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Littérature étrangère - Page 6

  • Un roman noir, blanc et gris

    kirikonananan.jpgBlue, de Kiriko Nananan
    traduit du japonais par Corinne Quentin
    Casterman, collection Ecritures (réédition), 2008

     

    Épure : tel est le terme qui vient à l'esprit lorsqu'on découvre la grâce suggérée des visages et la finesse du trait de Kiriko Nananan ; une sobriété de surface, accentuée par les uniformes scolaires que portent les jeunes protagonistes, et qui dissimulerait presque la sourde violence sentimentale qui agite Kayako. La lycéenne ne s'intéresse pas vraiment aux garçons et, dès la rentrée, semble comme fascinée par Endô, une camarade de classe énigmatique qui a été renvoyée de l'établissement l'année précédente et qu'elle retrouve maintenant. L'amitié profonde qui réunit les deux jeunes filles se métamorphose peu à peu en passion, un amour qui semble réciproque jusqu'au jour où l'amie de Kayako disparaît : une perte qui la trouble amèrement.

     

    Ce récit d'apprentissage amoureux frappe par son ascétisme graphique, en discordance avec les passions et les amitiés qui se nouent et se dénouent, au fil d'une histoire où il se passe tant et si peu à la fois ; les amours clandestines d'Endô et Kayako sont illustrées avec pudeur et tranquillité, malgré un ton dont la gravité ne sied habituellement pas à la tranche d'âge évoquée ; la sensualité y est douce et se heurte à l'ampleur des sentiments éprouvés et l'auteure a mis en place un équilibre fragile, à l'image des aventures de ces jeunes filles, entre enfance et âge adulte. (B. Longre)

     

    Cet ouvrage a paru précédemment dans la collection Sakka, chez le même éditeur.

     

    http://bd.casterman.com/

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  • Deux femmes et un renard

    dhlawrence3.jpgThe Fox, D.H. Lawrence
    Hesperus Press, 2002

    Deux jeunes femmes indépendantes, Banford et March, vivotent dans une petite ferme qu'elles ne parviennent pas à faire prospérer. Les deux amies s'entendent bien, en dépit de personnalités fort différentes — March est robuste et rêveuse, Banford plus fragile et pragmatique. Mais quand un soir, surgit dans leur vie un jeune soldat de retour de la première guerre mondiale (la ferme avait appartenu à son grand-père), cette harmonie se fragmente définitivement. Banford est d'abord heureuse de la présence du garçon et l'accueille fraternellement. Henry, c'est son nom, accepte leur hospitalité et se met en tête d'épouser March, malgré leur différence d'âge, d'abord par calcul, puis par désir. Cette dernière est comme hypnotisée par le garçon et, en sa présence, il lui semble qu'elle est privée de toute volonté. Cette fascination agace Banford qui, à son tour, irrite le garçon.

    Le sentiment d'irréalité qui envahit March dès qu'elle est avec Henry est complexe et indicible mais, sans équivoque, est lié au regard d'un animal : un renard qui emporte régulièrement les poules des deux jeunes femmes, sans qu'elles puissent jamais le tuer : un véritable "démon" qui, un jour, a croisé le regard de March et l'a ensorcelée ; comme si ce regard "avait pénétré dans son cerveau (...) Elle le sentait, invisible, prendre possession de son esprit." ; l'animal incarne ici la puissance rusée du mâle à l'affût, ne se laissant jamais prendre aux pièges tendus par la femme... Doris Lessing, qui signe l'avant-propos de ce court roman typiquement lawrencien, dit elle aussi avoir été "séduite" par le pouvoir d'évocation de l'écrivain, dès ses premières lectures, mais explique aussi qu'elle "a résisté au message de l'homme." Il est vrai que la plupart des écrits de D.H. Lawrence contiennent la même quête de domination masculine prononcée. Banford et March veulent leur indépendance mais leur ferme périclite et l'arrivée du jeune homme impudent, qui s'est glissé chez elles à la manière furtive d'un animal, est en quelque sorte l'incarnation de tout ce à quoi les jeunes femmes refusent habituellement de se plier.

    Ce texte est imprégné d'une sourde tension, toute nouvelle pour l'époque, mais récurrente dans l'oeuvre de l'écrivain : entre un féminisme naissant qui ne se formule pas encore ouvertement et le désir instinctif de possession des hommes, désir qui pousse Henry à vouloir une femme totalement passive, privée de toute volonté ; March le sent et n'est pas heureuse tandis que Henry "attend qu'elle se rende", qu'elle ne soit "plus l'homme, une femme indépendante avec des responsabilités d'homme" mais une simple femme. Cette vision phallocentrique du monde est pourtant contrebalancée par une écriture minutieuse et poétique, une atmosphère parfois quasi irréelle et une sensibilité exacerbée que reflète la complexité psychologique des personnages, en particulier celle des femmes, et qui fascine encore aujourd'hui.

    (B. Longre)

    http://www.hesperuspress.com

    Sans rapport avec DH Lawrence (ou à peine...), on pourra admirer quelques goupils de ce côté.

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  • Vivre avec les loups…

    dhearst3.jpgLes Chroniques du Loup, tome 1, la promesse des Loups, de Dorothy Hearst
    traduit de l’anglais par Marina Boraso - Albin Michel, 2008

     

    « Ne jamais se mêler aux humains.
    Ne jamais tuer un humain sans provocation.
    Ne jamais laisser en vie un loup de sang mêlé... »

     

    Telles sont les trois règles qui régissent les meutes de la Grande Vallée. Aussi, le jour où Ruuqo, chef de meute, égorge les frères et les sœurs de la jeune Kaala et bannit sa mère qui a enfreint la loi en choisissant un mâle extérieur à la vallée, la petite louve épargnée se voit traitée en étrangère par la plupart de ses compagnons. Elle s’adapte malgré tout à la vie collective et se fait des amis, dont Ázzuen, louveteau malingre mais futé, et Tlitoo, un corbeau qui veille sur elle.

    Cette saga préhistorique qui se déroule il y a 14 000 ans, quelque part dans le sud de l’Europe, est un beau roman des origines qui mêle mythologie, onirisme, fable politique et morale (les femelles, progressistes, s’opposent souvent aux mâles – réactionnaires, figés par la loi), pragmatisme de la survie et spiritualité, et met en scène des loups qui, tout en se comportant en animaux (instinct, sauvagerie, sens aiguisés, rivalités et hiérarchie de la meute, etc.) n’en possèdent pas moins des capacités intellectuelles et une émotivité propres aux humains. L’illusion fonctionne dès les premières pages : nous sommes face à de vrais personnages, pour lesquels on éprouve les mêmes inquiétudes que pour les humains qui apparaissent de temps à autre, et dont l’histoire est peu à peu indissociable de celle des loups ; une façon d’inviter le lecteur humain à remettre en question son statut omnipotent, à s’interroger sur sa propre animalité et à analyser, en filigrane, ce qui régit les comportements sociaux.

    De même, on a affaire à un récit qui s’inscrit dans la grande tradition des roman d’apprentissage à rebondissements (on repense évidemment aux Chroniques des Temps Obscurs de Michelle Paver) et qui propose une héroïne à l’identité forte ; Kaala, impulsive et téméraire, paria dans la meute, ainsi destinée à mener une existence hors du commun, retient d'emblée notre attention et l’on partage avec plaisir et curiosité sa vie au quotidien, tandis que l’intrigue ne cesse de progresser et de se complexifier : l’auteure propose une vision originale de l’évolution de l’humanité, entre mythologie et théories scientifiques : naissance de la terre, des astres, des créatures vivantes, disparition des dinosaures, appropriation du feu par l’homme, période glaciaire, disparition de Néandertal, etc.  Une reconstruction qui fait sens et s’emboîte harmonieusement dans le récit cadre.

     

    dhearst1.jpgC’est en littérature jeunesse que le procédé anthropomorphique est le plus souvent exploité et, à la lecture, on se dit que plusieurs passages aurait pu avoir leur place dans un roman jeunesse accessible dès 13 ou 14 ans, tout en ayant conscience que les différents niveaux de lecture et l’admirable inventivité de cette vaste fresque, dont les intrigues croisées n’ont rien d’infantiles, satisfont durablement le lecteur adulte. Un livre pour tous, donc, à découvrir au plus vite.

     

    http://www.les-chroniques-du-loup.com/

     

    http://www.albin-michel.fr/

     

    http://www.dorothyhearst.com/

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  • Poésie du quotidien, beauté des choses

    izumi3.jpgLa femme ailée, IZUMI Kyôka
    récits traduits du Japonais par Dominique Danesin-Komiyama
    (Titres originaux : Kechô ; Sanjakkaku) - Philippe Picquier, 2003

     

    IZUMI Kyôka (1873-1939) est né quelques années après le début de l'ère Meiji, un temps de bouleversements sociaux, politiques et culturels qui marque l'entrée du Japon dans la "modernité" ; véritable passionné de littérature, il ira jusqu'à quitter sa ville natale, Kanazawa, pour Tôkyô, afin de rencontrer Ozaki Kôyo, qu'il admire — ce dernier l'emploie alors comme portier, lui fournissant dans le même temps une aide précieuse dans l'apprentissage du "métier" d'écrivain.
    De prime abord, les deux récits (ou longues nouvelles ?) que comporte ce recueil, La femme ailée et Le camphrier (parus respectivement en 1897 et en 1899) ne se ressemblent pas ; mais on y retrouve en filigrane le thème de l'attachement filial, l’intérêt de l'auteur pour les petites gens et le souci constant de décrire la nature environnante (dénaturée ou non) le mieux possible, comme pour nous faire partager un peu de sa beauté poétique, tout en l'opposant subtilement aux mutations que les hommes lui imposent.

     

    Dans La femme ailée, le narrateur déplie soigneusement quelques souvenirs d'enfance et pose un regard profondément nostalgique sur l'existence qu'il menait alors, une vie simple et pourtant comblée de petits bonheurs, de drôles de contrariétés et de grands questionnements. L'on se doute que le narrateur a grandi, mais le récit conserve la fraîcheur et la spontanéité que l'on attend d'un enfant et l'histoire, ou plutôt les historiettes, avancent comme par à-coups, une idée en entraînant une autre, sans suivre un ordre déterminé : déconstruction chronologique voulue par l'auteur, qui tente ici de reproduire le chaos d'une mémoire au travail et de sentiments qui ressurgissent brièvement : d'abord l’amour profond éprouvé pour sa mère, qui l'élève seule, dans une petite maison (une "boîte") au pied d'un pont ; c'est elle qui a en charge de récolter le péage du pont, leur seul moyen de subsistance. Leur isolement social relatif favorise la symbiose mère-fils qui transparaît dès les premières réminiscences et sur laquelle s'achèvera le récit — un dénouement qui dégage une indicible mélancolie. Puis vient l’incompréhension de l’enfant face à l'aversion que semble éprouver la maîtresse d'école pour ce jeune garçon qui ose lui tenir tête et la contredire ; avec une candeur touchante, il raconte à sa mère comment ses remarques ont pu irriter cette femme arrogante, sans poésie et sans humour, et perturber la leçon : "L'être humain est une créature remarquable, bien au-dessus des arbres ou des plantes, ça, tu peux le comprendre, tout de même ?" lui dit la maîtresse. "Je ne comprenais pas. Non, penser ainsi, je ne le pouvais pas (...) J'ai dit à la maîtresse : "Mais, maîtresse, les fleurs sont plus jolies que vous !"

     

    L'enfant, partagé entre les vérités de sa mère et celles que l'école tente de lui inculquer, vit un vrai dilemme, sans parvenir à réconcilier deux visions diamétralement opposées du vivant. Une façon pour l'auteur de transmettre quelques-unes de ses conceptions éthiques : "Que nous soyons hommes, chats, chiens, ours, c'est pareil, nous sommes tous des êtres vivants", s'opposant ainsi aux maîtresses d'école qui aimeraient faire passer l'homme devant les autres créatures... On trouvera beaucoup d'autres choses dans ce petit récit, des facéties d'un vieux singe aux descriptions hautement burlesques des passants qui empruntent le petit pont, que l'enfant compare à divers animaux ; de même, le titre de la nouvelle sera élucidé, du moins en partie... Car ce texte, tout comme Le camphrier, recèle aussi sa part d'obscurité, de non-dit et de suspens, comme si l'auteur souhaitait ne pas tout dévoiler, par pudeur mais aussi par souci poétique, laissant ainsi au lecteur le soin de prolonger la rêverie.

