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Littérature étrangère - Page 4

  • The Black Herald - numéro 1

    Le premier numéro de la revue de littérature THE BLACK HERALD paraît en janvier. Au sommaire, poésie, fiction, essais et traductions - en français et en anglais. 

    Issue #1 – January 2011 – Janvier 2011
    160×220 – 148 pages - 13.90 €
    ISBN 978-2-919582-02-0


    Le numéro est disponible en pré-commande

    (connexion sécurisée - PayPal ou Carte)

    couv-rectobis.jpg

     

    Texts by / Textes de : 

    Laurence Werner David

    John Taylor

    Valeria Melchioretto

    Tabish Khair

    Émile Verhaeren

    Will Stone

    Philippe Rahmy

    Rosemary Lloyd

    Osip Mandelstam

    Alistair Noon

    Onno Kosters

    Willem Groenewegen

    Sandeep Parmar

    Georges Rodenbach

    Andrew O’Donnell

    Khun San

    Sylvie Gracia

    Georg Trakl

    Anne-Sylvie Salzman

    James Byrne

    Claro

    Brian Evenson

    Siddhartha Bose

    Romain Verger

    Yahia Lababidi

    Sébastien Doubinsky

    José Mena Abrantes

    Cécile Lombard

    Darran Anderson

    Anne-Françoise Kavauvea

    Emil Cioran

    Nicolas Cavaillès

    Mark Wilson

    Zachary Bos

    Paul Stubbs

    Blandine Longre. 

    ImagesEmily Richardson • Romain Verger • Will Stone

    Design: Sandrine Duvillier

     

    Présentation à lire, sur le blog de Bartleby les yeux ouverts et sur celui du Visage Vert.

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  • En lecture

    ForetsNoiresG.jpgForêts Noires, de Romain Verger (Quidam, 2010)

     http://www.rverger.com/foretsnoires.html

     

    A lire, un article de Bartleby Les Yeux Ouverts, un autre sur La Lettrine, ou encore dans Livres Hebdo.

     

    Un extrait ici.

     

     

     

     

    14121_106366879404495_100000935518931_43457_6878380_n.jpgLe répertoire des îles, vol. 1Textes d'Utralab™ et Anne Lille (Editions Burozoïque)

    http://www.burozoique.fr/

    "Obsédés depuis des années par ce motif d’un utopique monde bonzaï, les membres du groupe Ultralab™ puisent leur inspiration parmi les innombrables occurrences de l’île dans la culture mondiale, de L’Île au trésor de R. L. Stevenson à L’Île de la tentation de TF1 en passant bien sûr en tout premier lieu par l’Utopia de Thomas More, ou encore, parmi tant d’autres, celles de Jules Verne, Rodney Graham, Godfrey Sweven, Tetsuya Nomura, Joone, Grand Theft Auto, Alain Bublex, H. G. Wells,Christophe Izar, Namco, Christopher Priest, Shigeru Miyamoto ou encore Aldous Huxley… Moulinant à tout va les références issues de l’histoire des idées, de la littérature, de l’art ou encore du cinéma de série B et de la science-fiction, Le Répertoire des îles™ souhaite recenser de manière quasi scientifique toutes les possibilités d’îles et s’interroge ainsi sur notre actuelle capacité à restaurer la production des utopies, quitte même à prendre le risque de les voir proliférer et dériver dangereusement."

    khunsan.jpgTuer l'auteur, de Khun San (Les Joueurs d'Astres, 2010)

    http://www.rezobook.com/auteurs/khun-san

    « Alors que vous ôtez délicatement le papier du petit carré de chocolat que vous aviez conservé pour l’après café, une femme en solex dont le panier avant dévoile l’oblongue extrémité d’une baguette de pain s’enquille dans le bout de vos chaussures. Devant cette flaque de sang qui macule le nubuck beige de vos mocassins vous abandonnez le projet du chocolat et, après un mouvement d’humeur fugace, vous raccompagnez la femme chez elle, dans un appartement qu’elle partage avec une hollandaise exubérante. Dans les lieux vides à cette heure puisque l’expansive hollandaise jacasse en d’autres ailleurs, elle vous confie, au détour d’un splash d’eau boriquée, « j’ai un secret, je vais tuer un homme ». Vous ne voulez pas trop vous attarder, vous avez déjà assez de soucis avec vos propres meurtres sémantiques. »

     

    the-year-of-the-flood.jpgThe Year of the Flood, by Margaret Atwood (2009)

    http://www.yearoftheflood.com/

    "Beware of words. Be careful what you write. Leave no trails.
    This is what the Gardeners taught us, when I was a child among them. They told us to depend on memory, because nothing written down could be relied on. The Spirit travels from mouth to mouth, not from thing to thing: books could be burnt, paper crumble away, computers could be destroyed. Only the Spirit lives forever, and the Spirit isn’t a thing.
    As for writing, it was dangerous, said the Adams and the Eves, because your enemies could trace you through it, and hunt you down, and use your words to condemn you.
    But now that the Waterless Flood has swept over us, any writing I might do is safe enough, because those who would have used it against me are most likely dead. So I can write down anything I want."

     

    jtaylor.jpgThe Apocalypse Tapestries, by John Taylor
    (Xenos Books)

     

    http://www.xenosbooks.com/Apocalypse.htm

    Poems, prose poems and reflections, some inspired by memories of travels and everyday life, others by old tapestries of St. John writing the Book of Revelations.

    Un extrait en français (traduction de Françoise Daviet)

    http://temporel.fr/John-Taylor-v-f-poemes

    et en version originale : 

    http://temporel.fr/John-Taylor-v-o-poemes

     

    II. Digging for Martyrs

       The burning blisters on the palms of your hands.
    The sweat on your face.
    The ever-blunter 
    blade of your shovel.
    Your ever-wearier 
    thrust 
    into the rock-studded 
    clay.

       Now and then, bones. 
    A broken skull.
    A trinket. 
    A talisman.

       But none of these relics

     

    is of yourself.

     

     

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  • A paraître, The Black Herald

    The Black Herald

    Literary magazine – Revue de littérature

    Issue #1 - January 2011 – Janvier 2011
    160×220 – 160 pages
    13.90 €/ £11.99 / $ 19.50
    ISBN 978-2-919582-02-0

    Poetry, short fiction, essays, translations.
    Poésie, fiction courte, essais, traductions.

    http://blackheraldpress.wordpress.com/magazine/

     

    cover1.jpg

     

     

     

     

     

     

     

    © Emily Richardson 2008 (Still from the film Cobra Mist)

     Comité de Rédaction : Paul Stubbs et Blandine Longre

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  • Palpitant roman-feuilleton...

    dcunin.jpg...à propos du poème The Unseen, de Sarah Teasdale, et de ses nombreuses traductions / adaptations / transpositions... à découvrir en détail sur l'excellent blog de Daniel Cunin, traducteur du néerlandais – blog consacré aux Flandres et aux Pays-Bas à travers leurs écrivains.

    http://flandres-hollande.hautetfort.com/

     

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  • Vert Visage, le 17e

    livre_l_559.jpgOn l'attend avec impatience, il arrive le 14 octobre : le 17e numéro de la revue Le Visage Vert. Une présentation en ligne sur le site des éditions Zulma et davantage d'informations sur le blog de la revue

    A noter, une présentation de ce numéro et des projets éditoriaux de l'équipe aura lieu le vendredi 15 octobre à la librairie Atout-Livre (203 bis avenue Daumesnil, Paris XIIe) à partir de 19h30.

    "De l'Autriche au Chili, de l'étude des mythes à la poétique des forêts, des esprits élémentaires aux étranges débordements de la nature, le Visage Vert confirme son statut unique de révélateur et d'explorateur du fantastique."

    Le Tumblr du Visage Vert

    Le Visage Vert sur Facebook

    Les ouvrages du Visage Vert éditeur.

     

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  • Black Herald Press, tous les liens utiles

    urizen.G.P5.detail.jpgLe site

    blackheraldpress.wordpress.com/

    Pour commander les ouvrages

    blackheraldpress.wordpress.com/buy-our-titles/

    Le blog

    blackheraldpress.tumblr.com/

    La page sur Facebook

    Les éditeurs préparent activement la revue à venir, brièvement présentée ici :

    http://blackheraldpress.wordpress.com/magazine/

    My HipstaPrint 0.jpg

    (merci à Romain Verger pour cette photo)

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  • Apaiser la poussière, de Tabish Khair

    Tabish-1re.jpgApaiser la poussière de Tabish Khair

    traduit de l’anglais (Inde) par Blandine Longre

    (avec le concours du CNL)

    224 pages, ISBN : 978-2-916136-29-5

    Les Éditions du Sonneur, parution : octobre 2010

     

    Mangal Singh, écrivain raté, chauffeur d’autocar sur la ligne Gaya-Phansa, deux villes de l’État indien du Bihar, ressasse son amertume et observe les passagers embarqués ce jour-là. Parmi eux, Fadarah l’eunuque, qui aspire à une nouvelle existence, un homme d’affaires angoissé, une matriarche hindoue convaincue de sa supériorité sociale, un jeune garçon qui rentre dans son village après avoir commis le pire... Des individus loin de leur chez-soi, issus de cultures et de milieux très différents, dont les itinéraires enchevêtrés le temps d’un voyage n’échappent pas non plus à l’attention de Shankar, le contrôleur, qui veille sur eux à sa manière. Sur un chemin parallèle, un autre homme se remémore l’enfance et l’adolescence, évoquant son désir pour la servante Zeenat, ses souvenirs du cuisinier Wazir Mian ainsi que les espaces réels et imaginaires qui l’ont modelé. Le long de routes poussiéreuses, les pensées de chacun défilent, le flux de la conscience se délite parfois, et nul n’imagine encore l’événement qui obligera l’autocar à s’arrêter en chemin, un peu plus longtemps que prévu…

     

    busstopped.jpgL’AUTEUR

    Poète, romancier, journaliste, critique littéraire, Tabish Khair est professeur de littérature à l’université d’Aarhus, au Danemark. Né à Gaya, dans le Bihar en 1966, il a publié son premier recueil de poèmes, Where Parallel Lines Meet, en 2000 chez Penguin. Apaiser la poussière (The Bus Stopped) publié par Picador en 2004, est son premier roman. Il fut sélectionné pour le Encore Award, prix décerné par la Société britannique des Auteurs. Le deuxième, intitulé Filming: A Love Story, a paru chez le même éditeur en 2007. Harper Collins a publié en juin 2010 son nouveau recueil de poèmes, Man of Glass, ainsi que son troisième roman, The Thing about Thugs, qui se situe dans le Londres victorien. Il collabore régulièrement à divers journaux et magazines britanniques, américains, indiens, danois… tels The Guardian, Outlook India, Times of India, The Independent, The Wall Street Journal, etc.

