label d'un éditeur jeunesse. Libre à l'auteur, s'il en a la possibilité, de se faire publier chez des éditeurs pour adultes, lesquels sont accessibles aux bons lecteurs jeunes."
    Jack Chaboud

    Concernant Les Giètes, j'avais effectivement dit que ce roman, publié par un éditeur jeunesse, dans une collection destinée aux grands ados et aux adultes, appartenait plutôt au domaine de la littérature générale (ce qui est le cas de nombreux ouvrages de la collection Photoroman) - l'auteur, Fabrice Vigne, est le premier à le reconnaître ; et même si l'on se réjouit pour lui, on aurait apprécié que ce prix soit décerné à un livre peut-être plus proche des préoccupations de jeunes lecteurs. Quant au roman de G. Guéraud, Je ne veux pas mourir gibier (Le Rouergue, DoAdo), les avis sont partagés - un roman réaliste, dur et glaçant, qui donne la parole au mal-être adolescent (pour ma part, il m'a peu touchée et je n'ai pas grand-chose à en dire, mais on pourra lire ici l'avis de Sophie Pilaire ou les points de vue partagés sur le site de Citrouille, dont celui de Vincent Cuvellier.)

    8036219.jpgIl est vrai qu'on peut considérer que les collections "grands ados" ne répondent pas à un véritable besoin, qu'elles relèvent de la stratégie éditoriale ou que certains de ces ouvrages seraient plus à leur place en littérature générale... Un point de vue que je ne partage pas forcément. Ces collections pour « grands ados » (ou « young adults », puisque le concept vient des pays anglophones) accueillent souvent des textes que les directeurs de collections jeunesse (en gros, destinées aux moins de 13 ans) vont refuser car trop « adultes » et que les éditeurs de littérature générale considèreront d'emblée comme des textes « jeunesse » du moment qu’il y est question d’adolescence ou d’entrée dans l’âge adulte… Aussi, grâce à ces collections de transition, certains romans peuvent trouver leur place et leurs lecteurs (qui autrement en seraient privés). Un autre avantage : ces textes incitent les adultes à être plus attentifs à la littérature jeunesse, à en lire, à en parler, et leur permettent aussi, tout simplement, de découvrir de nouveaux romans et d’autres auteurs, souvent moins médiatisés. Evidemment, les « prescripteurs » peuvent avoir du mal à s’y retrouver (que conseiller ? à partir de quel âge ?), car on entre ici dans des territoires un peu flous, entre littérature jeunesse et littérature générale… mais n’est-ce pas cela aussi, l’adolescence ?

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  • Un prix pour Indridason

    1752539332.jpgLe 6e prix du Polar européen du Point a été décerné à Arnaldur Indridason pour son roman L'Homme du lac, paru chez Métailié. Il a été remis le 27 mars dernier, lors de l''inauguration du 4e festival Quais du polar de Lyon.

    Je n'ai pas lu ce dernier (pourquoi ? par manque de temps, tout simplement...) mais avais aimé La Cité des jarres et La Femme en vert, publiés chez le même éditeur.

    La Cité des Jarres d'Arnaldur Indridason - traduit de l’islandais par Eric Boury - Métailié, 2006 (Points Seuil 2006)

    Une grande famille...

    Le monde littéraire islandais reconnaît en Arnaldur Indridason un excellent auteur de romans noirs. La Cité des Jarres se présente comme une enquête palpitante, rondement menée par l’inspecteur Erlendur – en réalité pas aussi désordonné ou antipathique qu’il n’y paraît, peut-être un peu enclin à régulièrement s’endormir tout habillé et à ne pas se soucier de sa tenue débraillée ; mais Erlendur est un investigateur efficace et cela se sait à Reykjavik. L’atmosphère pluvieuse et franchement hostile, ses difficultés familiales (les visites impromptues de sa fille Eva Lind, droguée notoire) ne l’empêchent cependant pas de rebondir avec détermination à chaque nouvelle étape de son enquête, qui le mène dans le passé douteux d’un dénommé Holberg, un vieil homme que l’on vient de retrouver mort dans un appartement humide ; un meurtre « typiquement islandais » d’après Sigurdur Oli, collègue d’Erlendur, « un truc dégoûtant, gratuit »… jusqu’à ce que l’inspecteur retrouve, caché au fond d’un tiroir, une énigmatique photographie en noir et blanc, représentant la tombe d’une fillette morte à quatre ans. Et tandis que ses équipiers voudraient simplifier cette affaire, lui s’obstine et persévère, convaincu que c’est en fouillant dans le passé que l’on élucidera les troubles du présent.

    Trente ans plus tôt, Holberg aurait été accusé de viol, puis innocenté, un fait essentiel que lui apprend Marion Briem, une collègue maintenant à la retraite… La reconstitution du passé n’est pas de tout repos, mais Erlendur ne cède devant aucune difficulté, quitte à croiser en chemin nombre d’individus peu reluisants et à bouleverser pas mal de vies, dont la sienne : « Erlendur avait lu un jour que le passé était une terre étrangère et il l’avait bien compris. (…) Cependant, il n’était pas prêt à faire table rase du passé. » Les doutes qui peuvent l’abattre font rarement surface, excepté lorsqu’il se confie à Eva Lind, sa fille qui semble peu à peu se rapprocher de lui : « Voilà le genre d’enquête que c’est. Elle est semblable à un esprit malfaisant qui aurait été libéré. (…) Rien d’autre qu’un foutu marécage. »

    415935132.jpgLe récit connaît peu de pauses et l’enchaînement narratif, singulièrement alerte (rien à voir avec les polars lancinants et malhabiles du romancier suédois Henning Mankell), fait intervenir une pléthore de protagonistes, brossant dans le même temps une intéressante fresque de la population islandaise, toutes classes sociales confondues. L’enquête demeure approfondie et vraisemblable du début à la fin et explore en particulier les relations entre parents et enfants (un thème annoncé par les tensions qui président à la relation entre Erlendur et sa fille), les thèmes croisés de la filiation, de la déstructuration familiale et de la recherche génétique — on se souvient peut-être que le pays fait fonction de grand laboratoire dans ce domaine, depuis l’implantation, dans les années 1990, de la société islando-américaine DeCode Genetics, chargée de recenser, rassembler et analyser les données génétiques et généalogiques de tous les Islandais, une population (moins de trois cent mille habitants, il faut le souligner) idéalement homogène depuis la colonisation de l’île, au XIe siècle ; une expérience scientifique qui a suscité bien des controverses depuis que le gouvernement islandais a donné son autorisation en 1998, ce qui n’empêche pas certains habitants d’être en totale opposition…

    L’auteur ne donne pas ici un point de vue personnel explicite sur cette expérimentation à grande échelle – mais expose indirectement ses dangers potentiels mais aussi ses bénéfices, en faisant dire à Erlendur, qui s’adresse à l’une des responsables du « centre d’étude du génome» (ainsi rebaptisé dans le roman…) : « Vous êtes les dépositaires de tous ces secrets-là. Les vieux secrets de famille. Les tragédies, les deuils et les morts, tout cela parfaitement classé dans les ordinateurs. Des histoires familiales et individuelles. (…) Vous conservez tous ces secrets et pouvez les ressortir à volonté. »… © B. Longre

    Lire l'article de Pascale Arguedas

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  • Hommage

    Lire Olympe de Gouges, dans le texte et telle qu'Elsa Solal l'a imaginée.

     

    Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, d'Olympe de Gouges - Mille et une nuits

    Révolution, émancipation, modération.

    "Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? ta force ? tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique."

    423244907.jpgIl y a plus de deux siècles, le 3 novembre 1793 exactement, Olympe de Gouges, née Marie Gouze, fut guillotinée : condamnée par le tribunal révolutionnaire pour avoir osé écrire, dans un dernier pamphlet, que chaque département devait pouvoir choisir sa forme de gouvernement (s'opposant ainsi à l'indivisibilité de la République) et pour avoir maintes fois critiqué l'extrémisme des révolutionnaires. Ce ne fut pas le moindre des écrits de cette femme de lettres et de cette âme résolument indépendante, en avance sur son temps. Coqueluche des salons à la mode et cercles littéraires, dramaturge engagée (on lui doit même une suite du Mariage de Figaro, Le mariage inattendu de Chérubin, 1786), elle est une figure de proue du combat pour l'émancipation des femmes et n'aura de cesse que de défendre l'égalité des sexes.

