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Littérature étrangère - Page 7

  • L’Amérique-Monde

    festivalamerica08.jpgLe 4ème festival America se déroulera à Vincennes du 26 au 28 septembre 2008 autour du thème de l'Amérique-Monde.

    "Bon nombre des auteurs présents cette année ne sont pas nés en Amérique du Nord. Ils sont parfois porteurs d’une double ou d’une triple culture : celle de l’endroit qu’ils ont quitté et celles de leur patrie d’adoption avec ses multiples facettes. Tous partagent une vision de la littérature qui transcende les clivages et les frontières, dénonce les totalitarismes et les injustices, observe les hommes et leurs sociétés. Leurs oeuvres s’emparent littéralement de notre monde et, qu’elles résonnent d’échos africains, européens, asiatiques, sud-américains ou nord-américains, c’est toujours de nous-mêmes qu’il s’agit, comme si nous étions finalement conviés à un extraordinaire brassage des cultures et des identités, à un « métissage de l’esprit » qui serait l’enjeu premier de cette mondialisation souvent tant décriée."
    Philip de la Croix et Francis Geffard, fondateurs et organisateurs.

    http://www.festival-america.com

    Des dizaines d'auteurs présents, dont Lyonel Trouillot, Anosh Irani, Peter Cameron ou encore Jordi Soler.

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  • Good and/or Evil ?

    mattruff.jpgBad Monkeys de Matt Ruff, traduit de l’anglais par Laurence Viallet, 10-18, 2008

     

    Joli tour de force narratif, Bad Monkeys démarre comme une chronique adolescente, se mue en polar, puis navigue inlassablement entre les genres et les atmosphères, de la farce tragique à la parodie la plus grotesque - sans oublier l’anticipation et le fantastique. On trouve ici un mixe qui a de quoi réjouir : un rythme échevelé, un enchaînement d’événements de prime abord invraisemblables qui obéissent pourtant à une logique implacable, et une narratrice à la fois désinvolte et surmenée, à laquelle on s’attache (est-ce bien raisonnable ?) dès les premières pages – Jane Charlotte, enfermée dans « l’aile des barjots » de la prison de Las Vegas, accusée de meurtre. Là, elle se confie à un psychiatre et tâche de justifier ses actes en racontant qu’elle oeuvre pour le compte d’une société secrète… « L’organisation », qui « lutte contre le mal », rend sa propre justice en surveillant et exécutant sommairement des « malfaisants », forcément irrécupérables – meurtriers, fous dangereux, kidnappeurs d’enfants – en partant du principe que le monde se portera mieux sans eux. Jane Charlotte est-elle une affabulatrice hors pair ? Comme le soupçonne son médecin, ment-elle par omission, préférant laisser dans l’ombre certains pans de son existence ? Qui cherche-t-elle à convaincre ? Ou bien, tout simplement, se contente-t-elle de raconter sa vérité ? À chacun de le découvrir en lisant d’une traite ce roman inclassable, époustouflant, qui s'interroge sur la frontière, décidément perméable, entre bien et mal.

    (B. Longre, août 2008)

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  • " L'ennemi " est dans la place.

    9782264046673R1.JPGQuand l'empereur était un dieu de Julie Otsuka
    traduit de l'anglais par Bruno Boudard - 10-18 (juin 2008)

    L'attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, a de nombreuses répercussions, dont l'entrée en guerre des Etats-Unis ; rétrospectivement, on ne peut remettre en cause le caractère bénéfique de cette décision pour l'avenir du monde et de l'Europe ; mais pour les citoyens américains d'origine japonaise et les résidents japonais vivant aux Etats-Unis, parfois depuis des décennies, ces événements ont des conséquences dramatiques : le gouvernement américain les voit désormais comme des ennemis potentiels, infiltrés dans la place et susceptibles d'entraver l'effort de guerre... Le roman de Julie Otsuka retrace, à travers le parcours d'une famille japonaise parfaitement américanisée, ce pan d'histoire longtemps occulté, un épisode honteux, "justifié" par l'état de guerre. De nombreux Japonais, soupçonnés de trahison, sont arrêtés dès le 8 décembre 1941 ; des familles entières sont déportées dans des camps d'internement ; et même si leur sort n'est en rien comparable à celui des victimes de l'holocauste orchestré par les nazis, il demeure que cette expérience a moralement affecté la communauté nippone des Etats-Unis.

    C'est le cas des deux enfants dont il est ici question : un garçon de sept ans et sa soeur de onze ans, obligés de quitter leur maison de Berkeley, en Californie, avec leur mère (leur père a été arrêté plus tôt et est détenu au Nouveau Mexique) ; ils sont envoyés au camp de Topaz, dans l'Utah, au beau milieu du désert ; des blocs, des baraquements qui laissent entrer le froid ou le sable, selon la saison, des appels, des repas au réfectoire et des journées qui n'en finissent pas de s'étirer sous la neige ou le soleil, des enfants, des femmes et des vieillards surveillés jour et nuit par des soldats perchés sur des miradors... Les enfants et leur mère vivront là trois ans durant, dans une seule pièce, tentant de conjurer comme ils le peuvent l'ennui qui les ronge, la désolation de l'endroit et l'idée que la vie s'est arrêtée là.

    L'écriture neutre et distancée de Julie Otsuka laisse entrevoir un drame feutré, mais néanmoins palpable ; et l'auteure, dont c'est le premier roman, nous guide avec talent dans l'espace mental de chacun des personnages, qui vivent tous leur enfermement différemment : d'abord la mère, qui vient de lire les affichettes placardées en ville ("Instructions à tout individu d'origine japonaise") donnant les ordres de départ : elle s'applique à faire des préparatifs minutieux et à mettre en ordre la maison, un peu à la façon d'un robot, comme si elle entrevoyait déjà sa destinée et celle de ses enfants ; puis sa fille, qui se remémore l'interminable voyage en train (stores baissés lorsqu'il traverse des villes) vers une destination inconnue ; enfin, le petit frère, qui se souvient de la vie au camp, des journées qui s'éternisent, de sa mère happée par la folie et de son père, arrêté en pleine nuit, en pantoufles et robe de chambre, un père qu'il doute de revoir un jour.

    Julie Otsuka s'attache aux détails qui passent habituellement inaperçus, à la minutie des gestes d'un quotidien épuisant et vidé de sa substance, d'une existence qui n'a plus aucun sens, et le ton détaché de l'ensemble évite tout mélodrame. Ses personnages n'ont pas de nom, mais leurs personnalités respectives sont particulièrement bien dessinées ; par ce biais, l'auteure mêle habilement drame personnel et destin collectif. De retour chez eux après la guerre, les enfants, passablement déstabilisés (le petit garçon a rêvé de combattre auprès de MacArthur, tout en se demandant à quoi ressemble l'empereur dont on leur a interdit de prononcer le nom...) sont accueillis avec méfiance et leur mère reçoit 25 dollars, somme dérisoire généralement attribuée aux criminels qui sortent de prisons, censée compenser trois années d'enfermement... Chaque miroir est une épreuve : "nous n'aimions pas ce que nous regardions : cheveux bruns, peau jaune, yeux bridés. Le visage cruel de l'ennemi." et ils ressentent un profond sentiment de culpabilité. Le récit de cet épisode traumatique n'emprunte jamais la voie du sentimentalisme outrancier, ni même celle de la haine, bien au contraire ; mais le désespoir latent, l'incompréhension honteuse et le sentiment d'injustice larvé des protagonistes résonnent de façon beaucoup plus terrible que ne le ferait la colère exacerbée de n'importe quel pamphlet.

    B. Longre

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  • De la Chine à la France et vice-versa...

    shanghai.jpgLa Revue littéraire de Shanghai, animée par Tang Loaëc (fondateur de La Vénus littéraire, qui signe aussi la rubrique L’Enfer sur Bibliobs), Cécile Oberlin (la webmistress) et Fabienne Trunyo (qui partage son temps entre France et Chine) a pour objectif avoué d' « ouvrir un espace propice à la réinvention d’une vie littéraire mettant en résonance la langue française et une réalité chinoise mithridatisée par le creuset Shanghaien. » Une belle passerelle, donc, qui permet des échanges fructueux et promet de belles choses : des articles critiques consacrés principalement à la littérature chinoise et à ses interactions avec la culture française, des nouvelles, des dossiers. On ira lire, entre autres, Mingong, un texte émouvant de Tang Yi-Long (nom chinois et de plume de T. Loaëc), ou Les pyjamas de Shanghai, jolie chronique de Fabienne Trunyo - des suggestions non exhaustives...

    http://www.shanghai-litterature.com

    « Les références à la France abondent à Shanghai, qui revendique de nouveau son rang de Paris de l’Orient. Le cœur de la ville est hanté par les fantômes de la concession française, qui mettent tant de grâce à raviver ses souvenirs et à inspirer parfois son avenir.
    Les mondes de l’art, de l’architecture, de l’économie aussi portent les marques renaissantes d’une passion française pour Shanghai, faite de fascination et d’affinité. Dans une ville dont la puissance tellurique et le tourbillon humain sont d’une brutalité qui peut inspirer ou éteindre le mouvement de l’écriture, la renaissance d’une réalité littéraire nourrie à la confluence de la langue française et de la Chine ne se décrète pas.
    Cette réalité littéraire existe parce que des gens écrivent en français, à Shanghai ou sur Shanghai. Elle existe aussi parce que des écrivains chinois encouragent à la traduction de leur œuvre et à sa diffusion en français, dont nous voulons aussi nous faire écho. Elle existe enfin parce que des départements de littérature française dans les universités chinoises portent encore un regard sur une littérature française qu’il nous appartient collectivement de continuer de faire vivre. »
    (Les fondateurs)