     

    Si La femme ailée se présente comme une série désordonnée de brèves (et belles) évocations contées à la première personne, il n'en va pas de même pour Le camphrier, qui déroule quelques heures de la vie d'un quartier de Tôkyô — un petit coin isolé qui conserve encore quelques particularités rurales, dans un monde, un paysage et une société en mutation. Le récit est centré autour de Yokichi, un jeune scieur, inquiet pour son père alité, qui refuse de manger du poisson et préfère se nourrir de tôfu, malgré sa faiblesse physique. On retrouve là une préoccupation de La femme ailée : le vieil homme considère qu'il ne peut infliger une quelconque souffrance à un être vivant, fût-ce un poisson ; des réflexions qui poussent le lecteur et les personnages à s'interroger sur la place de l'homme dans la nature. O Shina, l'épouse du marchand de tôfu, va jusqu'à se demander si une feuille d'arbre ne souffre pas elle aussi, tandis que Yokichi part scier l’énorme tronc d'un camphrier que l'on a fait venir des montagnes...

     

    izumi.jpgDans le même temps, les multiples allusions à la modernisation forcée du paysage en disent long sur les regrets et les pensées de l'écrivain : « là, s'étire en ligne droite un chemin grisâtre, au bord duquel sont plantés à l'infini des pylônes électriques considérablement inclinés, qui oscillent, tête ballante, vers l'avant ou vers l'arrière. (...) De fait, pylônes et fils électriques ne sont pas les seuls de travers : le ginkgo près du pont, les saules sur la rive, le bord du toit de la maison de tôfu (...) tout ce qu'on voit à l’entour est incliné. Tout penche. ». Là, ce ne sont plus les animaux à qui l'on prête des caractéristiques humaines (ou vice-versa) mais la nature ou les objets qui composent le paysage. Cette déstructuration topographique est renforcée par d'autres remarques et, plus loin, lors de cette même petite visite guidée, on nous décrit le paysage comme « mélancolique », « maussade » : le «progrès » ambiant, loin d'être le signe d'un renouveau, semble ici marquer la fin d'une époque, endeuillant un paysage qui perd de sa beauté, tout en devenant autre : « Chère terre vide et chimérique... Donnera-t-elle, malgré tout, naissance à quelque chose de beau ? » se lamente-t-on.

    Et cependant, ce récit bref et étonnant ne manque pas d'humour, en témoignent par exemple les politesses que Yokichi et O Shina s'échangent, comme un jeu, et qui contiennent leur part de suggestion érotique ; de même, la poésie du phrasé et des évocations est d'importance, ce que l'auteur réaffirme dans quelques paragraphes qui jouent le rôle de prologue, où il examine la fonction du chant du travailleur face aux rudesses de l’existence : « il se libère de sa fatigue et efface de son esprit toutes choses et pensées inutiles ou plutôt... Il cherche à se divertir de ses peines, à dissiper ses chagrins, à oublier l'amour, à boire ses larmes... » En ramenant ainsi le poétique dans le quotidien prosaïque des gens du peuple, IZUMI Kyôka réconcilie deux mondes et affirme ses penchants humanistes.

    Cet ouvrage très complet, outre les récits, comporte aussi une chronologie, une préface de Dominique Danesin-Komiyama, une liste de traductions et de nombreuses notes très utiles (expliquant le plus souvent quelques points de traductions délicats et des particularismes culturels) ; jusqu'à présent, IZUMI Kyôka a peu été traduit en français, si on observe le grand nombre de publications dont son œuvre fait l'objet en anglais (traductions, essais, biographie, colloques...) ; hormis Une femme fidèle et L’Histoire de Biwa (P.Picquier, 1998 et 2002), deux à trois nouvelles publiées dans des anthologies, et cet ouvrage, on connaît peu et mal ce contemporain d'Akutagawa, de Sôseki et d'Arishima, pour n'en citer que quelques-uns ; aussi, on regrette que d'autres textes (les « romans à idées » ou bien les œuvres fantastiques et gothiques) de ce grand auteur, désormais reconnu en tant que "classique", au Japon comme aux États-Unis, ne soient pas encore disponibles en français.

     

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Articles et livres à re-découvrir

    Je continue d'archiver sur Sitartmag (rythme très irrégulier...). L'occasion de reparler d'ouvrages passés inaperçus ou peut-être trop vite oubliés... en voici quelques-uns.

    canxue1.gifLa rue de la boue jaune
    de Can Xue

    traduit du chinois par Geneviève Imbot-Bichet, Introduction de Françoise Naour , Bleu de Chine, 2001

     

    Can Xue, considérée comme "la plus moderniste des écrivains chinoises contemporaines" a écrit La rue de la boue jaune en 1983 : un ouvrage atypique et extrême, qu'on aurait du mal à qualifier de roman, quoiqu'il en possède certaines caractéristiques. Publié en Chine en 1987, cette allégorie sauvage et semi-fantastique d'une Chine en pleine mutation capitaliste est terrifiante : la rue de la boue jaune est une rue introuvable, souvent invisible, peuplée d'environ six cents êtres qui composent un grouillant microcosme grotesque et mesquin. La plupart des habitants de cette rue maudite sont accablés de fatigue, affectés de tous les vices ou de tous les maux possibles, qui s'accumulent au fur et à mesure que l'on avance dans les descriptions : maladies de peau, intestinales et surtout, folie dévastatrice. Lire l'article

     

    alavi3.jpgDanse macabre
    Bozorg Alavi
    traduit du persan par Renaud Salins, L'Aube, 2004

     

    Bozorg Alavi, comme nombre de ses compatriotes iraniens, a préféré l'exil à la censure et à l'enfermement ; en 1953, l'écrivain part pour l'Allemagne, terre d'accueil où il s'éteindra quelque quarante années plus tard. C'est pourquoi les textes que contient ce recueil (les premiers à paraître en français) prennent des teintes occidentales tenaces et l'atmosphère parfois tchékhovienne qui s'en dégage y est tout à la fois étonnante et délicieuse. Lire l'article

     

     

    adaniashibli3.jpgReflets sur un mur blanc

    Adania Shibli

    traduit de l'arabe (Palestine) par S. Dujols, Actes Sud, 2004

     

    L'écriture de ce roman (qui se déroule en Palestine, mais qui semble comme hors du temps et de l'Histoire) repose sur une lecture intime et singulière du réel : une vision décomposée en infimes détails qui forment un réseau d'impressions visuelles, tactiles et sonores (taches de couleur, fissures, matières écaillées — un leitmotiv) où chaque sens joue un rôle bien défini. Des personnages anonymes, désignés par leur fonction sociale ou familiale, tissent un univers entropique qui enveloppe la jeune fille, pivot submergé de la narration : comme si cette dernière, impuissante, ne pouvait influer sur les événements et les êtres qui l'entourent et la malmènent, parfois involontairement. Lire l'article

     

     

    christophepaviot3.jpgMissiles. Et souvenirs cardiaques
    Christophe Paviot

    Le Serpent à Plumes, 2002

     

    Christophe Paviot a ajusté son tir à la perfection et en 18 nouvelles, il dynamite tabous et préjugés ; des récits qui flirtent avec un gore décapant, de petites plongées dans un univers inquiétant et paradoxalement très familier et qui oscillent entre horreur et burlesque. Chacune de ces nouvelles nous réserve une surprise explosive, à tendance macabre...
    Lire l'article

     

    Christophe Paviot est aussi l'auteur de Cassé (Kurt Cobain).

     

    rupertthomson1.gifThe Book of Revelation
    de Rupert Thomson -
    Bloomsbury, 2000

    Rupture - Stock, 2001
    traduit de l'anglais par Bernard Turle

     

    La ville d'Amsterdam ne cesse d'inspirer nombre de brillants auteurs, de Ian McEwan (Amsterdam) à John Irving (Une veuve de Papier), jusqu'à Rupert Thomson qui signe là son sixième roman. The Book of Revelation narre avec précision l'épopée identitaire et urbaine d'un homme dont on ne connaîtra jamais le nom. Mais ce que le narrateur révèle de lui-même est de loin plus essentiel qu'un simple prénom : cet homme, jeune danseur anglais, chorégraphe déjà talentueux, vit à Amsterdam depuis quelques années. Tout bascule le jour où il croise trois femmes en noir qui l'enlèvent puis le retiennent prisonnier, enchaîné, dix-huit jours durant, dans une pièce nue... Lire l'article

     Rupert Thomson est aussi l'auteur de Mort d’une tueuse.

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  • Etrange précisionnisme

    ogawa3.jpgL'annulaire, de Yoko Ogawa
    traduit du Japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
    (Titre original Kusuriyubi no hyohon, 1994)
    Actes Sud, 1999 Babel, 2005

     

    L'annulaire est un beau récit, étrange et déroutant, surprenant par sa brièveté et par sa sobriété de ton. On apprend peu de choses de la vie passée de la narratrice, une jeune fille candide et sans attaches. Employée dans une usine de boissons gazeuses, une machine lui arrache un morceau de chair à l'annulaire. Bouleversée par cette perte, elle part en ville et trouve un emploi dans un laboratoire très spécial. L'unique employé de l'immense bâtisse, monsieur Deshimaru, y rassemble des objets qui incarnent, pour les personnes qui les apportent, une souffrance, un souvenir... Ces objets subissent alors une transformation et deviennent des 'spécimens', entreposés à jamais dans ce lieu.

    Alors que la jeune secrétaire s'installe dans une routine en apparence apaisante, elle succombe peu à peu, fascinée, aux obsessions de son patron, et le récit devient celui d'une emprise. Ce qui semble lier les personnages est 'l'objet', quel qu’il soit, toujours décrit de façon minutieuse : les chaussures de la fille, la blouse de Deshimaru, les différents spécimens .. L'écriture, limpide, s'attache à désincarner ces objets, à leur donner une âme capable de dominer un être humain. L'auteur maîtrise parfaitement la tension croissante et, en dépit des signes avant-coureurs que le lecteur perçoit, la jeune fille est projetée dans un abîme fétichiste : la tragédie peut alors se rapprocher, implacable, inéluctable.

    (B.Longre)

     

    ogawa2.jpgL’œuvre complète de Yoko Ogawa paraît ce mois dans la collection Thesaurus des éditions Actes Sud : 1000 pages pour 18 textes qui couvrent dix ans d’écriture. Hormis L'annulaire, je recommande La Piscine, Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, ainsi que Les abeilles.

     

    http://www.actes-sud.fr/

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  • Un monstre très humain

    doppel1.jpgDoppelgänger de David Stahler Jr
    traduit de l’anglais par Luc Rigoureau - Tribal, Flammarion, 2008

     

    Roman s’inscrivant à la fois dans la veine fantastique et dans celle de la chronique adolescente, Doppelgänger décrit un univers réaliste, socialement et affectivement très vraisemblable, alors que le narrateur est par nature un non-humain : un jeune Doppelgänger privé de nom, « une créature primitive », un caméléon qui s’approprie pour un temps la vie d’un être humain qu’il a au préalable assassiné. Un monstre ? Le narrateur « se pose la question depuis que je suis en âge de réfléchir. Je n’ai toujours pas de réponse. Ma mère estimerait que non. D’après elle, notre race n’a rien à voir avec le bien et le mal - "ces sottes conventions humaines". » Cet être solitaire, pour lequel on éprouve très vite une forme de compassion qui s’apparente à celle qu’un Elephant Man peut susciter (comme tout être en marge, écartelé entre ses instincts et des sentiments qui ne sont habituellement pas encouragés par ceux de son espèce et qui s’efforce vainement de faire reconnaître son humanité), choisit d’endosser l’existence d’un jeune homme, Chris Parker, apparemment détestable, mais malgré tout humain.

     

    Avant de côtoyer la société humaine, le narrateur acceptait sa nature, se résignait à suivre ses pulsions brutales, puis il prend conscience que les humains sont eux aussi des êtres complexes, pouvant se montrer terriblement violents. Que ce soit Chris et ses amis, le père de Chris, ou les joueurs de football américain, tous portent en eux une part de monstruosité ; les figures féminines ne sont pas épargnées : la mère de Chris se résigne à cette violence, refusant d’affronter son époux qui bat leur fille de 10 ans, Echo. Aussi, peu à peu, le Doppelgänger n’est plus seulement le monstre (celui qui est « montré »), mais devient celui qui « montre » et se révolte.

     

    doppel2.jpgLe procédé est classique mais reste efficace : introduire dans un univers archi-connu (une famille en crise) un être étranger à ce monde, qui pourra observer avec un regard neuf les dysfonctionnements que plus personne n’est capable de discerner ; certains sentiments sont plus développés que d’autres : en particulier la notion de culpabilité, quand le Doppelgänger, hanté par les meurtres qu’il a commis, s’intéresse de plus près à Macbeth. On regrette une tendance à vouloir « moraliser » et/ou trop expliciter les choses (à travers le personnage du professeur de littérature, par exemple, qui n’étudie pas Shakespeare pour sa poétique ou son art dramaturgique, préférant « psychologiser » les motivations de personnages qui sont d’abord des archétypes - une dérive didactique typiquement américaine) et quelques personnages secondaires qui manquent un peu de texture, mais le roman, hormis la quête identitaire qu’il décrit, pose des questions morales intéressantes, sans manichéisme, et met à jour, à travers l’histoire d’un jeune homme que nul ne peut percer à jour (hormis celle dont il tombe amoureux), de nombreuses contradictions inhérentes à la condition humaine.