    Ce combat perpétuel l'amène à rédiger un texte majeur, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. "Elle fait alors de l'écriture un véritable acte politique afin de prouver que les femmes peuvent être utiles hors de la sphère domestique, contrairement à la pensée du "fonctionnalisme sexuel" qui ne définissait la femme que par sa fonction biologique et lui refusait une raison abstraite indispensable aux activités de l'esprit", écrit Emanuèle Gaulier dans l'excellente postface de cet ouvrage. La mise en oeuvre de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 déçoit Olympe de Gouges, car en dépit de son caractère "universel", la question du vote des femmes et de leur libération n'est pas à l'ordre du jour : elle répond avec ce texte, calqué sur la première "déclaration" ; chaque article y est féminisé et énonce les droits naturels et raisonnables des femmes ; les femmes ont "le droit de monter sur l'échafaud", elles sont donc en droit de voter, d'être des citoyennes à part entière et de ne plus subir le joug d'un père ou d'un mari.
    Directement inspirée par la philosophie des Lumières, cette féministe de la première heure se bat sur tous les fronts, avec bon sens et modération : elle dénonce l'esclavage, milite en faveur de la création d'un théâtre national pour les auteures, défend le droit au divorce et les droits des filles mères ou des prostituées. En 1791, elle propose un nouveau contrat social (Contrat social de l'homme et de la femme, publié dans cet ouvrage) dans lequel elle demandait déjà que les enfants puissent porter le nom de leur père ou de leur mère (en France, cette loi est entrée en vigueur au 1er septembre... 2003 !). "A la lecture de ce bizarre écrit, je vois s'élever contre moi les tartufes, les bégueules, le clergé et toute la séquelle infernale", prévoit-elle... Elle y prône aussi une "chaîne d'union fraternelle" entre femmes, qu'elles soient "femmes publiques" ou "femmes de la société".

    La lecture de ce petit ouvrage courageux, qui n'a rien perdu de son bon sens et de sa valeur humaniste, donne à méditer, et l'on étudiera avec attention les articles VI ("toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.") et XIII ("Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, les contributions de la femme et de l'homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l'industrie.") : on est en effet en droit de se demander si les avancées dans ce domaine ne pourraient pas encore être améliorées, pour le bien-être social de toutes et de tous...  © Blandine Longre

     

    Olympe de Gouges, une pièce d'Elsa Solal - Lansman Editeur

    La subversion faite femme

    « La diversité doit être le fondement du droit naturel universel. »

    607095536.jpgOn parle beaucoup de Marie-Antoinette (en témoigne la fascination qu’elle exerce sur nombre d’artistes), mais relativement moins d’une autre guillotinée, elle aussi victime d’une révolution à laquelle elle avait pourtant activement participée ; elle mérite malgré tout davantage de célébrité que l’épouse de Louis XVI (qui elle s’est contentée d’être reine) – ne serait-ce que pour son humanisme universaliste. Porteuse d’un vrai message, Olympe de Gouges, plus révolutionnaire que ses bourreaux prétendaient l’être, fait figure d’avant-gardiste dans la défense des droits humains – ceux des femmes, des plus démunis, des esclaves… – en prônant un égalitarisme global qui lui valut sa tragique fin. La courte pièce d’Elsa Solal est une parfaite illustration de tout ce que fut cette militante emportée, insolente, opposée au fanatisme de Robespierre, toujours agissante et lucide ; « Je sais qui je suis », écrit-elle à son ami Louis-Sébastien Mercier depuis sa cellule de la Conciergerie, tandis qu’elle attend une parodie de procès.
    En seulement cinq tableaux percutants, l’auteure brosse le portrait fidèle et saisissant d’une femme que rien n’a pu arrêter – pas même les appels à la prudence de Mercier alors que la Terreur bat son plein. Mercier a beau la supplier de se retirer de la vie parisienne, de faire profil bas et de renoncer à publier son dernier texte, Les Trois Urnes ou le salut de la patrie (qui remettait en cause l’indivisibilité du gouvernement), elle s’obstine, tout en ayant conscience « qu’on n'est pas maître de son sort ». La pièce est conçue comme un pamphlet (en abordant tous les chevaux de bataille de l’auteure de La Déclaration des droits de la femme), mais aussi comme une tragédie, selon le principe que nul ne peut échapper à son destin.
    Ce texte (déjà été mis plusieurs fois en espace) a le mérite de brosser le portrait d’un personnage à part entière, singulier et attachant jusque dans ses discours politiques, tout en mettant en relief sa fonction d’iconoclaste éclairée dans laquelle s’incarne l’émancipation féminine des siècles à venir. © Blandine Longre

    http://www.lansman.org/

    Elsa Solal

    http://olympedegouges.wordpress.com/

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  • salutaire

    211671876.jpgQuelques mots sur l'article d'Anne-Marie Mercier portant sur un ouvrage fortement recommandé : Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? signé Yves Citton (Editions Amsterdam, 2008). J'ai relevé entre autres ce paragraphe, essentiel pour qui voudrait comprendre ce qu'est la littérature et quelle mission elle remplit (au-delà du plaisir de la lecture) - un passage qui répond intelligemment à ses détracteurs (ceux qui ne voient dans les études littéraires - qu'on appelait pourtant les "humanités" - qu'un passe-temps superflu, inutile à la société d'aujourd'hui, car sans intérêt économique sur le court ou le long terme...)

    "C’est à travers la littérature qu’une société s’invente de nouvelles formes de sensations, de réflexions, de vies, de hiérarchies, de valeurs. La littérature travaille la société, ses fonctionnements et ses représentations.(...) Pour former des individus capables de recul critique, d’échange, d’adaptation, de reconfiguration de leurs modèles, la littérature vécue comme expérience de lecture et de dialogues d’interprétations est la meilleure machine jamais inventée. Ainsi, les propos du candidat à la présidentielle, élu depuis, sur l’intérêt qu’il y a à former une caissière à travers l’analyse de la Princesse de Clèves, ou plus généralement à financer les études portant sur les «littératures anciennes» sont elles prises au pied de la lettre et reçoivent elles une réponse directe et radicale : une société qui se priverait de cette ressource, ou déciderait d’en priver certains de ses membres, court à sa perte, ou pire encore." (AM. Mercier, Sitartmag)

    Lire l'article

    Les éditions Amsterdam

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  • Albums à foison

    Je croule sous les albums estampillés jeunesse (qui restent néanmoins accessible aux plus grands…la preuve, je les lis) et manque de temps pour en parler dans le détail – en attendant des articles plus élaborés, quelques présentations en vrac, assorties de liens qui permettront de prolonger les découvertes.

    832708378.jpgD’abord la découverte d’un album réjouissant chez Textuaire (voir Krochnouk Karapatak de Julien Martinière, publié par le même éditeur), intitulé La Ville en chantier : l’auteure, Anne Moreau , y met en scène deux petits personnages dans un décor qu’ils construisent peu à peu, à partir d’objets récupérés qu’ils recyclent à leur façon. Inventivité graphique, mise en page travaillée, élaboration d’un univers poétique singulier qui permet de dépasser la simple thématique environnementale : tout y est. Un album muet, pour tous. Le plus : des fiches jeux à télécharger ici, pour prolonger l'aventure des deux bâtisseurs.

    361865855.jpgPlus classique, mais pas moins réussi : Thésée, d’Yvan Pommaux (L’école des Loisirs). Le mythe, « fabuleuse histoire d’amour, de peur et de fureur », est ici fidèlement retranscrit, raconté dans le détail (depuis la conception du héros jusqu’à l’évocation de sa vie future), accompagné par des illustrations qui oscillent, comme souvent avec l’auteur, entre bande dessinée et album, et proposent des personnages très vraisemblables. Un glossaire complète ce bel album grand format.

