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Littérature francophone - Page 4

  • Des blogs pour (mieux) passer l'hiver

    Quelques suggestions, liste non-exhaustive... (les liens ne sont plus mis à jour très régulièrement dans la colonne de gauche - mais plutôt de ce côté.)

    Ailleurs ici presque sans sommeil - Veille internet hautement subjective de Romain Verger.

    http://ailleursicipresquesanssoleil.tumblr.com/

    Livrenblog - Littérature fin de siècle. Textes et images. bibliographies, portraits littéraires, informations.

    http://livrenblog.blogspot.com/

     Solko - Littérature, théâtre, histoire et polémiques à Lyon et ailleurs ... Blog de Roland Thevenet

    http://solko.hautetfort.com/

    Locus Solus - Le blog de Thierry Horguelin - Littérature, Cinéma, Typographie

    http://locus-solus-fr.net/

    Au Carrefour étrange - Trouvailles et introuvables

    http://aucarrefouretrange.blogspot.com/

    Bartleby les yeux ouverts - Des livres et des livres : études de personnages, de situations, etc. à la marge, en décalage avec la réalité quotidienne.

    http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/

    Littératures orientales, questions de traduction

    http://jelct.blogspot.com/ 

    Mister M.

    http://print-temps.over-blog.com/

     Le Tampographe Sardon

    http://le-tampographe-sardon.blogspot.com/

    Morbid anatomy

    http://morbidanatomy.blogspot.com/

     A journey round my skull -  Unhealthy book fetishism from a reader, collector, and amateur historian of forgotten literature.

     http://ajourneyroundmyskull.blogspot.com/

    Adventures in the print trade

    http://adventuresintheprinttrade.blogspot.com/

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  • Zaporoguons - suite...

    zaporogue5.jpg

    LE MAGAZINE "LE ZAPOROGUE" #5 EST SORTI
    "THE ZAPOROGUE" MAGAZINE ISSUE #5 IS OUT NOW

     

    Textes et images de/Texts and images by: Thibault de Vivies, Didier Dæninckx, Jean-Yves Lemesle, Lynn Hoggatt, Kim « Kix» Jeppesen, Sébastien Doubinsky, Michel Embareck, Jonas Lautrop, Michael Moorcock, Tabish Khair, Jean-François Mariotti, Hélène Dassavray, Métie Navajo, Pierre Cherruau, La bande des 4 (Doubinsky, de Vivies, Mariotti, Sendek), Zach Seemayer, Claro, Nicolas Richard, Eric Coulaud, Lionel Osztean, Alexandre Planque, Blandine Longre, Arlene Colombe, Hiquily Ole Wesenberg, Nielsen Johannes Høje, Cathy Ytak, Manu Rich, Celina Osuna, Matt Gangi.

     

     

    Lien direct: http://www.lulu.com/content/5336540

    À télécharger gratuitement ou à acheter en ligne.

     

    – édité par Sébastien Doubinsky, éditions du zaporogue

    http://www.myspace.com/zaporogue

     

     

    Lire aussi l'entretien que La Revue des ressources a accordé à Sébastien Doubinsky
    http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1043

     

     

    Et la présentation de quelques publications, vivement recommandées.

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  • Pour une autre exploration de l'espace du livre

    lesgrandsarbres.jpgLa Diseuse, association de micro-édition co-dirigée par Marc Bellini et Lilas Seewald, propose d’aborder le livre et la lecture autrement… en publiant des livres-objets, en mettant en place des collaborations parfois inattendues entre auteurs, dessinateurs, artistes, en mettant aussi l’accent sur l’innovation graphique.
    J’ai récemment découvert quelques-uns de leurs ouvrages, dont une série de quinze cartes postales intitulée Les grands Arbres, qui combine des textes d’Anne Vauclair et des photographies de Marc Bellini, dont le travail inclut un usage original du photomaton. Malgré son support singulier et les blancs du récit, il s’agit bien d’un roman, entre anticipation et introspection : l’histoire d’une rencontre amoureuse ou amicale bâtie autour d’un souvenir commun, pourtant vécu séparément : celui des grands arbres que les deux personnages grimpaient à l’insu de tous, quand ils étaient enfants. Un acte qui leur paraît à présent terrifiant, alors que d’autres terreurs surgissent dans leur existence – des peurs, des révoltes puis la disparition brutale de l’un d’eux.
    L’ordre de lecture est balisé (les cartes sont datées du 1er au 15 avril 2005), mais peut aussi se faire aléatoire et morcelé, opérant un basculement et une perte des repères temporels (on notera l’allusion à L’Intemporel), tandis que des parallèles prennent imperceptiblement forme entre textes et images ou entre les différents montages photographiques – visages, fragments de corps, poings levés, mains tâtonnantes – qui déconstruisent les gestes et insistent, via les cadres, sur ce qui sépare les êtres les uns des autres. Ce « livre », qui stimule autant les sens et les émotions que l’intellect, renvoie ainsi le lecteur à ses propres expériences ; un effet de rapprochement favorisé par le support, qui crée une intimité immédiate – comme si chaque missive nous était adressée. Une collaboration à saluer.