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  • Thrillers & Cie

    ruines.jpgLes Ruines de Scott Smith
    traduit de l’anglais par A. Regnauld, M. Laffon, 2007 / Le Livre de Poche, 2008

    Six jeunes vacanciers au Mexique, un septième parti sur un site de fouilles archéologiques en pleine jungle, des Indiens peu hospitaliers et une colline couverte d’une végétation luxuriante, parsemée de belles fleurs rouges. Tout est posé pour que démarre un huis clos se déroulant sur quelques jours, fable tragique et morbide, susceptible de générer nombre d’angoisses (mais dont on taira la source…), certes éprouvante pour les nerfs du lecteur, mais terriblement efficace. La mort plane, tandis que les tensions montent entre les personnages, pour certains ambivalents à souhait, que les carapaces se désagrègent, que les liens fragiles qui peuvent s’instaurer entre les êtres se défont peu à peu. On admire l’ironie dramatique dont use habilement l’auteur, qui décline presque cliniquement toute une gamme de réactions et de sentiments exacerbés par la situation (du désespoir à la résignation, de la lâcheté à la vaillance…), mais aborde aussi la question de la responsabilité individuelle, celles de l’ubris (comme dans toute bonne tragédie qui se respecte) et du mal, qui réside en chacun de nous, prompt à se réveiller au moindre stimulus. Et l’on y croit, car malgré le fantastique qui s’installe insidieusement, le réalisme implacable de l’ensemble détermine la lecture. Un suspense de qualité, ingénieusement bâti. (B. Longre)

    Le site officiel http://www.randomhouse.com/kvpa/ruins/

    Le film de Carter Smith, inspiré du roman, est sorti le 11 juin en salles. Pour ma part, je m'abstiendrai, le roman se suffisant à lui-même (et puis, je l'avoue, je crains d'être terrifiée de bout en bout...) mais les critiques ne sont pas négatives, hormis celle de Télérama ("un jeu de massacre assez typique du film d'horreur à l'américaine, avec gentils étudiants se faisant dézinguer un par un."). Lire entre autres ce qu'en pense Jean-François Rauger dans Le Monde, qui dévoile cependant de nombreux éléments de l'intrigue ("Dans le paysage actuel du cinéma d'horreur hollywoodien, catégorie inépuisable du divertissement du samedi soir mais aussi, parfois, laboratoire idéal pour diverses expériences cinématographiques qui ne disent pas leur nom, Les Ruines, de Carter Smith, ferait plutôt bonne figure. ")

    tanaf.jpgJe recommande aussi La mort dans les bois (traduit de l'anglais par François Thibaux, M. Lafon, 2008) de Tana French, auteure irlandaise (à ne pas confondre avec le couple d'auteurs Nicci French), un thriller psychologique et d'atmosphère très différent du précédent, qui mêle subtilement deux époques et deux affaires policières qui se recoupent peu à peu, en particulier dans l'esprit tourmenté de l'inspecteur de police chargé de l'enquête - suite au meurtre d'une fillette ; un narrateur peu fiable (lui-même le confesse), obsédé par un traumatisme subi dans l'enfance et dont il ne s'est jamais remis.

    http://www.tanafrench.com/

     

    Quelques thrillers (mot passe-partout bien commode...) que j'aimerais lire et que j'ai mis de côté.

    Out de Natsuo Kirino, traduit du japonais par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty (Points Thriller)

    Un mensonge presque parfait de Howard Roughan, traduit de l'anglais par Elisabeth Peellaert (10-18) - j'avais lu Infidèle, du même, et l'avais trouvé plutôt bien ficelé, à la manière d'un des premiers Douglas Kennedy (parce que les derniers... bref.)

    Bad Monkeys de Matt Ruff, traduit de l'anglais par Laurence Viallet (10-18, 2008), un univers qui, d'après la critique, se rapprocherait de celui d'un P. K. Dick, "une joie cérébrale" selon Publishers Weekly.

    Le cueilleur de fraises de Monika Feth, traduit de l'allemand par Sabine Wyckaert-Fetick (Hachette, Black moon 2008), dont on me dit le plus grand bien.

     

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  • Charlie ou le jugement suspendu

    Je découvre une excellente analyse de Pas Raccord de S. Chbosky sur le blog de Joannic Arnoi. Un point de vue particulièrement intéressant, car Joannic avait lu The Perks of being a Wallflower dans sa version originale bien avant (quelques années ?) que le livre paraisse en français et même s'il ne propose pas d'étude comparative des deux versions, il a pu se faire une idée précise du roman sur le long terme.

    Un passage qui me semble très juste et bien observé (même si tout l'est dans l'ensemble !) : "Pas raccord n’est en aucun cas une succession de tableaux statiques : divers plans narratifs coulissent tout au long du récit (...), avec nombre de rebondissements et, aussi, de ressauts prévisibles. Pour autant, on est aux antipodes d’une histoire scénarisée sur le mode du feuilleton. On n’est pas chez Armistead Maupin ou Mark Haddon. La matière du narrateur est faite d’événements ordinaires, qu’il raconte de manière étrangement dense. Toutes proportions gardées, la texture du livre me rappelle les analyses de Nabokov sur Anna Karénine : « Les lecteurs appellent Tolstoï un géant de la littérature […] parce qu’il est toujours exactement de notre taille, qu’il marche exactement à notre pas, au lieu de passer loin de nous comme le font d’autres auteurs » (Littératures 2, p. 221). Il me semble que ce qui fait le charme de Pas raccord est un peu de cet ordre."

    à lire dans son intégralité
    http://joannic-arnoi.over-blog.fr/article-20560231.html

    A noter que Joannic chronique de nombreux ouvrages - pour certains traitant de thématiques homosexuelles, mais pas que. J'en parlais ici.

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  • On parle de Pas Raccord ici et là...

    Un article en ligne

    welcome.to.the-place-to-be.fr/?p=1034

    et quelques points de vue chez Gawou

     

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  • Bourdes et autres maladresses...

    1906370210.jpgJe n'ai pas lu Millénium, la désormais célèbre trilogie de feu Stieg Larsson - d'autres l'ont fait (par milliers) et l'un d'eux s'est amusé à relever les erreurs en tout genre qui émaillent la traduction. Enumération certes cruelle pour les traducteurs (toute traduction étant perfectible, en particulier quand les délais sont serrés), mais non moins justifiée dans ce cas, au vu des perles que Jacques Drillon rapporte ici.

    Incontournable, Millénium ? Il semblerait que non... ou bien seulement si l'on a du temps à perdre et envie de lire par soi-même des calques, des pléonasmes, des traductions mot à mot ; ainsi, les énormités du style :  «Elle doit être brûlée au feu», «Harriet Vanger a ressuscité de la mort», «La police aurait tâtonné à l'aveuglette», «Lisbeth n'est pas du genre à se rendre de son plein gré»,  «La seule chose positive avec cette photo était qu'elle y était si méconnaissable que peu de gens la reconnaîtraient». Ou encore, pour terminer ce florilège (extrait de l'article en lien) : «Camilla avait été pleine de réussite à l'école», «Nous vous demanderons quel type d'image vous paraît attirant en vous montrant plusieurs alternatifs» (???)

    On aura beau tenter de me convaincre de la qualité des trois romans, je reste dubitative - à moins que la qualité langagière d'un polar soit moins importante que celle des "vrais" romans... ? Alors attendons peut-être la parution en poche, comme le suggèrent certains, en espérant que des relectures la précèderont.

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  • Le jeu de l’amour et des incertitudes

    Autant en emporte la femme d'Erlend Loe - traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud - Gaïa, collection taille Unique 2005 / Parution en poche : 10-18, mars 2008

    Le jeu de l’amour et des incertitudes
    De la difficulté de vivre à deux – de la difficulté d’être soi-même.

    2142328917.jpgPrésentation audacieuse pour ce deuxième roman du Norvégien Erlend Loe traduit en français, après Naïf (paru lui aussi en 10-18) : des entrées numérotées, signe, en surface, d’un parcours balisé, d’un récit maîtrisé et d’un enchaînement narratif connu d’avance – un ordonnancement chronologique qui est un leurre car le narrateur, dont les doutes et les hésitations, les anxiétés et les incertitudes presque maladives ne cessent d’imprégner le récit, fait plutôt penser à ces autistes qui ont un besoin vital de repères, de jalons répétitifs et rassurants pour avoir la sensation de posséder quelque contrôle sur une existence et un monde angoissants.
    Une personnalité sans relief, des désirs informulés (en apparence presque inexistants), le sentiment d’être en décalage, une platitude et une circonspection qui marquent sa crainte de s’impliquer plus avant dans ses rapports avec les autres : ce portrait au départ peu flatteur du protagoniste central, soudain livré aux assauts amoureux de Marianne, dont la fantaisie est contagieuse, évolue au fur et à mesure que la relation entre les deux jeunes gens se transforme et s’amplifie, au point de devenir essentielle. Ils ne peuvent bientôt plus se passer l’un de l’autre, en dépit des querelles et des sautes d’humeur, des lubies ou des blessures qu’ils s’infligent mutuellement. Car si la fantasque et très épicurienne Marianne n’est pas toujours commode, il est vrai, le jeune homme, avec sa cohorte de doutes et de questionnements qui frisent parfois l’absurdité, n’est pas plus facile à vivre. Les malentendus – pourtant sans gravité et donnant lieu à des scènes loufoques – abondent et le narrateur comprend qu’il n’est pas si simple de vivre à deux, d’autant que Marianne s’est très naturellement installée chez lui, sans qu’il l’y ait invitée…