     

    1583691272.jpgDu côté du conte, j’ai aimé Pourquoi personne ne porte plus le caïman pour le mettre à l’eau (le Sorbier) : non seulement le texte est signé Blaise Cendrars (extrait de ses Petits contes nègres pour les enfants des blancs, datant de 1928) mais les illustrations déstructurées de Merlin ajoutent à la cocasserie de l’ensemble , tout en étant particulièrement ouvragées.
    Les éditions du Sorbier offrent des contes appréciables, comme ceux de la collection Au berceau du monde.

     

     

    1905048608.jpgJ’avais déjà eu l’occasion de présenter d’autres contes, publiés aux éditions espagnoles OQO. Avec Le grand livre des portraits d’animaux, de Svjetlan Junakovic, un vrai livre d’artiste, on entre dans une autre dimension : l’auteur s’est approprié des toiles de maîtres pour les recréer à sa manière – les humains étant ici remplacés par des animaux, aussi expressifs que les modèles d’origine, qui conservent les costumes d’époque : babouin, brebis, lapine, bouc, tortue ou hippopotame peints par un… plagiaire (ou presque !) de talent, qui a su respecter les techniques de Vermeer, Rembrandt ou David. Un beau livre qu’on ne se lasse pas de parcourir. http://www.oqo.es/sj/

    576077482.jpgDes contes encore, mais cette fois « en balade » : des textes signés Cathy Ytak , illustrés par Joëlle Gagliardini, Simon Kroug et Corinne Salvi, publiés aux éditions La cabane sur le chien, et qui ont la particularité de proposer des destinations et itinéraires de randonnées : des promenades que l’on peut effectuer dans le Jura ou bien se contenter de découvrir à travers des histoires fantaisistes, au cours desquelles on croise un Lamartine fort mélancolique (!), un renardeau distrait ou des lutins en quête de paix.

     

    1710638202.jpgChez un autre éditeur indépendant, Balivernes, vient de paraître un album inspiré par une aventure bien réelle qu’ont suivie l’auteure, Lenia Major et l’illustratrice, Sandrine Lhomme : la naissance d’oisillons dans une jardinière suspendue à la fenêtre d’un immeuble. Cela donne Devant chez moi, l’histoire d’un petit garçon qui s’attache à la tourterelle venue pondre puis élever ses petits sous son nez. Les illustrations originales (entre collage, dessin, et emploi de divers matériaux) accompagnent un texte joyeux, abordable dès 4 ou 5 ans.

    1042223472.jpgSignalons aussi la parution, aux éditions du Jasmin, d’un livre qui n'est pas à proprement parler un album (il ne raconte pas d'histoire mais incite plutôt à la rêverie) : Le jardin du calligraphe, de Françoise Joire, auteure-illustratrice et conteuse. Sur le même principe que ses Arabalphabêtes, abécédaire sur le thème des animaux, ce nouveau livre propose une déambulation graphique botanique : aromates, arbres, fruits ou fleurs sont écrits en arabe, chaque terme étant retravaillé pour évoquer la forme de la plante choisie. Des fioritures en pointillés qui restent sobres et agréables à l’œil.

    615119262.jpgDans un tout autre registre, on saluera le retour de l’affreuse Constance - Après Constance et Miniature et l’expérience traumatisante de la pension, la fillette met un navire sens dessus dessous dans Constance et les Pirates de Pierre Le Gall et Eric Heliot (Hachette jeunesse). Quant aux éditions Usborne, elles surfent elles aussi sur la vague piratesque avec A bord d’un bateau pirate de S. Courtauld et B. Davies (pour les petits, une aventure-documentaire), auquel on préfèrera Fenêtre sur un bateau pirate de Rob Loyd Jones et Jörg Mühle – chaque page propose de multiples rabats permettant de découvrir l’intérieur des navires ou les fonds marins. Un ouvrage aux illustrations réussies, qui a bénéficié des conseils d’un expert du Musée Maritime de Londres.

    Pour finir, on ira voir du côté de L’enfant silence de Cécile Roumiguière (qui nous en avait déjà donné un bel avant-goût), illustré par Benjamin Lacombe (Seuil jeunesse) , d’Au feu les pompiers j’ai le cœur qui brûle de Christine Beigel et Elise Mansot (Gautier-Languereau) et de Lilia de Nadine Brun-Cosme, illustré par Anne Brouillard (éditions Points de suspension), trois livres dont je reparlerai.

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  • Néologisme, équivalents

    Je découvre un glossaire en ligne fort instructif, mis en place par le ministère de la culture, dont l'objectif est de proposer des termes équivalents qui remplaceraient les anglicismes ou les emprunts que nous employons en français... rien d'obligatoire, donc, mais le site décline une suite de "recommandations" terminologiques présentées thématiquement, que nous sommes encouragés à faire entrer dans l'usage...

     http://franceterme.culture.fr/FranceTerme/

    Au-delà de la volonté politique qui sous-tend une telle initiative (du genre "rendons le français aux français !"), on peut reconnaître que certains anglicismes sont agaçants au quotidien (tel l'emploi erroné du verbe "réaliser" au lieu de "prendre conscience de") et que d'autres sont nécessaires - dans les cas où il n'existe aucun équivalent satisfaisant dans notre langue. Certaines recommandations sont de bon sens, mais d'autres me gênent... ou plutôt, c'est le fait de systématiser et d'ériger des principes immuables (1 terme anglais = 1 terme français) dans un domaine par nature mouvant et fluctuant (le langage) qui me dérange ici.

    Car avant d'accuser la langue de Shakespeare de tous les maux, il faut savoir que l'anglais est une langue tout sauf chauviniste, qui a toujours accueilli et intégré les mots venus d'ailleurs, sans que personne s'en offusque. Ajoutons que sa capacité à se renouveler et à évoluer en empruntant aux autres langues, depuis des siècles (chose qui fait tant horreur aux puristes français qui voudraient voir leur langue se figer pour l'éternité) explique en partie pourquoi elle est, du point de vue lexical, l'une des plus riches au monde...

    J'apprécie le point de vue d'Anthony Lodge, linguiste spécialisé du français, qui remet un peu les pendules à l'heure en expliquant :  "Le français est-il en train d'être submergé par les mots anglais ? Ce n'est pas le cas. Les Français continuent à parler français. Ajoutons aussi que même si le pourcentage de mots anglais arrivant en France était de 40%, il n'y aurait pas autant de mots anglais en français que de mots français en anglais. L'arrivée en masse de mots étrangers ne veut pas dire la fin d'une langue. Vous n'avez qu'à examiner l'histoire de la langue anglaise : au Moyen-âge, en Angleterre, le français était la langue dominante, avec le latin ; la langue de la masse de la population était une langue méprisée. Toutes les personnes importantes parlaient français, puis, au cours du Moyen-âge, le français a été remplacé par l'anglais comme langue dominante. Cependant, la montée de l'anglais s'est faite seulement en empruntant massivement des mots au français, ce qui fait que l'anglais que nous parlons est un anglais absolument inondé de mots français. C'est une langue mixte, hybride, et mixité ou hybridité ne veulent pas dire déperdition, disparition d'une langue. "

    Bref. Revenons à notre fameux glossaire. Et à titre d'exemple, au hasard (!) consultons le terme « fantasy » (en tant que genre littéraire) que l'on nous recommande de bannir et de remplacer par... "fantaisie". Il suffit de changer deux lettres et d'en ajouter une pour avoir un mot bien de chez nous, qui sonne enfin "français" (dire que cette proposition révolutionnaire a eu droit à une parution au Journal Officiel du 23 décembre 2007)... sauf que dans ce cas précis, le terme "fantasy" (Genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique, qui prend ses sources dans l'histoire, les mythes, les contes et la science-fiction) perd en partie son sens... et les risques de confusion (et de faux-sens) sont grands.