     

    Les Grands Arbres, d’Anne Vauclair et Marc Bellini, un roman photo (photographies d'identité) en 15 cartes postales. 10.5 x 15, 15 cartes retenues par une bague, imprimées en quadrichromie offset sur couché semi-mat. 400 exemplaires, 12 euros.

    http://www.ladiseuse.com

     

    La Diseuse est invitée par la Librairie éphémère (Halle Saint-Pierre, Paris) - jusqu'au 4 janvier 2009.

    http://www.hallesaintpierre.org 

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  • Une vie de Pumpkins

    cfercak.jpgThe Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set
    de Claire Fercak
    Le mot et le reste, 2008

     

     « Dans notre sang, cadences nerveuses et mélopées fantastiques. »

     

    Quand vous écoutez certaines paroles-et-musiques en boucle depuis des années et que vous ouvrez un livre qui vous raconte que cela n’arrive pas qu’à vous, il y a de quoi se réjouir. Après, aimer (ou du moins connaître en néophyte) les Smashing Pumpkins est-il une condition indispensable pour qui voudrait goûter pleinement à cette inclassable fiction musicale ? Pas nécessairement, car dans la trentaine de « pistes » composée par Claire Fercak, on trouve non seulement un fil narratif cohérent (l’histoire d’une fille-chanson enfermée dans sa boîte-refuge, un coffret de musiques d’où elle refuse obstinément de sortir), mais aussi une écriture qui épouse à merveille les sensations, les détresses, les errances et les aventures de l’héroïne changeante, se modifiant au fil des musiques, à l’instar des décors et des atmosphères. On se réjouit doublement, donc, de cette écriture qui prime et de l’enchevêtrement des mots palimpsestes, car sans cesse superposés à ceux de Billy Corgan, compositeur (« esthète de la mélodie »), chanteur et fondateur des Smashing Pumpkins, qui signe la première piste du recueil, en rappelant que les mots n’appartiennent pas à celui qui se contente de les assembler, mais à tous et à personne à la fois. Et sûrement pas au poète : « Tout n’est que réagencement. Et croyez-moi, terrés dans l’obscurité de leurs tanières asséchées, tous les poètes en sont conscients ».
    Ces brassées de mots s’accumulent sur la page, formant au fil des tracks des mélodies soutenues pas une belle rythmique-ponctuation (« des mots, virgules, tirets, scansions et coupes en italiques »), preuve que l’on peut écrire la musique, la faire vibrer par le biais d’un autre mode expressif –  ici des assemblages verbaux. L’écriture prend diverses formes, passages comme improvisés, poèmes (en écho avec certaines chansons) et réminiscences (tranches de vie adolescentes, d’une infinie tristesse), créant une alchimie particulière entre les mots du livre et les paroles des chansons, donnant lieu à une fiction du bonheur et de la désespérance, tantôt poignante (« gouffres et susurrations / qui m’ont tenue vivante »), tantôt fantaisiste et onirique, qui nous fait voyager d’albums en morceaux, dans des mises en scènes dignes d’un Burton et d’un Lewis Carroll. Claire Fercak bâtit peu à peu un monde intérieur dense, serré, où se juxtaposent non seulement des histoires aux allures de contes, mais aussi, en filigrane, des tentatives de définitions (la nature de la musique, sa force et l’obsession qu’elle peut engendrer, son caractère indispensable, les déchirements des Smashing Pumpkins et la cohésion paradoxale du groupe, sous l’égide de Corgan, le rapport que chacun entretient avec des mélodies, traces et souvenirs....), ce qui amène l’auteure à écrire, quand la musique se vit comme  dépassement de la réalité: « En dehors de la musique, les choses de la vie ont une intensité réduite. En dehors de la musique, principe constitutif, nous n’existons pas. »
    Autobiographie (quand l’auteure s’écrit et que, parfois, elle s’observe, écrivant), documentaire (avec repères historiques çà et là), fiction (zones où l’imaginaire prend le pas sur le réel), essai (réflexions et visions), The Smashing Pumpkins / Tarantula Box Set se lit comme tout cela à la fois, et plus encore, se libérant des carcans génériques pour former un artefact intime et très personnel, qui n’exclut cependant pas le lecteur, saisi par ces assemblages-collages de mots qu’il pourra faire siens –  justement.