    Et pourtant, ce qu’elle éprouve pour lui sera réciproque, il le veut : « la présence soudaine de Marianne entre ces murs était, en un sens, foncièrement ahurissante (…) Je fus saisi par une fâcheuse sensation de précarité. (…) Je me décidai à tomber raide dingue amoureux d’elle. Voilà. J’allais même commencer pas plus tard que le jour d’après. » Mais il ne suffit pas de le décider pour éprouver un sentiment… et le narrateur s’interroge sans répit sur ses actes et ses pensées, renâclant à se persuader de l’authenticité de son amour : « je pinaillais en permanence sur des choses totalement superflues au regard de ce grand amour que nous étions en train de construire. » Plus loin, alors que Marianne l’a quitté (pour quelques jours) après une dispute : « je reconnaissais que je m’illusionnais en croyant que je n’avais pas besoin d’elle (…) j’étais surtout inquiet de ne pas pouvoir identifier ce que j’éprouvais comme étant du sentiment amoureux (…) Or juste avant de m’endormir, je me suggestionnais qu’il s’agissait néanmoins de sentiment amoureux.» On verra dans ce passage torturé l’illustration même des troubles existentiels du narrateur ; bientôt, il perd son travail et Marianne lui propose de partir en voyage – un périple spécial, unique et sans précédent : « des vacances durant lesquelles tout ne sera qu’expériences (…) et la voilà repartie à ressasser qu’il vaut mieux être en voyage qu’arriver à destination… » L’errance ferroviaire qui va suivre est tout aussi originale et imprévisible que les liens qui se font et se défont entre les deux personnages, et l’on se prend à s’imaginer être à leur place, entre insouciance et gravité, légèreté et grands sentiments, même si c’est Marianne qui mène le jeu dans lequel son amoureux se laisse emporter, opposant une résistance boudeuse peu efficace.

    Cette histoire d’amour à la fois familière et atypique, piquante et singulière du premier au trois centième épisode, forme un roman pittoresque, ponctué d’événements ou de conversations cocasses qui oscillent entre absurde et idiosyncrasies - grâce aussi à quelques personnages secondaires gentiment ridicules ou farfelus (dont Nidar-Bergene, amie de Marianne et adepte de la thérapie par le cristal…). Mais au-delà de l’humour omniprésent (renforcé par la naïveté - toute relative - du narrateur, Autant en emporte la femme appartient à ce nouveau genre littéraire nommé le «naïvisme»), c’est à une quête identitaire que nous convie Erlend Loe, à travers le portrait ce personnage qui ne cesse d’avancer, en dépit de ses incertitudes, dans sa connaissance de lui-même, remettant au goût du jour le célèbre précepte socratique…
    © B. Longre

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  • Pas Raccord vu par Antoine Dole

    Un article qui me fait grand plaisir, paru dans le n° 23 du magazine Sensitif et qu'Antoine Dole propose maintenant sur son blog 

    1444236797.jpgMilitant actif pour la défense des droits des homosexuels à NY, Stephen Chbosky est un témoin pluridisciplinaire : écrivain, scénariste, éditeur, réalisateur, autant de casquettes qui n’ont d’autre but que de témoigner d’une réalité où marginaux et vilains petits canards ont une place prépondérante. Pas étonnant, donc, de le retrouver co-créateur de la série « Jericho » (actuellement diffusée sur M6) où l’isolement et ses dérives sont des données obsessionnelles de premier plan.
    « Pas raccord » est la traduction du roman culte « The perks of being a wallflower », traduit dans pas moins de six langues. On y suit Charlie, un ado « freak » pour ses petits camarades, lycéens formatés, mais un surdoué pour son prof de littérature qui tente de l’éveiller à sa singularité en lui proposant des oeuvres exigeantes et hors circuit. Bonhomme à deux vitesses, en dehors des normes assurément, et "parce qu'il est unique, le monde dans lequel il vit ne lui pardonnera pas d'exister". On se réjouit quand le pote homo et la jolie Sam décident de le prendre sous leur aile, de séances du Rocky Horror Picture Show en apprentissage de soi et de la vie : l’éveil est total. Le tour de force de Stephen Chbosky est de restituer cette adolescence faussement naïve, dont les bouleversements se révèlent à la fois drôles et douloureux. La langue chahutée du héros de l’édition originale est parfaitement confortée dans cette traduction habitée de Blandine Longre, restituant la singularité du bonhomme : de la (dé)construction syntaxique particulière et baignée d’un lexique azimuté, émerge un Charlie à fleur de peau, tout en décharges, faux contacts et explosions. (A. Dole)

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  • Un prix pour Indridason

    1752539332.jpgLe 6e prix du Polar européen du Point a été décerné à Arnaldur Indridason pour son roman L'Homme du lac, paru chez Métailié. Il a été remis le 27 mars dernier, lors de l''inauguration du 4e festival Quais du polar de Lyon.

    Je n'ai pas lu ce dernier (pourquoi ? par manque de temps, tout simplement...) mais avais aimé La Cité des jarres et La Femme en vert, publiés chez le même éditeur.

    La Cité des Jarres d'Arnaldur Indridason - traduit de l’islandais par Eric Boury - Métailié, 2006 (Points Seuil 2006)

    Une grande famille...

    Le monde littéraire islandais reconnaît en Arnaldur Indridason un excellent auteur de romans noirs. La Cité des Jarres se présente comme une enquête palpitante, rondement menée par l’inspecteur Erlendur – en réalité pas aussi désordonné ou antipathique qu’il n’y paraît, peut-être un peu enclin à régulièrement s’endormir tout habillé et à ne pas se soucier de sa tenue débraillée ; mais Erlendur est un investigateur efficace et cela se sait à Reykjavik. L’atmosphère pluvieuse et franchement hostile, ses difficultés familiales (les visites impromptues de sa fille Eva Lind, droguée notoire) ne l’empêchent cependant pas de rebondir avec détermination à chaque nouvelle étape de son enquête, qui le mène dans le passé douteux d’un dénommé Holberg, un vieil homme que l’on vient de retrouver mort dans un appartement humide ; un meurtre « typiquement islandais » d’après Sigurdur Oli, collègue d’Erlendur, « un truc dégoûtant, gratuit »… jusqu’à ce que l’inspecteur retrouve, caché au fond d’un tiroir, une énigmatique photographie en noir et blanc, représentant la tombe d’une fillette morte à quatre ans. Et tandis que ses équipiers voudraient simplifier cette affaire, lui s’obstine et persévère, convaincu que c’est en fouillant dans le passé que l’on élucidera les troubles du présent.

    Trente ans plus tôt, Holberg aurait été accusé de viol, puis innocenté, un fait essentiel que lui apprend Marion Briem, une collègue maintenant à la retraite… La reconstitution du passé n’est pas de tout repos, mais Erlendur ne cède devant aucune difficulté, quitte à croiser en chemin nombre d’individus peu reluisants et à bouleverser pas mal de vies, dont la sienne : « Erlendur avait lu un jour que le passé était une terre étrangère et il l’avait bien compris. (…) Cependant, il n’était pas prêt à faire table rase du passé. » Les doutes qui peuvent l’abattre font rarement surface, excepté lorsqu’il se confie à Eva Lind, sa fille qui semble peu à peu se rapprocher de lui : « Voilà le genre d’enquête que c’est. Elle est semblable à un esprit malfaisant qui aurait été libéré. (…) Rien d’autre qu’un foutu marécage. »

    415935132.jpgLe récit connaît peu de pauses et l’enchaînement narratif, singulièrement alerte (rien à voir avec les polars lancinants et malhabiles du romancier suédois Henning Mankell), fait intervenir une pléthore de protagonistes, brossant dans le même temps une intéressante fresque de la population islandaise, toutes classes sociales confondues. L’enquête demeure approfondie et vraisemblable du début à la fin et explore en particulier les relations entre parents et enfants (un thème annoncé par les tensions qui président à la relation entre Erlendur et sa fille), les thèmes croisés de la filiation, de la déstructuration familiale et de la recherche génétique — on se souvient peut-être que le pays fait fonction de grand laboratoire dans ce domaine, depuis l’implantation, dans les années 1990, de la société islando-américaine DeCode Genetics, chargée de recenser, rassembler et analyser les données génétiques et généalogiques de tous les Islandais, une population (moins de trois cent mille habitants, il faut le souligner) idéalement homogène depuis la colonisation de l’île, au XIe siècle ; une expérience scientifique qui a suscité bien des controverses depuis que le gouvernement islandais a donné son autorisation en 1998, ce qui n’empêche pas certains habitants d’être en totale opposition…

    L’auteur ne donne pas ici un point de vue personnel explicite sur cette expérimentation à grande échelle – mais expose indirectement ses dangers potentiels mais aussi ses bénéfices, en faisant dire à Erlendur, qui s’adresse à l’une des responsables du « centre d’étude du génome» (ainsi rebaptisé dans le roman…) : « Vous êtes les dépositaires de tous ces secrets-là. Les vieux secrets de famille. Les tragédies, les deuils et les morts, tout cela parfaitement classé dans les ordinateurs. Des histoires familiales et individuelles. (…) Vous conservez tous ces secrets et pouvez les ressortir à volonté. »… © B. Longre

    Lire l'article de Pascale Arguedas

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  • Pas raccord sur Croq'Livre

    Je découvre avec plaisir un petit article portant sur Pas raccord de Stephen Chbosky (Exprim' Sarbacane - en librairie le 11 avril prochain) sur le site de l’association Croqu’Livre.