     

    Les Éditions du Sonneur
    5, rue Saint-Romain
    75006 Paris

    www.editionsdusonneur.com

    http://www.tabishkhair.co.uk/

     

     

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  • Entretien sur le blog du magazine 3:AM : Paul Stubbs, à propos de Black Herald Press

    paul1.jpg

    Paul Stubbs, co-editor of Black Herald Press, is interviewed by Darran Anderson on 3:AM Magazine's Buzzwords blog (21/09/2010)

     

    1) Where did the idea for Black Herald Press originate and what is the significance of the name?

    To begin with, we had the idea to self-publish two of our own works, to be for once in full control of our own editing and production. But then while in this process and through speaking with friends who have their own publishing houses here in Paris, we decided to push the project further by publishing our own literary magazine and also future individual works of originality that we feel attracted to; hence the birth of Black Herald Press.

    The title of the press is significant only in that it is taken from Los Heraldos Negros / Black Heralds, the first collection by the Peruvian poet César Vallejo, an important figure and influence. Beyond that, the word ‘Herald’ suggests a birth and/or declaration of something new and formidable that is close to announcement. Also we wanted a name that very few people would forget, and this seemed perfect.

     

    2) The emphasis of Black Herald, your own poetry and the writing of your Black Herald co-editor, the poet, writer and translator Blandine Longre, tends to focus on, for want of a better less-reductive term, “visionary” poetry (your website bears a masthead by William Blake which is a hint). It’s a tradition that’s been largely buried in Britain but embraced in Europe, do you see Black Herald as being part of this lineage? And, if so, who would you see as being influences?

    The title came first then, by chance, the Blake image, but we knew at once that when put side by side they possessed a powerful and symbiotic connection. I am not sure a ‘tradition’ of anything you could call visionary poetry has ever really existed in England, though of course there were and still are poets (outside of any movement or school) who could be described as possessing the faculties of a visionary power. At The Black Herald, the only ‘lineage’ we really want to pursue and be a part of is poetry that pushes the boundaries of what language can and cannot do... 

     

    READ MORE :

    http://www.3ammagazine.com/3am/five-for-black-herald-press-paul-stubbs/ 


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  • A paraître, Ex Nihilo / Clarities

     

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    Ex Nihilo, by Paul Stubbs

    Black Herald Press, 2010

    120x160 - 48 pages - 8 euros

    ISBN  978-2-919582-01-3

     

    clarities.jpg

     

    Clarities, by Blandine Longre

    Black Herald Press, 2010

     120x160 - 48 pages - 8 euros

     ISBN  978-2-919582-00-6


     

     

    Order the books/ Commander les ouvrages

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  • Black Herald Press

    blakeblkwh.jpgC'est nouveau et c'est ici

    http://blackheraldpress.wordpress.com/

    Et le Visage Vert (dont le numéro 17 paraîtra le 7 octobre 2010 aux éditions Zulma) vous dit tout là

    http://www.zulma.fr/visagevert/?p=209

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  • Quand les rois étaient des reines

    nabilnaoum5.jpgMoi, Toutankhamon, reine d’Egypte
    De Nabil Naoum
    traduit de l'arabe (Egypte) par Luc Barbulesco
    (Actes Sud, 2005)


    "Le roman n'examine pas la réalité mais l'existence (...) le champ des possibilités humaines." - Milan Kundera, L'Art du roman



    Le titre de ce saisissant roman offre déjà quelques clefs sur l’univers intimiste dans lequel le lecteur pénètre prudemment pour bientôt se trouver happé par le récit de la narratrice éponyme, personnage par essence hybride, inspirant d'abord une crainte mêlée d'admiration ; car (qui oserait en douter ?) c’est l’authentique Toutankhamon qui nous parle, et son récit obsédant a traversé les siècles après qu’elle l’a livré aux murs de sa prison : il est parvenu jusqu’à nous par le biais de la prose tour à tour audacieuse ou lyrique de Nabil Naoum.

    Le roman, certes ancré dans l’histoire de l’Égypte ancienne (dont on sait en réalité peu de choses, hormis ce que les tombeaux ont livré), retrace un destin invérifiable, que nulle source ne pourra venir confirmer ou infirmer – mais, à défaut d’être véridique, tout y est hautement vraisemblable, le romancier ayant déployé son imagination, en toute liberté, pour pallier les incertitudes de l’histoire. Il réinvente Tout, fille d’Amenothep et sœur d’Akhenaton (le roi rebelle qui remit en vogue le dieu Aton au détriment d’Amon), élevée comme un garçon, installée sur le trône à neuf ans ; pour se voir, à dix-huit ans, brutalement écartée de ce rôle masculin, créé de toutes pièces par sa mère et le grand vizir. Après avoir été le dieu vivant, sur lequel nul mortel ne peut poser le regard à moins d’y être autorisé, Tout-Nefret, enceinte de plusieurs mois, est jetée dans une fosse obscure tandis qu’un jeune prêtre est sacrifié pour servir de dépouille royale ; car un « roi » ne peut concevoir et encore moins enfanter, et devient gênant quand il s’obstine à vouloir mener une grossesse à terme…

    Dans sa dernière demeure, la jeune femme relate l’histoire de sa brève existence sur le point de s’achever par le poison – se confiant à des interlocuteurs invisibles ou absents, sa fidèle servante Senou (est-elle présente ?) ou son amant, Horemheb, celui qui l’aurait trahie.

    On trouve là des lamentations, il est vrai, mais étayées de souvenirs entrelacés, permettant à Tout de revivre tous les instants remémorés avant de mourir ; elle revient sans relâche sur son amour et sa haine mêlés, dirigés contre Horemheb, le chef des armées, celui qui l’a ouverte au plaisir des sens pour mieux la tromper ensuite, celui qui fut l’un des seuls à deviner que sous le costume du roi, se cachait une toute jeune fille.

    Le récit progresse par circonvolutions, retours et brusques avancées, par digressions temporelles, d’un souvenir à l’autre, au fil des sentiments souvent contradictoires éprouvés par la jeune Tout-Nefret (du désespoir à l’exaltation, de la fierté à la générosité, de l’abnégation de soi à la honte, etc.) – un mouvement de la pensée débarrassé de toute chronologie, qui se déploie au rythme des paradoxes d’un esprit subtil qui atteint peu à peu des vérités essentielles, et apprend à rejeter ce qui n’est qu’illusion – le pouvoir, les richesses et la vénalité de ceux qui ont pu commettre l'ultime trahison. Seule compte maintenant la vie nouvelle qu’elle abrite en elle (et pourtant condamnée). Le personnage grandit et s’affirme, et si elle s’écarte ainsi des lamentations et d’Horemheb, faisant preuve vis-à-vis de lui d’un cynisme montant, c'est bien grâce à ses multiples réminiscences : l’analyse du passé l’incite à dresser un bilan détaché de cette liaison secrète : « Comme les voies du souvenir sont curieuses… toutes les fois où je m’y suis enfoncée, j’ai découvert qu’elles étaient peuplées de mille détails, comme un rêve… Comme si le passé était plus clair que le présent… », confie-t-elle, comprenant que ces retours en arrière lui ont permis de se faire l’observatrice lucide et a posteriori d’événements sur lesquels elle n’avait aucune prise par le passé.

    Moi, Toutankhamon, reine d’Egypte est surtout un hymne à la féminité qui revendique son droit au plaisir charnel et au pouvoir, refuse la domination masculine et le paternalisme brutal des hommes ; un récit parcouru de révélations existentielles et de judicieux commentaires (évidemment très contemporains) sur les relations entre les sexes, la place réelle des femmes dans la société (en définitive, bien peu nous sépare de l'Égypte ancienne), et sur les faiblesses et les paradoxes de la tyrannie et de la virilité masculines : « j’ai compris à quel point tu craignais la mort. La violence est l’expression de la crainte, comme la cruauté. », constate la reine, s’adressant à Horemheb l’absent ; ou encore : «les hommes ne connaîtront pas la vérité de l’amour tant qu’ils ne seront pas libérés de leur crainte de notre supériorité. » Des traits de caractère qu’elle retrouvait chez le « frère » tant admiré, Akhenaton, si prompt à libérer les femmes et à les protéger, contrairement aux autres hommes... Cette exaltante réécriture de l’histoire (qui n’est pas sans rappeler l'épique roman de David Haziot, Elles) sert la cause des femmes et prône une égalité nécessaire, montrant combien l’histoire, la « grande », peut se faire mensongère quand elle est écrite par des hommes : « les chroniques des règnes sont pleines d’hypocrisie et de mensonges », affirme la narratrice, sachant qu’ils « graveront sur la pierre le récit des victoires illusoires que je n’ai pas remportées. » Les traces laissées par l’histoire seraient-elle donc semblables au verbiage fleuri d’Horemheb, amant volage tentant de se disculper de ses multiples absences ? Au contraire, seules la poésie (l’une des passions de Tout) et la littérature libéreraient la vérité du joug masculin et lui redonneraient la place qui lui revient. C’est donc le langage, libérateur, qui conduit Tout-Nefret à se révolter contre les manipulations passées et à entrer en subversion (contre l’ordre établi, les carcans religieux, moraux, politiques, etc.), délaissant pour un temps son désespoir (qui lui a toutefois fait prendre conscience que « Tout va à son extinction. ») ; en se souvenant de sa liaison avec un autre homme, Ta’ou, elle analyse désormais finement pourquoi les autres ont pu voir en elle un danger: « il [Ta’ou ] voyait en moi cette aspiration à me libérer de toute servitude (…) le pouvoir de s’émanciper de l’emprisonnement de l’idée d’éternité, imposée par tous les rites minutieux du culte et de l’embaumement. » ; et plus loin, elle lègue à sa fille (et à travers elle, à toutes les filles à venir au monde), ce message d’exultation : elle « reviendra à la vie dans le ventre d’une autre femme , et elle se verra alors en possession de toute la terre. »

    Nabil Naoum ne se targue pas d’être historien, mais paradoxalement, Moi, Toutankhamon, reine d’Égypte dépasse sans mal ces ouvrages pseudo-historico-romanesques faciles et rébarbatifs sur l'Égypte ancienne, auxquels le public s'est malheureusement habitué. Cet ouvrage unique appartient plutôt à la catégorie des grandes œuvres entêtantes et atemporelles, où l’acte langagier, dans son urgence, participe à un mouvement libérateur, où chaque mot s'impose au lecteur et participe d'un cheminement humain irremplaçable.