     

    (B. Longre, novembre 2008)

     

     

    http://clairefercak.20six.fr/

     

    http://www.smashingpumpkins.com/pages/news/smashing-pumpkins-tarantula-box-set-by-claire-fercak

     

    http://atheles.org/lemotetlereste/

     

     

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  • Miracle de l’écriture

    remington.jpgRemington de Joseph Incardona, Fayard Noir, 2008

    « On a beau dire, on écrit pour se raconter soi-même, le plus souvent, les autres ne sont qu’un prétexte. Meubler le vide est une imposture. »

    On s’attend parfois à lire un polar (et tout l’indique – ne serait-ce que le titre de la collection ou le titre tout court), et on se trouve littéralement pris de court, plongé dès les premières pages dans une chronique désenchantée où la froideur de ton le dispute à la désespérance, où le quotidien du narrateur, cadré, organisé, ne suffit pas à nous duper sur le mal-être qui l’habite, ni sur les émotions qui le malmènent. Matteo Greco n’est ni flic, ni voyou. Il mène au contraire une vie réglée, disciplinée, même, et sans drames (si l’on omet les faits divers qu’il découpe dans les journaux) et parvient à cumuler plusieurs activités, alternant brèves missions pour une agence de sécurité (par nécessité financière), entraînements de boxe et séances d’écriture, qui se déroulent à sa table de cuisine, sur laquelle séjourne une vieille Remington portative. Il écrit des nouvelles (inspirées, justement, des petites coupures qu’il collectionne) et, bientôt, un roman, sur lequel il reste malgré tout très discret.

     

    Pourtant, une rencontre va dérégler, puis bouleverser cet ordonnancement solitaire et ce leurre du temps réglé. Elle s’appelle Elsa, elle est belle, arrogante, abrupte voire davantage, et participe au même atelier d’écriture que Matteo, un rendez-vous hebdomadaire que propose Daniel, un écrivain qui n’a plus publié depuis des années. Matteo, sous le charme, n’a pas encore saisi qu’Elsa était prête à tout pour changer de statut social, en étant publiée, par exemple – et que le plus tôt serait le mieux. Aussi, après qu’elle s’est glissée (sans peine) dans le lit et la vie du jeune homme et qu’elle lui a demandé de relire le manuscrit de son roman, il fonce tête baissée et s’investit totalement dans cette entreprise, allant même jusqu’à en faire un peu trop, à l’insu de l'auteure du roman. « Je sabrais, peaufinais le montage, ajoutais quelques phrases çà et là. Les faiblesses saillaient au même endroit, ce n’était pas trop difficile. » Il est « conscient d’exagérer », mais cette tâche qu’il s’est fixée (améliorer le roman de celle qui ne peut lui offrir que son corps et certainement pas l’exclusivité) est pour lui de l’ordre du défi, un défi dont il ne mesure pas encore les conséquences, ni l’ironie à venir.

     

    L’écriture, à l’image du protagoniste, est franche et nette comme pourraient l’être les coups que se portent les boxeurs lors des entraînements suivis par Matteo, sans détour ni manipulation (apparente) du lecteur, et tout sonne juste, d’un bout à l’autre des combats qu’il mène comme il peut, en se raccrochant à ce qu’il aime (les livres, le cinéma, la boxe) et à son emploi du temps minutieux, une béquille. Les détours sont ailleurs, dans la manière subtile dont les événements vont s’articuler, se superposer et s’entrelacer, quand le narrateur perd pied mais que la construction narrative conserve sa rigueur implacable (comme lui conserve son organisation de surface) et continue d’égrener les faits divers réels, tous tirés de Libération (placés à des endroits stratégiques du récit).

     

    Remington a tout d’un roman noir et l’atmosphère, en symbiose avec l’écriture, y est pour beaucoup, de même que les références qui le parsèment (littéraires et cinématographiques, surtout) et certains événements (qu’on laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même) qui l’inscrivent dans le genre. Mais il reste avant tout un roman ancré dans notre temps, qui flirte avec le social et qui parle de la difficulté à vivre – à vivre et à écrire, et à vivre de l’écriture. Un roman d’écrivain, en somme, qui dévoile des préoccupations d'écrivain et qui expose entre autres, par le biais de la fiction, ce qu’on peut penser de la scène littéraire médiatisée (qui étouffe ou ignore les véritables auteurs), mais aussi de l’écriture tout court, discipline exigeante, qui requiert solitude et persévérance. Matteo en train d’écrire se présente plus souvent comme un laborieux, un artisan du verbe qui réfléchit au meilleur moyen d’agencer les mots et de se les approprier (quitte à manipuler ceux des autres), tout en étant conscient que ce n’est pas la gloire qui l’intéresse, « mais plutôt l’idée que l’on puisse obtenir quelque chose de concret à partir de son imagination. Il n’y a rien, et puis la phrase existe. » Miracle de l’écriture, ou de l’acte créatif en général, l’écrivain se posant d’emblée comme démiurge en composant à partir d’un « rien ». Une position pourtant instable dans le cas du narrateur, malgré le contrôle qu’il cherche à exercer sur son écriture et sur sa vie, qui l’amènera à outrepasser ses droits de créateur, libérant ainsi un ubris au fondement de toute tragédie humaine et littéraire.


