La lecture de cette 4e de couv. et du sommaire me donne envie d'aller jeter un oeil à cet ouvrage. La critique comme activité subjective, forcément, même s'il faut parfois faire taire sa subjectivité et aborder les textes avec un certain détachement - un pré-requis, à mon humble avis, qui permet d'éviter de nombreuses dérives.
"La critique n'est pas seulement une activité intellectuelle ou artistique neutre : en elle se révèle l'ambivalence de notre rapport aux autres, dans notre façon de dialoguer avec eux et/ou de les affronter. Cette duplicité tient au fait que la critique se présente comme une posture intellectuelle alors même qu'elle est aussi toujours une réaction affective et émotionnelle. Plus profondément encore, elle renvoie à notre façon de percevoir et de comprendre une oeuvre qu'un autre, témoignant ainsi d'un talent qui révèle sa différence et sa distinction, a créée. Que fait la critique face à cette manifestation du pouvoir de créer ? Elle dévoile en tout cas ce que nous sommes (ou non) à même de recevoir et de restituer."
Commentaires
En effet, ce sommaire... tout un programme! Je n'en reviens pas qu'on puisse se poser autant de questions, à vrai dire. Tu nous diras après lecture ?
Je tâcherai... !
"Cette duplicité tient au fait que la critique se présente comme une posture intellectuelle alors même qu'elle est aussi toujours une réaction affective et émotionnelle."
Voilà, c'est dit et c'est d'une "justesse" à couper le souffle.
L'ojectivité intellectuelle est ce miroir dont s'affublent les honnêtes gens qui ne le sont pas souvent.
Critiquer, c'est d'abord parler en son nom. Avec ce qu'on porte en soi.
Sans quoi ce serait affreusement ennuyeux car toutes les critiques seraient unanimes au point de n'en faire qu'une, n'est-il pas ?
Cordialement
Non, pas nécessairement unanimes, car un ouvrage peut aussi supporter diverses interprétations, selon la posture critique que l'on adopte, sans pour autant que ces interprétations s'opposent... non ?
J'admets évidemment la part de subjectivité (consciente ou non) contenue dans mes articles, mais je m'efforce aussi (savoir si j'y parviens est un autre débat) d'analyser un texte en m'appuyant sur de l'objectif, sur des faits vérifiables et pas seulement sur des impressions et du ressenti... ce qui m'intéresse entre autres, c'est d'appréhender, très modestement et quand j'en suis capable, la mécanique d'un texte et d'essayer d'observer comment certains procédés (narratifs, linguistiques, etc.) sont exploités et à quelle fin ; le plus difficile étant de trouver un équilibre ou un dosage adéquat entre objectivité et subjectivité.
Baudelaire est plus radical encore dans le "Salon de 1845", alors qu'il n'est pas encore le poète qu'on connaît (il n'a que 24 ans). Dans un chapitre intitulé "A quoi bon la critique?", il affirme que la critique doit être partiale, passionnée, politique, que le meilleur compte rendu d'un tableau peut être un sonnet ou une élégie, et surtout, que la qualité de la critique tient à ce qui se produit dans la rencontre de deux tempéraments: celui de l'artiste et celui du critique. Le tempérament du critique entre en rapport avec celui de l'artiste et en donne un reflet (nécessairement déformant). Dans d'autres pages, Baudelaire prône le "je" du critique. Et quel merveilleux critique d'art...
"Le meilleur compte rendu d'un tableau peut être un sonnet ou une élégie" : pourquoi pas, mais dans ce cas, la relation entre l'œuvre et son commentaire (lui-même une œuvre, donc) n'est plus la même et le dialogue qui s'instaure relève de la création. Reste à savoir si cette forme de critique créatrice est véritablement supérieure aux autres, ou si elle ne sort pas, tout bonnement, du champ critique.
J'aime bien Baudelaire, mais je préfère la mesure d'un point de vue argumenté (qui n'exclut ni les enthousiasmes, ni les réserves), car on peut aussi se dire "critique" sans pour autant se faire poète ou écrivain. Et puis, encore faut-il en être capable.
Je vais reprendre ma vision de la critique littéraire que j'avais livré une fois lors d'une interview : "Je ne sais pas s’il existe une définition précise et universelle. Je pense qu’il faudrait creuser du côté de la lecture et de l’écriture, les deux mamelles du métier. Un critique littéraire est à mon sens un passeur de bons mots, un super lecteur, c’est-à-dire quelqu’un qui lit bien, consciencieusement et à son rythme, qui a beaucoup lu - disons plus que la moyenne, même si cela ne se quantifie pas nécessairement -, ce qui lui permet d’avoir des références littéraires et un bagage culturel. C’est quelqu’un qui sait capter l’essentiel d’un regard avisé, qui saisit les aspects littéraires importants d’une oeuvre pour ensuite les souligner de sa plume. Un bon critique doit aussi savoir écrire, c’est primordial à mes yeux. Ce métier demande concentration, analyse, recul, technique et abnégation. Mais dans cet univers, l’affectif tient un rôle important et je suis une grande sensible. Je rejoins donc la définition d’Anatole France : un bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d'oeuvre."