    B. Longre (sept. 2005)

    http://www.actes-sud.fr/index.htm


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  • Lecture d'été - 3

    davereidy.gifAudience Captive
    de Dave Reidy
    traduit de l'anglais par Nathalie Peronny
    Zanzibar, septembre 2010

    "REM, Nirvana et Francis Ford Coppola sont quelques-unes des « guest stars » qui apparaissent au fil de ces huit nouvelles, à l'image des vedettes de cinéma dans les séries télévisées. C'est que l'expérience de la performance, de l'exposition au public, de la scène (de la salle de patronage au stade de foot) est ce qui réunit tous les protagonistes de Reidy et lui fournit son fil conducteur. Mais on aurait tort de ne voir à travers ces portraits musicaux qu'un rituel de fan ou un traité pour amateurs de disques vinyl. Au contraire, au travers de l'initiation musicale, c'est tout l'apprentissage des adolescents au monde des adultes qui se joue. Comment faire coïncider une dévorante passion de jeunesse à la réalité d'une vie formatée d'avance, c'est ce défi que relève Audience captive, dans une écriture claire, élégante et inventive. Le High-Fidelity du début du siècle."

    http://zanzibar-editions.com

    http://www.davereidy.com/index.html

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  • Lecture d'été - 2

    cette-guepe-me-regarde-de-travers.jpgCette guêpe me regarde de travers
    Poèmes en deux langues d’Oscar Mandel
    Éditions Bruno Doucey, Collection L’autre langue, 2010

    Oscar Mandel, né en Belgique en 1926, partage son temps entre Los Angeles et Paris et écrit librement en deux langues. Voilà pourquoi les poèmes en français en regard de chacun des poèmes en anglais (et vice-versa) ne sont nullement des traductions mais des variations qui « ne font que happer le moment », précise l’auteur, pour qui « chaque poème se veut molécule libre, et libre de se cogner contre une autre ». Au lecteur de tracer son chemin, donc, dans ce recueil dont la facétie n’est souvent qu’un leurre permettant de désamorcer temporairement des pensées intenses et des questionnements lucides, sans concession, comme dans le poème intitulé « Do not place your trust in babies » (« Méfie-toi des bébés ») :

    Do not place your trust in babies:

    Himmler was one.


    Ami, méfie-toi des bébés.

    Himmler en fut un.


    http://www.editions-brunodoucey.com/

    http://oscarmandel.com/

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  • Lecture d'été - 1

    arton319.jpgExposé des faits

    de Vanessa Place

    Traduit de l’anglais par Nathalie Peronny

    Parution août 2010

    Éditions è®e, Collection Littérature étrangè®e

     

    Exposé des faits est un texte dont le mode de visionnage s’apparente à 10e chambre, instants d’audience de Raymond Depardon ; soit un docutexte en prise avec le réel au sein duquel les cas sont simplement présentés sans ajout de commentaire. La langue de la transcription judiciaire se veut neutre et objective mais ne peut échapper à la subjectivité de ses acteurs. Face à la recrudescence des séries policières, des émissions de reconstitutions, des dossiers et autres enquêtes, Vanessa Place s’empare des matériaux issus de son quotidien d’avocate et annule les effets de suspense et autres accessoirisations émotionnelles des faits. C’est au lecteur de prendre en charge la spectacularisation de la trame fictionnelle.

    http://www.editions-ere.net/

    Vanessa Place : http://www.editions-ere.net/auteur82


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  • Paul Stubbs, reading The Birth of The Third Reich

    The Birth of the Third Reich
    After "Triptych 1976" by Francis Bacon
    (for Blandine)

    http://paulstubbspoet.wordpress.com

    (published in The Wolf, the magazine for new poetry, London / New York, issue 23, June 2010).

    wolf23.jpgTous les numéros de The Wolf, magazine édité par James Byrne, publié trois fois par an, sont disponibles à Paris chez Shakespeare & Co (37 rue de la Bûcherie) ou bien peuvent être commandés en ligne.

    Le dernier numéro contient plusieurs reproductions des travaux du peintre Scott Anderson, dont on peut admirer quelques-unes des toiles sur son site.



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  • LE ZAPOROGUE #8

    zp8.jpgNouveau numéro de la revue littéraire et artistique le Zaporogue.

    New issue of the free-to-download literary and artistic mag, Le Zaporogue.

    Téléchargement gratuit

    ou commande de l'ouvrage papier.

    On pourra y lire, entre autres, quelques-uns de mes poèmes, d'autres de Paul Stubbs, une nouvelle d'Anne-Sylvie Salzman, La brèche, illustrée par Bobo + Bobi, une autre de Jerry Wilson (dont on recommande le recueil paru récemment chez Zanzibar, Park Avenue) d'autres poèmes de Sébastien Doubinsky, de Yahia Lababidi, de Kris Saknussemm, ou encore des nouvelles de Sabine Wyckaert.

    Avec / with :

    Yahia Lababidi

    Frieda Marie Gade

    Sabine Wyckaert

    Marlène Tissot

    Casper Mack

    Gary Cummiskey

    Crescent Varrone

    Sébastien Doubinsky

    Stephen Weeks

    Anne-Sylvie Salzman

    Bobi+Bobi

    Paul Stubbs

    Christian Bonde Korsgaard

    Blandine Longre

    Matthew Bialer

    Kris Saknussemm

    Jerry Wilson

     

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  • En lecture, le Littré...

    littre.jpgComment j'ai fait mon dictionnaire, Émile Littré
    Les Editions du Sonneur, La Petite Collection
    Paru le 21 mai 2010

    "En 1841, l’éditeur Louis Hachette confie à Émile Littré (1801-1881) la rédaction d’un dictionnaire de la langue française, dont le dernier volume est imprimé en 1872. Dans l’intervalle, plus de 400 000 pages écrites, d’innombrables heures d’obstination, la succession de multiples collaborateurs – lexicographes, correcteurs, typographes,  imprimeurs… –, sans compter la guerre franco-prussienne et la Commune. Comment j’ai fait mon dictionnaire n’est pas l’ode d’Émile Littré à sa propre gloire, mais le récit d’un travail titanesque, semé d’embûches, traversé de doutes, le témoignage d’un temps où un dictionnaire se rédigeait sur des petits bouts de papier qui, assemblés, ont fini par constituer l’immense œuvre que l’on sait."

    http://www.editionsdusonneur.com

    feuilleter un extrait de l'ouvrage

    Lire l'article de Jean-Pierre Longre

    http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/07/28/le-labeur-du-lexicographe.html

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  • Poèmes pour le temps présent

    ferling.jpgBlind Poet / Poète aveugle
    De Lawrence Ferlinghetti
    édition bilingue, traduction de l'anglais par Marianne Costa
    Maelström & Le Veilleur, 2004

    Dernier poète vivant de la Beat Generation, Lawrence Ferlinghetti demeure prolifique, en témoignent ces poèmes publiés en 2004 par Maelström (éditeur "belge de littérature" - et non l'inverse) qui nous offre là un excellent recueil, entièrement bilingue, pour le plus grand plaisir du lecteur - qui s'intéressera ainsi au travail précis de la poétesse Marianne Costa, traductrice de l'ensemble ; une publication en français qui réjouit l'auteur "après un hiatus de près de trente ans, pendant lequel les lecteurs ont été privés de mon travail traduit dans la belle langue française."

    Composés après 9/11 et regroupés sous le titre Touriste des Révolutions (Prendre la parole après le 11/9) / A Tourist of Revolutions (Speaking Out after 9/11), ces poèmes sont ancrés dans une réalité géopolitique et sociale qui nous est familière : complaintes, accusations, et constat des "troubles" engendrés par la volonté d'omnipotence d'un gouvernement américain dont les actes impérialistes ne cessent de choquer les consciences ; et la plume du poète de dénoncer la déliquescence des libertés, d'interroger sans répit le nouveau visage du monde et d'éclairer nos esprits de vers libres lumineux, en un mixe de désillusion et de sagesse acquise au fil de l'Histoire ; des textes lucides qui, tout en délivrant un message complexe, sont volontairement explicites :

    "Et une vaste paranoïa déferle sur le pays
    Et l'Amérique transforme l'attentat contre ses Tours Jumelles
    En début de Troisième Guerre mondiale
    La Guerre contre le Tiers-Monde"

    (Speak Out)

    On regrettera que le français perde au passage le sens double du terme "Third" car le poète parle davantage de la guerre au "Third World" (Le Tiers-Monde) que de la "Troisième". Il reste que les positions politiques et humaines de Ferlinghetti, à travers ces quelques lignes, sont déjà circonscrites : sans jamais encourager le terrorisme, il revendique un droit à la parole, pour lui et pour ses concitoyens (la "Majorité silencieuse"), ou encore pour la marge, "ces freaks et ces libres penseurs / Poètes aux yeux fous Philosophes de l'asphalte (...) / Exilés dans leur propre pays !", incitant (non pas en moralisant, mais seulement par le biais de sa vision individuelle) les uns et les autres à enfin mêler leurs voix. La passion véhémente que le poète met dans ses vers ne lui fait nullement perdre sa lucidité politique et sa posture rationaliste, car c'est autant au coeur qu'à la raison qu'il choisit de s'adresser ("Pour chaque bombe qu'on largue / surgissent mille Ben Laden / Mille terroristes.") Les images sont parfois empruntées aux temps anciens, pour renforcer l'idée que c'est du désordre des esprits de la minorité - les gouvernants - que naissent les désordre du monde actuel, reprenant là une idée chère à Shakespeare, celle du chaos qu'un microcosme peut transmettre au macrocosme : "Ils ont transformé la Maison Blanche / en Cheval Blanc / leur Cheval de Troie / plein de soldats civils / avec des armes de destruction nocive / un mot nouveau pour leur cerveau / ou (...) leur personnalité pathologique."