    (B. Longre)

     

    Dans la même collection, plusieurs titres ont paru récemment.

    La récup' de Jean-Bernard Pouy, Le doigt coupé de la rue du Bison de  François Caradec, Noir béton de Eric Miles Williamson ou encore le premier tome de Lolita complex de Romain Slocombe.

     

    http://www.editions-fayard.fr

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  • Articles et livres à re-découvrir

    Je continue d'archiver sur Sitartmag (rythme très irrégulier...). L'occasion de reparler d'ouvrages passés inaperçus ou peut-être trop vite oubliés... en voici quelques-uns.

    canxue1.gifLa rue de la boue jaune
    de Can Xue

    traduit du chinois par Geneviève Imbot-Bichet, Introduction de Françoise Naour , Bleu de Chine, 2001

     

    Can Xue, considérée comme "la plus moderniste des écrivains chinoises contemporaines" a écrit La rue de la boue jaune en 1983 : un ouvrage atypique et extrême, qu'on aurait du mal à qualifier de roman, quoiqu'il en possède certaines caractéristiques. Publié en Chine en 1987, cette allégorie sauvage et semi-fantastique d'une Chine en pleine mutation capitaliste est terrifiante : la rue de la boue jaune est une rue introuvable, souvent invisible, peuplée d'environ six cents êtres qui composent un grouillant microcosme grotesque et mesquin. La plupart des habitants de cette rue maudite sont accablés de fatigue, affectés de tous les vices ou de tous les maux possibles, qui s'accumulent au fur et à mesure que l'on avance dans les descriptions : maladies de peau, intestinales et surtout, folie dévastatrice. Lire l'article

     

    alavi3.jpgDanse macabre
    Bozorg Alavi
    traduit du persan par Renaud Salins, L'Aube, 2004

     

    Bozorg Alavi, comme nombre de ses compatriotes iraniens, a préféré l'exil à la censure et à l'enfermement ; en 1953, l'écrivain part pour l'Allemagne, terre d'accueil où il s'éteindra quelque quarante années plus tard. C'est pourquoi les textes que contient ce recueil (les premiers à paraître en français) prennent des teintes occidentales tenaces et l'atmosphère parfois tchékhovienne qui s'en dégage y est tout à la fois étonnante et délicieuse. Lire l'article

     

     

    adaniashibli3.jpgReflets sur un mur blanc

    Adania Shibli

    traduit de l'arabe (Palestine) par S. Dujols, Actes Sud, 2004

     

    L'écriture de ce roman (qui se déroule en Palestine, mais qui semble comme hors du temps et de l'Histoire) repose sur une lecture intime et singulière du réel : une vision décomposée en infimes détails qui forment un réseau d'impressions visuelles, tactiles et sonores (taches de couleur, fissures, matières écaillées — un leitmotiv) où chaque sens joue un rôle bien défini. Des personnages anonymes, désignés par leur fonction sociale ou familiale, tissent un univers entropique qui enveloppe la jeune fille, pivot submergé de la narration : comme si cette dernière, impuissante, ne pouvait influer sur les événements et les êtres qui l'entourent et la malmènent, parfois involontairement. Lire l'article

     

     

    christophepaviot3.jpgMissiles. Et souvenirs cardiaques
    Christophe Paviot

    Le Serpent à Plumes, 2002

     

    Christophe Paviot a ajusté son tir à la perfection et en 18 nouvelles, il dynamite tabous et préjugés ; des récits qui flirtent avec un gore décapant, de petites plongées dans un univers inquiétant et paradoxalement très familier et qui oscillent entre horreur et burlesque. Chacune de ces nouvelles nous réserve une surprise explosive, à tendance macabre...
    Lire l'article

     

    Christophe Paviot est aussi l'auteur de Cassé (Kurt Cobain).

     

    rupertthomson1.gifThe Book of Revelation
    de Rupert Thomson -
    Bloomsbury, 2000

    Rupture - Stock, 2001
    traduit de l'anglais par Bernard Turle

     

    La ville d'Amsterdam ne cesse d'inspirer nombre de brillants auteurs, de Ian McEwan (Amsterdam) à John Irving (Une veuve de Papier), jusqu'à Rupert Thomson qui signe là son sixième roman. The Book of Revelation narre avec précision l'épopée identitaire et urbaine d'un homme dont on ne connaîtra jamais le nom. Mais ce que le narrateur révèle de lui-même est de loin plus essentiel qu'un simple prénom : cet homme, jeune danseur anglais, chorégraphe déjà talentueux, vit à Amsterdam depuis quelques années. Tout bascule le jour où il croise trois femmes en noir qui l'enlèvent puis le retiennent prisonnier, enchaîné, dix-huit jours durant, dans une pièce nue... Lire l'article

     Rupert Thomson est aussi l'auteur de Mort d’une tueuse.

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  • Rencontre avec Marius Daniel Popescu.