    Quant à la "mercatique" cela fait quelques décennies qu'on nous le ressort régulièrement, en pure perte... (avez-vous déjà croisé un "directeur de la mercatique" ?) Dans ce cas précis, rien ne s'oppose à ce néologisme... mais qui l'emploie ? Même chose pour "autocaravane" (un... camping-car ?!) Dans le domaine informatique, plus amusant, je découvre entre autres que le "spamming" devient de "l'arrosage", le "hacker" est un "fouineur" et que le "smiley" se transforme en "frimousse"... ! En revanche, "réalité de synthèse" pour "virtual reality" est un peu tiré par les cheveux et sent le jeu de mots.

     

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  • Du rôle des (vrais) blogs littéraires

    Lu sur le blog de Christian Cottet-Emard (qui fête ses trois ans d'existence - le blog, pas l'auteur...)
    http://cottetemard.hautetfort.com/

    "Internet peut apporter beaucoup à la diffusion de la littérature, beaucoup plus en tous cas que le circuit habituel de l’édition et de la presse écrite car celles-ci font presque toujours la promotion des mêmes auteurs et des mêmes éditeurs. À cet égard, internet prend le relais, avec une puissance considérable, des médias alternatifs des années soixante-dix du siècle dernier."

    En écho, le point de vue de François Bon, qui réagit à l'enquête (si on peut dire...) portant sur les "blogs littéraires", parue dans le dernier Magazine Littéraire : "Alors que valent les blogs littéraires ?, demande le Magazine littéraire : mieux que vous, j’allais répondre… Quelque chose déjà a basculé, sinon d’ailleurs ils ne se donneraient pas la peine de parler de nous."

    Christian Cottet-Emard est l'auteur, entre autres, du Grand Variable (Editinter) - Lire l'article de JP. Longre, paru sur Sitartmag en mars... 2002.

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  • Anouilh, le retour

    1818582751.gifTitre fondateur des éditions de la Table Ronde, publié pour le première fois en 1946, l'Antigone de Jean Anouilh fait ce mois l'objet d'une réédition dans la "petite vermillion", collection poche de la maison. Les éditeurs en ont profité pour rééditer toutes les autres pièces de l'auteur - 9 volumes en tout, des Pièces grinçantes aux Pièces baroques, sans oublier les roses, les noires, les farceuses, les secrètes, les brillantes, ou encore les costumées... Les amateurs se replongeront ainsi avec plaisir dans certains textes oubliés et apprécieront les couvertures signées Jean-Denis Malclès (1912-2002)

    Tous les détails sur le (tout jeune !) site des éditions www.editionslatableronde.fr

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  • Pas raccord sur Croq'Livre

    Je découvre avec plaisir un petit article portant sur Pas raccord de Stephen Chbosky (Exprim' Sarbacane - en librairie le 11 avril prochain) sur le site de l’association Croqu’Livre.

    2055261559.jpg"Charlie a besoin de se confier. Il a choisi d’écrire à un correspondant alter ego pour lui raconter tout ce qui lui arrive : la vie au lycée, en famille, les soirées avec ses amis plus âgés, qui vivent leur vie en marge de celle des adultes. Il confie ces moments très forts où il se sent intense, qui tranchent avec les périodes de tristesse abyssale. Et les crises enfin, quand il ne comprend plus ce qui lui arrive… Lorsqu’il tente de relater ses souvenirs d’enfance, on sent comme un point d’achoppement. Quelque chose d’infiniment douloureux en lui, qu’il n’identifie pas encore. D’emblée, Charlie nous touche. On chemine avec lui pour découvrir ce qui a fait de lui ce qu’il est, un être hypersensible, qui préfère se dévouer tout entier à ses amis plutôt que de se mettre en avant. Certes, il est l’ami idéal, tellement attentif et respectueux, mais il comprendra, avec l’aide de son amie Sam, qu’il doit apprendre à vivre pour lui-même, à écouter ses envies, même si pour cela, il doit affronter ses traumatismes…Le passé conditionne ce que l’on est, mais le déterminisme n’est pas de rigueur. Charlie démontre qu’avoir été sali ne l’a pas empêché de devenir une personne lumineuse, que le lecteur a peine à quitter."

    On ne s'arrêtera pas sur le fait que le nom de la traductrice ne soit pas cité (cela est si courant...), mais on remerciera l'auteur (qui n'est pas non plus mentionné !) de sa lecture attentive.

    Depuis 1981, l’association Croqu’livre s’est donné pour but de lutter contre l’exclusion et l’illettrisme par des actions qui permettent l’accès à la lecture pour tous : de la petite enfance, âge de toutes les découvertes, à l’adolescence, moment charnière, de ruptures. Afin d’élargir son champ d’action, Croqu’livre gère depuis 1997 le Centre régional de ressources en littérature jeunesse de la région Franche-Comté .

    Croqu’Livre - Centre régional de ressources en littérature jeunesse - 27, rue de la République - 25000 Besançon 
    http://croqulivre.free.fr/

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  • Beaux albums

    Editions Anna Chanel

    2091310183.jpgUn nouvel éditeur jeunesse publie trois albums grand format signés Nathalie Collon, qui s’est associée, pour chacun d’eux, à un illustrateur différent. Créées par Nathalie Allemand et Philippe Collon, la maison est née en 2006 « d’un désir de transmettre, une réflexion sur le monde qui nous entoure, ses valeurs, ses différences. Une petite pointe de philosophie, de la magie, de l’émotion, de la poésie », et propose des contes « modernes et philosophiques inspirées des sagesses du monde. »

    Une rencontre entre un rhinocéros (forcément imposant, mais surtout vantard) et une petite fleur (forcément fragile, mais sereine) est le point de départ de La Fleur et le Rhinocéros (illustré par Edwina Cosme), une fable sur l’amitié mais aussi sur les masques que nous revêtons pour être à la hauteur d’une réputation. Dis-moi Nanouka, finement illustré par Jennifer Trican, égrène les émotions qui peuvent naître dans le cœur de chacun (les rires, les pleurs, les joies, les colères, etc.) et mettent en scène des enfants de tous les coins du monde, tandis que Et mon cœur est immense tient davantage du recueil poétique – succession de tableaux (signés Florent Espana), accompagnant des textes délicats, certes moins accessibles au jeunes lecteurs que les précédents. Un joli départ pour une aventure éditoriale et artistique à laquelle nous souhaitons de perdurer. B.Longre

    http://editionsannachanel.com

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  • Le langage des fleurs... tibétaines

    La Controverse dans le jardin aux fleurs de Langdün Päljor - fable traduite du tibétain et annotée par Françoise Robin, éditions Bleu de Chine.

    Le langage des fleurs...

    1949109236.jpgCe court texte met en scène une polémique, au premier abord amusante et anecdotique, soulevée par les fleurs de Lampe de Turquoise, une vieille femme qui prend soin de son jardin avec une attention toute maternelle ; elle n’intervient pas immédiatement dans le débat, mais préfère d’abord y assister et écouter chaque intervenant, en se disant avec circonspection : « si cette querelle se concluait de façon heureuse, cela servirait assurément d’exemple à tous. » C’est donc une fable qu’a composée Langdün Päljor, sous la forme d’une discussion argumentée, et dans laquelle les questions soulevées s’incarnent dans les différentes fleurs présentes : l’orgueilleuse rose trémière, qui revendique son incomparable beauté et ainsi sa suprématie sur toutes les autres variétés florales (« Mon vert feuillage, large et abondant / Symbolise l’ombrelle des dirigeants puissants. »), le sage pélargonium, qui tâche de ramener la rose à plus de tolérance, mais qui bien vite est rabroué par la clématite, l’opportuniste, qui se range avec flagornerie du côté de la rose (celle-ci lui procure une tige à laquelle grimper), puis « l’intelligente » pensée qui propose aux honnêtes Six-pattes (les abeilles) de départager les fleurs…
    Les allusions politiques sont ici à peine déguisées, et c’est la plus raisonnable des fleurs, la pensée, qui analyse subtilement la situation :

    « Si la trémière menace les foules égales à l’origine,
    Et que plus tard on la reconnaît comme notre ornement suprême,
    Elle nous tyrannisera tous, nous les humbles »