    Mais les attaques directes contre Bush et ses sbires (les "nouveaux proto-fascistes de la Maison Blanche") s'accompagnent d'une désespérance palpable, plus particulièrement visible dans le poème "Démocratie Totalitaire/Totalitarian Democracy", lente et ambivalente énumération nominale retraçant dans le désordre l'histoire du monde (l'ancien et le nouveau), inventaire implacable, de "La première aube exquise de la vie sur terre" à "La dernière lamentation pour la démocratie perdue" ; un poème qui fait écho à une autre litanie ("J'attends / I am waiting") qui laisse, cette fois, une toute petite place à un espoir - certes teinté de cynisme : "J'attends avec bonheur / que les choses empirent beaucoup / avant de s'arranger."  Un poème où Ferlinghetti s'interroge aussi sur la fonction du poète tout en rendant un hommage discret à John Keats (Ode on a Grecian Urn) et, en remontant plus loin dans le temps, à John Donne (The Canonization) - dont la sarcastique et paradoxale lucidité valait bien, sur un tout autre terrain, celle du poète Américain - écho que l'on retrouve dans ces quelques vers :

    "J'attends d'écrire
    le grand poème indélébile
    (...) 
    et à perpétuité j'attends
    que les amants fuyant sur l'urne grecque
    se rattrapent enfin
    et s'enlacent."

    Mais c'est dans le poème intitulé "A Tourist of Revolutions" que l'auteur s'interroge plus ouvertement encore sur l'authenticité de son engagement passé (en particulier à Cuba) et sur sa postérité - pour lui compromise... Il est permis d'en douter quand on lit d'autres textes encore, des poèmes où la vision géopolitique d'un monde en perdition s'élargit et s'attache à décrire ce qui déjà fait notre quotidien ; par exemple à travers un dialogue entre un père et un fils ("It's Us Stupid / C'est nous, Idiot") qui prend la forme d'un cruel jeu de questions-réponses dévoilant l'absurde farce que nous nous jouons, malgré nous, et qui retrace les dysfonctionnements actuels (pollution et environnement, pauvreté matérielle et affective, outrances de la société de consommation, situation du tiers-monde, surpopulation - thème qu'il développe aussi dans le très ironique "Le blues de la ponte"). L'ensemble s'achève sur un habile et réjouissant détournement du Lord's Prayer (Notre Père), dans lequel on lit la détermination subversive du poète ("Our Father whose art's in Heaven / Hollow be thy name / Notre Père qui crées aux Cieux / que ton nom soit démystifié"), refus flagrant d'une instance supérieure, sur laquelle les humains n'auraient pas prise, pour finir sur un cinglant "Ah, Man !"- qui, hormis son insolence salutaire, replace d'emblée l'humain au centre du monde.

    Pilier de la contre-culture

    La dissidence active et courageuse de Lawrence Ferlinghetti résonne comme une évidence à travers ses textes ; la lecture de cette plume impatiente, pressée, osant dire sans feintes ce que la "majorité silencieuse" ne veut/peut/sait exprimer, qui a traversé le XXe siècle et perdure aujourd'hui, se vit comme une expérience unique et marquante. Davantage encore si l'on sait que le poète est aussi peintre, romancier, éditeur et traducteur (de Prévert ou de Pasolini...) ; une personnalité au centre de la Renaissance littéraire de San Francisco - et ce depuis les années 1950, quand il fonde, avec Peter Martin, City Lights, la désormais célèbre librairie indépendante de San Francisco. La librairie, qui vend du "paperback" (livre de poche) de qualité, s'est agrandie au fil des décennies, mais dès 1955, le poète décide d'étendre son champ action en montant, en parallèle, une maison d'édition (City Lights Publishers) ouverte aux littératures alternatives, aux idées progressistes et aux poètes dissidents (dont Georges Bataille et Charles Bukowski).

    Touriste des Révolutions est suivi d'autres textes choisis par Ferlinghetti lui-même, dont Allen, un émouvant hommage à Ginsberg (dont le célèbre Howl paraît en 1956, dans la première collection de la toute récente maison d'édition City Lights) et un ensemble de poèmes intitulé Comment peindre la lumière (plus précisément "Sunlight"), qui reflète les préoccupations du Ferlinghetti peintre et où l'esthétisme prend le pas sur le politique. Une poésie visuelle, dédiée au dieu soleil et pétrie d'ombres et de lumières, et qui, en mêlant poésie et art pictural, langage et vision dans une étonnante synesthésie (on pense entre autres à e.e. cummings), illustre pleinement la puissance d'évocation du verbe.

    Une autre partie, Migrations Surréelles / Surreal Migrations (1999), fait la part belle à une poésie cosmique, inspirée par l'antiquité et par des croyances disparues : une géographie liquide de l'esprit qui épouse les flux des pensées ("Surreal Migrations II") ; et sans s'éloigner des préoccupations politiques que l'on trouve dans Touriste des Révolutions ("Venus de Milo sur une demi-coquille / Statues de la Liberté à Las Vegas (...) Et inondés de baratin / des millions de gens salivent / sous les panneaux"), le poète offre des vers qui dévoilent son rapport au monde avec, au premier plan, l'omniprésence des éléments naturels et un retour nostalgique sur sa jeunesse révolue de bohémien éclairé. Un groupement de textes plus optimistes, qui s'achève sur une autre prière, cette fois adressée "À l'oracle de Delphes ("To the Oracle at Delphi") :

    lawrenceferl.jpg"Sors enfin de ta grotte
    Et parle-nous par la voix du poète
    La voix de la quatrième personne au singulier 
    (...)
    Et donne-nous de nouveaux rêves à rêver
    de nouveaux mythes à vivre !"

    Tant que les poètes parleront ainsi, tant qu'ils refuseront la facilité de l'aveuglement, nous les écouterons.

    (B. Longre, juillet 2005)

    http://www.maelstromeditions.com/

    http://www.citylights.com/CLlf.html

    Chez le même éditeur, a paru en traduction (par Marianne Costa) A Coney Island of the Mind et autre poèmes ; ce recueil initialement publié en juin 1958 par City Lights, a été réédité dans un beau format en 2008 (avec un CD) pour fêter son cinquantième anniversaire.

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  • En librairie, Quien es ?

    quien es.jpg"Les mots solitaires ont du mal à survivre, à exister – ils sont comme des oisillons tombés du nid, ils peuvent mourir à chaque instant, mais si on prend le temps de les recueillir et de bien s'en occuper, alors ils peuvent prendre une taille et une force terrible."

    Quién es ? de Sébastien Doubinsky (Joelle Losfeld, 2010) est un roman(-récit-monologue intérieur, stream of consciousness garanti) incontournable et parfaitement inclassable (d'où son intérêt générique et littéraire, entre autres), où il est question d'un certain Billy The Kid, d'un mythe habilement revisité, humanisé, et surtout de la puissance du verbe et de son contraire.

    Certains en parlent déjà très bien, et plus longuement (lire les articles de Claro de Bartleby et d'Anne-Françoise Kavauvea) et un peu moins bien ici.

    On en apprendra davantage sur Sébastien Doubinsky en allant lire l'entretien du Fric Frac Club.

    http://www.joellelosfeld.com/ouvrage-A78782-quien_es_.html

    Sébastien Doubinsky est aussi l'auteur, entre autres, de The Babylonian Trilogy (PS Publishing, 2009) et d'un recueil de poèmes, Tableaux Noirs (dessins de Christian Martinache, Le Grand Tamanoir, 2010), "34 tableaux en hommage à un couleur qui les efface toutes."

     

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  • Archéologie littéraire en gestation, anthropologie de l'intime.

    carvalho3.jpgNeuf nuits, de Bernardo Carvalho
    Traduit du brésilien par Geneviève Leibrich, Métailié, 2005

    « On se suicide toujours trop tard. » (Cioran)

    Roman ou documentaire ? Autofiction ou travail journalistique ? Il serait téméraire de trop vouloir démêler les fils narratifs et génériques de cet ouvrage saisissant, qui se veut finalement tel que l'auteur le revendique, ébauche docu-romanesque avouée. Neuf nuits se comporte comme la transcription en apparence chaotique d'un work in progress, le lecteur assistant à l'enquête qui semble se dérouler simultanément à la lecture... Effet d'optique, certes, mais la profonde empathie ressentie pour l'auteur (son obsession devenant la nôtre...) et pour l'objet de son investigation (l'anthropologue Buell Quain), est un sentiment bien réel. Et, au bout de quelques pages, on est déjà happé par "l'affaire" Quain : l'anthropologue nord-américain de l'université de Columbia qui s'est donné la mort en 1939 au fin fond du Xingu à l'âge indécent de 27 ans, laissant derrière lui des lettres qui apportent quelques indices sur les motifs de son geste ultime, sans qu'ils suffisent à percer un secret que l'on devine dévastateur.

    Bernado Carvalho, tombé sur un article mentionnant brièvement cette tragédie, a fouillé sans répit le passé du jeune homme, est parti sur les traces de ceux qui l'ont connu (famille, confrères, Indiens), a interrogé et comparé les articles, les ouvrages, les lettres et les archives... et de nous en faire part avec une surprenante minutie, comme si sa propre vie en dépendait. Est-ce la passion que Bernado Carvalho met dans sa quête qui transforme Buell Quain en être fascinant, ou bien l'anthropologue disparu l'est-il par essence ? L'auteur retrace les étapes de son enquête et s'explique régulièrement sur ses motivations : "L'histoire était réellement incroyable. (...) J'ai reconstitué un puzzle et je me suis créé une image de celui que je cherchais." Une image sans nul doute incomplète, mais cependant construite à partir de documents et de témoignages authentiques. Il est certain que Buell Quain avait été très affecté par un séjour antérieur chez les Indiens Trumaï, un peuple terrorisé, en voie d'extinction, et que lors de son séjour chez les Kraho, peu de temps avant de se donner la mort, il semblait particulièrement instable et agité. L'auteur ne délaisse aucune piste, réelle ou imaginaire : on parle d'un mal incurable (la syphilis, selon Claude Lévi-Strauss, que Buell Quain avait croisé brièvement au Brésil), de difficultés familiales, de son souci de paraître moins riche qu'il n'était, ou du sentiment d'avoir déjà trop voyagé, d'avoir fait le tour de ce que la vie et le monde pouvaient lui apporter et d'avoir quitté le paradis qu'il pensait avoir trouvé aux îles Fidji.