    Tour de France des écrivains européens - octobre-décembre 2008
    Rencontre avec Marius Daniel Popescu, écrivain (Roumanie)
    Modération Jean-Pierre Longre

    Mardi 4 Novembre à 17h30
    Université Lyon III
    15, Quai Claude Bernard, Lyon 7e
    Salle Vincent (aile nord 1er étage) - entrée libre

    Marius Daniel Popescu est né 1963, en Roumanie. Il est établi à Lausanne depuis 1990, où il gagne sa vie en qualité de chauffeur de bus. S’il est avant tout connu pour son oeuvre poétique, Popescu s’est affirmé au cours des dernières années comme un redoutable prosateur. Proche du quotidien par sa poésie, dans une veine rappelant parfois le lyrisme urbain d’un Raymond Carver ou d’un Charles Bukowski, Marius Daniel Popescu a lancé dès 2004 un journal littéraire : Le Persil. Il écrit aujourd’hui directement en français. Dans La Symphonie du loup (José Corti, 2007), il exhume ses souvenirs d’enfance à une époque où la Roumanie était encore en proie à la dictature et aux brûlures de l’Histoire.

    sitartmaglesite.hautetfort.com/tag/marius%20daniel%20popescu

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  • Eblouissante intimité

    baichuan3.jpgEclat du fragment et autres sanwen, de Bai Chuan - Editions de L'Amourier.

     

    Les intentions de Bai Chuan sont données en début de recueil : "On ne trouvera donc ici que de petites choses, des digressions qui m'entraînent d'une idée en une autre, dans un lacis étroit de phrases inquisitoires scrutant l'émotion, le petit bout de vie qui me contient tout, et avec moi le monde". Un ouvrage impressionniste, où l'auteur fait d'abord parler le lecteur qui subsiste en tout écrivain, racontant comment sa bibliothèque se transforme et évolue, selon un principe personnel et affectif qui lui fait récuser romans et nouvelles ; il leur préfère le "schéma trop peu fréquenté du sanwen" (terme désignant justement un écrit littéraire "dispersé", entre l'essai et la nouvelle, un genre à part entière en Chine) : une prose poétique morcelée, qui retranscrit des impressions personnelles fugaces, piochées çà et là dans la vie quotidienne et dans le vécu de l'auteur-narrateur, décrypte quelques aventures intérieures et pensées, des parcours que l'auteur décline en trois temps dans ce petit ouvrage éblouissant : "éclisses", "éclats" puis "esquilles" : trois "fragments" qui concernent l'auteur plus ou moins directement, Bai Chuan assumant pleinement cette démarche auto-fictionnelle : "nulle intrigue enfin, sinon famélique, nul héros, mais un monde tel qu'en nous-mêmes, transfiguré, ressenti, et sa lumière passée au crible, quelque chose qui me dise ce que je suis."

     

    C'est ainsi qu'il se raconte, avec pudeur et violence parfois, prenant le risque d'exposer son âme (ou du moins quelques pans) : ses voyages, à Prague ou à Paris, un travail estival (guide au château de Saintoyant), ou son amour pour sa langue maternelle et la jouissance qu'il a pu éprouver à l'enseigner (" je n'avais pour méthode que l'amour des phrases que je suçais pour les leur mieux glisser dans l'oreille. Oui, je crois bien n'avoir eu que cela. Mon ivresse quoi !"). La deuxième série de récits, sous-titrée "petite mythologie familiale", est une incursion dans le passé, dans une pré-histoire qui n'est pas tout à fait celle de l'auteur, tout en lui appartenant. Nous découvrons d'abord sa mère, l'histoire de sa naissance à lui, sa genèse, liée au sentiment de cette femme de la campagne, qui méprisait son époux illettré. Il nous livre ensuite des "souvenirs" imaginés ou reconstruits, qui ont parfois besoin d'un support concret pour être mieux saisis, comme dans "Une photo", où l'on voit ses grands-parents maternels et leurs enfants évoqués à travers un cliché appartenant à un temps révolu, des silhouettes figées sous le regard d'un photographe supposé itinérant : une vision vivace et admirablement retranscrite, des personnages dont l'épaisseur humaine est palpable. De même, il se "remémore" les derniers instants d'un oncle mort en bas âge, un autre moment amplement épiphanique, qui laisse le lecteur comblé devant tant de richesse narrative et poétique.

    Puis viennent enfin des souvenirs moins lointains, plus douloureux, racontés crûment mais sans que la prose ne se départisse de sa poésie : "mais des gouttes de sang je m'en souviens, coulaient de l’œil crevé de mon anus. À treize ans, je fus violé... Et tout fut à reconstruire une fois passée cette indigestion au banquet des hommes." Une souillure et une blessure infamante qu'il détaille un peu plus loin, dans deux récits où le passage de l'anecdotique à l'intolérable se fait sans transition et nous prend par surprise.