    2055261559.jpg"Charlie a besoin de se confier. Il a choisi d’écrire à un correspondant alter ego pour lui raconter tout ce qui lui arrive : la vie au lycée, en famille, les soirées avec ses amis plus âgés, qui vivent leur vie en marge de celle des adultes. Il confie ces moments très forts où il se sent intense, qui tranchent avec les périodes de tristesse abyssale. Et les crises enfin, quand il ne comprend plus ce qui lui arrive… Lorsqu’il tente de relater ses souvenirs d’enfance, on sent comme un point d’achoppement. Quelque chose d’infiniment douloureux en lui, qu’il n’identifie pas encore. D’emblée, Charlie nous touche. On chemine avec lui pour découvrir ce qui a fait de lui ce qu’il est, un être hypersensible, qui préfère se dévouer tout entier à ses amis plutôt que de se mettre en avant. Certes, il est l’ami idéal, tellement attentif et respectueux, mais il comprendra, avec l’aide de son amie Sam, qu’il doit apprendre à vivre pour lui-même, à écouter ses envies, même si pour cela, il doit affronter ses traumatismes…Le passé conditionne ce que l’on est, mais le déterminisme n’est pas de rigueur. Charlie démontre qu’avoir été sali ne l’a pas empêché de devenir une personne lumineuse, que le lecteur a peine à quitter."

    On ne s'arrêtera pas sur le fait que le nom de la traductrice ne soit pas cité (cela est si courant...), mais on remerciera l'auteur (qui n'est pas non plus mentionné !) de sa lecture attentive.

    Depuis 1981, l’association Croqu’livre s’est donné pour but de lutter contre l’exclusion et l’illettrisme par des actions qui permettent l’accès à la lecture pour tous : de la petite enfance, âge de toutes les découvertes, à l’adolescence, moment charnière, de ruptures. Afin d’élargir son champ d’action, Croqu’livre gère depuis 1997 le Centre régional de ressources en littérature jeunesse de la région Franche-Comté .

    Croqu’Livre - Centre régional de ressources en littérature jeunesse - 27, rue de la République - 25000 Besançon 
    http://croqulivre.free.fr/

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  • Le langage des fleurs... tibétaines

    La Controverse dans le jardin aux fleurs de Langdün Päljor - fable traduite du tibétain et annotée par Françoise Robin, éditions Bleu de Chine.

    Le langage des fleurs...

    1949109236.jpgCe court texte met en scène une polémique, au premier abord amusante et anecdotique, soulevée par les fleurs de Lampe de Turquoise, une vieille femme qui prend soin de son jardin avec une attention toute maternelle ; elle n’intervient pas immédiatement dans le débat, mais préfère d’abord y assister et écouter chaque intervenant, en se disant avec circonspection : « si cette querelle se concluait de façon heureuse, cela servirait assurément d’exemple à tous. » C’est donc une fable qu’a composée Langdün Päljor, sous la forme d’une discussion argumentée, et dans laquelle les questions soulevées s’incarnent dans les différentes fleurs présentes : l’orgueilleuse rose trémière, qui revendique son incomparable beauté et ainsi sa suprématie sur toutes les autres variétés florales (« Mon vert feuillage, large et abondant / Symbolise l’ombrelle des dirigeants puissants. »), le sage pélargonium, qui tâche de ramener la rose à plus de tolérance, mais qui bien vite est rabroué par la clématite, l’opportuniste, qui se range avec flagornerie du côté de la rose (celle-ci lui procure une tige à laquelle grimper), puis « l’intelligente » pensée qui propose aux honnêtes Six-pattes (les abeilles) de départager les fleurs…
    Les allusions politiques sont ici à peine déguisées, et c’est la plus raisonnable des fleurs, la pensée, qui analyse subtilement la situation :

    « Si la trémière menace les foules égales à l’origine,
    Et que plus tard on la reconnaît comme notre ornement suprême,
    Elle nous tyrannisera tous, nous les humbles »

    La leçon politique nous concerne tous, justement, à plus ou moins grande échelle, et il revient à chaque lecteur de l’interpréter en fonction de sa propre expérience. L’on sent bien que l’écrivain cherche à illustrer des comportements humains universels, il reste que le contexte tibétain laisse aussi entendre que Langdün Päljor énonce quelques vérités qui concernent directement les dirigeants chinois, leurs querelles pseudo idéologiques et les intrigues de palais qui engendrèrent entre autres la fameuse « Révolution culturelle ». Il exprime aussi l’idée que l’harmonie pluriculturelle est possible entre les peuples qui cohabitent et que tous se valent, quelles que soient leurs singularités, des valeurs humaines exprimées par le biais des abeilles, qui appellent à la fraternité : « …évertuez-vous à assurer la prospérité du jardin / Par le cordial engagement d’entraide mutuelle. » Des mots qui renvoient à ce que Lampe de Turquoise exprime dès le début : « Ce sentiment de joie vient de ce que les multiples fleurs (…) ravissent tous les esprits. »
    Ce beau plaidoyer pour l’harmonie entre les peuples et pour la diversité tient une place privilégiée dans l’histoire littéraire d’une région du monde où le taux d’alphabétisation est extrêmement faible — sans parler de l’histoire mouvementée d’une culture que tente d’étouffer un gouvernement chinois obnubilé par l’idée d’uniformité nationale. Cette fable est en effet le premier texte de fiction qui fut publié au Tibet après la Révolution Culturelle, dans la première revue littéraire de langue tibétaine (Art et littérature du Tibet). Sa publication en français peut donc être considérée comme un petit événement éditorial – les autres textes traduits du tibétain, peu nombreux, appartenant à la littérature classique. Et pourtant, ainsi que l’indique Françoise Robin (traductrice et enseignante de langue et littérature tibétaines à l’INALCO) dans son introduction plus que bienvenue, « la sphère littéraire contemporaine est active au Tibet. Et nous ne le savons pas. » Nul doute que cette parution incitera à se pencher davantage sur une culture méconnue (hormis ses aspects religieux, qui ne font cependant pas tout.)

    On sait combien la censure peut être source d’inventivité, les auteurs devant se résoudre à exprimer leur pensée par des voies détournées, de manière plus ou moins heureuse : Langdün Päljor, figure de proue et défenseur de la culture tibétaine, use du procédé conventionnel mais toujours efficace de l’allégorie avec talent, dans une langue limpide et raffinée qui alterne prose et versification (de beaux passages dont la fonction métaphorique n’est pas qu’ornementale…) entre classicisme et modernité. © B. Longre

    1892687278.jpgwww.bleudechine.fr/

    Françoise Robin est aussi la traductrice des Contes facétieux du cadavre (avec la collaboration de Klu rgyal tshe ring) Bilingue tibétain-français (Langues et Mondes, L’Asiathèque), de L'Artiste tibétain et de La Fleur vaincue par le gel de THÖNDRUPGYÄL (Bleu de Chine).

    Les éditions Bleu de Chine ont un catalogue à découvrir absolument, qui comprend quelques textes traduits du tibétain. On trouvera en page d'accueil de leur site les "8 revendications pour Pékin". Ils publient également un ouvrage collectif (dirigé par Alain Bouc, Marie Holzman et Claude Meuriset) intitulé L'Envers des médailles J.O. de Pékin 2008, qui dénonce l'imposture que ces jeux sont devenus...

    "La Charte de l’Olympisme est discrète sur les Droits de l’Homme car un grand nombre de pays représentés les violent. Néanmoins les principes fondamentaux exprimés en début de texte affirment l’objectif de « promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine». Ils ajoutent que l’esprit olympique « exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair play ». (Extrait de la 4e couv.)

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  • Gregory Galloway

    La disparition d'Anastasia Cayne
    traduit de l'anglais (USA) par Nathalie Perrony, Albin Michel jeunesse, Wiz suspense, 2008 - à partir de 14 ans et +

    Anna forever

    Roman inclassable, qui tient à la fois de l’enquête et du roman d’apprentissage, La disparition d'Anastasia Cayne est surtout un tour de force narratif bien ficelé, visant à déstabiliser durablement le lecteur.
    1701859046.jpgLe narrateur, un lycéen de 16 ans d’apparence très quelconque et dont on ne saura jamais le nom, se morfond dans une petite ville américaine très ordinaire auprès de parents à l’esprit étroit et au quotidien étriqué. Jusqu’au jour où débarque Anna Cayne, qui va transformer son existence morose : une jeune fille énigmatique, cultivée, fascinée par la mort, par le magicien Houdini, par Rimbaud ou Kerouac, et dont l’accoutrement gothique n’est qu’un masque parmi d’autres. Anna et le narrateur deviennent très vite amis, puis tombent amoureux et sont désormais inséparables. Anna, énergique et débordante d’idées parfois saugrenues, a l’imagination féconde et un fort penchant pour le mystérieux ; la rédaction de notices nécrologiques reste l’une de ses activités préférées mais elle aime aussi à concocter des messages codés, collectionne des objets hétéroclites et c’est encore elle qui initie le garçon à l’amour physique, à l’alcool, mais aussi à la poésie, à la littérature fantastique ou à la musique, sans pour autant se montrer autoritaire ou méprisante envers ce petit provincial qui s’attache à elle. Mais sept mois après son arrivée, Anna disparaît subitement, du jour au lendemain.

    Le narrateur résume ainsi son histoire : « Je suis tombé amoureux d’une fille, et puis elle est partie ; plus tard, elle a essayé de revenir –du moins c’est ce que je crois – et je suis partie à sa recherche. » Tout part de la disparition d’Anna, et le récit, cohérent de bout en bout, se construit à partir de fragments de souvenirs, d’objets symboliques, de documents divers ou de musiques. Il se souvient d’Anna, tâche de reconstruire les événements qui ont précédé sa disparition. Avec elle, tout était prétexte à inventer de nouveaux jeux, donnant l’impression de se complaire à compliquer les choses – l’on comprend peu à peu que les choses sont effectivement compliquées, qu’il faut savoir creuser et dépasser la surface lisse et trompeuse de la réalité, que rien n’est jamais simple : ni la neige (en référence au titre anglais), ni les sentiments, ni les relations humaines, et surtout pas l’énigme à laquelle nous sommes confrontés, et qui fonctionne comme moteur du récit puisque tout reste à résoudre et à découvrir.