    A défaut de faire toute la lumière sur ce mal (physiologique et/ou existentiel) qui rongeait le chercheur, à défaut d'atteindre une vérité volatile (que la subjectivité et les propres secrets des personnes ayant été en contact avec Buell Quain rendent plus mouvante encore), Bernado Carvalho emprunte les voies certainement plus rassurantes de la fiction en insérant à son enquête des lettres inventées, sorte de testament-confession que Manoel Perna, un ingénieur de la ville la plus proche, le seul ami de Quain dans le Xingu, aurait écrit ; en se réappropriant les événements, en réinventant un Quain à son image, Bernado Carvalho libère son imagination, lui évitant ainsi de s'atrophier face à la frustrante investigation entreprise. Ces textes lancinants, adressés à un interlocuteur invisible, apportent des éclaircissements pourtant inadéquats, mais l'énigme se fait moins lointaine. Manoel Perna se remémore le temps passé (« neuf nuits » en tout et pour tout) avec celui qu'il considérait comme un ami - parvenant à cerner son désespoir tout en répétant que ce qu'il relate « est un mélange entre ce qu'il m'a raconté et ce que j'ai imaginé. », sa confession se faisant le reflet du roman tout entier : comme si l'alternance entre faits et fiction, entre témoignages contradictoires et écrits authentiques, était, en définitive, l'unique recours ; et l'auteur compte sur le lecteur pour compléter le récit en faisant dire à son personnage Manoel : « Les histoires dépendent avant tout de la confiance de celui qui les écoute et de sa capacité de les interpréter. »

    Pourtant, on entraperçoit ici les limites de la fiction, insuffisante à combler les vacances de l'histoire. C'est ainsi qu'à mi-parcours, le romancier change provisoirement de tactique et met en parallèle ses propres expériences et celles de Quain, une manière de renforcer l'obsession qu'il éprouve pour le fantôme de l'anthropologue. Il se remémore les vacances qu'il passait dans le Xingu avec son père, qui y possédait des terres : « la représentation de l'enfer, tel que je me l'imagine, (...) remontait au Xingu de mon enfance. » Plus loin, il ajoute : « Je ne comprenais pas pourquoi les Indiens s'étaient installés là, ce qui leur avait pris, cela me paraissait d'une bêtise incroyable, et même d'un masochisme certain et une espèce de suicide. » C'est un anthropologue qui l'éclairera, expliquant que les Indiens « ont été repoussés, acculés, ils ont fui jusqu'à s'établir dans le lieu le plus inhospitalier et inaccessible, le plus impropre à leur survie et en même temps leur unique et dernier refuge. »

    Le souvenir de cette région, peuplée d'Indiens acculturés (« spectacle déprimant ») concorde en partie avec ce que Quain avait pu écrire, déjà, en 1939 (« Le traitement officiel a réduit les Indiens à la paupérisation »). De retour dans le Xingu en 2001, pour les besoins de son enquête, l'auteur vit une expérience passablement traumatisante, un séjour relaté dans le détail, dominé par une terreur des rituels qui prend le pas sur sa compassion : « Je ne suis pas anthropologue, je n'ai pas une belle âme. J'en ai eu plein le dos. » ; un épisode que l'on découvre, partagé entre rire et malaise : l'intellectuel n'a rien d'un aventurier et atterri dans un milieu hostile, humilié et ridiculisé par des Indiens entre deux mondes, tandis qu'il se sent paradoxalement coupable de se comporter avec tant de mauvaise humeur.

    Mais sans être anthropologue, Bernado Carvalho, tout en s'émerveillant de la tendresse et de la tolérance dont les Indiens font montre à l'égard des enfants, s'efforce de comprendre (une admirable volonté d'aller au-delà des clichés paternalistes) et met le doigt sur ce qui provoque l'incompréhension mutuelle entre les deux peuples, Brésiliens et Indiens, sur l'impossibilité pour les Blancs individualistes de s'adapter à la vision indienne des interactions humaines : «Ce n'est pas une relation d'égal à égal, mais d'adoption mutuelle (...) : au village, vous êtes leur enfant ; en ville, ils sont votre enfant. » Mais les Indiens sont aussi des victimes, « les orphelins de la civilisation. Ils sont abandonnés. » - une solitude analogue à celle que l'anthropologue ressentait dans le Xingu et qui rejoint l'analyse de Manoel Perna parlant de Quain et des Indiens Trumaï : « il avait rencontré un peuple dont la culture était la représentation collective du désespoir qu'il vivait lui-même. »

    Les liens entre anthropologie et littérature peuvent se faire ténus (par exemple, on renverra le lecteur à Eden Cannibale de l'anthropologue Alain Testart, dans la veine des grands romans philosophiques, où connaissances scientifiques et fiction font bon ménage), les deux disciplines se donnant pour tâche, en définitive, d'explorer l'humain dans toutes ses dimensions et de débusquer des invariants de notre condition - analogie que l'on trouvera tout au long de ce roman à nul autre pareil, palpitante quête effectuée par un homme qui s'avoue «complètement obsédé », « hypnotisé » par la béance des faits et par l'anthropologue Quain lui-même : le vide qu'il laisse en se suicidant évoque naturellement la vacuité de toute existence. L'architecture romanesque d'abord déroutante remporte rapidement l'adhésion du lecteur, qui est prêt à suivre fidèlement les hypothèses que l'auteur échafaude, les différents niveaux de lecture qu'il impose et ses propres tâtonnements, dans une prose précise et sobre.
    Mais qui possède véritablement les clés ? Le romancier, archéologue de l'âme, ou son personnage, Manoel Perna, dépositaire imaginaire des secrets de Quain ? On penchera pour le second, dont la prose emberlificotée révèle ce que nous nous surprenons aussi à vouloir ardemment saisir : « Nous sommes tous des chiens de bord de route, pris au dépourvu, incapables de comprendre que c'est toujours le mauvais moment pour traverser. »

    B. Longre (août 2005)

    http://www.editions-metailie.com/index.php

     

     

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  • Zanzibar - bis

    L'une des dernières parutions des éditions Zanzibar, l'excellent ZANZIBAR QUARTERLY & CO.

    On en parle aussi chez Claro

    quart.png

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  • I leave this at your ear...

    graham_newcp.jpg

    New collected poems de W.S. Graham (Faber)

    "The beast that lives on silence takes
    Its bite out of either side.
    It pads and sniffs between us. Now
    It comes and laps my meaning up.
    Call it over. Call it across
    This curious necessary space.
    Get off, you terrible inhabiter
    Of silence. I’ll not have it. Get
    Away to whoever it is will have you."

    Le point de vue de Harold Pinter

    Le poète en lecture (1979)

    Sur le site de Faber

    I LEAVE THIS AT YOUR EAR
    For Nessie Dunsmuir

    I leave this at your ear for when you wake,
    A creature in its abstract cage asleep.
    Your dreams blindfold you by the light they make.

    The owl called from the naked-woman tree
    As I came down by the Kyle farm to hear
    Your house silent by the speaking sea.

    I have come late but I have come before
    Later with slaked steps from stone to stone
    To hope to find you listening for the door.

    I stand in the ticking room. My dear, I take
    A moth kiss from your breath. The shore gulls cry.
    I leave this at your ear for when you wake.

    Copyright © The Estate of W.S. Graham, 2000.

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  • Crucifixion (triptych, 1965) de Paul Stubbs - et sa traduction.

    Crucifixion (triptych, 1965)
    After Francis Bacon

    1.

    A woman, unscripted, she bends into her
    flesh; fidgeting, squirming, contorted:

    As if the molten-metal from the mould
    of the swastika

    it was being intravenously fed into her
    veins…

    While Satan, upon his sunbed, grins.

    2.

    Arms pinioned, the epoch is suspended.

    From the ripped-open gut spills the
    detritus of the century:

    fragments of a failed despot’s
    speech, a bishop’s vertebrae,
    bomb-shells etc

    – A crucifixion also begins to stop.

    3.

    Two journalists, at lectern, in court:

    Idly discuss the cricket game or the
    gas-chambers.

    “I am moving” cries the Nazi behind them,
    “back through the death-throes of my sins!”

    – God, out of frame, indifferent:
    force-feeding him the ashes
    of the survivors of Auschwitz.

    © Paul Stubbs
    (The Icon Maker, Arc Publications, 2008)

    crucifixion.jpg

    Crucifixion (triptyque, 1965)
    D’après Francis Bacon

    1.

    Une femme, improvisée, elle se replie sur sa
    chair ; s’agite, se tortille, se contorsionne :

    Comme si le métal fondu du moule
    de la croix gammée,

    on le lui injectait par
    intraveineuse…

    Tandis que Satan, sur son lit à bronzer, affiche un large sourire.

    2.

    Les bras cloués, l’ère demeure suspendue.

    De ses tripes déchirées, se déversent
    les détritus du siècle :

    le discours fragmenté d’un despote
    déchu, les vertèbres d’un évêque,
    des obus etc.

    – une crucifixion commence elle aussi à prendre fin.

    3.

    Deux journalistes, au pupitre, au tribunal :

    discutent nonchalamment du match de cricket ou des
    chambres à gaz.

    « Je repars », s’écrie le Nazi posté derrière eux,
    « en arrière, et traverse les affres mortelles de mes péchés ! »

    — Dieu, hors-cadre, indifférent :
    l’oblige à avaler les cendres
    des survivants d’Auschwitz.

    (translation © B. Longre)

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  • Les malheurs de Rachid

    eldaif.jpgQu'elle aille au diable, Meryl Streep !
    de Rachid Ed-Daïf

    traduit de l'arabe (Liban) par Edgard Weber
    Actes Sud, 2004 / Babel 2010

    D'entrée de jeu, le narrateur nous embobine dans un discours emberlificoté et cocasse, sans jamais, semble-t-il, se départir d'un ton sentencieux qui sert à merveille l'ironie de ce roman. Sans relâche, le narrateur se réfugie dans les mots pour vivre une révolte qu'il n'a pas le courage de transposer en actes, ou pour s'assurer (il ne peut cependant nous tromper longtemps) que son statut d'homme et d'époux ne saurait être remis en question... Son monologue suit une logique qui lui est propre, donne lieu à de nombreuses confusions, et le lecteur, bien vite, se rend compte des contradictions qui régissent l'univers intérieur de Rachid. Faut-il le plaindre ? Le condamner ? Ou plutôt rire de lui ? Assurément, face à la déroutante naïveté de ce narrateur, pathétique macho tiraillé entre tradition et modernité, et face à sa mauvaise foi pathologique.