    Ce sobre recueil est bel et bien une exploration intime, l'auteur de dévoiler des secrets enfouis et de se mettre à nu tout en prenant "conscience de ma nudité". Les confidences faites ici ne sont ni gratuites ni complaisantes (rien à voir en tout cas avec les vagues successives, nombrilistes et sans profondeur, qui envahissent les librairies), point d'autosatisfaction, mais une tentative pour se "connaître soi-même" par le prisme d’un langage qui transcende les données autobiographiques, nous permettant d'accéder ainsi à une vision à la fois sombre mais sereine de la condition humaine.

    (B. Longre)

    http://www.amourier.com

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  • Zaporoguons

    zapo.jpgUne nouvelle aventure éditoriale que l'on suivra de près : les éditions du Zaporogue, micro-structure d’inspiration libertaire, à but littéraire uniquement et non-lucratif. Leur fondateur, l’auteur Sébastien Doubinsky, entend publier des « textes de qualité qui ne trouvent pas leur place chez les éditeurs commerciaux. (…) Ce que je veux, avec les Éditions du Zaporogue, c’est redonner une valeur symbolique (mais réelle) au travail d’écriture, sous quelque forme que ce soit.» Les textes sont téléchargeables et gratuits : « La gratuité ici n’est qu’un moyen, pas un but. », explique l’éditeur. « Si les écrivains pouvaient aujourd’hui réellement vivre de leur plume et être sûrs d’une véritable reconnaissance, cette structure n’aurait pas lieu d’être. » L’objectif : faire découvrir des textes et des auteurs, tout en espérant qu’ils « trouvent leur place chez un « véritable » éditeur. »

    http://www.myspace.com/zaporogue



    Ouvrages publiés :

    Happiness is a rumour, poésie, Ole Wesenberg Nielsen.

    The first collection of the Danish post-Beat poet Ole Wesenberg, a mystical-punk assemblage of daily reflections and lyrical visions, laced with psychedelic-fueled humor...

    The Source

    Wisdom is growing
    in my brain
    just add water



    Notes brouillées/Eros et compagnie, poésie, Lionel Osztean.

    Villon, Jarry, Carco, Verlaine, Apollinaire, Cendrars pas morts! Au contraire, ils sont bien vivants dans les poèmes de Lionel Osztean, qui sait à merveille manier la rime et la ritournelle. Tour à tour charmant et provocateur, tendre ou pornographe, Osztean fait redécouvrir le plaisir de la poésie, la vraie, celle qui sait parler aux sens autant qu'à la cervelle...

    Gabegies, théâtre, Jean-Francois Mariotti.

    GABEGIE: 3 jours d'écriture, 5 jours de répétitions, une représentation unique : Gabegie, Thermomètre Théâtral, prend la température de l'actualité". C'est ainsi que Jean-Francois Mariotti présente son théâtre à flux tendu, véritable charge au Napalm contre l'hypocrisie quotidienne. Trois pièces dans ce recueil, trois bocaux de nitroglycérine prêts a être secoués vigoureusement. Et vous avec.

    En préparation :

    Dimanche jour de marché où les femmes vont seules, roman, Thibault de Viviès.

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  • A qui le tour ?...

    rn115.jpgL’étouffeur de la RN 115 de Matthias Lehmann - Actes Sud BD

    René et Agathe sont tous deux à la recherche du « tristement célèbre » Robert Illot, surnommé "l’étouffeur de la RN 115", un dangereux psychopathe au physique pourtant quelconque, qui vient de s’évader de l’hôpital psychiatrique… et « personne n’est à l’abri de ne pas être en sécurité » selon la police. Les deux enquêteurs (dont on ne connaît pas les motivations) se rencontrent par hasard (Agathe faisait du stop) et décident de faire route ensemble le long de la RN 115 ; grâce à Agathe, décidément très organisée (elle a tout répertorié dans un petit carnet qui ne la quitte pas), ils localisent ceux qui ont pu croiser Robert Illot par le passé ; on fait alors le tour d’une belle galerie de portraits d’individus en marge, psychiquement dérangés, d’anciens désaxés (sont-ils vraiment rétablis ?) qui tous se souviennent d’un rêve que Robert Illot leur avait raconté – toujours le même, mais à des moments différents… l’histoire d’un petit garçon terrifié errant dans une maison vide, et qui se raccroche à des objets rassurants pour apaiser ses angoisses : des objets qui varient au fil du rêve, que l’on retrouve dans la réalité, et qui lui servent à étouffer ses victimes – un patin à roulette, un livre, des chaussettes ou des cafards…