    711758760.jpgAccumulation de questions, desouvenirs, d'indices... le moindre événement apparaît alors sous un jour nouveau, semble suspect – comme s’il fallait prêter attention au moindre détail du récit rétrospectif (et introspectif) pour ne pas manquer un seul élément qui nous mettrait sur la voie. Ajoutons à cela que le point de vue est nécessairement lacunaire, ce qui ne fait qu’amplifier la sensation de mystère. La participation active du lecteur est donc requise, et l’on suit avec anxiété le garçon, qui avance de fausses pistes en vrais espoirs – la vérité est fluctuante et mouvante, impossible à saisir, tant elle présente une multiplicité de facettes.

    Parallèlement à cette enquête à rebours, le roman est aussi une merveilleuse chronique adolescente ; chaque tranche de vie est narrée avec finesse, tout sonne juste et l’on se plaît vraiment en compagnie d’Anna et de son amoureux, qu’on a du mal à quitter. Un roman fascinant, difficile à lâcher, et dont le dénouement ouvre sur de multiples possibilités, ce qui, paradoxalement, nous oblige à choisir celle qui nous convient le mieux, selon sa propre sensibilité. En consultant le site conçu par l’auteur, on trouvera encore d’autres pistes, en particulier musicales... © B. Longre

    à signaler : ce roman a d'abord paru dans une collection de littérature générale aux USA, avant de sortir dans une collection pour grands ados.

    www.albin-michel-jeunesse.com

    www.wiz.fr

    www.assimpleassnow.com

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  • Juvenilia

    451517487.jpgHyde Park Gate News - The Stephen Family Newspaper - Virginia Woolf, Vanessa Bell, with Thoby Stephen
    Introduction et notes Gill Lowe, Avant-propos Hermione Lee - Hesperus Press.

    Le journal de Hyde Park Gate - Traduit de l'anglais par Anne Rabinovitch - Mercure de France, 2006

    Un enchantement juvénile, semaine après semaine...


    Les éditions Hesperus publient un ouvrage inédit de Virginia Woolf (née Stephen), un petit événement éditorial et littéraire qui devrait ravir amateurs et curieux. Gill Lowe a longuement étudié certains manuscrits inédits de la famille Stephen (qui dormaient depuis des années à la British Library), et cette étonnante publication, destinée à la fois au grand public et aux chercheurs, est le fruit d’un travail patient : les manuscrits reproduits ici sont ceux d’un journal rédigé en 1891-1892 et en 1895 par Vanessa, Virginia et Thoby, les enfants de Leslie Stephen (biographe, éminent critique littéraire) et de Julia Jackson, la famille résidant au 22, Hyde Park Gate. Les garçons étaient envoyés en pension, mais les filles étudiaient à la maison, et occupaient une partie de leur temps libre en rédigeant cette publication collective… Réalisés artisanalement, les journaux (hebdomadaires) relatent principalement les événements quotidiens de la maisonnée (les plus graves étant abordés avec légèreté ou tout simplement omis), les sorties et les divertissements des enfants, les péripéties des animaux domestiques, en laissant une place importante à la fiction et à l’imagination, en toute liberté ; une précieuse source primaire qui apporte d’abondantes informations biographiques et littéraires sur la jeune Virginia, que l’on voit ici, à l’âge de dix ans, faire ses premières armes avec la rédaction de petits récits fictifs et de juvenilia comme "A Midnight Ride".

    L’ensemble est un régal, un sentiment en partie généré par le ton vivifiant et satirique qui se dégage de nombre de productions (l’ironie étant passablement amplifiée par le procédé narratif de la troisième personne…) : « love letters » parodiques que s’échangent des couples d’amoureux ingénus ou stupides, histoires sans paroles, abécédaires sous forme de poèmes, portraits cocasses de visiteurs inopportuns ou ennuyeux, extraits de journaux intimes (là encore factices), jeux de mots et astuces inventés par les enfants, récits des événements et des anecdotes ponctuant la vie de famille (anniversaires, fêtes de Noël, retours de Thoby, etc.), ou surnoms dont sont affublés certains membres (dont Laura, enfant d’un premier mariage de Leslie, « the Lady of the Lake », internée la plupart du temps)… remplacés, au fil du temps, par des textes abstraits plus complexes et matures.

    Les journaux sont ici disposés en colonnes, ainsi qu’ils l’étaient à l’origine, et les précisions relatives aux supports et aux plumes utilisées ajoutent au caractère authentique et poignant de l’ensemble, de même que la reproduction des erreurs orthographiques des petits écrivains... On retrouvera aussi en fin d’ouvrage la biographie complète de chacun des membres de la famille et des amis proches apparaissant dans les journaux, ainsi que quelques clichés photographiques qui participent de la délicieuse atmosphère désuète d’un temps bel et bien révolu, celui de l’enfance insouciante et joyeusement érudite. © B. Longre

    http://www.hesperuspress.com/

    http://www.virginiawoolfsociety.co.uk/

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  • Polémique - salon du livre 2008

    2010504050.gifLes appels au boycott et les demandes d'annulation (!) se succèdent, alors que l'invité d'honneur du salon du livre de Paris est Israël. Fort regrettable, cette instrumentalisation politique de la littérature. Car les écrivains invités, en fin de compte, incarnent-ils, en tant qu'individus, un état ? Le salon veut d'abord célébrer la littérature de langue hébraïque, au-delà des politiques et des querelles (qu'elles soient ou non sanglantes), au-delà des affiliations religieuses et sectaires ou des chapelles. Il est vrai que l'intitulé "invité d'honneur : Israël" est passablement maladroit... "invités d'honneur : écrivains de langue hébraïque" aurait été plus judicieux (puisque la langue est le critère de sélection) au moins pour dépasser la notion d'état et insister sur le littéraire.

    Comme indiqué sur le site du salon : "C'est la reconnaissance d’une littérature dynamique, d’une immense richesse, à l’image d’une société multiculturelle. Une littérature qui puise dans le passé, s’affirme dans un présent mouvementé, sans à priori, n’esquivant aucune question, qui interroge et analyse sans concession."

    http://www.salondulivreparis.com/


    Souvenons-nous aussi que les autorités égyptiennes pratiquent allègrement la censure - voir
    blongre.hautetfort.com/archive/2008/01/29/pauvre-litterature.html

    Je lis ici que, Tariq Ramadan (bien connu pour son ouverture d'esprit et ses vues inspirées !) a répondu à La Repubblica :"Il est clair qu'on ne peut rien approuver de ce qui vient d'Israël".

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  • Editeur à découvrir

    1505626686.jpgLes éditions du Sonneur, fondées par Valérie Millet, assistée de Sandrine Duvillier et Jean-Luc Remaud, proposent une belle diversité de textes - de Maupassant (lire l'article de Myriam Gallot) à Gobineau (un tome de Nouvelles asiatiques), de Jack London (un texte autobiographique où l'auteur retrace son parcours chaotique) à Alexandre Dumas, des textes méconnus, "dignes de revivre", sans oublier les contemporains, des romans qui mettent en avant d'excellentes plumes : Marie-Noël Rio, auteure de Pour Lili ou Jean-Marie Dallet, dont je suis en train de découvrir Au plus loin des tropiques.

    Dès le début, l'éditrice a eu le souci "d'éditer peu de titres, mais de les accompagner assez longtemps pour qu’ils trouvent leurs lecteurs. Des ouvrages auxquels on revient et avec lesquels on vit. Bref, le contraire de la surproduction et de la grande consommation littéraire." Une démarche qui mérite d'être saluée, forcément.

    A paraître prochainement un recueil de chroniques : Portraits du jour, 150 histoires d'une étrange planète de Marc Kravetz, qui intervient sur France Culture, où il dresse chaque matin ses fameux portraits.

    www.editionsdusonneur.com

    http://www.myspace.com/editionsdusonneur

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  • Des traducteurs réagissent...

    691157571.jpg...suite à l'article publié dans Le Monde du 21 février dernier, intitulé "Pierre-Emmanuel Dauzat : "Tout n'est pas avouable dans une vie de traducteur", dans lequel le traducteur en question affirme : "La plupart de mes contrats, je les ai signés sans connaître le moins du monde la langue que j'allais traduire." De même, selon le journaliste, PE Dauzat aurait traduit des ouvrages (300 ?) "dans une quinzaine de langues : l'anglais, l'allemand et l'italien ("les trois langues dont je vis"), mais aussi l'espagnol, le russe, le suédois, le serbo-croate, le latin et le grec (ancien et moderne). Sans oublier l'hébreu biblique, le yiddish, l'ourdou et l'indonésien..."

    Fiction ou véritable prodige ? La question vaut la peine d'être posée (surtout quand le traducteur dit pondre entre 20 et 40 feuillets par... jour !) Il reste que plusieurs traducteurs littéraires ont réagi à ces propos surréalistes (ou en tout cas passablement exagérés) qui faussent l'image que l'on peut se faire du métier.

