Débris, de Dennis Kelly
traduit de l’anglais par Philippe Le Moine et Pauline Sales
Editions théâtrales, Culturesfrance, collection Traits d'union, 2008
« Pauvre maman. Elle n’avait pas compris que les gens dans le poste ne sont pas réels, ce n’est qu’un écran magique, les mots ne sont plus qu’une collection chaque jour plus abstraite de sons dans les airs. La réalité était bel et bien dans son ventre, la réalité grandissait là, c’était moi la réalité. Une enfant-plante suçant la mort par sa langue-pomme de terre – c’était ça la réalité. »
Texte saisissant, Débris traite de la déliquescence familiale, sociale et humaine et examine avec acuité la manière dont les rapports (de force ou d'amour) entre les générations évoluent, corrompus par l’incommunicabilité, elle-même engendrée par la télévision, omniprésente : un mal déréalisant qui provoque la perte des repères, du sens et pire encore. Il s’agit là d’un théâtre essentiellement allégorique, où l’horreur des situations exposées sert avant tout à mettre l’accent sur les dysfonctionnements qui agitent les rapports humains, en particulier la relation parent-enfant.
Ainsi, l’abandon du père par le fils dans la première scène, où l’inversion des rôles est amplifiée par le recours au symbolisme religieux : quand Michaël, 16 ans, assiste à la crucifixion volontaire de son père, puis quitte la pièce, laissant son père mourant, terrifié. Plus loin, on voit le même Michaël, enfant, devenir le père d’un bébé abandonné dans les ordures, qu’il baptise « Débris », et qu’il nourrira au sein ; ailleurs, Michaël et sa sœur Michelle tombent entre les mains avides d’un proxénète et se seraient pliés à ses exigences si leur père, éprouvant soudain un attachement animal pour sa progéniture, n’était pas venu les récupérer - même si, à d’autres occasions, les enfants sont niés, oubliés et que c’est l’abandon parental qui prime.
La plupart des scènes, monologues ou duos, reposent sur un procédé similaire : des images successives visuellement frappantes, voire grotesques, des mots qui font mouche, implacables mais jamais gratuits, qui atteignent le monstrueux et l’impensable, et dont l’impact sur le lecteur/spectateur pourrait se rapprocher du théâtre brechtien, dans la mesure où ils cherchent aussi à déciller, à éveiller les consciences abruties ou en passe de l’être… L’auteur bâtit une vision décadente, pitoyable et noire de la petite humanité et de ses débris, comme une tentative de briser les cercles de la transmission intergénérationnelle et de la démission existentielle.
(B. Longre, décembre 2008)
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Dans le cadre de la Saison culturelle européenne (juillet – décembre 2008), les éditions Théâtrales et Culturesfrance coéditent une collection intitulée "Traits d'union", regroupant 27 pièces inédites, une pour chacun des pays européens, de l'Allemagne à la Suède.
www.editionstheatrales.fr/traitsdunion