    La trame complexe, savoureuse, fait perdre pied et les repères s’effacent,  à mesure que des pistes divergentes surgissent et que René s’égare dans sa quête et dans les bras de l’énigmatique Agathe – mais le tout reste habilement construit et l’atmosphère à la fois morbide et cocasse, qui mêle l’irréalité des cauchemars au prosaïsme du réel, est parfaitement rendue par la technique de la carte à gratter, un procédé qui permet de jouer sur l’ombre, la lumière et leurs reliefs, comme dans un film noir d’époque.
    Matthias Lehmann, qui a publié des histoires courtes en revue, signe là un ambitieux roman graphique, un thriller lancinant, loufoque et sanglant, conçu à la manière d’un road-movie sur une route interminable qui semble mener nulle part, et qui s’achève vertigineusement – obligeant ainsi le lecteur à revenir sur ses pas et à prendre à nouveau un grand plaisir à relire l’ensemble, sous un nouvel éclairage…

    (B. Longre)

    http://www.actes-sud.fr/BD

    http://blocmatthias.blogspot.com/

     

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  • Partira ? Partira pas ?

    candelaria_double.jpgCandelaria ne viendra pas de Mercedes Deambrosis, vu par Marko Velk, éditions du Chemin de fer, 2008

     

    Un mari qui l’humilie avec une cruauté désormais inscrite dans la banalité du quotidien, des enfants égoïstes qui la méprisent ouvertement, une vieille mère capricieuse : voilà à quoi se résume l’existence d’une mère de famille madrilène au tempérament peu affirmé – en témoignent quelques scènes pathétiques lors desquelles on la voit trembler face à son époux grotesque et autoritaire ou s’attendrir devant son petit dernier tout aussi tyrannique que son père. Mais il suffit parfois d’un événement en surface anodin pour que tout soit bouleversé – ou presque. Ce jour-là, « jour sacré », la femme de ménage (« la fille », ainsi que tous la surnomment) appelle pour dire qu’elle ne viendra pas. Confrontée à cette nouvelle donne qui vient rompre le train-train, la protagoniste voit son point de vue se modifier de façon d’abord imperceptible et, sans le décider vraiment, se met à penser à elle.

     

    Elle s’accordera une journée. Une journée… ou peut-être davantage. Le dénouement en suspens va de pair avec la subtilité du texte, qui refuse de tout dévoiler. Les différentes phases par lesquelles passe cette femme en mutation sont mises en valeur à travers les portraits vaporeux de Marko Velk, qui s’intercalent au texte : un visage sombre et tourmenté, aux traits indistincts, fluctuants d'une image à l'autre, montrant une femme en quête d’une autre vie qu’elle-même semble être bien en peine de définir. Ce récit aux apparences trompeuses va au-delà du drame petit bourgeois tragi-comique du départ, avant de basculer (et le lecteur avec) dans un univers incertain, où les règles volent en éclats… à l’image de la liberté à laquelle notre héroïne aspire.

     

    (B. Longre)

     

    http://www.chemindefer.org/

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  • Ce que je lis...

    incardona.jpgHormis quelques manuscrits en cours de lecture, je tâche d'avancer (lentement, il faut l'avouer) dans des ouvrages pour la plupart bien entamés ou sur le point d'être achevés (soyons optimiste...). Voici donc, très vite et en vrac...

    Remington, roman de Joseph Incardona (Fayard noir), dont j'aime beaucoup le ton désenchanté, et dont le titre fait référence à l'outil de travail du narrateur...

    Plus sombre encore, dans une autre collection "noire" : Vendeur de cauchemars d'André Benchetrit (DoAdo... noir, Le Rouergue), qui oscille entre réalité et fantastique.

    Dans un tout autre genre, j'apprécie le style fluide et la narration déstructurée de Fenêtre sur l'abîme de Sumana Sinha, qui signe là son premier roman (Editions de la différence). Myriam présente l'auteure ici .

    Du côté des essais, hormis celui-ci, je me suis intéressée à un ouvrage que les éditions Métailié remettent en vente : Signes d'identité, Tatouages, Piercings et autres marques corporelles de David Le Breton, dans la collection Traversées - l'occasion de me plonger dans une étude passionnante, où l'auteur analyse et commente, sans porter aucun jugement moral (ce qui, entre nous, change un peu).

    krav.jpgDe même, un autre ouvrage mérite un (large) détour : Portraits du jour de Marc Kravetz (Editions du Sonneur), dans lequel l'auteur a posé par écrit 150 de ses chroniques radiophoniques pour France-Culture. Pour faire le tour du monde (plusieurs fois de suite) en restant chez soi et profiter de l'érudition d'un grand reporter.

     

    Justeunefinweb-medium;brt:39.jpgJe ne me risque pas à énumérer les nombreux albums jeunesse lus ces temps, ni même les ouvrages en souffrance ou qui attendent d'être chroniqués, néanmoins, je recommande un livre important, dont je parlerai prochainement : un récit publié aux éditions L'escampette et signé Jacqueline Merville (l'auteure, entre autres, de Black Sunday), Juste une fin du monde, véritable "traversée de l'insensé", presque irracontable - alors qu'il faut bien trouver les mots pour en parler.