    La leçon politique nous concerne tous, justement, à plus ou moins grande échelle, et il revient à chaque lecteur de l’interpréter en fonction de sa propre expérience. L’on sent bien que l’écrivain cherche à illustrer des comportements humains universels, il reste que le contexte tibétain laisse aussi entendre que Langdün Päljor énonce quelques vérités qui concernent directement les dirigeants chinois, leurs querelles pseudo idéologiques et les intrigues de palais qui engendrèrent entre autres la fameuse « Révolution culturelle ». Il exprime aussi l’idée que l’harmonie pluriculturelle est possible entre les peuples qui cohabitent et que tous se valent, quelles que soient leurs singularités, des valeurs humaines exprimées par le biais des abeilles, qui appellent à la fraternité : « …évertuez-vous à assurer la prospérité du jardin / Par le cordial engagement d’entraide mutuelle. » Des mots qui renvoient à ce que Lampe de Turquoise exprime dès le début : « Ce sentiment de joie vient de ce que les multiples fleurs (…) ravissent tous les esprits. »
    Ce beau plaidoyer pour l’harmonie entre les peuples et pour la diversité tient une place privilégiée dans l’histoire littéraire d’une région du monde où le taux d’alphabétisation est extrêmement faible — sans parler de l’histoire mouvementée d’une culture que tente d’étouffer un gouvernement chinois obnubilé par l’idée d’uniformité nationale. Cette fable est en effet le premier texte de fiction qui fut publié au Tibet après la Révolution Culturelle, dans la première revue littéraire de langue tibétaine (Art et littérature du Tibet). Sa publication en français peut donc être considérée comme un petit événement éditorial – les autres textes traduits du tibétain, peu nombreux, appartenant à la littérature classique. Et pourtant, ainsi que l’indique Françoise Robin (traductrice et enseignante de langue et littérature tibétaines à l’INALCO) dans son introduction plus que bienvenue, « la sphère littéraire contemporaine est active au Tibet. Et nous ne le savons pas. » Nul doute que cette parution incitera à se pencher davantage sur une culture méconnue (hormis ses aspects religieux, qui ne font cependant pas tout.)

    On sait combien la censure peut être source d’inventivité, les auteurs devant se résoudre à exprimer leur pensée par des voies détournées, de manière plus ou moins heureuse : Langdün Päljor, figure de proue et défenseur de la culture tibétaine, use du procédé conventionnel mais toujours efficace de l’allégorie avec talent, dans une langue limpide et raffinée qui alterne prose et versification (de beaux passages dont la fonction métaphorique n’est pas qu’ornementale…) entre classicisme et modernité. © B. Longre

    1892687278.jpgwww.bleudechine.fr/

    Françoise Robin est aussi la traductrice des Contes facétieux du cadavre (avec la collaboration de Klu rgyal tshe ring) Bilingue tibétain-français (Langues et Mondes, L’Asiathèque), de L'Artiste tibétain et de La Fleur vaincue par le gel de THÖNDRUPGYÄL (Bleu de Chine).

    Les éditions Bleu de Chine ont un catalogue à découvrir absolument, qui comprend quelques textes traduits du tibétain. On trouvera en page d'accueil de leur site les "8 revendications pour Pékin". Ils publient également un ouvrage collectif (dirigé par Alain Bouc, Marie Holzman et Claude Meuriset) intitulé L'Envers des médailles J.O. de Pékin 2008, qui dénonce l'imposture que ces jeux sont devenus...

    "La Charte de l’Olympisme est discrète sur les Droits de l’Homme car un grand nombre de pays représentés les violent. Néanmoins les principes fondamentaux exprimés en début de texte affirment l’objectif de « promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine». Ils ajoutent que l’esprit olympique « exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair play ». (Extrait de la 4e couv.)

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  • Livres mutants...

    464643091.jpg622383313.jpg"Les Mues"

    L'intitulé de cette collection créée aux éditions Intervista évoque d’emblée transformations, métamorphoses et autres mutations – sans oublier l’idée associée de transition. Car rien n’est jamais immuable, justement, et les changements de peau successifs que nous connaissons tous sont partie prenante de l’expérience humaine. L'éditrice entend, depuis le début, proposer une littérature « transgenre, moderne, audacieuse et sans tabou », résolument « adulte », mais dans laquelle les adolescents et les « jeunes adultes » sont tout à fait susceptibles de se retrouver.

    La collection accueille des textes très différents les uns des autres – des choix qui reflètent une belle ouverture d’esprit mais aussi le désir de lancer de nouveaux auteurs aux côtés d'auteurs confirmés, hors des sentiers battus, ou des artistes dont c'est la première incursion dans un univers livresque. Du vent dans mes mollets, de Raphaële Moussafir, relate les expériences et les découvertes d’une fillette de neuf ans, tandis que Le syndrome Godzilla (Fabrice Colin), roman déroutant mais palpitant, nous transporte dans un univers psychologiquement cohérent mais nimbé d’onirisme : l’histoire d’un adolescent en pleine métamorphose, entre France et Japon. Vient de paraître : Rêver, grandir et coincer des malheureuses (sous-titré "Biographie sexuelle d'un garçon moyen" !) de Frédéric Recrosio, qui "parle de sexualité sans une once de vulgarité ni de mysognie". On guettera aussi la parution de Enfin nue ! de Catherine Siguret, "confessions d'un nègre écrivain", qui pratique un drôle de métier... (en librairie le 15 mai 2008)

    www.editionsintervista.com

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  • Gregory Galloway

    La disparition d'Anastasia Cayne
    traduit de l'anglais (USA) par Nathalie Perrony, Albin Michel jeunesse, Wiz suspense, 2008 - à partir de 14 ans et +

    Anna forever

    Roman inclassable, qui tient à la fois de l’enquête et du roman d’apprentissage, La disparition d'Anastasia Cayne est surtout un tour de force narratif bien ficelé, visant à déstabiliser durablement le lecteur.
    1701859046.jpgLe narrateur, un lycéen de 16 ans d’apparence très quelconque et dont on ne saura jamais le nom, se morfond dans une petite ville américaine très ordinaire auprès de parents à l’esprit étroit et au quotidien étriqué. Jusqu’au jour où débarque Anna Cayne, qui va transformer son existence morose : une jeune fille énigmatique, cultivée, fascinée par la mort, par le magicien Houdini, par Rimbaud ou Kerouac, et dont l’accoutrement gothique n’est qu’un masque parmi d’autres. Anna et le narrateur deviennent très vite amis, puis tombent amoureux et sont désormais inséparables. Anna, énergique et débordante d’idées parfois saugrenues, a l’imagination féconde et un fort penchant pour le mystérieux ; la rédaction de notices nécrologiques reste l’une de ses activités préférées mais elle aime aussi à concocter des messages codés, collectionne des objets hétéroclites et c’est encore elle qui initie le garçon à l’amour physique, à l’alcool, mais aussi à la poésie, à la littérature fantastique ou à la musique, sans pour autant se montrer autoritaire ou méprisante envers ce petit provincial qui s’attache à elle. Mais sept mois après son arrivée, Anna disparaît subitement, du jour au lendemain.

    Le narrateur résume ainsi son histoire : « Je suis tombé amoureux d’une fille, et puis elle est partie ; plus tard, elle a essayé de revenir –du moins c’est ce que je crois – et je suis partie à sa recherche. » Tout part de la disparition d’Anna, et le récit, cohérent de bout en bout, se construit à partir de fragments de souvenirs, d’objets symboliques, de documents divers ou de musiques. Il se souvient d’Anna, tâche de reconstruire les événements qui ont précédé sa disparition. Avec elle, tout était prétexte à inventer de nouveaux jeux, donnant l’impression de se complaire à compliquer les choses – l’on comprend peu à peu que les choses sont effectivement compliquées, qu’il faut savoir creuser et dépasser la surface lisse et trompeuse de la réalité, que rien n’est jamais simple : ni la neige (en référence au titre anglais), ni les sentiments, ni les relations humaines, et surtout pas l’énigme à laquelle nous sommes confrontés, et qui fonctionne comme moteur du récit puisque tout reste à résoudre et à découvrir.