     

    (B. Longre, novembre 2008)

     

    L'éditeur

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  • Zaporoguons

    zapo.jpgUne nouvelle aventure éditoriale que l'on suivra de près : les éditions du Zaporogue, micro-structure d’inspiration libertaire, à but littéraire uniquement et non-lucratif. Leur fondateur, l’auteur Sébastien Doubinsky, entend publier des « textes de qualité qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux. (…) Ce que je veux, avec les Éditions du Zaporogue, c’est redonner une valeur symbolique (mais réelle) au travail d’écriture, sous quelque forme que ce soit.» Les textes sont téléchargeables et gratuits : « La gratuité ici n’est qu’un moyen, pas un but. », explique l’éditeur. « Si les écrivains pouvaient aujourd’hui réellement vivre de leur plume et être sûrs d’une véritable reconnaissance, cette structure n’aurait pas lieu d’être. » L’objectif : faire découvrir des textes et des auteurs, tout en espérant qu’ils « trouvent leur place chez un « véritable » éditeur. »

    http://www.myspace.com/zaporogue



    Ouvrages publiés :

    Happiness is a rumour, poésie, Ole Wesenberg Nielsen.

    The first collection of the Danish post-Beat poet Ole Wesenberg, a mystical-punk assemblage of daily reflections and lyrical visions, laced with psychedelic-fueled humor...

    The Source

    Wisdom is growing
    in my brain
    just add water



    Notes brouillées/Eros et compagnie, poésie, Lionel Osztean.

    Villon, Jarry, Carco, Verlaine, Apollinaire, Cendrars pas morts! Au contraire, ils sont bien vivants dans les poèmes de Lionel Osztean, qui sait à merveille manier la rime et la ritournelle. Tour à tour charmant et provocateur, tendre ou pornographe, Osztean fait redécouvrir le plaisir de la poésie, la vraie, celle qui sait parler aux sens autant qu'à la cervelle...

    Gabegies, théâtre, Jean-Francois Mariotti.

    GABEGIE: 3 jours d'écriture, 5 jours de répétitions, une représentation unique : Gabegie, Thermomètre Théâtral, prend la température de l'actualité". C'est ainsi que Jean-Francois Mariotti présente son théâtre à flux tendu, véritable charge au Napalm contre l'hypocrisie quotidienne. Trois pièces dans ce recueil, trois bocaux de nitroglycérine prêts a être secoués vigoureusement. Et vous avec.

    En préparation :

    Dimanche jour de marché où les femmes vont seules, roman, Thibault de Viviès.

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  • Yokô l'insoumise

    yoko.jpgLes jours de Yokô d'Arishima Takeo, roman traduit du Japonais par M. Yoshitomi et Albert Maybon (Flammarion, 1926 - Philippe Picquier, Titre original : Aru Onna, 1919)

    Arishima, auteur tourmenté (il se suicida en 1923 avec sa maîtresse) et avant-gardiste, écrivit ce roman en deux temps : une première version entre 1911 et 1913, révisée en 1919, la censure ayant parfois obligé l'écrivain à en ôter quelques passages jugés trop osés à l'époque.

    Il est vrai que l'existence de Yokô est atypique, et elle en revendique la marginalité tout en souffrant d'être tantôt admirée, tantôt mise au ban de la société. Femme fatale et insoumise, elle ne parvient pas à se faire accepter dans un milieu compassé, aux valeurs morales qu'elle juge archaïques, étouffantes, qui rangent la femme dans la catégorie des êtres inférieurs. La fougue de son tempérament est incompatible avec cette rigueur et ces contradictions la poussent à des accès d'angoisse, la laissant toujours au bord du gouffre.
    Ses aventures et les rebondissements variés ne sont pas sans rappeler la Moll Flanders de Defoe (mais dans un tout autre registre) : Yokô, après un mariage secret mais décevant avec Kibe (union qui lui donne néanmoins une fille qu'elle abandonne plus ou moins), ne peut rester au Japon et, confiant ses deux jeunes soeurs à des parents, part aux Etats-Unis rejoindre un fiancé qu'elle n'aime pas. Sur le paquebot, le lieu où se déroule la majeure partie du roman, elle se sent irrésistiblement attirée par le commissaire de bord, Sankichi Kurachi.
    Tout en déplorant le fait que les femmes doivent subir leur sort tout en développant des idées sur la libération de la femme, l'auteur paraît bien en avance sur son temps et, dans de multiples descriptions maritimes nimbées de poésie, il construit un parallèle entre les mouvements des vagues et les sentiments de son héroïne, caractérisés par leur versatilité.
    Ce roman, tenu comme l'un des meilleurs d'Arishima Takeo, est d'une richesse audacieuse ; à travers l'existence de cette femme, l'auteur ne cesse de s’interroger et de développer plusieurs thèmes : l'amour romanesque et le plaisir charnel, les relations entre hommes et femmes, la passion et la mort, l'Orient et l'Occident, et les tourments imposés aux femmes par la société japonaise. La profondeur des sentiments est d'une authenticité et d'une spontanéité rares et nombreux sont ceux qui ont comparé l'auteur à Flaubert, au vu de l'intimité qui a pu exister entre ces écrivains et leurs héroïnes.

    (B. Longre)

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  • Fièvre d’écrire

    katai.jpgFuton de Kataï, récits traduits du Japonais par Amina Okada, Le Serpent à plumes.

     

    A la fin du XIXème siècle, Kataï découvre la littérature occidentale et se sent "brûler de la fièvre d'écrire". Les œuvres de Maupassant, tout particulièrement, influencent le jeune auteur, qui y découvre la bestialité de l'homme et un registre : le naturalisme. Futon, écrit en 1907, relate une histoire inspirée par ce que vécut l'écrivain quelques années plus tôt, alors qu'il accueille chez lui une jeune provinciale fascinée par ses romans, qui souhaite devenir son élève. Ce récit intimiste narre dans le détail les tourments amoureux de Takénaka Toki.o, un professeur de littérature d'une trentaine d'années ; marié et père de trois enfants, irrésistiblement attiré par cette étudiante dont la jeunesse lui fait regretter la sienne, il tente de se raisonner, en vain, jusqu'au jour où la jeune fille, en élève obéissante, lui révèle son amour pour un autre, ce qui fait naître en lui une terrible jalousie.
    A travers ce roman à la troisième personne (mais tant centré sur Toki.o qu'on se surprend à entendre "je"), l'auteur parvient à mettre l'âme humaine à nu : rien n'est dissimulé, ni les pensées exaltées ou mesquines, ni le paternalisme abusif du personnage, ni son hypocrisie vis à vis de sa femme ou de la jeune fille, à qui il enseigne la littérature amoureuse occidentale (Tourgueniev) ou à laquelle il explique comment les jeunes filles modernes doivent profiter de leur liberté... A sa parution, Futon déclencha autant les louanges que les critiques et le titre même du roman (mot désignant un élément de literie) fit scandale, par ses connotations érotiques. Mais un genre était né, qui allait influencer nombre d'auteurs.
    Les deux nouvelles qui accompagnent ce court roman mettent en valeur l'absurdité de la cruauté humaine. Le soldat, aux résonnances antimilitaristes surprenantes pour l'époque, relate la marche fatale d'un fantassin durant la guerre russo-japonaise en Mandchourie (Kataï lui-même avait servi sur le front) et sa lente agonie. Une botte d'oignons est là encore le récit d'une agonie : celle d'O-Saku, jeune paysanne dont l'existence n'est qu'une suite de malheurs et de labeur ; trompée et ignorée de tous, son désespoir la conduit à commettre un acte terrible, innommable. C'est dans cette nouvelle que ressort particulièrement la veine naturaliste et l'influence de Maupassant, l'auteur s'efforçant de demeurer objectif et de décrire, dans un souci de vérité, la réalité crue du monde, sans chercher à le poétiser ou à entrer dans les pensées du personnage : aucune trace d'introspection dans Une botte d'oignons pourtant tout aussi intense que Futon.

    (B. Longre)

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  • Lugubre célébration

    hontes3.jpgHontes
    Confessions impudiques mises en scène par les auteurs
    anthologie composée par Robin Robertson, traduction de Catherine Richard - Ed. Joëlle Losfeld

    Où l'on découvre que les écrivains sont parfois des êtres humains ...

    Robin Robertson, poète écossais, a convaincu plusieurs dizaines d'écrivains anglophones d'avouer sur le papier quelques-uns des épisodes les plus humiliants de leur carrière… Ces confessions sont réunies dans un ouvrage atypique où l’on découvre que des auteurs en majorité célèbres ont tous connu (et connaîtront certainement à nouveau) des moments bien pénibles à vivre ; on compatit, certes (dans la majorité des cas, personne n’aimerait se retrouver à leur place…) mais on ne peut s’empêcher de se réjouir de ces mésaventures parfois douloureuses, en prenant conscience qu’après tout, la gloire littéraire est tout aussi éphémère que d’autres formes d’hommages. La force de l’ouvrage tient principalement au fait que c’est justement ce fantasme de l’écrivain intouchable qui, du début à la fin, est mis à mal, ce « culte de l’intellectuel littéraire » qui fait tant horreur à Louis de Bernières (en particulier en France, où il « atteint des sommets délirants ») ; cet individu imaginaire, à jamais enfermé dans un monde parallèle qui ne serait pas celui du commun des mortels, n’existe pas ; si ce n’est déjà fait, cette anthologie est là pour le prouver.

    Il est bien évidemment impossible de résumer ici toutes les croustillantes déconvenues qui constituent ce recueil – narrées avec une bonne dose d'humilité – mais on peut s’arrêter sur quelques-uns de ces éprouvants incidents de parcours que les victimes regardent, a posteriori, avec humour. La plupart de ces épisodes s’inscrivent dans un contexte littéraire – lors de rencontres avec le public (parfois si clairsemé que ç’en est déjà une humiliation en soi), de salons, de tournées promotionnelles ou des éternelles séances de signatures (souvent un véritable pensum pour les écrivains, qu’on se le dise…). Ainsi, Margaret Atwood se souvient entre autres de sa toute première séance de dédicace, dans un grand magasin, quand on l’installe « dans le rayon des chaussettes et sous-vêtements pour homme », entourée d’une pile de son roman La femme comestible ; et de conclure, « Ce jour-là, j’ai vendu deux livres. » Rien à voir avec Chuck Palahniuk, qui raconte comment certaines séances se transforment presque en émeutes, tandis que Jonathan Coe évoque plusieurs souvenirs humiliants qui l’ont amené à « forger la même résolution (…) : ne plus aller me fourrer dans ce genre d’événements. Rester à la maison, assis à mon bureau, comme sont censés le faire les vrais écrivains. » - et pourtant, il continue. D’autres anecdotes à recommander : celle du poète Matthew Sweeney qui perd une dent en public, la bourde de jeunesse racontée par André Brink, la cuite d’Irvine Welsh, l’amusante erreur du poète Andrew Motion ou le cauchemardesque salon du livre de Bordeaux, tel que Paul Bailey l’a vécu…

    On rit aussi beaucoup du texte concocté par Simon Armitage, poète et romancier, qui a l’habitude de sillonner les routes et qui a choisi de proposer un « medley » de ses pires moments… Une synthèse hilarante et fantaisiste, où tout est pourtant vraisemblable, et qui se rapproche de nombreuses autres expériences d’auteurs invités çà et là à venir lire des extraits de leurs écrits. Des expériences mortifiantes, dégrisantes, qui font de cet ouvrage une somme chaleureuse de moments de bravoure uniques en leur genre, incitant pourtant à souscrire au point de vue d’A.L. Kennedy (« Les rassemblements littéraires sont à éviter »). Seul regret, que les auteures soient sous-représentées (une petite dizaine seulement) ; mais ceci n’est pas dû à l’anthologiste, ainsi qu’il s’en explique en postface ; d'après lui, «le mâle de l’espèce humaine est plus enclin à l’indignité »…

    (B. Longre)

    http://www.gallimard.fr/collections/losfeld.htm

    http://www.contemporarywriters.com/authors/

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  • Fast speaking woman

    waldman.jpgI’m a bird woman

    I’m a book woman

    I’m a devilish clown woman

    I’m a holy-clown woman

    I’m a whirling-dervish woman

    I’m a playful-light woman

    I’m a tidal-pool woman

    I’m a fast speaking woman

     (…)

    I’m the camouflaged woman

    I’m the assuaged woman

    I’m the ravenous woman

    I’m the Kali Yuga woman

    high-pitched woman

    not a trifling woman

    hissing woman

     

    I’m the woman with the guns

    I’m the woman with tomes

    I’m the book woman

    I’m the stolen book woman.