Non, en effet, je ne pense pas qu'il existe pas de définition universelle ou fédératrice - elle varie aussi selon les sensibilités, les lectures qui forgent un regard, et les expériences de chacun (d'où la part de subjectivité que je ne nie nullement) ; cependant comme tu le dis très bien, recul, technique et concentration sont tout autant nécessaires... en ce qui me concerne, je me méfie du "ressenti" seul. Les goûts et les couleurs sont une chose, la critique avisée en est une autre.
On est en phase...
Merci Blandine de nous signaler la parution de ce texte, qui évidemment m'intéresse beaucoup. Je suis le séminaire sur la critique impossible ? avec Kechichian et Kantcheff, séminaire qui permet de réfléchir sur les pratiques des journalistes.
Je suis partagée... Un critique doit savoir lire, c'est une évidence, mais doit-il être comme certains le pensent un écrivain lui-même. J'ai tendance à penser que oui... parce qu'il voit immédiatement les failles, la construction, a une certaine expérience de l'écriture. Mais en même temps, un critique est avant tout, comme le dit Pascale, un super-lecteur qui a un bagage culturel énorme et un regard avisé sans être pour autant un écrivain lui-même.
Quant à la neutralité, je n'y crois pas du tout.
Critiquer c'est aussi s'engager. Une critique qui ne se mouille pas ne m'intéresse pas! Etre neutre, c'est être fade, c'est ne rien apporter et ça m'ennuie.
Il faut prendre des risques car toute critique est subjective et amoureuse. Gracq est mon maître, il disait être le disciple de :"La critique sera amour ou ne sera pas". Idem pour moi.
Ce qui ne doit pas dispendre d'une analyse de texte, bien sûr.
Et voilà, passionnée, je m'emballe, je m'emporte, veuillez m'en excuser...
Merci, Anne-Sophie, pour votre commentaire et votre intérêt.
Je ne dis pas que je crois à la neutralité/objectivité totale, en revanche, il me semble qu’on peut aussi y tendre… dans la mesure du possible – mes réserves vont à la critique qui ne se fonde que sur du ressenti et de l’affect. Et même si la critique et la littérature ne sont pas des sciences exactes, il serait bon que certains critiques fassent preuve d’un peu plus de recul dans leurs papiers – qu’ils soient démesurément enthousiastes ou qu’ils descendent les livres en flèche. En tout cas, c’est cette forme de critique qui m’irrite.
La critique universitaire, par exemple, dispose d’outils d’analyse narratologiques, stylistiques, etc. qui permettent d’analyser les textes de manière relativement neutre, même si les interprétations qui découlent de ces observations sont susceptibles de varier, puisque le texte littéraire est par définition polysémique. Je ne dis pas que mes critiques relèvent de cette forme, mais elles peuvent parfois s’y apparenter, de manière indirecte, à mon petit niveau. Déformation professionnelle, probablement. Je reste pour ma part persuadée que l’on peut ne pas aimer un livre, s’ennuyer à la lecture, tout en reconnaissant ses qualités littéraires et esthétiques, ses aspects innovants, et en s’efforçant de comprendre son fonctionnement interne.
Après, cela n’empêche pas d’aussi parler en son nom et de s’engager (n’est-ce pas, Pascale ?).
Tout ceci n’est valable que pour moi, et je conçois que l’on s’y prenne autrement – en revanche, je ne suis ni journaliste, ni écrivaine, ni pamphlétaire, etc. et mon approche serait probablement différente si je l’étais.
Savoir lire et aiguiser son regard : évidemment, et il me semble aussi qu’on peut être capable de repérer les failles, la construction d’un récit, sa cohérence et les effets de sens engendrés par les procédés employés, sans pour autant être écrivain soi-même. Un écrivain n’est pas nécessairement conscient des moyens qu’il met en œuvre pour composer un texte (et c’est tant mieux) – alors que le critique l’est, en permanence (Après, certains écrivains peuvent aussi être d’excellents critiques).
PS : je viens de recevoir l'ouvrage que les éditions Klincksieck ont bien voulu m'envoyer et je vais m'y plonger dès que possible !
"Je reste pour ma part persuadée que l’on peut ne pas aimer un livre, s’ennuyer à la lecture, tout en reconnaissant ses qualités littéraires et esthétiques, ses aspects innovants, et en s’efforçant de comprendre son fonctionnement interne.