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  • Prix Rhône-Alpes du livre 2008

    Emmanuel Merle reçoit le prix de littérature pour son recueil de poèmes Un homme à la mer (Gallimard) ; Edmond Raillard est récompensé pour sa traduction du catalan du Dernier Livre de Sergi Pàmies, de Sergi Pàmies (Éditions Jacqueline Chambon) ; Olivier Ihl, pour son essai intitulé Le Mérite et la République, essai sur la société des émules. Quant au prix jeunesse, créé en 2007, il revient à Fabrice Vigne pour son roman Les Giètes, paru dans la collection « Photoroman », avec des photographies d’Anne Rehbinder (Éditions Thierry Magnier) - on pourra lire un article consacré à ce roman dans Sitartmag (roman certes publié par un éditeur jeunesse, mais dans une collection destinée aux grands ados et aux adultes et qui appartient donc davantage au domaine de la littérature générale).

    Quant à Sergi Pamies, j'avais aimé un recueil de nouvelles intitulé On ne peut pas s’étouffer avec des vermicelles
    (déjà traduites du catalan par Edmond Raillard), aux éditions Chambon / Le Rouergue.

    Lire le dossier dans Livre&Lire (mensuel du livre en Rhônes-Alpes, édité par l'Arald)

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  • Pas raccord de Stephen Chbosky

    42d6f07907548ee85244c5a5ea8d9601.jpgPas raccord, de Stephen Chbosky
    traduit de l’anglais (Etats-Unis) par B. Longre. Titre original : The Perks of being a Wallflower - Roman Exprim, Sarbacane, avril 2008

    4e de couv. Au lycée où il vient d'entrer, on trouve Charlie bizarre. Trop sensible, pas "raccord". Pour son prof de Lettres, c'est sans doute un prodige ; pour les autres, c'est juste un "freak". En attendant, il reste en marge - jusqu'au jour où deux terminales, Patrick et la jolie Sam, le prennent sous leur aile. la musique, le sexe, les fêtes : le voià entré dans la danse... et tout s'accélère.

    1c8519f4cad186e836bc1879b6eecb90.jpgEcrivain, éditeur, scénariste et réalisateur, Stephen Chbosky vit à New York, où il milite activement pour la défense des droits homosexuels. Pas raccord livre culte aux Etats-Unis, est son premier roman.

    Un entretien avec l'auteur (sur les tentatives de censure que rencontre son roman)

    Filmographie

    www.exprim-forum.com

    www.editions-sarbacane.com

    Voir aussi ce qui s'en est dit ici.

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  • Retour... et lectures

    Après une (forcément trop brève…) pause de l’autre côté de la Manche, quelques (là encore brèves) nouvelles de lectures dont je reparlerai prochainement. La pile d'ouvrages en souffrance ne cesse de monter et je me vois contrainte d'effectuer des choix parfois bien difficiles...

    8712925c2e0ecb2ff4187e3b4799d962.jpgLes fantômes du soir de Sébastien Doubinsky - Le Cherche Midi

    Aria des Brumes de Don Lorenjy - Le Navire en pleine ville

    Ne sois pas timide de Claire Ubac - L'école des loisirs

    Ce que la vie signifie pour moi de Jack London - Editions du Sonneur

    Les inséparables de Colas Gutman - L'école des loisirs

    Dieu vit à Saint-Pétersbourg de Tom Bissell - Albin Michel, Terres d'Amérique

    db78f9aebc557836592b223dd7fdb8b2.jpgJe me suis aussi lancée dans le dernier roman de Hanif Kureishi, Something to tell you, un grand plaisir pour l’instant… (à paraître chez Faber en mars et un peu plus tard en France), dont j'aime beaucoup la couverture (ci-contre). Du même auteur, on appréciera entre autres le recueil de nouvelles, regroupées sous le titre La lune en plein jour.

     

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  • Le Cercle Meurtrier - en librairie

    04f037784a3cf9b43e55208da6150493.jpgLe Cercle meurtrier
    un roman
    d'Alexandra Sokoloff
    titre original, The Harrowing, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Blandine Longre - Hachette, collection Black Moon, 9 janvier 2008

    4e de couv. Vacances de Thanksgiving. Le campus est déserté. Roxane est restée seule à Mendenhall. Ame solitaire, noyée dans ses idées noires, la jeune femme a décidé d'en finir avec la vie. Mais dans la salle commune où elle a trouvé refuge, d'autres étudiants sont également présents...

    "The Harrowing is a real page-turner. Alexandra Sokoloff raises a fine crop of goosebumps and shivers. A first novel of unusual promise. " IRA LEVIN, author of Rosemary's Baby and The Stepford Wives.

    L'auteure

    Acheter le roman

    Le choix des Libraires

    Chronique de Lirado

    La bande-annonce du roman en anglais


    http://fr.youtube.com/watch?v=bFpRLP_2J1A

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  • Promouvoir la lecture... autrement.

    ef325a972e6b832884cdc66cb78b09ce.jpgLa littérature est avant tout une affaire de mots. Il reste que les auteurs et/ou les éditeurs empruntent parfois des voies atypiques pour annoncer ou accompagner la sortie de leurs ouvrages, s'appropriant des supports jusqu'alors réservés au cinéma ou à la musique. A titre d'exemple, Antoine Dole, dont le roman Je reviens de mourir paraît en janvier aux éditions Sarbacane dans la collection Exprim, propose en ligne une bande-annonce qui  familiarisera le lecteur potentiel à l'univers de son récit, qu'il présente comme une "fable noire sur la collision de deux trajectoires "

     
    Pour l'auteur, cette démarche va de pair avec le contenu et la forme de son roman ; voici ce qu'il en dit : "De plus en plus la jeune littérature puise ses influences dans la musique, le cinéma, les séries télés. L'impact populaire bouscule les préjugés élitistes et intellectuels. Les codes changent, évoluent : l’écriture devient orale, dans la trajectoire d’un métissage urbain et culturel où les récits se construisent dans une dynamique poétique et organique. Langue fracturée, reconstruite, libérée, décomplexée : le verbe, mué en véritable outil générationnel, s’acoquine à la culture du bitume, implacable et cassante, pour en traduire l’essence. (...) Dans ce nouveau paysage éditorial, les éditions Sarbacane et la collection Exprim’ font un travail singulier, basé sur des textes urbains nourris de ces énergies." Dans le même esprit, la musique n'est jamais absente des romans Exprim, avec une bande-son qui "inaugure chacun de leurs ouvrages, reflet de la rythmique des différents univers qui cadencent la collection."

    35665ff77d5ea4bf372c3891e651bea4.jpgMême si elle n'est pas encore développée en France, l'idée de la bande-annonce littéraire n'est pas nouvelle - elle nous vient surtout des USA, où les éditeurs estiment que les "booktrailers" permettent de s'attirer un public plus large et incitent à lire davantage. Ainsi, on trouvera en ligne la bande-annonce du premier roman d'Alexandra Sokoloff, The Harrowing (St Martins Press, à paraître en français), un clip réalisé à l'occasion de la parution en poche, qui restitue bien l'atmosphère du roman, sans trop en dire (contrairement à la plupart des trailers cinématographiques, qui donnent l'impression de visionner le film en accéléré). Là encore, les choses sont suggérées et titillent la curiosité du lecteur/spectateur, sans forcément imposer une "lecture" (pas plus qu'une 4e de couverture, en tout cas.)

    http://fr.youtube.com/watch?v=bFpRLP_2J1A

     

    af06afa90260cac3ca1fc53415650653.jpgD'autres auteurs proposent des présentations originales, sous forme de puzzle narratif, comme Virgile Durand, dont le premier roman, Ces gens-là, paraît chez Plon en janvier. En allant sur www.myspace.com/virgiledurand, on découvre que chacun de ses personnages possède une page myspace, une façon de prolonger leur virtualité sur la toile, au-delà du récit lui-même.

    C'était déjà le cas de l'auteur Will Davis, qui a créé une page pour Jaz et une autre pour Al, les personnages de My Side of the Story (Bloomsbury), et de Cynthia Leitich Smith, auteure de Tantalize (Candlewick), avec ses personnages Kieren et Quincie (des pages plus élaborées que les précédentes, qui trompent habilement de nombreux internautes croyant avoir à faire à de "vraies" personnes...). Des prolongements de l'ordre du divertissement, évidemment, mais qui révèlent aussi comment la littérature parvient à investir d'autres supports, et à s'en nourrir, tout en brouillant les pistes, parfois, entre le réel et le virtuel. Il est fort possible que ces promotions d'un nouveau genre se populariseront rapidement. Du côté des bandes-annonces européennes, les Italiens et les Espagnols ont déjà lancé le mouvement depuis quelque temps (voir ici ou ).

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  • A paraître en 2008

    42d6f07907548ee85244c5a5ea8d9601.jpgPas raccord, de Stephen Chbosky
    traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Blandine Longre
    Roman Exprim, éditions Sarbacane, avril 2008

    Oui, je sais, il va falloir patienter...

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  • 40 écrivains de langue hébraïque en 2008

    Invité d’honneur du salon du livre de Paris 2008, Israël sera représenté par 40 auteurs de langue hébraïque : Elie Amir, Aharon Appelfeld, Gabriela Avigur-Rotem, Benny Barbash, Ron Barkaï, Orly Castel-Bloom, Lizzie Doron, Israël Eliraz, Haïm Gouri, Michal Govrin, David Grossman, Amir Gutfreund, Alon Hilu, Shifra Horn, Miron C. Izakson, Sayed Kashua, Judith Katzir, Etgar Keret, Alona Kimhi, Ron Leshem, Savyon Liebrecht, Mira Maguen, Edna Mazya, Sami Michaël, Agi Mishol, Rutu Modan, Eshkol Nevo, Rony Oren, Amos Oz, Israël Pincas, Igal Sarna, Aaron Shabtai, Meir Shalev, Zeruya Shalev, Youval Shimoni, Ronny Someck, Zvi Yanaï, Avraham B. Yehoshua, Nurit Zarchi, Boris Zaidman.

    http://www.salondulivreparis.com/

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  • Rutu Modan

    Rutu Modan, auteure BD et illustratrice renommée en Israël, fonde en 1995, avec quatre autres dessinateurs (dont Batia Kolton), une maison d’édition à Tel Aviv : Actus Tragicus. Elle a recu, en 1997, le Year Award qui récompense une jeune artiste et l’Award de la meilleure illustratrice pour enfants du Youth Department of the Israël Museum en 1998. Elle a publié plusieurs histoires dont deux sur des scénarios d'Etgar Keret.