     

    Anne Waldman, Fast speaking woman
    Bilingue, anglais-français, Traductions de Marianne Costa, Pierre Guéry, Frédérique Longrée et Olivier Dombret.
    Editions Maelstrom, 2008

     

    Première édition en français de textes de la poétesse américaine Anne Waldman.
     

    http://www.maelstromeditions.com/

     

    http://www.electriques.ca/filles/artistes.f/w/waldman_an.php

     

    http://www.poetspath.com/waldman.html

     

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  • Cruelles amours

    mats.jpgNatural woman de Rieko Matsuura, traduit du Japonais par Karine Chesneau, Philippe Picquier.

     

    Yôko remonte le temps et se souvient avec lucidité de ses amours passées : à contre-courant donc, trois liaisons sont racontées, décortiquées, analysées ; des aventures singulières, non pas tant parce que Yôko aime les femmes, mais surtout par leur caractère sadomasochiste avoué, en particulier avec Hanayo qui, comme la narratrice, est dessinatrice de mangas et avec laquelle elle entretient des rapports amoureux et érotiques hors-normes, passionnés et destructeurs. Cette première expérience de l'amour semble alors dicter à Yôko son comportement avec ses autres partenaires.
    Dans une langue crue et limpide, l'auteur fait évoluer une jeune femme libérée (nulle référence à la famille ou à des traditions surannées) dont l'indépendance n'est en réalité qu'une façade, tant elle est soumise à ses désirs charnels et à la complexité de ses rapports avec ses amies. Ses relations avec Yukiko, sa dernière amante en date, ressemblent à s'y méprendre à celles qu'elle entretenait avec Hanayo, excepté que tout sentiment en est ici absent. Seule Yuriko la trouble véritablement : si pure et inaccessible que Yôko refuse de penser à elle comme à une éventuelle compagne de jeux érotiques. En dépit du nombrilisme omniprésent et de l'incapacité de la protagoniste à trouver une voie vers une relation amoureuse stable, on se prend au jeu, à suivre les méandres du cœur et du corps de Yôko et ses souvenirs agrémentés de nombreux détails élevés au rang de symboles. Soit, l'auteur se démarque surtout par l'aspect provocateur des thèmes qu'elle aborde, mais on admire la vivacité de sa réflexion sur la souffrance et la cruauté que l'amour est susceptible engendrer.

    (B. Longre)

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Epopée au féminin.

    foretelling2.jpgThe Foretelling / la Prédiction d’Alice Hoffman
    Traduit de l’anglais par Catherine Gibert
    Egmont / Gallimard Jeunesse, Scripto

    Dans une langue à la fois âpre et littérale, pourtant nimbée de poésie et ponctuée de passages qui résonnent comme d’anciennes litanies, La prédiction met en scène un peuple nomade de femmes guerrières du Prénéolithique, qui n’est pas sans rappeler, par leur farouche indépendance et leur méfiance haineuse envers le genre masculin, celui qu’a recréé David Haziot dans Elles – roman épique évoquant la chute du matriarcat et le long apprentissage du vivre-ensemble (Autrement Littératures).

    L’héroïne est ici une jeune fille, Rain ( « Pluie », tout simplement, dans la traduction française), rejetée par sa mère, la reine, depuis l’enfance. Mais d’autres membres de la tribu ont pris soin d’elle, des femmes maternelles ou versées dans le maniement des armes ; surtout, la jeune fille a pu apprendre à monter à cheval, l’unique moyen de combattre et de vaincre les tribus masculines et barbares dont les incursions sont récurrentes sur le territoire des femmes.
    Mais Rain, devenue habile cavalière, se sent différente de ses compagnes et sa quête identitaire traverse ce magnifique récit à la première personne ; son esprit s'absorbe dans d'insolubles questions qu'elle résoudra peu à peu : sa mère, si froide et distante, la destine-t-elle à devenir reine à son tour ? Veut-elle vraiment de cette fonction ? Comment ne pas faiblir à la bataille, quand l’odeur du sang lui répugne ? La pitié qu’elle éprouve parfois, un sentiment pourtant banni par son peuple, est-elle une tare ? Et que penser de cette prophétie que lui révèle la prêtresse et de ce cheval noir dont elle rêve chaque nuit ?

    foretelling3.jpgÀ la recherche de sa vraie nature, confrontée à des choix douloureux, elle découvrira qu’il est possible de vivre autrement, que d’autres désirs l’attendent, qu’il n’est pas toujours nécessaire d’avoir recours aux armes pour se défendre ou conquérir sa liberté, et que l’on peut parfois faire confiance à certains hommes – en qui ses sœurs amazones ne voient que des étalons dont la semence leur permettra d’engendrer d’autres filles… mais surtout pas de garçons, sacrifiés à la naissance ou confiés à d’autres tribus.

    Récit abrupt et sauvage, à l’image de l’univers hostile mais hautement vraisemblable réinventé par Alice Hoffman, La Prédiction est une aventure palpitante, une fable dont la morale est transposable à toute époque, mais aussi un roman d’apprentissage qui emprunte d’inattendus chemins de traverse et dont on sort bouleversé. Impossible de s’extraire du récit de Rain, qui happe le lecteur dès les premières lignes. Il est des romans publiés dans des collections «jeunesse » ou « ado » qui transcendent habilement les étiquettes et La prédiction en fait indubitablement partie.

    (B. Longre)

    http://www.egmont.co.uk/

    http://www.alicehoffman.com/index.html

    http://www.gallimard-jeunesse.fr/

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  • AKUTAGAWA le conteur.

    aku.jpgLa Magicienne d’AKUTAGAWA Ryûnosuke, nouvelles traduites du Japonais par Elizabeth Suetsugu - Philippe Picquier

     

    Ce recueil de nouvelles plonge le lecteur dans un Japon attaché à ses valeurs ancestrales et, à la fois, très occidentalisé, trois des nouvelles appartenant au cycle dit "kaika mono" ("histoires du temps de la modernisation") : Les Poupées (1923), à travers l'histoire d'une famille bourgeoise désargentée forcée de se séparer de ses poupées traditionnelles, évoque le décalage douloureux entre modernité et système ancien, ainsi que les souffrances qui en résultent ; Un crime moderne (1918) et Un mari moderne (1919) présentent des personnages masculins qui tentent de concilier modernisme des idées (le mariage d'amour par exemple) et valeurs anciennes, sans forcément parvenir à un équilibre.

    Dans un autre registre, La Magicienne (1919) conte l'histoire d'amour teintée de tragique d'un jeune homme et de sa servante, tous deux aux prises avec une sorcière maléfique et puissante ; l'irruption du fantastique et de la magie dans un Tokyo moderne paraît familière au lecteur occidental qui ne peut s'empêcher de penser à Kafka ou Maupassant. Et l'auteur de souligner cette idée en disant : "Eh bien, à une pareille époque, dans un coin de cette grande cité, il s'est passé une étrange affaire, comme on peut en trouver dans les histoires de Poe ou les contes d'Hoffmann." La dernière nouvelle, Automne (1920), est mélancolique à souhait, tant par les évocations poétiques qu'elle renferme que par le sacrifice amoureux de Nobuko, jeune femme sensible et lettrée. Les allusions à la condition des femmes y sont subtiles mais non moins fortes pour l'époque. L'auteur, excepté dans le dernier texte, se met d'abord en scène, puis semble s'effacer derrière les récits des personnages (attachants en dépit ou à cause de leurs faiblesses), et dans un souci de vraisemblance, annonce ensuite qu'il retranscrit fidèlement les événements, tels qu'ils lui ont été racontés. Un procédé littéraire classique, mais efficace ; le déroulement des intrigues est solide, l'écriture fluide, de sorte que le suspense s'installe aisément. L'auteur, qui a donné son nom à l'un des prix littéraires les plus fameux dans son pays, est un formidable conteur, dont on peut aussi lire, entre autres, Rashômon et autres contes (Folio),

    (B. Longre)

     

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  • L'Europe autrement

    mafemme.jpgDans le cadre de la Saison culturelle européenne (juillet – décembre 2008), les éditions Théâtrales et Culturesfrance coéditent une collection intitulée "Traits d'union", regroupant 27 pièces inédites, une pour chacun des pays européens, de l'Allemagne à la Suède.

    J'ai prévu d'en découvrir quelques-unes, dont un texte "coup de poing" selon l'éditeur, Débris, de Dennis Kelly, traduit de l'anglais par Philippe Le Moine et Pauline Sales, et une pièce portuguaise : Ma femme de José Maria Vieira Mendes (traduit par Olinda Gil).

    Pour découvrir les 27 textes en question et les manifestations qui entourent les parutions :

    www.editionstheatrales.fr/traitsdunion

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  • Petit manuel de (sur)vie, de A à Z

    boya3.jpgJeux d'enfants de Jonathan Trigell
    (traduit de l'anglais par Isabelle Maillet)
    Gallimard, Série Noire

    En 26 épisodes, de A à Z, Jonathan Trigell fait le récit des tribulations du "garçon A", relâché après plusieurs années de prison. Enfermé depuis l'enfance pour un crime que nous devinons abominable, il ne connaît rien du monde extérieur et, comble de l'ironie, c'est la police qui veille sur lui après sa libération : pour lui éviter d'être reconnu par la presse à scandales et d'être livré à la vindicte populaire, on lui fournit une nouvelle identité, un logement et un travail de livreur. Le "garçon A" (ainsi désigné lors de son jugement, pour le distinguer de son complice, le "garçon B") s'appelle maintenant Jack, et fait ses premiers pas en tant que citoyen libre à l'âge de 24 ans, en sachant que la moindre erreur lui vaudra d'être emprisonné à nouveau.

    Jack est inévitablement déstabilisé mais sa réinsertion semble d'abord bien se dérouler. Tony, un éducateur qui l'a pris sous son aile alors que Jack n'était qu'un enfant, s'est installé non loin de son protégé et le rencontre régulièrement : l'amitié qu'ils partagent s'est muée en une relation père-fils gratifiante pour Tony et salvatrice pour Jack. Sur son lieu de travail, le jeune homme est confronté à des expériences toutes neuves : l'amitié (son coéquipier, Chris, l'adopte rapidement et les autres employés ne tardent pas à le considérer comme un des leurs) et l'amour (lui qui n'a jamais connu de femmes auparavant). Bien sûr, personne, excepté Tony, ne connaît son passé et son histoire singulière, et le poids du mensonge et de ses fautes devient insupportable.

    boya4.jpgLe récit de cette réinsertion peu commune (Jack ne perd jamais de vue que les tabloïds sont à sa recherche) est palpitante, et narré de telle façon que ce n'est que progressivement que le lecteur est mis au fait du crime commis par Jack lorsqu'il n'était qu'un enfant. Ainsi, un chapitre sur deux est dédié au passé troublé du protagoniste : l'enfance d'un petit garçon maltraité par ses pairs, délaissé par ses parents, l'implacable système judiciaire (Jack, à quelques mois près, aurait pu être jugé comme un enfant...), le cynisme des psychologues chargés de le suivre (et, accessoirement, de le faire avouer un crime auquel il ne comprend rien), les épreuves infligées par l’univers carcéral... Tout est recensé, exploré, examiné à la loupe, avec compassion, certes, mais surtout avec un réalisme qui ne s’embarrasse pas de réponses toutes faites.

    Jonathan Trigell montre comment une victime peut devenir un coupable et réciproquement, comment les enfants peuvent recourir à des jeux cruels pour tromper leurs souffrances, et comment un petit garçon a pu devenir un "monstre", une erreur de la nature, et ainsi détruire la vision idyllique que la société a créé de ce temps de l'innocence. En filigrane, l’auteur accuse une société plus prompte à punir qu'à comprendre, où il est plus aisé de pointer du doigt que pardonner ou de remonter à la source d'un crime.

    Ce premier roman mérite des encouragements pour l'intensité des sentiments qu'il renferme et la profondeur de la réflexion engagée ; de même, la construction narrative, qui laisse planer l'ambiguïté — on ne cessera de se demander si Jack est capable d'assumer sa nouvelle existence et le flottement identitaire qui lui a été imposé — est habile, et brosse un portrait sans complaisance d'un jeune homme que sa vaillance ne suffira peut-être pas à sauver.