    711758760.jpgAccumulation de questions, desouvenirs, d'indices... le moindre événement apparaît alors sous un jour nouveau, semble suspect – comme s’il fallait prêter attention au moindre détail du récit rétrospectif (et introspectif) pour ne pas manquer un seul élément qui nous mettrait sur la voie. Ajoutons à cela que le point de vue est nécessairement lacunaire, ce qui ne fait qu’amplifier la sensation de mystère. La participation active du lecteur est donc requise, et l’on suit avec anxiété le garçon, qui avance de fausses pistes en vrais espoirs – la vérité est fluctuante et mouvante, impossible à saisir, tant elle présente une multiplicité de facettes.

    Parallèlement à cette enquête à rebours, le roman est aussi une merveilleuse chronique adolescente ; chaque tranche de vie est narrée avec finesse, tout sonne juste et l’on se plaît vraiment en compagnie d’Anna et de son amoureux, qu’on a du mal à quitter. Un roman fascinant, difficile à lâcher, et dont le dénouement ouvre sur de multiples possibilités, ce qui, paradoxalement, nous oblige à choisir celle qui nous convient le mieux, selon sa propre sensibilité. En consultant le site conçu par l’auteur, on trouvera encore d’autres pistes, en particulier musicales... © B. Longre

    à signaler : ce roman a d'abord paru dans une collection de littérature générale aux USA, avant de sortir dans une collection pour grands ados.

    www.albin-michel-jeunesse.com

    www.wiz.fr

    www.assimpleassnow.com

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  • Il y a plus à plaindre...

    978563609.jpg...que les libraires français - que la loi sur le prix unique du livre protège encore un peu. Car si l'on se penche sur ce qui se passe entre autres aux USA depuis l'avènement de sites marchands qui cassent les prix, on se dit que la situation française est loin d'être catastrophique. La preuve en est : L'American Booksellers Association comptait 4500 membres il y a une quinzaine d'année. Moins de 2000 aujourd'hui...

    Tout est , dans le détail, à partir du témoignage d'un libraire indépendant qui fermera bientôt boutique. Selon le journaliste du New York Times : "Village bookstores across the country have been dying at an astonishing rate. According to Oren Teicher, chief operating officer of the American Booksellers Association, the organization had 4,500 members in the early 1990s and now has fewer than 2,000, with 200 independents closing every year, though he said the decline has leveled off. "

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  • Juvenilia

    451517487.jpgHyde Park Gate News - The Stephen Family Newspaper - Virginia Woolf, Vanessa Bell, with Thoby Stephen
    Introduction et notes Gill Lowe, Avant-propos Hermione Lee - Hesperus Press.

    Le journal de Hyde Park Gate - Traduit de l'anglais par Anne Rabinovitch - Mercure de France, 2006

    Un enchantement juvénile, semaine après semaine...


    Les éditions Hesperus publient un ouvrage inédit de Virginia Woolf (née Stephen), un petit événement éditorial et littéraire qui devrait ravir amateurs et curieux. Gill Lowe a longuement étudié certains manuscrits inédits de la famille Stephen (qui dormaient depuis des années à la British Library), et cette étonnante publication, destinée à la fois au grand public et aux chercheurs, est le fruit d’un travail patient : les manuscrits reproduits ici sont ceux d’un journal rédigé en 1891-1892 et en 1895 par Vanessa, Virginia et Thoby, les enfants de Leslie Stephen (biographe, éminent critique littéraire) et de Julia Jackson, la famille résidant au 22, Hyde Park Gate. Les garçons étaient envoyés en pension, mais les filles étudiaient à la maison, et occupaient une partie de leur temps libre en rédigeant cette publication collective… Réalisés artisanalement, les journaux (hebdomadaires) relatent principalement les événements quotidiens de la maisonnée (les plus graves étant abordés avec légèreté ou tout simplement omis), les sorties et les divertissements des enfants, les péripéties des animaux domestiques, en laissant une place importante à la fiction et à l’imagination, en toute liberté ; une précieuse source primaire qui apporte d’abondantes informations biographiques et littéraires sur la jeune Virginia, que l’on voit ici, à l’âge de dix ans, faire ses premières armes avec la rédaction de petits récits fictifs et de juvenilia comme "A Midnight Ride".

    L’ensemble est un régal, un sentiment en partie généré par le ton vivifiant et satirique qui se dégage de nombre de productions (l’ironie étant passablement amplifiée par le procédé narratif de la troisième personne…) : « love letters » parodiques que s’échangent des couples d’amoureux ingénus ou stupides, histoires sans paroles, abécédaires sous forme de poèmes, portraits cocasses de visiteurs inopportuns ou ennuyeux, extraits de journaux intimes (là encore factices), jeux de mots et astuces inventés par les enfants, récits des événements et des anecdotes ponctuant la vie de famille (anniversaires, fêtes de Noël, retours de Thoby, etc.), ou surnoms dont sont affublés certains membres (dont Laura, enfant d’un premier mariage de Leslie, « the Lady of the Lake », internée la plupart du temps)… remplacés, au fil du temps, par des textes abstraits plus complexes et matures.

    Les journaux sont ici disposés en colonnes, ainsi qu’ils l’étaient à l’origine, et les précisions relatives aux supports et aux plumes utilisées ajoutent au caractère authentique et poignant de l’ensemble, de même que la reproduction des erreurs orthographiques des petits écrivains... On retrouvera aussi en fin d’ouvrage la biographie complète de chacun des membres de la famille et des amis proches apparaissant dans les journaux, ainsi que quelques clichés photographiques qui participent de la délicieuse atmosphère désuète d’un temps bel et bien révolu, celui de l’enfance insouciante et joyeusement érudite. © B. Longre

    http://www.hesperuspress.com/

    http://www.virginiawoolfsociety.co.uk/

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  • Fête du Livre Jeunesse de Villeurbanne

    1633905675.jpgAprès deux éditions consacrées à la mémoire et au souvenir, la 9ème édition de cette fête aura lieu du 2 au 6 avril 2008 sur le thème de "Et toi, ton toit ?"

    Pourquoi le thème de l'habitat ? Car la maison est omniprésente en littérature jeunesse -  "à travers la maison imaginaire que représentent toute cabane édifiée, la maison des contes, ou plus simplement la maison que l'on habite, que l'on partage. Quelquefois il n'y a pas de maison du tout et l'habitat devient précaire, on couche dehors ou en foyer, on habite chez l'un ou chez l'autre. On peut en arriver à quitter sa maison pour un logement provisoire : une chambre d'hôtel, une cellule de prison, une chambre d'hôpital, un centre de rétention. Il faut alors se réapproprier l'espace, apprendre à vivre avec d'autres. Ce sont tous ces cas de figures que va tenter de visiter la Fête, avec les ouvrages de plus de 40 auteurs ayant réfléchi sur ce thème."

    L'invitée d'honneur : Cécile Gambini.
    Les autres auteurs / illustrateurs :  Franck Andrat, Barroux, Nicolas Bianco-Levrin, Julia Billet, Betty Bone, Sonji Bougaeva, Edmée Cannard, Alex Cousseau, Jennifer Dalrymple, Thierry Dedieu, Sylvie Deshors, Anne-Laure de Keating-Hart, Delphine Durand, Jean-Luc Englebert, Pascal Garnier, Bruno Gibert, Nolween Godais, Bruno Heitz, Philippe Lechermeier, Thierry Lenain, Frédérick Mansot, Susie Morgenstern, Jean-Paul Nozière, Caroline Palayer, Sacha Poliakova, Marjorie Pourchet, Eric Puybaret, Hélène Riff, Jérôme Ruillier, Irène Schoch, Florence Thinard et Fabrice Vigne.

    Une journée professionnelle aura lieu le vendredi 4 avril, sur le thème de Littérature jeunesse et engagement politique.

    www.mairie-villeurbanne.fr/fete_livre_jeunesse_2008/

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  • Autour des mots - 7

    Des ouvrages qui nous racontent la vie des mots.

    c4339beab5a08b69d5b73d8ab284d65c.jpgQu'importe le flacon - Dictionnaire commenté des expressions d'origine littéraire de de Jean-Claude Bologne - Larousse, Le souffle des mots.