    Rachid, longtemps célibataire, est enfin marié ; cela fait un mois, mais les malentendus et les querelles se multiplient entre lui et sa femme, cette dernière passant ses soirées et parfois ses nuits chez ses parents, prétextant que ces derniers, eux, possèdent une télévision, de surcroît branchée au câble... Rachid, en époux attentif (en réalité désireux de satisfaire plus souvent ses ardeurs sexuelles), décide d'acquérir lui aussi l'objet du désir, tout en se souvenant des sages paroles de son père, qui disait de la télévision : "un monde qui détruisait l'homme à cause de sa dangereuse, efficace et impressionnante magie", ajoutant : " nous ne sommes plus seuls dans notre maison, nous ne sommes plus des humains à part entière. Nous ne sommes plus que des yeux exorbités et des oreilles dressées."

    En cédant à la modernité et au progrès, Rachid pense pouvoir gagner l'amour de sa femme. Son achat ne change pourtant rien à l'obstination de cette dernière, à qui l'auteur ne laisse pas la parole, sans que cela nous empêche de deviner son désir d'émancipation. La position sociale de Rachid et son honneur de mâle dominant sont irrémédiablement ébranlées quand son épouse le quitte... En mari abusé, humilié, il se lamente et s'apitoie sur le sort qui lui a envoyé une femme qui ne lui convient finalement pas tant que ça, et il continue de se mentir à lui-même et de se protéger derrière son mur de valeurs traditionalistes et un discours que la femme libanaise ne veut de toute évidence plus accepter (" réparer la division homme femme, est un devoir de femme", "j'aime beaucoup aider la femme à sortir de la coquille dans laquelle les coutumes l'ont enfermée. Mais, en même temps, j'aime que la femme conserve un minimum de retenue").

    Dans le même temps, il ne cesse de revenir à ses fantasmes sexuels, ne nous épargnant aucun détail, s'épanchant ouvertement sur la difficulté pour un homme célibataire de trouver des partenaires et de se forger une expérience, tout en rabâchant combien la virginité d'une femme doit être préservée jusqu'au mariage. La Meryl Streep du titre (qu'il a observée, grâce à sa télévision, dans le rôle de l'épouse qui quitte son mari dans Kramer contre Kramer) incarne la femme occidentale, libérée et provocante, et le dilemme de Rachid : une représentation qui l'éblouit ("Meryl Streep est une femme splendide qui me fascine") et le terrifie tout à la fois : "Meryl Streep et ses compatriotes (...) ne se voilent pas et ne voilent rien. Qu'elles aillent au diable ! Elles n'ont rien à voir avec nous."

    Cette fabuleuse étude de mœurs révèle un malaise palpable : celui de l'homme libanais aux prises avec des transformations sociales qu'il est dans l'incapacité de contrôler ou de réprimer ; les modifications des règles des jeux de l'amour et du sexe troublent profondément Rachid et ses interrogations, certes légitimes, de même que ses arguments souvent bancals, dévoilent le mal-être d'une société naturellement mutante et l'existence d'une guerre des sexes qui est loin d'être achevée. Difficile de s'attacher à ce personnage imbu de lui-même et du statut qu'il a reçu en naissant mâle, et sa mauvaise foi, sa lâcheté et son immoralité flagrantes laissent pantois. Mais c'est avant tout son inadaptation aux modifications sociales, sa naïveté maladroite et son discours répétitif, obsessionnel, qui en font un antihéros de choix.

    © B. Longre

    http://www.actes-sud.fr

     

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  • Haïkus au féminin

    haijin.jpgDu rouge aux lèvres
    Haïjins japonaises
    Traduction de Makoto Kemmoku et Dominique Chipot
    (Points, 2010 / La Table Ronde, 2008)

    « kare-kusa no hito omou toki konjiki ni »

    « Quand je pense à mon amour
    les herbes jaunies
    paraissent d'or. »
    (Masajo Suzuli, 1906-2003)

    Même sans forcément maîtriser ses règles exactes de composition (hormis peut-être le rythme syllabique en 5-7-5) nous connaissons tous le haïku, ce court verset qui a rapidement fasciné l'occident (dès le début du XXe siècle), forme poétique maintes fois empruntée aux poètes japonais, où culmine l'art de la densité, de l'immédiateté et de l'impermanence. Cette belle anthologie regroupe les poèmes de plusieurs haïjins, uniquement des femmes, les traductrices ayant constaté que les poétesses ont souvent été oubliées par les traducteurs et les éditeurs français - alors que la littérature japonaise compte nombre d'auteures depuis des siècles, comme la très réputée Murasaki Shibiku (Xe siècle), à laquelle on doit le Dit de Genji, premier roman de la littérature mondiale, comme le rappelle l'introduction (peut-être un peu trop brève à notre goût).
    Ainsi, on découvrira d'abord (et chronologiquement) la poésie de Chigetsu Kawaï (1640-1718), disciple de Basho, l'un des poètes les plus connus, dont elle était très proche. Des haïkus classiques, pour la plupart inspirés par la nature et ses transformations cycliques :

    « En fondant
    la neige
    ravive les pousses. »

    haijin3.jpgViennent ensuite les poétesses les plus célèbres du XVIIIe au XXe siècles, comme Chiyo-ni (qui se concentre sur la nature mais aussi sur les gestes de son quotidien, et à laquelle on doit le titre de ce recueil), Takako Hashimoto (que les Japonais considèrent comme un génie) ou Takajo Mitsuhashi (qui exprime des impressions plus mélancoliques).
    Une bonne partie de l'ouvrage est consacré aux poétesses nées avant la première guerre mondiale, dont Sonoko Nakamura (1913-2001) - ses compositions, sans être morbides, abordent délicatement l'idée de mort, omniprésente, et le caractère éphémère de l'existence :

    « La saison matinale
    des volubilis,
    interminable mort. »

    « Voletant çà et là,
    des lucioles
    ou des âmes vivantes ? »

    Mais les traductrices se sont aussi penchées sur les auteures nées entre les deux guerres (dont plusieurs encore vivantes), telle que Kiyoko Uda (1935-) qui propose des images plus audacieuses où le monde visible permet d'accéder à l'abstraction :

    « Une mouche d'hiver.
    Minuscule zéro
    sur la pierre. »

    « Tourniquets
    qui tournent en rond.
    Poème à forme fixe. »

    Les thèmes abordés peuvent se faire graves, comme dans la brève série de haïkus consacrés aux bombes atomiques, tous écrits par des néophytes, ancrés dans un monde concret de souffrances :

    « J'ai beau les chasser !
    Les mouches reviennent
    maintes fois sur mes plaies »

    « Sous un soleil brûlant
    je ramasse dans un seau
    les os chauds. »

    L'ouvrage s'achève sur des auteures nées entre 1945 (jusqu'aux années 1980), montrant combien cette tradition poétique est loin de tomber en désuétude ; mais l'échantillonnage proposé, même s'il reste très agréable à parcourir, ne permet pas de se faire une idée très précise du style ou des dominantes de chacune. On restera néanmoins sous le charme de quelques strophes, où la nature reste là encore au premier plan, harmonieuse ou discordante, épousant très subtilement, on l'imagine, les sensations et les émotions des poétesses :

    « Bruit de l'eau,
    chant de grillons
    et battements de mon cœur. »
    (Maya Okusaka, 1945 -)

    « Printemps limpide -
    j'entends les nuages
    naître dans le ciel. »
    (Reiko Akezumi,1972 -)

    © B. Longre

    http://www.editionspoints.com/

    http://www.editionslatableronde.fr/

     

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  • Sobriété, rigueur, suspense

    mat.jpgMat de Ronan Bennett
    Traduit de l'anglais par Danielle Mazingarbe, Editions Sonatine, 2009 (titre original, Zugzwang, Bloomsbury)

    St Pétersbourg, 1914. Un tournoi d'échecs international se prépare. Otto Spethmann, un veuf sans histoires, psychanalyste et amateur d'échecs, est interrogé par la police secrète, qui soutient que le docteur et sa fille de dix-huit ans, Catherine, seraient impliqués dans le meurtre d'un jeune poète. Parmi ses patients, Otto compte trois personnages relativement importants : Rozental, champion d'échecs (pressenti comme favori pour le tournoi mais sujet à de profondes angoisses), Gregory Petrov, député bolchevique, défenseur des ouvriers, et Anna Ziatdinov, épuisée par des cauchemars récurrents. Otto, très attiré par elle, lui parle de la visite de la police et la jeune femme tâche de faire intervenir son père, un industriel influent.