    B. Longre

    Le nouveau roman de l'auteur, Cham, a paru en anglais en juillet dernier.

    www.serpentstail.com

    www.gallimard.fr

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  • D'un langage à l'autre

    writers3.jpgWriters, de Nancy Crampton - préface de Mark Strand - The Quantuck Lane Press

    Des années durant, Nancy Crampton a photographié des écrivains (anglophones pour la plupart) et cet ouvrage retrace quasi chronologiquement les étapes de ce parcours, mû par une détermination sans failles ; l’artiste, aujourd’hui photographe officielle du Unterberg Poetry Center de New York, a capté en noir et blanc la surface de visages plus ou moins connus (selon le degré de médiatisation de chaque auteur et sa volonté de s’effacer ou non derrière ses écrits...) Plus d’une centaine de clichés grand format recouvrent les pages de droite tandis qu'en regard, figurent quelques écrits soigneusement sélectionnés par la photographe (extraits d’essais, de conférences, d'entretiens ou de réflexions personnelles de l’auteur photographié), qui permettent de confronter (souvent indirectement) le textuel au visuel, de donner une « image » - justement – textuelle de chacun, laissant sur la page une trace linguistique leur appartenant en propre, contrairement à leur portrait.

    Panorama éclectique, certes, mais que sous-tendent les fils conducteurs entrelacés de l’écriture et de la lecture (d’images ou de mots). Impossible de s’étendre ici sur chaque portrait, de les décrire tous, mais derrière les façades de ces visages et de ces regards, pour la plupart fixant sans détours l’objectif, on lit nécessairement autre chose, une substance qui émane en partie de ce que l’on sait (ou devine parfois implicitement) de la profondeur de leur travail. Le sourire presque gêné de Nelson Algren (qui raconte que devenir écrivain fut pour lui presque accidentel), celui plus chaleureux de Paul Theroux (dont il faut retenir l’humilité des propos : «Je suis l’ombre. Ma fiction est la substance.») ; la grâce naturelle et très posée d’Alice Walker, le regard profond, questionneur, de Doris Lessing, celui plus pensif et détaché de Jumpha Lahiri ; ailleurs, on découvre un John Cheever plongé dans ses pensées, comme en train d’échafauder sa prochaine histoire, la tranquille assurance de James Baldwin (pour qui la littérature, acte politique, peut changer le monde). Ian McEwan, Chinua Achebe, Robert Lowell, Gunter Grass, Truman Capote (figé pour l'éternité trois mois avant sa mort), Maya Angelou, Margaret Atwood, Philip Roth… romanciers, poètes, dramaturges se succèdent et chacun de revenir sur ses débuts, la genèse de son travail, son expérience de l’acte d’écriture, le processus de création (qui souvent précède l’écriture, comme l’explique très simplement Edward Albee), quelques anecdotes ou encore sa vision du monde, ses influences littéraires, le regard porté sur la fiction en général.

    Les portraits révèlent de nouvelles facette d'artistes appartenant à plusieurs générations (Nancy Crampton photographie depuis le début des années 1970), à différentes cultures, mais pourtant tous liés par leur langage commun, le littéraire, un et multiple, comme en témoignent explicitement les deux photographies choisies pour ouvrir l'ouvrage (le profil d'Isaac Bashevis Singer dans l'acte d'écrire) et le clore (douze clichés rectangulaires d'un Studs Terkel dans le feu de l'action, en train de raconter une histoire que l'on ne peut qu'imaginer). Il émane de cette rétrospective plurielle un classicisme certain, une formalité (celle du cadre, de la prise de vue et du noir et blanc) qui rejoint un désir évident de canonisation et d'historicité, sans pour autant que l'artiste ne cède à la tentation de la sophistication ou de l'artifice - peu ou pas de "mise en scène" ici ou de préméditation (ou alors volontairement déguisée) de la part de Nancy Crampton : les portraits, en grande majorité, ont été réalisés dans l'environnement immédiat des écrivains et très rarement en studio ; le parti pris du in situ confère à l'ensemble une spontanéité paradoxale, de même qu'une sérénité générale qui inspire ces mots au poète Mark Strand : "Nous regardons peut-être un visage photographié mais ce que nous ressentons, c'est la présence attentive de Crampton."

    B. Longre

    The Quantuck Lane Press (maison d'édition - spécialisée dans les beaux livres, la photographie, les arts visuels et les arts su spectacle - créée en 2000 par James L. Mairs, longtemps directeur littéraire chez Norton.)

    http://www.quantucklanepress.com/

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  • Désenchantements

    Déconstructions de Henry Parland, Traduit du suédois (Finlande) par Elena Balzamo - Belfond

     

    « Un roman
    qui ne s’achève jamais
    car l’amour du héros
    est sans espoir
    et l’héroïne
    sans objectif. »
    (H. Parland, Influenza)

     

     

    Aucun ouvrage d’Henry Parland n’avait jamais été publié en français avant celui-ci, et pour cause : Déconstructions est son unique roman, une œuvre posthume qu’il n’aura pas eu le temps de retravailler comme il l’aurait souhaité, la scarlatine l’ayant emporté à l’âge de vingt-deux ans, en 1930. Un roman, ainsi que l’explique la traductrice dans sa préface, dont l’édition la plus fidèle n’est parue que l’an passé en Finlande, après des décennies de remaniements « plus ou moins fantaisistes ».

     

    hparland3.jpgOn pense aussitôt à Raymond Radiguet, qui fut son contemporain, et dont l’œuvre resta inachevée quand lui aussi mourut prématurément, laissant derrière lui des écrits de «jeunesse» portant toutefois les signes d’une indéniable maturité intellectuelle et émotionnelle. Un constat similaire s’applique à Henry Parland, jeune homme polyglotte (né en Russie, d’une mère allemande, élevé en Finlande puis étudiant au lycée suédois, avant de partir pour la Lituanie), admirateur, entre autres, de Proust. L’on trouve en effet dans Déconstructions une pensée déjà élaborée, une écriture incisive et aboutie, un échafaudage narratif original et une vision de l’existence et de l’amour peu commune. Déconstructions est avant tout l’histoire d’une relation amoureuse, d’une attirance mutuelle et du gouffre d’incompréhension qui sépare Henry (l’alter ego de l’auteur, à la fois Parland et un autre) d’Amy, la jeune femme qui l’obsède et l’agace, qui l’indiffère ou le séduit : un attachement paradoxal qui provoque en lui des émois singuliers et dont il se souvient, un an après la mort d’Amy.

     

    Justement, la disparition d’Amy (morte jeune, elle préfigure avec ironie le décès imminent de Parland alors qu’il s’attelait à ce roman) rend cette dernière plus inaccessible encore ; Henry, jeune homme oisif mais, nécessité oblige, impliqué dans des affaires financières plus ou moins fructueuses, décide alors d’explorer ses souvenirs et les photographies qui lui restent pour recréer l’image de cette femme charmante et fantasque, tour à tour enjouée et mélancolique ; en un mot, indéfinissable. La méthode qu’adopte Henry consiste à « démolir » systématiquement l’image que ceux qui l’ont connue ont construite a posteriori, afin de redécouvrir l’essence même de la jeune femme : « je voudrais te revoir telle que tu étais et non pas telle que les gens t’ont faite depuis. » Déconstruire pour mieux reconstruire, telle est l’intention et la devise du protagoniste, dont le monde émotionnel se révèle complexe, fascinant et pétri de contradictions ; du vivant de la jeune femme, il n’a cessé de la rejeter puis de revenir à elle sans plus pouvoir s’en détacher, de s’irriter de sa présence ou de ses larmes, allant jusqu’à faire montre, inconsciemment, d’une cynique indifférence frisant la cruauté.

     

    Henry est avant tout un être passif, un observateur peu porté à agir, préférant tourner des idées dans sa tête, examiner chaque détail d’une situation ou d’une posture, emberlificoter les événements et les impressions et les rendre peut-être plus confus qu’ils ne le sont, comme si les sentiments éprouvés (de la joie à la jalousie, de l’amour à l’écoeurement) ne faisaient en définitive qu’accentuer sa difficulté à sortir d’une espèce de paralysie morbide. « Elle te rend fou », l’avertit son ami Gunnar, qui lui conseille d’en finir avec Amy. Mais un an après sa mort, il croit la retrouver par le biais de ses réminiscences et des photos qu’il développe lui-même : « le tirage sur papier donne le sentiment d’assister à un miracle. » ; c’est ainsi qu’il parvient à lui redonner vie et texture : « il y a, dans ce processus, quelque chose de la résurrection des morts. » ; un dialogue s’instaure entre eux, léger et presque amusant, mais qui bien vite s’éteint. Le caractère éphémère et fuyant du souvenir et la qualité du papier photographique rendraient-ils impossible toute reconstruction authentique ? Amy, en dépit des efforts littéraires de son ancien amoureux, serait-elle définitivement perdue ? Et surtout, ce qu’ils ont partagé était-il vraiment de l’amour, ou bien seulement la rencontre fortuite de deux solitudes qui ne se seraient jamais vraiment connues, une illusion romantique « douteuse » ? La perception du monde selon Henry Parland ne manque pas d’ironie, et le ton désabusé qu’il adopte (une façade ?) le sauve en partie d’une désespérance qui aurait pu l’attirer vers le nihilisme.

     

    On admire ici le modernisme de la construction et de la mise en abyme (Henry Parland, auteur, mettant en scène un personnage, Henry, écrivant un roman intitulé Déconstructions), le rythme narratif singulier, en apparence chaotique, les allées et venues entre le temps où Amy était encore en vie et le temps de l’écriture, le jeune Henry composant son roman en gardant à portée de main la photo qu’il a développée et qui se ternit au fil des heures, atténuant en définitive l’intérêt qu’Henry portait à cette femme. Car l’existence a ici un goût de défaite, comme si tout était joué avant même d’avoir été vécu et le désespoir lucide et détaché de ce jeune homme touche au vif, quand bien même ce désenchantement ne nierait pas les élans du cœur.

    La même attitude se dégage de la plupart de ses poèmes (un petit volume, Grimaces, traduit par Jacques Outin est inséré au roman) si plaisants à lire et qui dévoilent lumineusement les paradoxes irréconciliables qui hantaient l’auteur, à qui on laisse le mot de la fin :

     

    " Lorsque je pense à toi
    C’est sur une ligne droite
    Dont une extrémité
    Brûle en enfer
    Et l’autre
    Serpente, blanche flamme, vers le ciel,
    Mais son centre
    N’est que cendre de glace
    ."

     

    (B. Longre)

    http://www.belfond.fr/

     

     

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  • Naturalisme nippon

    kafu.jpgLe bambou nain de Kafû, roman traduit du Japonais par C. Cadou, Philippe Picquier (Titre original : Okame Zasa, 1918)

     

    Nagai Kafû, (mieux connu sous son prénom, Kafû), fortement influencé par les auteurs français (Zola, Maupassant ...) comme un grand nombre de ses compatriotes écrivains du début du XXe, est l'un des fondateurs du naturalisme à la japonaise. Dans ce roman, son expérience libertine lui sert de support pour décrire le monde des maisons de thé, des geishas, des artistes et des marchands d'art. On y suit avec amusement les pérégrinations d'un mauvais peintre, Uzaki Kyoseki, intendant subalterne et obséquieux d'un grand peintre, Uchiyama Kaiseki, et du fils de ce dernier, Kan, un garçon oisif, fauché et débauché. Entraîné malgré lui par ce fils de bonne famille, Uzaki tente en vain de le remettre sur le droit chemin, tout en tombant lui-même dans les bras des geishas et dans les pièges d'une vie de plaisirs.
    Satirique et rocambolesque, ce récit est aussi destiné à illustrer le déclin d'une époque : la beauté et les talents des geishas ne sont plus qu'un mythe et les descriptions des maisons de thé sont souvent sordides. Complétant le portrait de personnages libertins, une nouvelle bourgeoisie arriviste s'impose, dont la façade conventionnelle dissimule mal les scandales financiers ou sexuels. Aucun des personnages ne sort indemne ou ennobli de ce roman au dénouement tragi-comique.

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-picquier.fr/

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  • Ce que je lis...

    incardona.jpgHormis quelques manuscrits en cours de lecture, je tâche d'avancer (lentement, il faut l'avouer) dans des ouvrages pour la plupart bien entamés ou sur le point d'être achevés (soyons optimiste...). Voici donc, très vite et en vrac...

    Remington, roman de Joseph Incardona (Fayard noir), dont j'aime beaucoup le ton désenchanté, et dont le titre fait référence à l'outil de travail du narrateur...

    Plus sombre encore, dans une autre collection "noire" : Vendeur de cauchemars d'André Benchetrit (DoAdo... noir, Le Rouergue), qui oscille entre réalité et fantastique.

