Soif de livres, faim de lectures. Ainsi s'intitule le salon du livre de Cluses qui se déroule du 22 au 25 novembre.
"Esperluette 2007 abordera ces rapports entre écriture, nourriture et boisson, de la gourmandise des mots et des mets en passant par l'exploration littéraire des lieux où l'on mange et où l'on boit, restaurants, bistrots, cuisine... "
Seront entre autres présents Pierre Autin-Grenier (voir ici pour plus d'informations), Alain Chiche (voir son site), ou Christine Beigel qui vient de faire paraître, en tant que directrice de collection chez Après la lune jeunesse, un premier Zalboum intitulé : Mais qui a volé le maillot de la Maîtresse en maillot de bain ? (dont je parlerai très prochainement) de Lilas Nord et Carole Chaix (elle aussi invitée à Cluses), qu'il faut vite découvrir.
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Le programme
Cuisine et littérature font souvent bon ménage et la thématique est fréquemment abordée. J'ai souvenir d'un excellent numéro de la revue La pensée de Midi qui abordait le sujet : La cuisine, un gai savoir (2004). mais mon "livre de cuisine" préféré reste toutefois celui-ci :
Jardins et Cuisines du Diable, Le plaisir des nourritures sacrilèges
de Stewart Lee Allen - traduit de l'anglais par Sébastien Marty (titre original : In the devil's Garden)
Autrement - 2004
Un appétit d’enfer… sur les traces des nourritures interdites
Même les moins gourmands des lecteurs aimeront ces jardins et cuisines et prendront goût aux diableries… Tout est ici délectable : le savoir encyclopédique de l’auteur, son humour, omniprésent, et son talent pour capter l’attention de nos esprits et de nos corps plus que rassasiés. Cet ouvrage, loin d'être une énième compilation de recettes, se lit comme un roman ou une suite d’histoires : véritable aventure des sens et de l'esprit, Jardins et cuisines du Diable est une merveilleuse fresque culinaire, sociale et humaine, un parcours qui traverse les époques et se joue des frontières, à la découverte des nourritures terrestres, des habitudes de table ou des aliments interdits ou diabolisés à un moment ou à un autre dans l’histoire de l’humanité.
A travers nombre d’anecdotes historiques, de mythes ou de légendes, d’analyses littéraires (de Margaret Atwood à Gogol, en passant par Joyce ou Aristophane), ethnologiques, voire géopolitiques (avec entre autres l'affaire du cochon haïtien...) et de récits de ses propres pérégrinations, Stewart Lee Allen élabore une étude (presque exhaustive), qui nous mène de la Rome antique aux Aztèques, du monde musulman aux confins du Canada ; le fil conducteur, on s’en doutait, consistant à classer les interdits, us et coutumes alimentaires par péché… Les sept péchés capitaux, tels qu’ils sont énoncés par les chrétiens, constituent en effet un excellent point de départ, l’introduction précisant très justement que « l’histoire de la nourriture ne peut être dissociée de la notion de tabou alimentaire. ».
En vrac, et pour nous mettre en appétit, nous apprenons tout ce qu’il faut savoir sur : le fameux « fruit défendu » (certainement pas une pomme…), l’art de lire l’avenir dans les abats de cochon d’Inde, les horrifiants menus que s’imposaient les saintes, divers aphrodisiaques (dont le chocolat, véritable viagra pour le marquis de Sade), la terrible discrimination dont les catholiques frappèrent (entre autres choses) la si belle tomate, les pratiques dites géophagiques ou encore les dangers que le « pain mollet » représentait aux yeux des aristocrates français, si le peuple se mettait en tête d’en consommer…(le pain constituant « un parfait baromètre des névroses françaises » !). Mais les groupes humains chez lesquels on répertorie le plus grand nombre d’interdits alimentaires sont assurément les Hindous et les Juifs traditionalistes (qui « partagent surtout le sentiment profond d’un lien entre nourriture, pureté et moralité. »), même si l’auteur retrace aussi dans le détail les discriminations alimentaires entretenues par les Américains (en particulier à l’égard des… Indiens et des Noirs.) Car la nourriture est aussi « mère de toutes les exclusions » ou encore un formidable « outil de contrôle » : « malgré le fossé technologique qui sépare l’Amérique d’aujourd’hui de la Sparte antique, le principe reste le même : créer une classe ouvrière idéale en contrôlant son alimentation »… et l’invention du fast-food en est un exemple flagrant.
Toute nourriture, absorbée ou non, possède sa symbolique et sa fonction, inextricablement liées à une culture singulière, et au-delà des anecdotes, l’ouvrage prend peu à peu l’allure d’un véritable manuel ethnologique, catalogue intelligent et raisonné de l’inventivité humaine (en particulier à travers quelques recettes étonnantes), mais aussi des intolérances et du racisme : « Je suis ce que je mange et, si vous ne mangez pas comme moi – ou si vous n’aimez pas ce que je mange – vous êtes mon ennemi. », glose l’auteur, montrant par là comment la nourriture peut aussi galvaniser le repli identitaire et s'inscrire dans des mouvements de rejet de l'altérité. Et si Stewart Lee Allen ne cesse de mettre son érudition à contribution, c’est en grande partie pour dénoncer joyeusement à la fois les interdits alimentaires et les idées reçues – à la source de toute intolérance – et pour mieux défendre le respect mutuel des convives ainsi que la liberté de manger à sa guise : « Le plus grand plaisir de l’homme ne consiste-t-il pas précisément à enfreindre les règles ? »
Blandine Longre