    Energies bloquées de Rutu Modan, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas Delpuech, Actes Sud BD.

    Histoires de familles…

    Les six récits qui composent ce recueil ont été publiés entre 1998 et 2003 : des échantillons, en somme, du travail graphique et littéraire de Rutu Modan, artiste israélienne jusqu’alors inconnue en France, et qui signe aussi les illustrations d'un ouvrage jeunesse, Fou de Cirque.
    2be603e4f4f4e9fbbd92e1668e1d07c8.jpgDu strict point de vue de l’illustration, il serait vain de chercher une homogénéité dans ce florilège (un aspect encore plus flagrant dans Substance Profonde de l’artiste amie Batia Bolton, publié simultanément dans cette collection) et c’est plutôt du côté des thèmes abordés et des préoccupations auctoriales que l’on trouvera matière à parler d’harmonie : troubles psychiques ou affectifs, familles déconstruites ou recomposées, individus brisés par les carcans des règles sociales et collectives, espoirs avortés... L’auteure décrit et reproduit les perturbations de microcosmes qui lèvent le voile sur des dysfonctionnements à plus grande échelle. C’est le cas de Jamili, qui s’inscrit ouvertement dans le contexte sociopolitique israélo-palestinien, en mettant en scène la rencontre émouvante, point nodal du récit, d’une jeune infirmière fiancée à un imbécile (raciste de surcroît) et d’un terroriste palestinien qui s’automutile lors d’un attentat raté : deux individus que tout sépare et qui, dans un autre contexte, auraient pu s’unir.

    Dans Retour à la maison, une autre jeune femme, Méli, attend le retour hypothétique d'un époux pilote, disparu au Liban six ans plus tôt, tandis que Max, amoureux d’elle, tente de la convaincre de l'impossibilité d'un retour ; mais le beau-père de Méli se nourrit de cette attente et quand, un jour d’été, un avion non-identifié survole la plage du kibboutz, le vieil homme est convaincu que c’est celui de son fils… jusqu’à ce que l’armée de l’air intervienne. Les personnages, gauches et naïfs, sont représentés sur un fond uniforme, un ciel trop bleu pour être vrai, sur lequel se superposent soudain des avions de chasse puis les fumées grossièrement crayonnées qui émanent de la carcasse de l’appareil abattu. Le ciel redevenu bleu, la réalité d’une violence aveugle, caricaturale, s’évapore elle aussi, laissant de nouveau place à l’illusoire espérance.

    Ailleurs, c’est en huis-clos que se déroulent les événements ; ainsi Energies bloquées relate le drame d’une femme abandonnée par son mari et qui subvient aux besoins de ses deux filles grâce à un don étrange (« des pouvoirs curatifs dans les mains. De l’électricité qui guérit toutes les maladies »), mais l’ambiance familiale n’inspire pas le bonheur, les deux jeunes femmes exploitant la passivité dépressive de leur mère. Même chose dans Jadis, le long récit d’une quête familiale et affective ; un roman d’apprentissage, en quelque sorte, se déroulant dans un hôtel à thèmes tenu par deux sœurs dont les parents sont morts dans un incendie.
    Hormis la mise en images d’une nouvelle d’Etgar Keret, Bitch, le clou du recueil demeure L’assassin culotté (The Panty Killer), une tragi-comédie policière délivrée sur le mode parodique : le meurtrier en question, non content de poignarder des innocents, les ridiculise en affublant leur tête de leur culotte… Là encore, une histoire de famille est à la source de l’intrigue, une relation mère-fille qui tourne mal. La violence est ici tournée en dérision, comme pour exorciser ses ravages (bien réels en Israël), et demeure bel et bien omniprésente tout au long de ce talentueux album. © Blandine Longre

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  • Un coeur de pierre...

    Stoneheart de Charlie Fletcher, traduit de l'anglais par Laurence Kiefé - Hachette Jeunesse 2007

    10a47a1b5e863d73b2818fd25224978a.jpg"Le jour où George brise la statue d'un dragon, il est loin de se douter qu'il a réveillé une épouvantable malédiction. Statues malfaisantes, gargouilles et sculptures inquiétantes prennent vie. Une course-poursuite terrifiante est lancée dans Londres car tous ces êtres maléfiques n'ont plus qu'un seul but : tuer George. Commence alors pour le jeune garçon une quête vertigineuse pour trouver Stoneheart, le Cœur de pierre."

    Roman fantastique, d’apprentissage et d’aventure qui se déroule sur une seule journée, Stoneheart regorge d’inventivité. Une oeuvre complexe, érudite et palpitante, que les lecteurs adultes prendront autant de plaisir à explorer que les plus jeunes (à partir de 11-12 ans). Charlie Fletcher était l'un des invités du Salon du livre jeunesse de Montreuil Site officiel

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  • Décès de Heloneida Studart

    ae303f5809dd36dbb3611aa69a124586.jpgLes Éditions les Allusifs viennent d'annoncer le décès de Heloneida Studart (Fortaleza 1932 – Rio de Janeiro 3-12-2007). Co-fondatrice du Parti des Travailleurs et pionnière du féminisme brésilien, députée et journaliste, elle a publié plusieurs essais et romans. Elle venait tout juste de se retirer de ses fonctions de députée et se consacrait entièrement à l’écriture. Trois de ses romans ont été traduits en français aux Allusifs, dont Le Cantique de Meméia.

    Le cantique de Meméia (O pardal é um passaro azul), traduit du portugais (Brésil) par Paula Salnot et Inô Riou - Les Allusifs, 2005 - Parution en poche mars 2007 (10-18)

     

    La Maison de Marina
    Ou quand "Naître femme est le pire des châtiments." (La maison de Bernarda Alba - F. Garcia Lorca)


    Fresque à la fois réaliste et allégorique, Le cantique de Meméia puise au plus profond des âmes, de la raison humaine et des désirs, en quête des racines du mal absolu et de la logique totalitaire, mais aussi de l’espérance, tour à tour incarnées par différents personnages, au fil de leurs actes et de leurs pensées. Car nul (ou presque) ne s’en sort indemne sous la plume de Heloneida Studart, qui brise les tabous et révèle les secrets de celles qui cohabitent tant bien que mal sous un même toit bourgeois, certes doré, mais toutes sous le joug d’une matriarche archétypale, Menina Carvalhais Medeiros, vieille femme acariâtre et sévère qui méprise sa progéniture composée de filles (son unique fils est mort interné des années plus tôt) : la tante Nini, célibataire desséchée de corps et d’esprit et Luciana, qui est revenue vivre chez sa mère après un bref mariage (socialement avilissant), avec ses deux filles, Dalva et Marina – elle-même narratrice. Une autre fille, après avoir été chassée des années plus tôt par Ménina, a donné naissance, avant de mourir au couvent, à un garçon, João, qui s’étiole maintenant dans la prison locale (bien concrète, celle-ci) – au grand désespoir de sa cousine Marina, désespérément amoureuse de lui.
    Marina, frêle jeune femme asthmatique, est pourtant la seule que Menina respecte : l’aïeule a bien l’intention de déshériter ses filles au profit de cette petite-fille qui lui ressemble tant, selon elle : froide, déterminée et vertueuse – tout le contraire de sa mère Luciana, dont les faiblesses irritent Menina et Marina ; la rancœur de cette dernière est accentuée par le désamour qu’éprouve sa mère à son égard ; et quand Luciana tente de former une alliance avec sa fille (elle voudrait bien récupérer sa part d’héritage), c’est en vain qu’elle supplie l’inflexible Marina.

    Mais la narratrice, que les biens matériels intéressent peu, a d’autres préoccupations : un grand nombre de pages est consacré à ses sentiments changeants, à son amour perdu, à ses visites à la prison - à l’insu de sa grand-mère, qui a renié son petit-fils João. De quoi est-il coupable, au juste ? D’avoir osé écrire sur les murs que « les moineaux sont des oiseaux bleus »… slogan d’une simplicité déroutante, qui suffit pourtant à évoquer la révolte muette d’un peuple accablé, et terrifié par les « forces obscures » (qui jamais ne seront nommées autrement), et à incarner la pureté du combat du poète, sage parmi les fous, un combat pétri d’espérance rageuse, face à la puissance fasciste, prompte à torturer et à commettre d’effroyables exactions pour éradiquer, justement, l’espoir des démunis et des résistants.