    Amusante érudition

    Cette réédition, sous un nouveau titre, des Allusions littéraires (1989) est une excellente initiative, en cela qu'elle permet de remettre sur le devant de la scène un ouvrage passionnant de Jean-Claude Bologne - par ailleurs auteur, dans la même collection, de Une de perdue, dix de retrouvées, chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (2004) et Au septième ciel, dictionnaire commenté des expressions d'origine biblique (2005).

    Dans une introduction détaillée il s'explique sur son "choix capricieux et fondamentalement subjectif du carnet de bal" (plus de quatre cents entrées et, faute de place, l'auteur nous offre plus de 300 allusions supplémentaires en fin d'ouvrage, certes moins connues, mais  néanmoins rencontrées au fil de ses lectures), et tente de définir ce qu'est une allusion littéraire et ce qu'elle n'est pas, à savoir : une expression entrée dans le langage courant, extraite d'une oeuvre littéraire, mais pas nécessairement fidèlement retranscrite (contrairement à la citation ou au proverbe, des formes fixes) ; il admire la malléabilité et la spontanéité de l'allusion littéraire qui, selon lui, "n'a pas l'agressivité de la citation, qui est étalage de culture et sent son pédant."

    Sa collecte, fructueuse, a été effectuée dans le langage d'aujourd'hui, car comme tous les linguistes intelligents, Jean-Claude Bologne voit dans le langage un matériau vivant, évolutif, impossible à figer (n'en déplaise à ceux qui régulièrement se lamentent sur le sort que l'on fait à la langue française...), en témoignent les variantes, les modifications et les interprétations diverses qu'il propose tout au long de ce dictionnaire commenté ; dans le même temps, et suivant le même ordre d'idées, il nous invite ouvertement à une lecture vagabonde, désordonnée, qui n'obéit qu'au principe de plaisir.

    On navigue donc à vue entre les petites phrases que nous ont léguées des dizaines d'auteurs francophones ou non - et même si certains forment le fond de la récolte (Lafontaine, Molière, Hugo, Voltaire, Corneille, Shakespeare, Andersen ou Rabelais, etc.), on sera souvent surpris de redécouvrir qui a dit ou écrit quoi ; florilège : "Dieu existe, je l'ai rencontré" (André Frossard, 1969), "chacun son métier, les vaches seront bien gardées" (Florian, 1792), "partir, c'est mourir un peu" (Edmond Haraucourt, 1891), "Mais ceci est une autre histoire" (Kipling, 1888), ou encore "On n'est jamais si bien servi que par soi-même" (Charles-Guillaume Étienne, 1807, peu gâté par la postérité). Chaque entrée est l'occasion d'explications et d'analyses approfondies, truffées d'anecdotes érudites.
    Mais "qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse" écrivait Musset en 1832, et quelle que soit la source première de chacune de ces allusions, ce qui compte en définitive c'est qu'elles aient perduré et que nous soyons nombreux à faire de la littérature sans même le savoir... © B. Longre

    Jean-Claude Bologne

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  • Revue des livres pour enfants

    1527908737.jpgRevue des Livres pour enfants, n° 239 – février 2008 (La Joie par les Livres, Centre national de la littérature pour la jeunesse / BNF)

    Ce numéro, hormis les habituelles recensions (romans, livres CD, poésie, albums, BD, documentaires… - ou encore publications théâtrales, rubrique à laquelle je contribue), comprend un dossier détaillé consacré à la littérature jeunesse en Israël, qui retrace son émergence (depuis les années 1960) et propose des portraits de plusieurs auteurs ; la revue se penche aussi sur les livres en langue arabe, sur l’alphabétisation des enfants immigrés et le rôle des bibliothèques, ou sur les traductions de livres jeunesse en Allemagne. On y lira aussi un beau texte de Valérie Zenatti (auteure de Quand j’étais soldate).

    Annick Lorant-Jolly, rédactrice en chef, signe un article qui intéressera tous ceux qui s’interrogent encore sur la polémique lancée par le Monde en décembre dernier : « La littérature pour adolescents à nouveau en débat ». On appréciera son point de vue éclairé et l'ouverture d'esprit dont elle fait montre.

    La Revue des livres pour enfants

    www.lajoieparleslivres.com

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  • Sorcières du 8 mars

    905476651.jpg8 mars : Journée de la femme...

    Les dates figées me déplaisent un peu - on sait que souvent, elles n'existent que pour donner bonne conscience à certains. Il reste qu'elles sont aussi l'occasion de coups de projecteur sur les dysfonctionnements encore avérés de nos sociétés, mais aussi de mettre l'accent sur les discriminations encore plus graves qui touchent les femmes dans d'autres coins du monde.

     De mon côté, j'en profite pour reparler ci-dessous d'un ouvrage dont la lecture m'avait passionnée - et qui a l'avantage d'analyser des faits passés à l'aune du présent (et vice-versa), et pour conseiller à nouveau d'aller faire un tour sur le blog que Caroline Scandale consacre au féminin et à ses représentations dans la littérature jeunesse - entre autres.

    Quelques liens vers des articles sur le féminin sur ce blog ainsi que sur Sitartmag

     

    Les putains du Diable, Le procès en sorcellerie des femmes d'Armelle Le Bras-Chopard (Plon)

    Et la sorcière fut…
    ou l’histoire d’une attaque en règle et de ses résurgences.

    Le titre de cet ouvrage érudit, fouillé, étayé par de nombreuses sources primaires, met d’emblée l’accent sur le regard masculin profondément biaisé qui fut à l’origine d’événements meurtriers historiquement circonscrits : la chasse aux dites sorcières et les procès en sorcellerie qui agitèrent l’Europe deux siècles durant, du XVe à la fin du XVIIe siècle.

    Une vaste répression fabriquée de toutes pièces, dont les méthodes s’inspiraient directement de l’inquisition, mais cette fois dirigée presque exclusivement contre les femmes, et qui s’explique par la « menace, née de l’imaginaire masculin : la puissance montante, réelle ou supposée des femmes aux foyers. » Le « problème est celui du pouvoir », rappelle l’auteure dès l’introduction, faisant écho à la thèse qu’elle développait dans un précédent ouvrage, Le masculin, le sexuel et le politique, et qui reposait sur l’idée que des siècles durant, le pouvoir, apanage du mâle et de sa puissance sexuelle, s’est construit sans les femmes – l’ennemi commun à toute la masculinité.

    1825056705.jpgEffectivement, 80 pour cent des condamnés au bûcher sont des femmes, jugées « démoniaques » par des hommes, forcément, qui s’appuient sur des traités de démonologie pondus au fil des décennies – par des hommes, forcément ; des "coupables" pour la plupart intégrées dans la société – à ne pas confondre avec les guérisseuses ou autres vieilles femmes qui vivent en marge de la société rurale. La femme accusée d’avoir forniqué en secret avec le Diable (un rituel qui scelle le pacte) n’a, en apparence, rien qui puisse la différencier de ses voisines et le phénomène n’est en aucun cas « périphérique », contrairement à ce que soutenait Michel Foucault.

    L’auteure de s’interroger alors sur les motivations de cette attaque en règle de la femme tentatrice et instigatrice, à l’image d’Eve, qui cède librement au Diable (« décrété mâle », nécessairement), et de prendre en compte « cette appartenance des victimes au sexe féminin comme élément constitutif de la définition même de la sorcellerie démoniaque ». Ce postulat de départ permet de déployer une thèse qui rejoint la sphère politique, en établissant des correspondances précises entre sexualité et pouvoir – le Diable étant avant tout celui qui cherche à déstabiliser la hiérarchie divine et à renverser Dieu, son maître, en trouvant des complices consentantes, des femmes qui se soumettent à lui, et se rendent ainsi coupables de miner l’ordre social et sa stricte hiérarchie.