    Ainsi débute ce thriller qui n'est pas à proprement parler un roman historique, même si à l'arrière-plan de l'intrigue, se dessine une époque trouble de l'histoire russe ; en contraste avec ses quartiers sordides, la magnificence de la ville est évoquée, un faste qui incarne un impérialisme tremblant sur ses fondations - les attentats, le peuple affamé, les manifestations réprimées dans le sang, les différentes factions politiques (autocrates, anarchistes, bolcheviques, Juifs polonais...). La guerre aussi approche et la révolution est insidieusement en marche, ce dont le narrateur, Otto Spethmann, est convaincu ; pour lui, les puissants sont « en Zugzwang » (terme allemand, signifiant "obligation de jouer", lorsqu'un joueur est contraint de jouer un coup perdant) : « When things reach this pitch, we are all in Zugzwang. Past wrongs will not be forgiven. Rage and numbers will tell. » Les échecs (un jeu « meurtrier ») sont en effet omniprésents : Otto s'efforce de réfléchir en stratège quand la situation paraît inextricable et, en parallèle à l'intrigue, on suit la longue partie qui l'oppose à un ami violoniste, Kopelzon, une partie qui rejoint l'évolution de l'amitié entre les deux hommes. Dans le même temps, plus Otto avance, et quoi qu'il fasse, plus le piège se referme sur lui, un engrenage terrible et peut-être mortel. En définitive, lui qui s'oppose à toute forme de violence devra à son tour tuer un homme, plutôt que de voir des centaines d'autres mourir, et 'idée de libre-arbitre est sans cesse remise en cause : selon le député Petrov, un individu n'a jamais le choix de ses actes.

    mat2.jpgAussi, ce psychanalyste sans allégeances politiques, qui mène une existence paisible, se retrouve aux prises avec des forces d'abord invisibles, en tout cas quasi omnipotentes. Sa situation rappelle immanquablement celle du personnage central de Havoc in its third year, roman précédent de Ronan Bennett, fresque fascinante qui se déroulait dans l'Angleterre des années 1630, période de bouleversements religieux et politiques. Pour Mat, l'auteur a choisi un contexte spatio-temporel bien différent, mais similaire sur de nombreux points (une crise politique, une société sur le point d'exploser) ; les problèmes abordés et le schéma éthique (la façon dont Otto perçoit ces changements mais aussi les actes criminels qui se succèdent) restent en effet semblables, comme les grands thèmes qui traversent le roman : les mécanismes du pouvoir, ses dangers et ses limites, les dérives qui l'accompagnent quand il est entre les mains de fanatiques (antisémites, bolcheviques, tyrans...) ou sous l'influence d'idéologies qui, en dépit de leurs éventuelles qualités premières, mènent à des compromis, à des trahisons et corrompent les individus.

    Otto possède malgré tout un pouvoir sur la psyché, son matériau de travail ; son rôle consiste à décrypter les troubles psychologiques et à appréhender l'esprit humain, sans toutefois être en position de tout saisir : d'abord dans la position du candide qui croit pouvoir se distancer du monde et des troubles du pays, il comprend peu à peu qu'il lui est impossible de conserver une position neutre. Il s'agit donc ici (comme dans Havoc in its third year) du roman d'un homme seul contre tous, héros malgré lui, écartelé entre ses valeurs morales, son honnêteté intellectuelle, sa quête de bonheur privé, et les actes de violence ou les compromis que requiert la situation. Lui aussi est faillible : il tombe amoureux d'une patiente (déontologiquement, une faute) dont il doute parfois de la sincérité et dont on se méfie. De même, on l'accuse de passivité, de s'être assoupi dans son confort bourgeois (la visite de la police secrète est sa première confrontation réelle avec le despotisme), tandis que d'autres Juifs sont des victimes (la menace des pogroms n'est jamais loin) et vivent misérablement en Pologne.

    On apprécie l'écriture sobre, rigoureuse (à l'image du narrateur), le style sans fioritures, la narration linéaire, avant tout au service de l'action et de son inéluctable progression, mais encore le très classique procédé d'ironie dramatique employé par l'auteur, quand Otto reste aveugle face à des événements et des ramifications qui n'échappent pas au lecteur, qui s'identifie malgré tout très vite au personnage malmené par son créateur. Le suspense est amplifié par les multiples rebondissements (les masques tombent successivement, aucun personnage n'étant en réalité celui qu'il donnait l'impression d'être) et par la progressive accélération de l'action. Efficace et savoureux, malgré sa relative complexité, le roman possède d'évidentes résonances contemporaines dans le traitement du fanatisme (politique ou religieux, il mène aux mêmes exactions et actes sacrificiels) et ouvre de multiples pistes de réflexions.

    B. Longre, février 2010

    http://www.sonatine-editions.fr/

    Ronan Bennett

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  • Après Désordres, Laurence Viallet

    couv_quichotte.jpgLaurence Viallet crée les Éditions Laurence Viallet, maison indépendante dont les publications vont s'inscrire dans la lignée de la collection Désordres et s'attacheront "à publier une littérature ambitieuse, à faire circuler des pensées, des formes originales et iconoclastes. Loin du consensus, du divertissement neutre, du produit de consommation courante rapidement oublié, il nous apparaît que la littérature a vocation à semer le désordre partout où l'ordre s'installe." On se réjouit de ce retour dans le paysage littéraire.

    à paraître

    Don Quichotte, de Kathy Acker (18 mars 2010), traduit de l'anglais par L. Viallet.

    Numbers de John Rechy (16 avril 2010)

    http://www.editions-laurence-viallet.com/

     

    Lire aussi, parmi les parutions précédentes

    Yapou, Bétail humain de Shozo Numa (trad. du japonais par Sylvain Cardonnel)

    Chroniques des quais de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

    Au bord du gouffre de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

     

    à propos de Kathy Acker

    (Don Quixote which was a dream, Grandes espérances, La vie enfantine de la Tarentule Noire, Spread Wide, Sang et Stupre au lycée...)

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  • Hommage à la démesure et à l'implacable

    sarahkane5.jpg

    Love me or Kill me
    Sarah Kane et le théâtre
    de Graham Saunders
    traduit de l'anglais par Georges Bas
    (titre original Love me or Kill me : Sarah Kane and the theatre of extremes)
    L'Arche Editeur, 2004

    "Livre pionnier" selon Edward Bond, Love me or Kill me : Sarah Kane et le théâtre (la traduction française n'a pas retenu l'expression "le théâtre des extrêmes", sans raison apparente) retrace le parcours atypique d'une jeune dramaturge qui s'est suicidée en février 1999, en laissant derrière elle cinq pièces qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre et qui forment déjà une œuvre - chose que l'auteur souhaite démontrer dans cet ouvrage passionnant. On est cependant en droit de se demander si l'intérêt que suscite encore Sarah Kane n'est pas dû à sa mort prématurée et aux réactions parfois scandalisées qui avaient pu accueillir ses pièces en Grande-Bretagne ; ou bien si, au contraire, elle fut réellement novatrice et si sa dramaturgie est de l'ordre de la création véritable. Graham Saunders, dans la préface, lance cet avertissement : "dans sa dernière pièce, 4.48 Psychose, la plupart des critiques ne virent guère plus que la version théâtrale d'un billet annonçant un suicide, et l'appréciation des pièces précédentes se fit dans une optique biographique : on tentait de découvrir des liens entre son œuvre et sa vie. Quiconque attendrait de l'ouvrage qui suit une méthodologie analogue risque d'être fort déçu." C'est donc l'œuvre per se que Graham Saunders s'est donné pour tâche d'analyser et d'éclairer, se proposant de livrer quelques clés afin d'y pénétrer et de s'en imprégner. Il est vrai que dans le cas de Sarah Kane, il paraît quasi impossible de ne pas tenir compte de la désespérance individuelle qui rejaillit dans l'œuvre (elle-même disait : "je n'ai jamais écrit que pour échapper à l'enfer - et ça n'a jamais marché."), de sa sombre vision du monde, de son statut d'auteure "torturée", du grand chaos psychique ou extérieur dans lequel nous évoluons et qu'elle recréait dans ses pièces.

    Chacune des cinq pièces est commentée avec soin, dans une approche qui se réfère aux productions et aux réactions de la presse ou du public, mais aussi à la genèse et à l'évolution des textes (que la dramaturge ne cessait de retoucher), à un commentaire serré et rigoureux des thématiques qui traversent ce théâtre, des éléments qui font de cet ouvrage un merveilleux outil d'approfondissement destiné non seulement aux metteurs en scène ou aux comédiens potentiels mais aussi aux spectateurs passés et espérons-le à venir.

    Que trouve-t-on dans les pièces de Sarah Kane qui mérite que l'on s'y attarde ? Un radicalisme (structurel et langagier) proche du nihilisme, une volonté affirmée d'inventer de nouvelles formes éclatées, impossible à ranger dans les petits tiroirs génériques conventionnels ; un déséquilibre désiré, comme dans Anéantis (Blasted), où le désordre structurel de la pièce incarne le désordre engendré par la guerre ; un théâtre où, selon la dramaturge elle-même, "la forme et le fond s'efforcent de ne faire qu'un - la forme, c'est le sens.", mais capable par instants de conserver les unités classiques, qui voleront en éclats dans 4.48 Psychose ; on y trouve aussi des dialogues minimalistes, volontairement épurés, dans lesquels les silences comptent autant que les mots ; puis de moins en moins de caractérisation, les personnages devenant des réceptacles incarnant davantage des états d'âme que des individus fictifs ; des violences et une cruauté mentales et physiques réitérées, une violence aux allures artaudiennes ; enfin, une "théâtralité explosive, le lyrisme, la puissance d'émotion et l'humour glacé" selon le dramaturge David Greig.

    Graham Saunders établit un judicieux parallèle entre Sarah Kane et John Osborne, chef de file des "angry young men", et dont la pièce contestataire Look back in anger (La paix du dimanche) fustigeait l'Establishment dans les années 1950 ("une véritable explosion qui régénéra un théâtre britannique dont l'état avait jusqu'alors été celui d'un déclin distingué") ; et il est vrai que certains critiques ont tenté, début 1995 (quelques semaines après la mort d'Osborne), lors de la création d'Anéantis au Royal Court Theatre, de faire de Sarah Kane l'égérie d'un renouveau théâtral en Grande-Bretagne (marqué entre autres par Shopping and fucking de Mark Ravenhill), d'un mouvement nommé "Cool britannia" ou "New Brutality" - ce que rejetait la dramaturge : "On a estimé qu'Anéantis marquait le début d'un mouvement qualifié de «Brutalité Nouvelle». Ce n'est rien d'autre qu'une étiquette utilisée par les médias pour désigner certaines choses qui pourraient se produire dans une pièce particulière. En fait ça ne sert pas à grand-chose. (...) Je ne me considère pas comme relevant d'une Brutalité Nouvelle."

    Quoi qu'il en soit, l'analogie entre les effets qu'eut le théâtre d'Osborne (puis d'Arden et de Wesker), et ceux du théâtre de Sarah Kane permet de rattacher ce dernier à l'histoire du théâtre britannique, à l'histoire du théâtre tout court et à la littérature en général ; car les pièces de Kane sont pétries d'intertextualité et ces influences diverses et éclectiques se conjuguent formidablement : les textes et les créations d'Ibsen, Shakespeare, Beckett, Pinter, Brecht, Camus, Kafka, Orwell, Büchner, Strindberg, Crimp, Sénèque, Fassbinder, TS Eliott, etc. etc. résonnent à travers ses pièces, même si elles obéissent d'abord aux règles ultra-personnelles que l'auteure a développées. C'est ainsi que dans 4.48 Psychose, la dramaturge supprime toute didascalie, tout personnage à proprement parler, ne nous laissant que des voix mêlées, comme pour marquer l'irruption d'une fusion entre la vie et le rêve, le réel et le cauchemar, l'extérieur et l'intérieur, la matière et l'âme, créant ainsi un flottement indéfinissable de "discours" qui n'en forment, en définitive, qu'un seul.