    « Les moineaux sont des oiseaux bleus », image par le biais de laquelle se reflète tout discours politique réformateur et réfractaire aux dictatures, quelles qu’elles soient, toute résistance acharnée - João est son prophète. Ce qui préoccupe aussi Marina, c’est l’arrivée d’un étranger (un ami de João ?) que sa grand-mère a accueilli sous son toit – un homme muet dont la présence discrète ne va pas tarder à faire frissonner les esprits et les corps des femmes qui dépérissent dans la maison de Ménina, chacune attendant la mort de l’aïeule, espérant l’amour physique, interdit et châtié. Seule la vieille servante, la mulâtresse Memeia, semble percer à jour la véritable nature de l’étranger, un « sorcier », selon elle, venu apporter le malheur dans ce monde de femmes cloîtrées.
    Les femmes et leurs désirs avortés, justement, sont au centre de ce roman poignant et leur destinée est mise en parallèle, de façon récurrente, avec celle d’autres victimes : « Les femmes n’ont pas de volonté, disait grand-mère Menina. Les Noirs n’en ont pas ; les pauvres n’en ont pas. » Ces mots cinglants, ne souffrant pas la contradiction, font écho à la litanie fataliste du père de Marina, mort trop tôt (« Mon père disait qu’il n’y avait que des pauvres et des riches. ») ou encore aux propos du cousin révolté (affirmant que les pauvres « payaient pour tout »).

    ca02ce7e8e09d4aa7e54db7b1e6e1135.jpgJoão et Marina, chacun à leur manière, ont en tête de dérégler un ordre social archaïque – le vieil ordre imposé par l’argent et la religion, tout aussi moribond que la grand-mère Menina ; cette dernière symbolise la maison nourricière, matrice étouffante, sachant si bien rejeter les siens et les dévorer, telle l’araignée qui guette Joao dans sa cellule, quand les individus dérogent à la règle ancienne – à l’image des routines domestiques qui obsèdent Marina, « comme un manège cauchemardesque » ; pour échapper fugacement aux cauchemars qui contaminent son esprit, elle lit des romans policiers qui remettent de l’ordre dans le chaos de la réalité : « Tout y est logique. La vie n’y est pas irrationnelle, avec des mères qui détestent leurs filles et des filles qui détestent leurs mères. » Mais le réel l’emporte, avec ses découvertes et ses désillusions, et le monde éphémère des privilèges s’efface pour laisser place à une lucidité nouvelle : « Dans mon monde, les enfants mangeaient de la terre mouillée et des garçons têtus pourrissaient en prison. » En refusant de continuer à exister dans l’obscurité d’une maison décadente, baignée de religiosité superstitieuse, dans l’ombre d’une mère vénale et de femmes soumises à leur sort de femelles, Marina, en quête d’absolu, entre sensualité et froideur calculatrice, ouvre un chemin nouveau. On repense, par de nombreux aspects, à la pièce de Garcia Lorca, La maison de Bernada Alba – et à la lutte obstinée d’Adela contre sa mère (l’allusion est directe à travers l’évocation d’une autre branche de la famille, en passe de s’éteindre, les cousines Lima Carvalhais : « Les quatre filles ne s’étaient pas mariées à cause des idées que leur mère, Dona Delfina, alimentait contre les hommes. »)
    Le combat féministe omniprésent n’est cependant pas l’unique souci de Heloneida Studart, et elle l’englobe, on l’aura compris, dans une lutte politique élargie, contre toute inégalité et discrimination : celui qui défend toute minorité (quelle que soit la raison de l’oppression subie). Rien de bien surprenant de la part d’une auteure engagée, militante active et députée du Parti des Travailleurs de l’état de Rio de Janeiro depuis 1978, présidente de la commission de défense des droits de l'homme, qui avait fondé, alors que le Brésil subissait la dictature militaire, le Centre de la femme brésilienne.

    Rares sont les œuvres de fiction qui mêlent si brillamment univers intime et destinée collective, et qui, par le biais d’une écriture serrée, précise, font se côtoyer une âpre sensualité et une diatribe politique convaincante (sans grands discours pompeux), sans que les deux mondes s’opposent jamais – la vieille Menina, qui apparaît le plus souvent entourée de prêtres à sa botte, symbolisant à elle seule la férocité totalitaire. Roman bref mais fulgurant, reposant sur une indéniable richesse poétique, Le cantique de Memeia (le titre français, justement, fait la part belle à l’opprimée, la servante mulâtresse, maternelle, rassurante et lucide et dont le chant agit comme un baume) est tout simplement inoubliable, et trente ans après sa parution au Brésil, on ne remerciera jamais assez les éditions les Allusifs de nous donner l'occasion d'enfin le découvrir en français. © Blandine Longre

    http://www.lesallusifs.com/

    http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-Les-Allusifs-.html

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  • Ecritures théâtrales d'Europe

    4c74a8f09067da5a87cd1349861fd99b.jpgLes Editions Théâtrales (en co-édition avec le Scérén-CNDP), viennent de publier une Anthologie critique des auteurs dramatiques européens (1945-2000), élaborée par Michel Corvin. A l'occasion de cette publication, ce dernier propose une conférence le jeudi 6 décembre 2007 à 19h00 au Petit Odéon (Théâtre de l'Europe, Place de l'Odéon, 75006 Paris).
    Entrée libre sur réservation au 01 44 85 40 44.
    Il évoquera cinquante ans d’écritures théâtrales européennes, une vision vivante de l’effervescence de la littérature dramatique du vieux continent.

    L'ouvrage est présenté ici www.sitartmag.com/25ans.htm

    www.editionstheatrales.fr

    L'Anthologie ne concerne que des auteurs non-francophones, dont Howard Barker, Edward Bond, Bertolt Brecht, Martin Crimp, Rainer Werner Fassbinder, Jon Fosse, Rodrigo Garcia,  Evgueni Grichkovets, Lee Hall, Peter Handke, Sarah Kane, Dea Loher, Heiner Müller, Lars Noren, John Osborne, Pier Paolo Pasolini, Harold Pinter, Biljana Srbljanovic, Tom Stoppard, Matéi Visniec, ou Arnold Wesker, pour n'en citer que quelques-uns...

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  • Dea Loher

    Les relations de Claire de Dea LOHER, traduit de l’allemand par Laurent Muhleisen, L'Arche, 2003

    Chacun cherche sa vie

    La pièce aurait tout simplement pu s’intituler "Claire", si les autres personnages qui gravitent autour de la protagoniste éponyme ne prenaient pas autant de place à mesure qu’avance l’intrigue, envahissant son espace : sa sœur Irène et son beau-frère Gottfried, des petits-bourgeois qui reprochent à Claire sa marginalité, son amoureux Tomas, brocanteur, la maîtresse de ce dernier, Elisabeth, professeure en préretraite – à son grand désespoir – et Georg, un médecin que Claire rencontre à l’hôpital.
    La jeune trentenaire vient de faire un grand pas sur le chemin de sa quête existentielle en quittant un travail ingrat – rédactrice de modes d’emploi pour appareils électroménager ! – pour mieux trouver un sens à sa vie ; ou plutôt, elle s’est fait renvoyer, mais exprès, et va trouver sa sœur Irène pour lui demander de l’argent : « Claire a toujours pensé à l’envers, dormir le jour et se lever la nuit comme si elle vivait sur l’autre moitié de la planète. », déclare Irène, qui se complaît dans une existence superficielle, tandis que son mari, Gottfried, condamne de plus en plus ce vide – il travaille dans une banque…. Tomas, lui, explique qu’on « l’appelle le vide-poubelles. Je fais le commerce d’objets puants, démodés, cassés, disloqués. (…) je vis des ordures des autres. (…) Je sonde les entrailles des biographies humaines. » Il est vrai que les vies étriquées d’Irène et de Gottfried réveillent la franche désapprobation de Claire, qui dit à sa sœur, parlant de leur frère mort d’une overdose : « Oui, mais il ne l’a pas fait par désespoir, mais parce qu’il était heureux d’exister, parce qu’il savourait cette ivresse, oui il était accro à l’extase, ce que tu ne peux pas comprendre, il n’avait pas peur de la vie, lui, pas comme toi, qui avant chaque orgasme avale un tranquillisant.»

    Dans le même temps, on apprend que Tomas a une aventure secrète avec Elisabeth qui, comme Claire, ne cesse de remettre sa vie en question. Les relations de Claire avec les autres, on l’aura compris, ne sont pas simples, de la même façon que les relations de Claire avec elle-même manquent de clarté, tandis qu’elle se pose les questions que nous sommes tous susceptibles de nous poser : « Et je me demande où est ma place, à l’intérieur de cette problématique d’ensemble, de ce système global, où tout est plus ou moins interdépendant. Et donc moi aussi j’en dépends. Où est ma place et quelle est ma contribution à la résolution des problèmes qui vont nous occuper, disons, dans le millénaire à venir. »
    Elle franchit un nouveau pas dès lors qu’elle décide de se rendre utile et de passer à l’acte en offrant son corps en bonne santé à la science, inventant ainsi une nouvelle forme de prostitution (« pharmapute »), une proposition qui laisse le médecin, Georg, légèrement sceptique.

    C’est une vision bien sombre de l’humain que l’auteure allemande propose ici ; dans le même temps, Les relations de Claire est une fable de l’engagement, quel qu’il soit, amoureux, professionnel ou bien humanitaire ; la version pervertie d’un existentialisme qui ne peut se vivre que dans la mort, geste ultime de Claire pour enfin pouvoir se rendre utile, pour qu’enfin son existence ait un but. Chaque personnage se cherche, certains se trouvent, d’autres non et la pièce est une série sans fin, semble-t-il, de prévarications, d’hésitations, de questionnements, une suite de variations sur la vacuité et la futilité de l’existence – qui pousse ainsi chaque être à se mieux définir : une réussite en terme d’écriture, Les relations de Claire pousse le lecteur dans ses retranchements en lui montrant combien l’absurdité de la condition humaine (évoquée dans les passages avec le « chinois », un personnage qui pousse les situations vers l’absurde) ne peut se transcender que dans la mort ou le pessimisme. La drôlerie de certaines situations est en réalité feinte, piégée, et même si le regard de la dramaturge se fait acéré et sans pitié pour ses personnages, Dea Loher fait certainement passer son message, même s’il faut pour cela faire preuve de cruauté.
    ©Blandine Longre

    L'auteure

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