    Dans un tout autre genre, j'apprécie le style fluide et la narration déstructurée de Fenêtre sur l'abîme de Sumana Sinha, qui signe là son premier roman (Editions de la différence). Myriam présente l'auteure ici .

    Du côté des essais, hormis celui-ci, je me suis intéressée à un ouvrage que les éditions Métailié remettent en vente : Signes d'identité, Tatouages, Piercings et autres marques corporelles de David Le Breton, dans la collection Traversées - l'occasion de me plonger dans une étude passionnante, où l'auteur analyse et commente, sans porter aucun jugement moral (ce qui, entre nous, change un peu).

    krav.jpgDe même, un autre ouvrage mérite un (large) détour : Portraits du jour de Marc Kravetz (Editions du Sonneur), dans lequel l'auteur a posé par écrit 150 de ses chroniques radiophoniques pour France-Culture. Pour faire le tour du monde (plusieurs fois de suite) en restant chez soi et profiter de l'érudition d'un grand reporter.

     

    Justeunefinweb-medium;brt:39.jpgJe ne me risque pas à énumérer les nombreux albums jeunesse lus ces temps, ni même les ouvrages en souffrance ou qui attendent d'être chroniqués, néanmoins, je recommande un livre important, dont je parlerai prochainement : un récit publié aux éditions L'escampette et signé Jacqueline Merville (l'auteure, entre autres, de Black Sunday), Juste une fin du monde, véritable "traversée de l'insensé", presque irracontable - alors qu'il faut bien trouver les mots pour en parler.

     

    49.jpgPour finir, je découvre aussi peu à peu les derniers numéros de la revue Lecture Jeune, qui traite de la lecture chez les adolescents et que publie l'association Lecture Jeunesse.
    Parmi eux, un numéro consacré au monde virtuel(n° 126, juin 2008), qui propose une réflexion sur la place des blogs dans le quotidien des jeunes, sur l'impact des pratiques virtuelles sur les adolescents, confrontés (comme nous tous, mais peut-être davantage encore) à une nouvelle forme de socialisation.

    Le tout dernier numéro (127) se penche sur le travail de l'auteure Valérie Dayre et propose toujours de nombreuses notes de lecture, portant sur des romans dont certains ont été évoqués sur ce blog.
    (On peut lire quelques articles en ligne une fois les revues archivées sur le site).

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  • "Délices diaboliques des plaisirs de la chair"

    edo.jpgLa Proie et l’ombre (Inju, la bête dans l’ombre), suivi de Le test Psychologique (nouvelle) d’EDOGAWA Ranpo, traduit du Japonais par Jean-Christian Bouvier - Philippe Picquier
    La chambre rouge d’EDOGAWA Ranpo, nouvelles traduites du Japonais par Jean-Christian Bouvier - Philippe Picquier

     

    La sortie en salles (le 3 septembre dernier) du film de Barbet Schroeder est l’occasion pour les éditions Picquier de rééditer un roman japonais célèbre, La Proie et l’ombre (rebaptisé Inju, la bête dans l’ombre), qui a inspiré l’adaptation cinématographique. Inju est signé Hirai Târo (1894-1965), plus connu sous son pseudonyme, Edogawa Ranpo (la transposition phonétique en japonais d'Edgar Allan Poe, pour qui l’auteur avait beaucoup d’admiration), qui est au Japon ce que W.W. Collins est à l'Angleterre ou ce que Gaston Leroux est à la France : l’un des fondateurs du roman policier d'investigation, teinté de fantastique ; un genre populaire, certes souvent dénigré par la critique, mais parfois susceptible de dépasser le simple stade du divertissement pour atteindre des profondeurs psychologiques insoupçonnées, même par le plus attentif des lecteurs. C'est le cas de ce court roman policier dans lequel l'auteur et le narrateur, lui-même auteur de romans policier, semblent ne faire qu’un… Le second s'improvise détective pour les longs cils de Shizuko Oyamada, que son ancien amant ne cesse de harceler par le biais de lettres cruelles, menaçant de tuer son mari – à qui elle n'a jamais confié son erreur de jeunesse.

    L'enquête qui suit est caractérisée par une atmosphère de plus en plus étouffante et par la finesse de l'analyse psychologique ; peu à peu, ce qui s’apparentait à un simple jeu (pour le lecteur comme pour l’enquêteur) et à une investigation classique se révèle être un abîme vertigineux, les hypothèses ne cessant de se succéder dans l'esprit du narrateur ; celui-ci, envoûté par l'implicite soumission sexuelle de sa cliente, plonge alors "dans les délices diaboliques des plaisirs de la chair". Dans son enquête, il se révèle plutôt fin limier, mais ne se départit jamais de son regard d’esthète, et réagit souvent à la manière d’un écrivain, de sorte que la frontière entre monde réel et univers fictionnel n'est jamais nette. Sans révéler la chute de cette aventure, on peut en tout cas dire qu’elle se termine davantage comme un roman tout court que comme un policier... À lire sans faute, le court récit sarcastique (Le test Psychologique) qui complète l'ouvrage et témoigne de l'intérêt de l'auteur pour la psychologie.

    edo2.jpgEdogawa Ranpo est aussi l’auteur de La Chambre rouge, un recueil de nouvelles fantastiques rondement ficelées et élégamment menées. Dans quatre d'entre elles, l'intrigue s'élabore autour d'une supercherie qui mise autant sur la psychologie des personnages que sur celle du lecteur. En dépit de l'atmosphère sinistrement pesante qui imprègne tout le recueil, l'aspect "farce" prédomine, chaque dénouement rendant la tragédie caduque. Seul La Chenille, texte fascinant qui narre l'atroce existence d'une créature difforme, mutilée, en proie aux pulsions libidineuses et sadiques d'une épouse « dévouée », se doit d'être placé à part : un classique du ero-guro, genre mêlant érotisme, grotesque et horreur, en particulier dans les descriptions de la "toupie de chair", ou de l’ "énorme chenille jaune" qu'est devenu l'ancien soldat. Dans les autres textes, les personnages présentent eux aussi des mutilations, physiques et/ou métaphoriques frappantes : misanthropes frappés par des maladies mentales peut-être imaginaires, comme dans Deux vies cachées, affublés d'un physique repoussant (La chaise humaine), ou encore accablés par la pauvreté, comme dans La pièce de deux sens (publiée en 1923 et considérée comme LA première nouvelle policière des lettres japonaises.)

    Sous leur charme en apparence désuet, ces quelques textes ancrés dans un Japon déjà moderne témoignent de la virtuosité d’une œuvre qui reste à découvrir, seuls quelques titres étant disponibles en français (sur un total d’une quarantaine de nouvelles et d’une trentaine de romans…).

     

    (B. Longre)

     

    http://www.editions-picquier.fr/

    www.inju-lefilm.com

     

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  • Tour d’horizon

    tgornet3.jpgDe nombreuses lectures achevées et peu de temps pour en parler ces jours… Je tiens néanmoins à en dire quelques mots.

     

    Du côté des romans, j’ai lu Je n’ai plus 10 ans (Neuf de l’Ecole des loisirs), de Thomas Gornet, dont j’aime beaucoup le ton et le style minimaliste – entre naïveté et sagacité. Dans ce récit en apparence paisible, ancré dans le quotidien, la parole candide, souvent littérale, du jeune narrateur est constamment en décalage avec les tensions ténues qui affleurent ; sa grande solitude face au monde adulte (qui rejette, parfois par déni, parfois en pensant agir pour son bien, les amorces de dialogue que le garçon tente de mettre en place) est palpable tout au long du roman, tout comme son désarroi. On pourra lire sur Sitartmag l’article que Madeline Roth consacre à ce roman destiné à un large lectorat.

     

    http://thomasgornet.blogspot.com/

     

    http://www.ecoledesmax.com/portail/

     

     

    amoureuxgrave.jpgAmoureux grave d’Élisabeth Brami et de Philippe Lopparelli (T. Magnier, collection Photoroman) met en scène, avec une grande finesse, une autre solitude : celle d’un jeune homme, le temps d’un week-end – une solitude soudain troublée par l’arrivée d’e-mails dont l’expéditeur reste anonyme. Paul est un personnage très vraisemblable, construit avec soin, et l’on se sent proche de lui dès les premières pages ; il souffre d’être « la honte de la famille » parce que littéraire dans une famille de scientifiques, de devoir cacher ses angoisses à sa mère envahissante et de supporter des pulsions, pourtant fort naturelles, qui le mettent mal à l’aise. À travers l'étrange dialogue qui s’instaure via l’écran, Paul retrouve un semblant d’espoir – ou du moins de quoi avancer, temporairement. La manière dont Élisabeth Brami a su intégrer les photographies de Philippe Lopparelli au cœur même du récit est très habile et permet de souligner davantage encore leur présence. J’invite à lire le point de vue de Joannic Arnoi, plus élaboré que le mien.

     

    Dans la même collection, on peut lire Les Giètes de Fabrice Vigne (qui se « réjouissait » ici de ce que certains « critiques » avaient pu en dire…), avec des photos d’Anne Rehbinder, ou encore Derrière le rideau de pluie de Guillaume Le Touze, photographies Michel Séméniako.

     

    atlantis.jpgDans un tout autre genre, j’ai lu le premier tome de la série Atlantis, L’Héritière, écrit à quatre mains par Christine et Madeleine Féret-Fleury (Hachette romans). L’écriture est d’une grande précision et l’histoire de la jeune Adel, qui s’enfuit de l’orphelinat où elle est maltraitée, est bien menée, ponctuée de multiples références à la littérature d’aventure, entre autres à Jules Verne. On apprécie le suspense, toujours ménagé, et la narration alternée –  le parcours d’Adèle, entre deux mondes (le réel et un univers parallèle qui intrigue d'emblée), et la quête d’un inconnu prêt à tout pour mettre la main sur la fillette. Des énigmes, de multiples rebondissements, beaucoup d'inventivité, et une héroïne dont la naïveté première n'amenuise en rien ses côtés batailleurs.

    On peut lire un extrait en ligne.

     

     

    hof.jpgQuant à Une petite chance, de Marjolijn Hof (traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, Seuil jeunesse, collection Chapitre), cela faisait un moment que je souhaitais en parler. Un roman à la fois grave et léger, très audacieux dans son propos. On y découvre une petite fille aux prises avec des angoisses qu’elle tente d’apaiser en échafaudant des stratégies déroutantes, qui témoignent pourtant d’un sens logique étonnant. Une façon comme une autre de conjurer la mort possible de son père médecin, porté disparu. D’aucuns verront là une morbidité qui ne devrait pas avoir sa place en en littérature jeunesse… Est-il utile de répéter que la mort et son lot d’angoisses sont communs à tous ? Rien de malsain, en tout cas, dans ce court roman dont la justesse de ton est fort appréciable, car au-delà de la « thématique », l’auteure a donné vie à un personnage complexe, loin de tout stéréotype, que l’on découvre intimement à travers de nombreux dialogues bien menés et de menues anecdotes d’un quotidien qui se voit soudain bouleversé. 

     

     

    jturin.jpgJustement, j’ai sous les yeux un ouvrage qui a retenu mon attention : Ces livres qui font grandir les enfants, de Joëlle Turin (Didier jeunesse, collection Passeurs d’histoires). L’auteure développe nombre d’analyses pointues à partir d’un matériau d’une grande richesse : l’album jeunesse. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre, il n’est nullement question d’ouvrages didactiques ou formatés, mais de livres qui « ne s’embarrassent pas d’intentions pédagogiques explicites, de principes éducatifs affirmés et trop évidents, de propos lénifiants censés protéger le jeune lecteur de tout traumatisme. » Des albums dont les niveaux de lecture multiples font qu’ils sont pétris d’implicite : tout en donnant du plaisir au lecteur (enfant ou plus grand…), ils sont susceptibles de susciter nombre d’émotions et de questionnements, en lien direct avec le quotidien, mais aussi de participer au développement de la vie psychique et de l’imaginaire de chacun. L’auteure a choisi quelques grands thèmes (le jeu, les peurs, les « grandes questions » - la vie, la mort, les origines - les relations avec autrui, les chagrins) autour desquels elle bâtit ses analyses, toujours à l’aune d’albums représentatifs et tous différents les uns des autres (de Claude Ponti à Anaïs Vaugelade, en passant par Beatrix Potter ou Quentin Blake), nécessairement singuliers, sans jamais instrumentaliser son objet d’étude : les livres, écrit-elle entre autres, ne sont pas « des outils thérapeutiques », mais des « œuvres artistiques ». Et on lui en sait gré.

