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éditions zoé

  • Révélation

    suisse3.jpgAlors que le concours Révélation Fnac 2008 invite au voyage, en hommage à Nicolas Bouvier, la 3e édition de ce prix (2007) proposait un thème intitulé « La Suisse côté cour et côté jardin », associé à une contrainte générique : écrire un texte de théâtre. Les trois textes (sur plus d’une centaine) primés ont été regroupés, avec quelques autres, dans un recueil publié par les éditions genevoises Zoé, dirigées par Marlyse Piétri. Un recueil préfacé par Sylviane Dupuis, elle-même dramaturge (mais aussi poète et essayiste, lire entre autres A quoi sert le théâtre ? aux éditions Zoé), qui, face à des démarches artistiques pluridisciplinaires pouvant laisser croire que le texte théâtral serait dépassé, affirme justement le contraire. Le texte dramatique (à destination de la scène , mais qui forme aussi un artefact à lui tout seul) a encore du « sens », écrit-elle, et « continue de solliciter l’imagination et l’invention de formes. »

    Aussi, aux côtés de productions plus anecdotiques, trouve-t-on dans cet ouvrage quelques textes qui explorent intelligemment  l'absurdité de certaines situations afin de commenter le réel (et son double - le théâtre) :  Titre provisoire (Titre définitif) de Nicolas Haut qui, en mettant en scène des ébauches de personnages en quête d’intrigue, s’amuse à déconstruire l’acte théâtral afin d'en analyser les singularités ; L’entre-chambre d’Anthony Bouchard, faussement vaudevillesque, qui joue sur l’invisibilité du quatrième mur de scène, ce qui permet d’insister sur la relation privilégiée qui s’instaure entre  personnages et spectateurs ; ou encore une fable d’anticipation proposant une solution radicale afin que les plus de 60 ans, nouveaux indésirables, n’encombrent plus la pyramide démographique d’une Suisse (et d’une Europe) vieillissantes (La boîte à biscuits, de Giancarlo Copetti).

    Reste un texte qui se démarque de cet ensemble assez hétérogène, et qui n’a pas obtenu le premier prix par hasard : Dans l’ombre de ta ville, parcouru de tensions ambivalentes qui reflètent l'état d'esprit d'un narrateur, qui tend, justement, vers l'inaccessible. Ce monologue (fait paradoxal que de voir cette forme primée, comme le souligne la préfacière - ce qui ne lui ôte en rien ses nombreuses qualités), signé Jean-Noël Sciarini, met en scène un narrateur-récitant de dix-sept ans ; celui-ci, entre révolte et résignation, relate son exil et son déracinement dans une Suisse qui incarne d’abord le " rêve américain" pour lui et sa mère. Car il « fallait s’en aller », quitter la terre natale et rejoindre Genève, ville de tous les possibles qui bien vite devient le lieu de l’enfermement et de la dissimulation ; quitter un pays connu pour vivre « dans l’ombre » d’un autre, si peu accueillant en définitive. Chimo, clandestin, « encre dont aucune feuille ne voulait », incarne à lui tout seul le drame de ces « ombres réfugiées dans les plis de la ville », de ces méconnus que l’on croise sans vraiment les voir. Il y a deux Suisses comme il y aurait deux mondes parallèles appelés à se côtoyer et parfois à se télescoper, lorsque le tout jeune homme fait la connaissance de Camille dans une boutique de souvenirs, une rencontre qui se pourrait salvatrice…

    Les émotions successives et fluctuantes du personnage, pour lequel on ressent une forte empathie dès les premières lignes, sont retranscrites dans une langue à la fois directe et poétique, âpre et douce, à l’instar des contradictions qui agitent son esprit, révélant un monde intérieur d’une insoupçonnable richesse – de sa soif de liberté à la haine éprouvée face à la liberté des autres, de la honte de devoir survivre (et non pas vivre) au désir d’écrire et de se raconter, de son fatalisme à ses regains d’espoir, confiant au lecteur/spectateur une désespérance derrière laquelle se devine toutefois une obstination sans bornes, celle de ceux qui n’ont plus rien à perdre ou si peu. Esquissé avec finesse, ce portrait désenchanté interroge la tentative de se fondre dans un nouveau décor, de devenir un autre tout en restant soi-même, d’adopter un nouveau pays en s’efforçant de croire qu’il vous adoptera en retour. « Nous voulions nous approprier la ville », dit-il avec candeur, une ville qui devient d’emblée « sa » ville, lieu pourtant plus imaginaire que réel, vu à travers le prisme de la clandestinité. Ceux qui seraient convaincus que lire du théâtre est un exercice fastidieux, et/ou s'imagineraient qu’un texte dramatique ne peut se suffire à lui-même (du moins serait amputé de son expressivité ou privé de toute qualité s’il n’est pas mis en scène) feraient bien d’aller découvrir ce monologue qui, au-delà de toute classification générique, donne la parole à une voix émouvante, à la fois singulière et collective : un texte qui parlera à tous, si du moins on daigne tendre l'oreille.

    (B. Longre)

    Jean-Noël Sciarini est l'auteur de nouvelles (revue En attendant l'or) et d'un premier roman à paraître prochainement à L'école des loisirs dans la collection Medium.

    www.editionszoe.ch

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