Après, cela n’empêche pas d’aussi parler en son nom et de s’engager (n’est-ce pas, Pascale ?)."
Je partage totalement ton avis, Blandine. Pour préciser ma pensée, je hais aussi la polémique. Je pense qu'il faut faire un boulot d'analyse et laisser entrer l'affect. La critique doit être un mixte des deux. Une critique purement académique, trop "intelligente", me fait fuir. Une critique uniquement affective, idem. Reste à trouver le juste milieu et chacun tente de l'approcher avec ses propres moyens.
Tout est dit ! merci, Pascale :-)
Désolé d'intervenir aussi tardivement dans votre échange (c'est un "vous" collectif), mais il y a un point qui engendre en vous lisant une certaine frustration chez moi : bien que vous distinguiez critique "académique" et "affective", il me semble que vous parlez un peu trop de "la" critique, alors qu'il y a à mon sens au minimum deux activités assez différentes.
Parler de livres à un public "généraliste", en général pour donner envie de lire, cela ne me semble pas exiger les mêmes compétences que la "critique" universitaire, même si maîtriser celle-ci peut s'avérer utile. La deuxième suppose le livre lu par ceux qui la lisent, alors que la première doit inciter à la lecture. Or c'est une contrainte forte que d'évoquer un texte en supposant qu'il n'a pas été lu, voire en s'interdisant de dévoiler certains aspects. Il y a tout un équilibre à construire entre ce que l'on dit et ce que l'on masque, balance qui varie aussi en fonction du texte, du public imaginé, et de bien d'autres considérations.
Peut-être faudrait-il parler aussi de la façon dont certains intellectuels (philosophes, sociologues) ou artistes peuvent produire des commentaires sur des oeuvres littéraires. Après tout, ce sont aussi, dans une certaine mesure, des "critiques", même si la visée des uns et des autres est très différente (objectivation chez certains, rebond intertextuel chez d'autres).
Bref, tout ça pour dire ma gêne à parler de "la" critique au singulier et insister sur la variété des "contrats de lecture" inscrits dans les activités "critiques". En ce qui me concerne, dans ce que je mets en ligne, le gros du travail consiste à me départir d'une démarche disons "savante" et à envisager les répercussions de ce que je dévoile, à la fois pour stimuler un intérêt et conserver intacts les plaisirs de la lecture. Il n'y a jamais rien de la sorte quand je pratique la "critique" universitaire. C'est pourquoi les deux activités me semblent disjointes, même s'il y a aussi des éléments de continuité.
Sur la question de l'objectivité et de la subjectivité, ce serait encore bien long, mais je souscris grosso modo à l'opinion de Blandine : il n'y a pas de critique "journalistique" (sans aucune connotation péjorative) valable sans un minimum de rigueur et d'examen à distance. Sinon, comment parler d'un livre à un lectorat potentiel de la façon la plus oecuménique possible ?
Merci Joannic pour ces précisions très utiles. Le terme de "critique" a en effet plusieurs facettes, et la critique a des fonctions, destinataires, etc. différents. La lecture d'un texte est évidemment un pré-requis pour qui veut lire une critique universitaire. Quant à la critique que je propose sur ce blog ou ailleurs, elle prend en compte le fait que les lecteurs n'ont pas forcément lu le livre dont il est question, même s'il m'arrive, tout comme toi, d'analyser en approfondissant un minimum.
Concernant la mise à distance, nous sommes d'accord aussi sur ce point !
J'ai envie d'abonder dans le sens de Joannic: est-il "efficient" de lire tout un livre de trois ou quatre cents pages si le rédenchef vous demande de pondre mille signes à son sujet? La critique telle qu'on la voit dans les journaux s'apparente plutôt à la "chronique" littéraire - rendre compte de ce qui se passe, parler des livres, donner envie de lire. Quelque part, c'est la mission qu'on m'a donnée avec le premier livre que j'ai commenté pour un journal d'audience régionale: un tel papier doit pouvoir répondre à la question suivante: "Le conseillerais-je à un ami, et pourquoi?" On dira que le journalisme doit être objectif; mais cette objectivité est une forme d'asymptote, de truc auquel on doit tendre tout en sachant qu'on n'y parviendra jamais. Les jouranlistes sportifs ont d'ores et déjà abdiqué...
Cela, alors que la démarche académique doit s'appuyer sur des approches scientifiques, et rechercher de manière systématique les pistes que l'auteur donne au lecteur pour lui montrer le sens profond. Il va beaucoup plus loin dans la mise en contexte, dans l'approche biographique, etc. Et dans presque tous les cas, il a plus de mille signes pour exposer ses arguments. Quel boleux...