     

     

    annees70.jpgÀ propos d’album, et pour finir en beauté, un grand format que je recommande tout particulièrement : le dernier-né de Claudine Desmarteau, Mes années 70 (Panama), qui donne sacrément envie de (re)descendre dans la rue, de clamer « peace and love » ou d’écouter du Janis Joplin… L’impertinence salutaire et l’humour vivifiant de ce revival se goûtent sans modération et l’auteure, qui parle d’expérience, a l’habileté de mêler souvenirs personnels (sa garde-robe, ses lectures, ses goûts et ses activités, etc.) et thèmes plus vastes (libération de la femme, interdits et progrès sociaux, mode et musique, politique, etc.) ; une façon d’offrir une fresque variée, entre documentaire très subjectif et album de famille, qui met en avant la culture, au sens large du terme, caractéristique de l’époque. La drôlerie de l’ensemble permet de toucher un vaste lectorat - certains pourront revivre leur enfance en partie, d’autres (plus jeunes), n’en reviendront pas de découvrir qu’il est possible de survivre sans mangas ni mp3, affublés de sous-pulls synthétiques et entourés d’affreux papiers peints orange… c’est à eux que l’album, (où l’auteure ne craint pas de représenter des corps nus ou des hippies le joint au bec) s’adresse avant tout (« Quand j’avais ton âge, c’était les années 70 »).

     

    http://www.desmarteau.fr/index.html

     

     

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  • Eveil à la conscience...

    pasraccordjoie.jpgUn nouvel article sur Pas raccord, dans la Revue des livres pour enfants de septembre 2008 (Joie par les livres / BNF), un "coup de coeur" relayé sur leur site.

    "Les uns le considèrent comme un attardé mental, les autres comme un être exceptionnel. Qui est-il vraiment ? Pour le savoir, Charlie écrit durant cette première année de lycée à la part inconnue de lui-même. Une fausse correspondance qui prendra fin lorsque Charlie aura raccordé tous les morceaux. La cause de sa différence est à chercher dans sa propre histoire. Or, comme nous sommes dans la tête de Charlie, le retour du refoulé ne sera jamais totalement exprimé. Au lecteur de tirer lui-même ses conclusions à partir des indices qui jalonnent le roman. Une des clés est à trouver à travers les différents romans que Bill lui donne à lire, l'autre est sa tante Helen tuée dans un accident de voiture, véritable noeud de son traumatisme. Grâce à ses exceptionnels amis : Bill, Patrick et Sam, Charlie s'éveille enfin à la conscience. Un parcours initiatique où l'on suit fasciné chaque étape à travers une langue étrange par son aspect discursif et infantile qui, insensiblement, se met à exister dans toute sa singularité." (Patrick Borione, septembre 2008)

    La joie par les livres - Centre national de littérature pour la jeunesse.

     

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  • Le bizarre incident du garçon...

    lizjensen3.jpgLa neuvième vie de Louis Drax, de Liz Jensen, Traduit de l’anglais par Odile Demange (Nil, 2006 / J'ai Lu, 2008)

    Après Christopher (Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon), c'est au tour de Louis, neuf ans, de prendre la parole. Qu'ont en commun ces paroles d'enfants (qui, quoi qu'on en dise, ne sont pas nécessairement destinées à de très jeunes lecteurs) et en quoi permettent-elles à ces textes de se démarquer, littérairement parlant ? On y décèle surtout une naïveté intrinsèque sur laquelle les auteurs s'appuient pour mettre en place une ironie dramatique qui, lorsque la justesse de ton demeure constante, crée de subtils effets comiques, mais permet aussi au lecteur découvrir ses propres failles d'adulte — par le biais d'un regard porteur de bon sens et de jugements souvent lucides.

    Examinons le cas de Louis Drax, enfant précoce (L'Encyclopédie médicale et Les Animaux, leur vie extraordinaire sont ses livres de chevet), mais perturbé par la séparation et les querelles de ses parents : ses paroles sont certes éclairantes et cocasses mais recèlent une part obscure, une inquiétante cruauté et une obsession morbide qui ne cesse de s'amplifier, liée au fait que le petit garçon est régulièrement confronté à sa propre mort : Louis est étrangement enclin à être victime d'accidents à répétition, plus ou moins graves, sans qu'il les provoque : "le premier accident fut ma naissance. Elle s'est déroulée comme celle de Jules César. (...) Le deuxième accident a eu lieu quand j'étais bébé. (...) Ensuite, à six ans, je suis tombé sur les rails du métro à Lyon." Etc. Ces multiples catastrophes affectent profondément la mère de Louis et lui font dire : "On dit que les chats ont neuf vies. (...) Si tu étais un chat, Louis, tu aurais déjà utilisé huit de tes vies. Une chaque année." Ce constat, ainsi que les bizarreries comportementales de l'enfant incitent ses parents à l'emmener voir un psychologue, Monsieur Perez ; Louis méprise "gros Perez", ne lui fait pas confiance, et ne cesse de l'abreuver d'affabulations farfelues et de lui faire subir d'insolentes provocations, derrière lesquelles se dissimule l'ampleur de ses souffrances psychiques.

    En réalité, la voix de Louis nous parvient de très loin, depuis un monde habituellement inaccessible, entre la vie et la mort : Louis est dans le coma depuis trois mois, après un retour à la vie miraculeux. C'est au cours de cette neuvième vie en sourdine qui lui a été accordée que le garçon raconte son histoire, ses angoisses, ses inventions, sa difficulté à distinguer la réalité de la fiction, les pressions affectives qu'il subit ainsi que les dysfonctionnements qu'il observe dans la relation entre son père à sa mère et dans le monde adulte en général.

    lizjensen4.jpgDe nombreuses interrogations se bousculent dans l'esprit du docteur Dannachet, chargé de suivre Louis dans une petite clinique provençale ; ce deuxième narrateur prend le relais, en alternance, offrant un point de vue extérieur, mais pas nécessairement objectif, car lui aussi, comme Louis, possède sa part d'ombre. Spécialiste du coma, il se dit "optimiste" et le cas de Louis Drax l'intéresse de près ; il faut dire que Dannachet, au premier regard, a été subjugué par la beauté, par la dignité et par la profondeur du chagrin de la mère de l'enfant ; et tandis que sa vie de couple s'effondre, il s'applique à consoler Madame Drax...

    Les deux narrations se superposent et se complètent ; peu à peu, le lecteur est capable de reconstruire les faits sans pour autant parvenir à comprendre ce qui a pu se dérouler lors du dernier accident de Louis, cause de son coma ; de la même façon, l'enquête policière piétine et l'inspectrice chargée de l'affaire ne parvient pas à résoudre la mystérieuse disparition du père du garçon, survenue au moment même de l'accident. L'état de Louis évolue étrangement et le lecteur, le seul à avoir accès au monde intérieur de Louis, se prendre au jeu de lire entre les lignes du monologue chaotique du jeune narrateur.

    A la question « le cerveau est-il semblable à l'âme ? », le Docteur Dannachet répond : « Notre culture ne croit pas en l'âme. Nous parlons de l'esprit comme d'un concept social. Ou comme de la viande qui pense, qui raconte des histoires et invente des choses comme l'idée de « l'âme » pour se rassurer. » Et pourtant, il est sur le point de vivre une expérience irrationnelle pour entrer en contact avec Louis qui, bien à l'abri derrière son état comateux le protégeant de la réalité, refuse de s'éveiller à la vie. Ce thriller psychologique, poignant et profondément humain, se pose comme une exploration passionnante des complexités de l'esprit, tout en interrogeant ses manifestations antinomiques, en mettant dos à dos rationalité et spiritualité.

    (B. Longre)

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  • L'Inde, chronique alerte du passé et du présent

    Kali-Katha d'Alka Saraogi, roman traduit du hindi par Annie Montaut - Gallimard

    Impossible de lire ce roman foisonnant sans éprouver diverses émotions, tant il recèle d'innombrables qualités romanesques : une trame qui se joue de toute linéarité en multipliant les anecdotes, les enchevêtrements généalogiques et narratifs, les situations cocasses ou pathétiques, les histoires à tiroirs et les apartés dignes d'un Diderot, et des déambulations picaresques dans Calcutta, à rapprocher de la grande littérature des Fielding ou autres Smollett. Au centre de cet imbroglio, un conteur/narrateur exceptionnel (dissimulé derrière l'auteure et paraissant lui dicter ce que bon lui semble) qui incarne à lui tout seul l'Histoire sociale, politique et religieuse de l'Inde, de la lutte pour l'indépendance à nos jours. Il se prénomme Kishore "Babou" (marque de distinction) : un tyran domestique, un pingre matérialiste, qui règne avec dédain sur son petit monde, jusqu'à ce qu'un pontage cardiaque le transforme ou plutôt, lui redonne le bon sens, l'esprit éveillé et la curiosité qu'il possédait dans sa jeunesse. Sous le regard inquiet de sa femme et de ses enfants, il prend l'habitude de "vadrouiller dans les rues de la ville", se met à lire les journaux, se repenche sur l'histoire de ses ancêtres (tous venus à Calcutta, la ville du Gange et de son "onde bienfaisante" pour y rester) et sur son adolescence, marquée par la mort de son frère aîné Lalit et par un amour jamais avoué pour sa belle-soeur Bhabbi, la toute jeune veuve.

    kali.jpgIl se souvient aussi de ses deux amis, Amolak, partisan de Gandhi, et Shantanou, qui admire Subhash Chandra Bose "Netaji", farouche indépendantiste aux alliances ambiguës. Kishore, lui, est partagé entre ses deux amis et ne sait s'il doit prendre parti, tandis que pour aider sa mère qui vit dans une grande pauvreté, il est forcé de se plier à l'autorité de ses oncles, de petits commerçants mesquins qui soutiennent le Rassemblement hindou... Kishore revient par la pensée à ces mois difficiles mais exaltants qui ont précédé la partition de l'Inde, se remémorant ses dilemmes et les scènes de massacres du mois d'août 1946 : "Ils se trompent lourdement, ceux qui croient que les hindous et les musulmans peuvent s'unir et vivre ensemble. (...) une ânerie monumentale. Shantanou et Amolak, tous les deux l'ont fourvoyé, c'est seulement maintenant qu'il parvient à y voir clair." Et l'auteure de réécrire certaines pages de l'histoire indienne sans jamais se départir d'un profond sens de l'autodérision. Pour preuve, la déception et le dégoût ressentis par Kishore lors du cinquantenaire de l'Indépendance, quand son fils, au lieu de lui offrir le drapeau aux couleurs de l'Inde (signe du nouvel idéalisme de Kishore), fait encore une fois preuve d'un mauvais goût prononcé pour les "signes extérieurs de richesse", en offrant à son père une... voiture. Un épisode parmi d'autres, permettant à Alka Saraogi de mettre en place une réflexion sur l'Inde actuelle et de dresser un bilan sans fard de ce pays hybride, entre occidentalisation, consumérisme outrancier et tiers-monde, une société où les plus riches côtoient les plus pauvres : "Cette partition trop chère payée, avec des centaines de milliers de morts(...). Et cette guerre avec des gens qui parlent la même langue (...). Ces budgets de défense faramineux pour monter une armée (...) alors qu'aujourd'hui encore les rues de Calcutta grouillent de lépreux, de mendiants, de femmes et d'enfants nus et affamés." pense Kishore.

    Mais au-delà de la critique sociale qui imprègne le roman, c'est le personnage de Kishore, dont la métamorphose anime le roman, que le lecteur retiendra : naïf et sage tout à la fois, il est là, symbole vivant de son pays, à attendre comme un enfant le premier janvier 2000, afin que se réalise la promesse échangée des décennies plus tôt avec ses deux amis : des retrouvailles devant le Victoria Memorial ! C'est ainsi que l'histoire personnelle et l'Histoire tout court ne cessent de se rejoindre tout au long du roman : "Kishore Babou a vécu trois vies en une. Sa première vie a duré jusqu'à l'Indépendance de l'Inde, sa vingt-deuxième année. Sa seconde vie, qui a duré cinquante bonnes années, commence alors, sans l'ombre d'un rapport avec sa première vie. Kishore Babou parvient aujourd'hui à la considérer comme une autre naissance, une autre incarnation. Dira-t-on que ces cinquante années de la vie de Kishore sont à l'image des cinquante années de la nouvelle démocratie indienne, où l'on cherchera en vain le vestige des idéalismes d'alors, l'écho, même assourdi, du grand combat pour la liberté ?" Un peu comme si les idéaux de Kishore s'étaient assoupis avec ceux de l'Inde, pour revivre en 1997, alors que le vieil homme s'ouvre de nouveau au monde.