    La doctrine démonologique, telle que les théologiens et les inquisiteurs l’ont concoctée, s’appuie sur de nombreux traités, manuels et récits de procès, la référence dans le domaine restant le Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières), écrit en 1486 par Henry Institoris et Jacques Sprenger, deux dominicains qui ont donné une définition précise de la sorcellerie, dont se sont inspirés nombre de religieux et de juges - hormis cet ouvrage, Armelle Le Bras-Chopard s’est appuyée sur un corpus de six autres documents, constamment cités au fil de son développement.
    L’auteure évoque ainsi le caractère profondément arbitraire des procès qui vont être intentés aux femmes durant des décennies, pour un crime considéré si « extraordinaire » – plus grave encore que l’hérésie – qu’on pourra juger « hors du droit », et décortique très soigneusement le mécanisme de cette construction idéologique, dont il reste des échos parfois virulents dans la société du XXIe siècle. On apprendra entre autres comment s’est amplifiée une misogynie déjà bien présente dans la société, entraînant une détérioration du statut de la femme qui a pu favoriser l’essor des procès, comment la représentation du diable s’est matérialisée (après avoir été longtemps une figure impalpable) et a été peu à peu associée à une sexualité perverse, comment les femmes (nymphomanes et inconstantes, on s'en doute) soumises au diable sont consentantes et investies de pouvoirs nuisibles (tous plus abracadabrants les uns que les autres), ou encore comment les prétendus sabbats se déroulaient (on remercie ici l’imagination sans bornes des juges et des inquisiteurs… !)

    2001162253.jpgLa chasse et les procès sont interdits à partir de la fin du XVIIe siècle – les puissants se seraient-il convertis à l’humanisme ? Seraient-ils soudain devenus sensibles au sort des condamnées ? Restons lucides ! S’ils se penchent sur ces « épidémies » démoniaques qui ne se contentent plus de se propager aux seules campagnes mais commencent à s’attaquer aux centres urbains, c’est principalement pour des raisons politiques : la multiplication des procès (et leur lot de tortures et d’incitations à la délation) a pris une ampleur presque incontrôlable que le pouvoir central regarde d’un œil méfiant ; on commence à réagir aux abus de pouvoir des petits juges de campagne et certains s’étonnent enfin de découvrir qu’on ne trouve de sorcières que dans les lieux où se déroulent les procès… Dans le même temps, la gestion des sujets de l’Etat se démarque peu à peu de la sphère religieuse et de ses fantasmagories. Les femmes restent toutefois interdites de politique (« une femme au pouvoir est peu différente d’une sorcière ») et, placées sous la tutelle du mari, elles se voient refuser les droits élémentaires qui ne reviennent qu’aux hommes dans l’Etat moderne qui se construit au fil des décennies ; la loi, qui définit clairement le statut de la femme et limite son influence dans la sphère publique, a remplacé le bûcher. Dans La société démocratique qui se met en place, la dictature du genre demeure. La sorcière a certes disparu, mais la femme est « longtemps encadrée par les lois masculines », qui l’empêchent de prendre trop d’ascendant et, pourquoi pas, de comploter pour renverser le pouvoir masculin. Au XXe siècle, le féminisme et la revendication du droit de vote font « resurgir le spectre de la sorcière » et la menace d’un complot (cette fois organisé) contre les hommes se matérialise à nouveau.

    L’ouvrage est passionnant de bout en bout, et la manière dont l’auteure relie, avec lucidité, les faits du passé (qu’on pourrait croire enterrés) au monde contemporain y est pour beaucoup ; sa conclusion, particulièrement vigoureuse (dans laquelle elle ne prône nullement le différentialisme et en appelle au contraire à la « mixité des sexes ») prend des allures de salutaire pamphlet : une dénonciation de la misogynie encore prégnante dans nos sociétés dites laïques (où la renaissance du religieux devrait pourtant alarmer) et égalitaires, où l’image de la sorcière (qu’incarne la femme émancipée, désireuse de se soustraire à l’oppression masculine) est encore largement véhiculée dans l’inconscient collectif, en témoignent les propos qui s’échappent plus ou moins délibérément de la bouche de certains politique ou médias. Le pouvoir masculin irait-il jusqu’à faire renaître le fantasme de la sorcière des cendres des bûchers ? s’interroge très pertinemment Armelle Le Bras-Chopard. Une conclusion en suspens qui encourage à la réflexion et à une vigilance de tous les instants… © B. Longre

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  • Polémique - salon du livre 2008

    2010504050.gifLes appels au boycott et les demandes d'annulation (!) se succèdent, alors que l'invité d'honneur du salon du livre de Paris est Israël. Fort regrettable, cette instrumentalisation politique de la littérature. Car les écrivains invités, en fin de compte, incarnent-ils, en tant qu'individus, un état ? Le salon veut d'abord célébrer la littérature de langue hébraïque, au-delà des politiques et des querelles (qu'elles soient ou non sanglantes), au-delà des affiliations religieuses et sectaires ou des chapelles. Il est vrai que l'intitulé "invité d'honneur : Israël" est passablement maladroit... "invités d'honneur : écrivains de langue hébraïque" aurait été plus judicieux (puisque la langue est le critère de sélection) au moins pour dépasser la notion d'état et insister sur le littéraire.

    Comme indiqué sur le site du salon : "C'est la reconnaissance d’une littérature dynamique, d’une immense richesse, à l’image d’une société multiculturelle. Une littérature qui puise dans le passé, s’affirme dans un présent mouvementé, sans à priori, n’esquivant aucune question, qui interroge et analyse sans concession."

    http://www.salondulivreparis.com/


    Souvenons-nous aussi que les autorités égyptiennes pratiquent allègrement la censure - voir
    blongre.hautetfort.com/archive/2008/01/29/pauvre-litterature.html

    Je lis ici que, Tariq Ramadan (bien connu pour son ouverture d'esprit et ses vues inspirées !) a répondu à La Repubblica :"Il est clair qu'on ne peut rien approuver de ce qui vient d'Israël".

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  • Jolie rencontre...

    522281294.jpg... avec Christine Beigel - un article de Magali Turquin, à lire sur le site des Histoires sans fin. Elle y présente son parcours d'auteure, ses derniers ouvrages et de ses activités d'éditrice aux éditions Après la Lune.

    Les Histoires sans fin, site consacré à la littérature jeunesse géré par Fred Ricou, propose des chroniques, des entretiens, des coups de coeur et de nombreuses autres informations.

    http://www.leshistoiressansfin.com/

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  • Araluen - Tome 3

    712787050.jpgL'APPRENTI D'ARALUEN - La Promesse du Rôdeur (tome 3)
    roman de John Flanagan - traduit de l'anglais (Australie) par B. Longre - Hachette romans jeunesse - 5 mars 2008

    Le tome 1
    Le tome 2
    L'auteur
    L'éditeur

    (Les droits de la série viennent d'être achetés par United Artists. Le cinéaste Paul Haggis devrait réaliser prochainement l'adaptation du premier tome.)

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  • Mort anonyme

    380238938.jpgUne nuit de Christine Féret-Fleury, Editions Motus, collection Mouchoir de poche.

    Une écriture limpide, des flocons qui tombent, une galerie de personnages pris à un instant T, sur le vif, « chacun dans sa vie» - quelques habitants d’un immeuble qui ont tous aperçu la voiture rouge, (mal) garée, en bas ; une voiture solitaire bientôt couverte d’un « tapis de velours blanc » et dont personne ne se soucie vraiment (hormis le policier retraité qui s’offusque…). Ce n’est qu’au petit matin qu’on découvrira ce que cachait la présence de cette voiture.
    Les illustrations très basiques (conçues par l’auteure – c’est en effet l’un des principes de la collection) ne proposent aucun portrait : seulement des objets qui incarnent l’un ou l’autre personnage et, en leitmotiv, une fenêtre close, qui pourrait symboliser l’indifférence au reste du monde, le repli sur soi, au chaud – ce qu’entend dénoncer Christine Féret-Fleury par le biais de la poésie, sans moraliser ni culpabiliser le lecteur (ou à peine). L'histoire pudique et poignante d'une mort anonyme. B. Longre

    http://motus.zanzibart.com/

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