Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Actes Sud BD

  • A qui le tour ?...

    rn115.jpgL’étouffeur de la RN 115 de Matthias Lehmann - Actes Sud BD

    René et Agathe sont tous deux à la recherche du « tristement célèbre » Robert Illot, surnommé "l’étouffeur de la RN 115", un dangereux psychopathe au physique pourtant quelconque, qui vient de s’évader de l’hôpital psychiatrique… et « personne n’est à l’abri de ne pas être en sécurité » selon la police. Les deux enquêteurs (dont on ne connaît pas les motivations) se rencontrent par hasard (Agathe faisait du stop) et décident de faire route ensemble le long de la RN 115 ; grâce à Agathe, décidément très organisée (elle a tout répertorié dans un petit carnet qui ne la quitte pas), ils localisent ceux qui ont pu croiser Robert Illot par le passé ; on fait alors le tour d’une belle galerie de portraits d’individus en marge, psychiquement dérangés, d’anciens désaxés (sont-ils vraiment rétablis ?) qui tous se souviennent d’un rêve que Robert Illot leur avait raconté – toujours le même, mais à des moments différents… l’histoire d’un petit garçon terrifié errant dans une maison vide, et qui se raccroche à des objets rassurants pour apaiser ses angoisses : des objets qui varient au fil du rêve, que l’on retrouve dans la réalité, et qui lui servent à étouffer ses victimes – un patin à roulette, un livre, des chaussettes ou des cafards…

    La trame complexe, savoureuse, fait perdre pied et les repères s’effacent,  à mesure que des pistes divergentes surgissent et que René s’égare dans sa quête et dans les bras de l’énigmatique Agathe – mais le tout reste habilement construit et l’atmosphère à la fois morbide et cocasse, qui mêle l’irréalité des cauchemars au prosaïsme du réel, est parfaitement rendue par la technique de la carte à gratter, un procédé qui permet de jouer sur l’ombre, la lumière et leurs reliefs, comme dans un film noir d’époque.
    Matthias Lehmann, qui a publié des histoires courtes en revue, signe là un ambitieux roman graphique, un thriller lancinant, loufoque et sanglant, conçu à la manière d’un road-movie sur une route interminable qui semble mener nulle part, et qui s’achève vertigineusement – obligeant ainsi le lecteur à revenir sur ses pas et à prendre à nouveau un grand plaisir à relire l’ensemble, sous un nouvel éclairage…

    (B. Longre)

    http://www.actes-sud.fr/BD

    http://blocmatthias.blogspot.com/

     

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature francophone 0 commentaire 0 commentaire
  • Rutu Modan

    Rutu Modan, auteure BD et illustratrice renommée en Israël, fonde en 1995, avec quatre autres dessinateurs (dont Batia Kolton), une maison d’édition à Tel Aviv : Actus Tragicus. Elle a recu, en 1997, le Year Award qui récompense une jeune artiste et l’Award de la meilleure illustratrice pour enfants du Youth Department of the Israël Museum en 1998. Elle a publié plusieurs histoires dont deux sur des scénarios d'Etgar Keret.

    Energies bloquées de Rutu Modan, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas Delpuech, Actes Sud BD.

    Histoires de familles…

    Les six récits qui composent ce recueil ont été publiés entre 1998 et 2003 : des échantillons, en somme, du travail graphique et littéraire de Rutu Modan, artiste israélienne jusqu’alors inconnue en France, et qui signe aussi les illustrations d'un ouvrage jeunesse, Fou de Cirque.
    2be603e4f4f4e9fbbd92e1668e1d07c8.jpgDu strict point de vue de l’illustration, il serait vain de chercher une homogénéité dans ce florilège (un aspect encore plus flagrant dans Substance Profonde de l’artiste amie Batia Bolton, publié simultanément dans cette collection) et c’est plutôt du côté des thèmes abordés et des préoccupations auctoriales que l’on trouvera matière à parler d’harmonie : troubles psychiques ou affectifs, familles déconstruites ou recomposées, individus brisés par les carcans des règles sociales et collectives, espoirs avortés... L’auteure décrit et reproduit les perturbations de microcosmes qui lèvent le voile sur des dysfonctionnements à plus grande échelle. C’est le cas de Jamili, qui s’inscrit ouvertement dans le contexte sociopolitique israélo-palestinien, en mettant en scène la rencontre émouvante, point nodal du récit, d’une jeune infirmière fiancée à un imbécile (raciste de surcroît) et d’un terroriste palestinien qui s’automutile lors d’un attentat raté : deux individus que tout sépare et qui, dans un autre contexte, auraient pu s’unir.

    Dans Retour à la maison, une autre jeune femme, Méli, attend le retour hypothétique d'un époux pilote, disparu au Liban six ans plus tôt, tandis que Max, amoureux d’elle, tente de la convaincre de l'impossibilité d'un retour ; mais le beau-père de Méli se nourrit de cette attente et quand, un jour d’été, un avion non-identifié survole la plage du kibboutz, le vieil homme est convaincu que c’est celui de son fils… jusqu’à ce que l’armée de l’air intervienne. Les personnages, gauches et naïfs, sont représentés sur un fond uniforme, un ciel trop bleu pour être vrai, sur lequel se superposent soudain des avions de chasse puis les fumées grossièrement crayonnées qui émanent de la carcasse de l’appareil abattu. Le ciel redevenu bleu, la réalité d’une violence aveugle, caricaturale, s’évapore elle aussi, laissant de nouveau place à l’illusoire espérance.

    Ailleurs, c’est en huis-clos que se déroulent les événements ; ainsi Energies bloquées relate le drame d’une femme abandonnée par son mari et qui subvient aux besoins de ses deux filles grâce à un don étrange (« des pouvoirs curatifs dans les mains. De l’électricité qui guérit toutes les maladies »), mais l’ambiance familiale n’inspire pas le bonheur, les deux jeunes femmes exploitant la passivité dépressive de leur mère. Même chose dans Jadis, le long récit d’une quête familiale et affective ; un roman d’apprentissage, en quelque sorte, se déroulant dans un hôtel à thèmes tenu par deux sœurs dont les parents sont morts dans un incendie.
    Hormis la mise en images d’une nouvelle d’Etgar Keret, Bitch, le clou du recueil demeure L’assassin culotté (The Panty Killer), une tragi-comédie policière délivrée sur le mode parodique : le meurtrier en question, non content de poignarder des innocents, les ridiculise en affublant leur tête de leur culotte… Là encore, une histoire de famille est à la source de l’intrigue, une relation mère-fille qui tourne mal. La violence est ici tournée en dérision, comme pour exorciser ses ravages (bien réels en Israël), et demeure bel et bien omniprésente tout au long de ce talentueux album. © Blandine Longre

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature étrangère 0 commentaire 0 commentaire