    Le théâtre de Kane est un théâtre du bouleversement, un théâtre expérimental et extrême, mais pourtant abouti, dans lequel la violence et la provocation démesurée ne sont jamais gratuites, et répondent à un besoin vital de transmettre une vision bouleversante du monde ; l'écriture y est peut-être thérapeutique, un formidable exutoire pour qui la compose, mais, comme nous l'avons déjà précisé, il est nécessaire d'aller au-delà des tentations biographiques ; ce que fait Graham Saunders en explorant les thèmes de ce théâtre et les procédés dramaturgiques : rejet du réalisme, humour noir, caractère éphémère de la représentation, souci de créer un langage théâtral "capable de susciter une forte réaction affective et intellectuelle (...) Même si de telles réactions provoquent inconfort et douleur" ; le caractère viscéral et physique de ce théâtre (qui le rapproche du Théâtre de la cruauté ou du Théâtre de la catastrophe de Howard Barker) à l'opposé du théâtre "psychologique" classique ; pour l'auteur : "la vision de Kane, comme celle de ses prédécesseurs de la Renaissance, est elle aussi dépourvue de compromis. Pour elle, la tragédie est une situation où l'auteur, l'acteur et le public « descendent en enfer dans leur imagination afin de ne pas avoir à y aller dans la réalité. » (...) Et le théâtre de Kane semble lui aussi faire sienne la conviction que des actions extrêmes et brutales peuvent servir à susciter, chez ses spectateurs, une révélation ou un changement."... On est bien là dans le domaine de la catharsis. D'autres thématiques sont analysées : l'amour, la tendresse et l'espoir sont sans cesse juxtaposés à la violence, l'exploration des relations entre les êtres (Kane refusant le manichéisme d'un "monde comme se divisant entre les hommes et femmes, les oppresseurs et les victimes.")

    Cet ouvrage essentiel pour qui s'intéresse un tant soit peu au théâtre contemporain mais aussi à l'intertextualité en général comprend une deuxième partie, composée des entretiens réalisés par Graham Saunders, qu'il retranscrit de façon brute, sans commentaire aucun, laissant à chacun le soin de se faire une opinion ; il a rencontré plusieurs personnes qui, à un moment ou un autre, se sont retrouvés au cœur des créations de Sarah Kane, ou en contact avec elle : les metteurs en scène James MacDonald et Vicky Featherstone, Nils Tabert, qui a collaboré aux traductions en allemand des pièces de Kane, la dramaturge Phyllis Nagy, son agente, Mel Kenyon, et les comédiens Kate Ashfield, Daniel Evans et Stuart McQuarrie. Une œuvre à laquelle Edward Bond ("l'un des tout premiers commentateurs de l'œuvre de Kane et l'un des plus perspicaces") rend aussi hommage en fin d'ouvrage : "il existe deux types de dramaturges. Ceux du premier type s'amusent à des jeux théâtraux avec la réalité. Les dramaturges du second type changent la réalité. (...) L'œuvre dramatique du second type affronte le stade ultime de l'expérience humaine pour que nous puissions tenter de comprendre ce que sont les humains et comment ils créent leur humanité. (...) Sarah Kane était une dramaturge du second type. C'est l'affrontement de l'implacable qui a créé ses pièces."

    À leur tour, les pièces et leurs mises en scène devraient influer sur d'autres œuvres en devenir ; pour Graham Saunders, le théâtre hanté, rageur mais généreux et lucide de Sarah Kane ne peut sombrer dans l'oubli ; comme Look back in anger, en son temps, cette œuvre fulgurante est cependant vouée à ne pas disparaître, en témoignent les nombreuses traductions (en allemand et en français, entre autres) et les mises en scène passées et à venir. Un ouvrage critique approfondi, le tout premier à analyser l'œuvre d'une dramaturge partie trop tôt.

     © B. Longre (article paru en 2004 dans Sitartmag).

    http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Sarah-Kane/

    http://www.arche-editeur.com

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  • A paraître en mars 2010

    cto6.jpgLes Chroniques des Temps Obscurs, Chasseur de Fantômes, tome 6

    de Michelle Paver (traduction de l'anglais Blandine Longre)

    Eostra, la dernière Mangeuse d’Âme encore en vie, s’est installée dans les Montagnes, depuis lesquelles elle tourmente les clans : elle leur envoie la maladie des ombres afin de les terroriser et n’a qu’un but en tête, contrôler les esprits des morts, et en particulier ceux des autres Mangeurs d’Âme. Elle s’attend aussi à ce que Torak, l’Esprit qui Marche, Celui-Qui-Écoute, vienne la trouver afin de le vaincre une bonne fois pour toutes. En effet, Torak part l’affronter seul, contre l’avis de son père adoptif, Fin-Kedinn, et sans prévenir Renn et Loup...

     

    Hachette romans jeunesse

    Les tomes 4 et 5

    Critique en ligne

    http://www.torak.info/

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  • Farce tragique et totalitarismes

    manea.jpgLes clowns : le dictateur et l'artiste, traduit du roumain par Marily Le Nir et Odile Serre, Le Seuil, 2009.

    L'enveloppe noire, traduit du roumain par Marily Le Nir, Le Seuil, « Fictions & Cie », 2009

    De Norman Manea

    Par Jean-Pierre Longre

    Les deux ouvrages de Norman Manea parus au Seuil en octobre 2009 peuvent se lire simultanément, en alternance, l'un après l'autre, selon l'humeur... L'un est un recueil d'essais qui, s'appuyant sur l'histoire récente de la Roumanie, aide à méditer non seulement sur le communisme et ses déviances (la dictature, le nationalisme), mais aussi sur des sujets plus généraux tels que les rapports de l'art avec le politique, la censure, l'ambiguïté des relations internationales, l'antisémitisme, le monde d'aujourd'hui et son « hystérie carnavalesque »... L'autre est un roman où l'étrange (des personnages et de leurs destinées) le dispute au réalisme (de la toile de fond, des situations), où l'imaginaire prend corps sur la cruelle absurdité des régimes dictatoriaux (des années 1940 et des années 1980).

    Les clowns : le dictateur et l'artiste répond, selon l'auteur, à une urgence : celles de « décrire la vie sous la dictature roumaine » et d'en « tirer enseignement », notamment en ce qui concerne « la relation entre l'écrivain, l'idéologie et la société totalitaire ». Chaque texte vise ainsi à peindre la tyrannie (sous un jour tragique ou comique, burlesque ou insupportable), et à en tirer des réflexions qui se fondent sur l'expérience personnelle. Car Norman Manea a vécu, comme un certain nombre d'autres, le triple drame du siècle : « l'Holocauste, le totalitarisme, l'exil » ; son mérite exceptionnel est de ne jamais prendre la posture de la victime, de se donner suffisamment de recul pour analyser avec lucidité et vigueur, d'une plume implacable, parfois violente, voire sarcastique, les débats, les aberrations, les contradictions, les ridicules, les abus de la grotesque dictature de Ceauşescu. Sans négliger les échos et comparaisons (nazisme et communisme, Hitler et Staline), Norma Manea met en avant les spécificités roumaines des années 1980 - la volonté de cacher la diversité sous les proclamations nationalistes, les subtilités de la censure, la récupération des positions nationalistes de Mircea Eliade, l'antisémitisme, les rapports avec (et de) la Securitate, les hypocrisies (et les révoltes plus ou moins larvées) du monde intellectuel... Tout cela mis en perspective, selon le « mouvement simultané en avant - en arrière » qu'il revendique en tête de son essai sur le Journal de Mihail Sebastian. « Les fondements de l'avenir tiennent à la qualité et à la probité de l'appréhension du passé » : la dernière phrase est une belle synthèse de ce qui est mis en œuvre tout au long du livre.

    L'enveloppe noire est, dans le domaine de la fiction, une sorte de caisse de résonance artistique des Clowns, dont l'un des chapitres relate d'ailleurs l'histoire de la difficile publication du roman, soumis à l'approbation pleine d'embûches du « Conseil de la Culture et de l'Éducation Socialistes - Service Lecture » (disons : la Censure) ; et ce n'est pas un hasard si, quelques mois après sa parution, en 1986, Norman Manea quittait la Roumanie.

    Dans le roman, Anatol Dominic Vancea Voinov, dit plus simplement Tolia, a été privé de son poste de professeur pour se retrouver réceptionniste à l'hôtel TRANZIT ; confronté aux vicissitudes de la vie quotidienne sous la dictature et aux soubresauts de sa propre personnalité, il est en même temps en proie aux souvenirs et à la quête des circonstances de la mort de son père, « suicidé ou trucidé » sous une autre dictature, celle des années 1940 - et cela jusqu'à l'irruption du rêve dans les souvenirs et dans la vie, jusqu'à la folie. L'enveloppe noire  est certes le roman d'un individu qui bute sur « les arêtes du concret », mais aussi celui d'une société, des relations humaines, et de l'histoire d'un demi-siècle ; le roman des destins individuels et de la destinée collective. On y assiste à la mise en scène, en instantanés tragi-comiques, des absurdités d'un système où « les poursuivants sont à leur tour poursuivis, la suspicion, la peur stimulent et font dévier leurs propres ondes », où « tout se dilate, glisse, s'effiloche », où le mieux considéré est, par exemple, « Toma, le sourd-muet exemplaire ! Qui voit tout, sait tout, est informé de tout, mais n'en parle qu'à qui de droit, quand il le faut ». Spectacle plein d'échos (dont celui de la fameuse pièce de Ion Luca Caragiale La lettre volée), écriture foisonnante et débordante, humour salutaire et absurde abyssal... Le roman de Norman Manea est une porte ouverte sur un hors-scène infini, « un vide grandiose » dont il est difficile de sortir indemne.

    http://www.fictionetcie.com/

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