    Les préoccupations d'Alka Saraogi sont aussi littéraires : patiemment, elle explore l'acte narratif lui-même, tentant de le déconstruire, de le démonter avec beaucoup d'humour et d'exposer aux regards du lecteur les "ficelles" ou procédés narratifs qui sont habituellement dissimulés, implicites et forment le "contrat" tacite qui unit auteur et lecteur ; point de cela ici et le lecteur, à sa grande surprise, est régulièrement informé du tour que prend le récit : "Le récit à présent repart en arrière, plus en arrière encore, à la demande expresse de Kishore Babou (...) Le narrateur est d'avis, lui, que cette histoire est accessoire. Mais après son pontage, Kishore Babou (...) n'a plus les mêmes critères" nous dit le "narrateur" (quel qu'il soit...), ou encore, une autre intrusion, parmi tant d'autres, intitulée : "Quelques lignes de Kishore Babou, à sa demande, en hors texte". En réalité, ces incartades, qui tiennent de la supercherie, ne simplifient en rien la lecture - au contraire, pour notre plus grand plaisir, elles brouillent davantage les pistes de ce roman fleuve, où prosaïsme et poésie, spiritualité et politique, satire et pathos ne cessent de s'entrelacer, pour nous transporter au bord du Gange, et "sur le flot éternel de ses eaux".

    (B. Longre)

    200.jpgAlka Saraogi est née en 1960 à Calcutta et y habite. Elle compte parmi les jeunes auteurs de langue hindie les plus importants d’aujourd’hui. Son premier livre – un recueil de nouvelles – a été publié en 1996. Son premier roman, qui se déroule dans la communauté de riches commerçants Marwari, a rencontré un grand succès en Inde comme à l’étranger, où il a été traduit en plusieurs langues (dont l’anglais, par elle-même, sous le titre Kalikatha via Byepass), et s’est vu décerner, entre autres prix, celui de la Sahitya Akademi pour le roman de langue hindie en 2001. (source : CNL)

    http://www.britishcouncil.org/scotland-literature-bookcase-edinburgh-2008.htm

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  • Petit miracle

    edouard.jpgLe miraculeux voyage d’Édouard Tulane, Kate DiCamillo, illustrations de Bagram Ibatoulline, traduit par Sidonie Van Den Dries, Editions Tourbillon, 2007

     

    Miraculeux ? Assurément. Ce roman illustré, aux allures de beau-livre, réserve d’insoupçonnables ravissements au lecteur. Littérature « jeunesse » ? Pas vraiment. Éminemment picaresque, et pourtant bâtie comme un conte qui s’inspirerait de nombreux autres tout en demeurant unique, l’histoire d’Édouard, lapin de porcelaine narcissique et superficiel, recèle tant de niveaux de lecture que chacun est susceptible d’y trouver son compte. Malmené par de multiples événements, balloté par les éléments ou les humains qui croisent sa route, Édouard est un héros au prime abord peu sympathique, qui évolue bien malgré lui, de la déchéance à la rédemption : il s’humanise peu à peu, se métamorphosant au fil des ans, tandis qu'il se découvre un cœur et des sentiments. Le raffinement des illustrations à l’ancienne rappelle par instants la précision d’un Norman Rockwell et ajoute à l’ensemble un charme désuet qui s’accorde à la perfection à ce roman sans âge, qui a déjà tout d’un classique.
    (B. Longre, sept. 2008)

     

    http://www.katedicamillo.com/

    http://www.editions-tourbillon.fr/

     

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  • ''Si c’est à toi que j’écris…''

    articlechb.jpgUn nouvel article portant sur Pas raccord, signé Samia Hammami, en ligne sur Parutions.com

    extrait :

    "C’est ainsi que Charlie commence à se frotter aux fêtes, à la musique, à la drogue, à la sexualité et à l’homosexualité (par l’histoire de Patrick), à l’amour (dans les bras fantasmés de Sam et sur les lèvres de Mary Elizabeth) et, tant bien que mal, à la notion de «limite». En compagnie de ses protecteurs, il a parfois l’impression grisante de flirter avec l’éternité, ce qui ne l’empêche nullement de sombrer tout aussi radicalement dans un désespoir infini à d’autres moments. Ces deux extrêmes ne font qu’un dans la vie de ce jeune vulnérable, qui l’exprime avec authenticité dans sa missive inaugurale : «Bref, voilà ma vie. Il faut d’abord que tu saches que je suis à la fois triste et heureux, et que j’ai toujours pas compris comment ça se fait». Parallèlement à ces chamboulements émotionnels, son professeur de littérature, Bill, l’abreuve de classiques (Peter Pan, L’Etranger, Gatsby le Magnifique, Hamlet, etc.), autant de lectures exigeantes ayant pour intention de familiariser le prodige à sa singularité, de lui faire entendre qu’il est un individu exceptionnel, et non pas un «freak» comme d’aucuns se plaisent à lui répéter.

    L’écriture de Charlie est spontanée et cabossée. À son image. Elle épouse les méandres de ses tourments et de ses enthousiasmes. Ce caractère pourrait dérouter dans les pages initiales mais, très vite, le témoignage de cette boule de sensibilité touche au cœur et cette candeur maladroite se révèle gage de profondeur. Tout au long du récit, Charlie ne se départit jamais d’une position d’observateur, qui le pousse à analyser et disséquer avec une certaine externalité ce qui lui arrive. Derrière ses mots sont esquissés, et non verbalisés, ses plaies, ses traumatismes, ses troubles psychologiques. Malgré le recours au «je», le sentiment d’extranéité face à cette âme qui s’émeut de tout est donc paradoxalement accentué."

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  • La peau et le cœur des livres

    alzamora3.jpgIl y a des livres qu’on a envie de défendre davantage que d’autres, ne serait-ce que pour pallier leur (inexplicable) invisibilité médiatique. C'est le cas de La Fleur de peau, premier roman de l'auteur catalan Sébastià Alzamora à avoir été traduit en français.
    On peut aussi lire l'article ci-dessous sur www.sitartmag.com/alzamora.htm , accompagné des regards croisés de l'auteur et de la traductrice. J'avais d'abord suggéré à Cathy Ytak de répondre à quelques questions à propos de ce roman ; ce qu'elle a accepté, me proposant ensuite de recueillir le témoignage de Sébastià Alzamora. Je les remercie tous deux de cette contribution.

     

     

     

    La Fleur de peau de Sébastià Alzamora
    traduit du catalan par Cathy Ytak - Métailié, 2007

     

    La peau et le cœur des livres

    « Il est important que nous les laissions nous protéger, il est très important que notre peau mortelle se laisse imprégner par ce qu’il y a d’éternel dans la peau des livres. »

    Quels liens complexes et incertains peuvent s’échafauder entre Puppa, un vieil homme énigmatique, ancien héros devenu relieur, un tailleur de pierre unijambiste, une religieuse versée dans les livres, une gitane ensorcelante qui cherche un « progéniteur », une princesse, « personnification de la beauté pure », une reine nymphomane, un rabbin célèbre pour avoir accompli l’impensable ? Entre le treizième chant de l’Odyssée, les rivalités religieuses et les sombres manœuvres politiques qui agitent la ville de Prague à la veille de la guerre de Trente ans ? Au lecteur de démêler peu à peu cet enchevêtrement fascinant, proprement irracontable, à la limite du conte et de la mascarade théâtrale, oscillant entre fantasmagorie et onirisme, tout en se laissant porter par l’épopée de Puppa, récit qui nous est rapporté par un autre conteur, installé dans une taverne un soir de tempête...

    alzamora5.jpgDes cadres narratifs en apparence circonscrits, que l’auteur n’hésite pourtant pas à faire exploser tout en dévoilant les ficelles retorses de son récit premier : une façon de mieux nous déstabiliser encore, de semer le trouble dans nos esprits échauffés par la multiplicité d’émotions, de symétries et de questions qui nous assaillent, au fil des péripéties rocambolesques, invraisemblables, narrées dans une langue lyrique et sophistiquée. Ces pertes de repères successives s’accompagnent d’un bouleversement spatio-temporel vertigineux, comme si ces frontières devaient être une bonne fois pour toutes abolies afin que l'on puisse goûter pleinement aux histoires enchâssées qui composent ce roman étonnant et vivre ses aventures avec Puppa : « Je me souviens de cette suite de jours naissants comme d’un tout, » dit-il, se remémorant une année passée dans le Château de Prague, « comme s’il s’agissait d’un seul et même jour renaissant encore et encore, inexorablement, de manière inaltérable, un jour têtu et rebelle, réfractaire aux strictes coordinations de l’espace et du temps tels que nous les concevons par l’habitude d’une logique imposée. »

    Au cœur de cette prose étincelante et imprévisible, riche en métaphores et en symboles, demeure l’idée qu’un roman forme un tout inaltérable, obéit à une logique qui lui est propre, au-delà de tout référent réel, et que pour goûter à la fiction, il faut accepter qu’un début contienne déjà la fin, et vice-versa. Aussi, et c’est là que réside tout son art, Sébastià Alzamora parvient à nous divertir, à donner corps à des personnages et à des événements inoubliables, tout en élaborant, sans jamais passer par la voie de l’essai didactique, une véritable philosophie de la fiction, multipliant les approches et les définitions possibles, laissant la voie ouverte à de nombreuses interprétations. (B. Longre, sept. 2008)

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  • "Closing Books Shuts Out Ideas"

    bannedbookssign.jpgJe parlais déjà de la "Banned Books Week" dans un billet daté de l'an passé. Une initiative dont on pourrait s'inspirer en France, et qui permet de réaffirmer l'idée de liberté, indissociable de la lecture et de la création littéraire, et l'absurdité de toute tentative de censure. La prochaine aura lieu du 27 sept. au 4 octobre 2008 et aura pour devise : "Closing Books Shuts Out Ideas", qu'on pourrait librement traduire par "Un livre refermé, c'est une idée qu'on enferme" (on peut en proposer d'autres, je suis preneuse).

    L'ALA (American Library Association) recense aussi les ouvrages qui ont été les plus controversés ou censurés durant l'année écoulée et établit un "top ten" qui, pour 2007, propose toujours le célèbre (et très inoffensif...) And Tango Makes Three de Justin Richardson et Peter Parnell (raisons données pour justifier la censure ou les "plaintes" : "Anti-Ethnic, Sexism, Homosexuality, Anti-Family, Religious Viewpoint, Unsuited to Age Group"), The Chocolate War de Robert Cormier (Sexually Explicit, Offensive Language, Violence), The Golden Compass de Philip Pullman (pour des raisons religieuses...), et les habituels The Adventures of Huckleberry Finn de Mark Twain (pour... racisme) et The Perks of Being A Wallflower de Stephen Chbosky (Homosexuality, Sexually Explicit, Offensive Language, Unsuited to Age Group).

    chbosky3.jpgDans un autre billet, je relevais en effet ce à quoi certains censeurs s'opposaient, et citait entre autres les jurons qu'un lecteur courageux de Pas Raccord de Stephen Chbosky avait fidèlement notés (attention, âmes sensibles s'abstenir...) : "Swirlie, A**holes, F**king, Hell, A**hole, smear the queer, cut and hunky, blow queen, knocked up, J****, b***hy dyke, bulls**t, bulls**t, Jesus, S**t, “I swear to G**, took a dump, blow job, F**k, f**ked-up, J****, F**king, G**, f**king freak, Faggot, G**, Faggot, Bulls**t, G**, F**k, F**k you, F**k you, f**king bastard, Pr**k, Hell, Pu**y, J****, Pu**y, A**hole, G**, Hell"...
    Non par plaisir (?), mais pour conseiller aux parents de ne surtout pas laisser cet ouvrage entre les mains de leurs adolescents et de s'opposer à ce que ce roman soit étudié en classe, par exemple. Le procédé consistant à dissimuler certaines lettres (plus malsaines que d'autres ?) frise évidemment le ridicule, car on reconnaît sans peine "God" ou autre "Fuck" (alors que d'autres termes, comme "Blow queen" ou "Faggot", ne bénéficient pas du même traitement - peut-être n'ont-ils pas été jugés suffisamment insultants ?)

    Plus sérieusement, les groupes de pression (associations de parents, communautés religieuses menant parfois de véritables croisades, etc.) sont généralement plus "efficaces" aux USA, et parviennent régulièrement à faire interdire certaines lectures par les conseils d'administration des établissements scolaires, qui préfèrent obtempérer plutôt que de donner raison aux enseignants. Pourtant, en France, on trouve çà et là des exemples assez frappants, qui surviennent plus souvent qu'on le croit.

    Une affaire relatée l'an dernier par Anne-Sophie http://www.lalettrine.com/article-6963542.html, que j'ai trouvée de ce côté-ci http://lescorpsempeches.net/corps/?p=169 ; une autre forme de censure, institutionnelle, comme relatée ici...

    http://www.ala.org/ala/oif/bannedbooksweek/bannedbooksweek.cfm

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