     

    49.jpgPour finir, je découvre aussi peu à peu les derniers numéros de la revue Lecture Jeune, qui traite de la lecture chez les adolescents et que publie l'association Lecture Jeunesse.
    Parmi eux, un numéro consacré au monde virtuel(n° 126, juin 2008), qui propose une réflexion sur la place des blogs dans le quotidien des jeunes, sur l'impact des pratiques virtuelles sur les adolescents, confrontés (comme nous tous, mais peut-être davantage encore) à une nouvelle forme de socialisation.

    Le tout dernier numéro (127) se penche sur le travail de l'auteure Valérie Dayre et propose toujours de nombreuses notes de lecture, portant sur des romans dont certains ont été évoqués sur ce blog.
    (On peut lire quelques articles en ligne une fois les revues archivées sur le site).

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  • Tour d’horizon

    tgornet3.jpgDe nombreuses lectures achevées et peu de temps pour en parler ces jours… Je tiens néanmoins à en dire quelques mots.

     

    Du côté des romans, j’ai lu Je n’ai plus 10 ans (Neuf de l’Ecole des loisirs), de Thomas Gornet, dont j’aime beaucoup le ton et le style minimaliste – entre naïveté et sagacité. Dans ce récit en apparence paisible, ancré dans le quotidien, la parole candide, souvent littérale, du jeune narrateur est constamment en décalage avec les tensions ténues qui affleurent ; sa grande solitude face au monde adulte (qui rejette, parfois par déni, parfois en pensant agir pour son bien, les amorces de dialogue que le garçon tente de mettre en place) est palpable tout au long du roman, tout comme son désarroi. On pourra lire sur Sitartmag l’article que Madeline Roth consacre à ce roman destiné à un large lectorat.

     

    http://thomasgornet.blogspot.com/

     

    http://www.ecoledesmax.com/portail/

     

     

    amoureuxgrave.jpgAmoureux grave d’Élisabeth Brami et de Philippe Lopparelli (T. Magnier, collection Photoroman) met en scène, avec une grande finesse, une autre solitude : celle d’un jeune homme, le temps d’un week-end – une solitude soudain troublée par l’arrivée d’e-mails dont l’expéditeur reste anonyme. Paul est un personnage très vraisemblable, construit avec soin, et l’on se sent proche de lui dès les premières pages ; il souffre d’être « la honte de la famille » parce que littéraire dans une famille de scientifiques, de devoir cacher ses angoisses à sa mère envahissante et de supporter des pulsions, pourtant fort naturelles, qui le mettent mal à l’aise. À travers l'étrange dialogue qui s’instaure via l’écran, Paul retrouve un semblant d’espoir – ou du moins de quoi avancer, temporairement. La manière dont Élisabeth Brami a su intégrer les photographies de Philippe Lopparelli au cœur même du récit est très habile et permet de souligner davantage encore leur présence. J’invite à lire le point de vue de Joannic Arnoi, plus élaboré que le mien.

     

    Dans la même collection, on peut lire Les Giètes de Fabrice Vigne (qui se « réjouissait » ici de ce que certains « critiques » avaient pu en dire…), avec des photos d’Anne Rehbinder, ou encore Derrière le rideau de pluie de Guillaume Le Touze, photographies Michel Séméniako.

     

    atlantis.jpgDans un tout autre genre, j’ai lu le premier tome de la série Atlantis, L’Héritière, écrit à quatre mains par Christine et Madeleine Féret-Fleury (Hachette romans). L’écriture est d’une grande précision et l’histoire de la jeune Adel, qui s’enfuit de l’orphelinat où elle est maltraitée, est bien menée, ponctuée de multiples références à la littérature d’aventure, entre autres à Jules Verne. On apprécie le suspense, toujours ménagé, et la narration alternée –  le parcours d’Adèle, entre deux mondes (le réel et un univers parallèle qui intrigue d'emblée), et la quête d’un inconnu prêt à tout pour mettre la main sur la fillette. Des énigmes, de multiples rebondissements, beaucoup d'inventivité, et une héroïne dont la naïveté première n'amenuise en rien ses côtés batailleurs.

    On peut lire un extrait en ligne.

     

     

    hof.jpgQuant à Une petite chance, de Marjolijn Hof (traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, Seuil jeunesse, collection Chapitre), cela faisait un moment que je souhaitais en parler. Un roman à la fois grave et léger, très audacieux dans son propos. On y découvre une petite fille aux prises avec des angoisses qu’elle tente d’apaiser en échafaudant des stratégies déroutantes, qui témoignent pourtant d’un sens logique étonnant. Une façon comme une autre de conjurer la mort possible de son père médecin, porté disparu. D’aucuns verront là une morbidité qui ne devrait pas avoir sa place en en littérature jeunesse… Est-il utile de répéter que la mort et son lot d’angoisses sont communs à tous ? Rien de malsain, en tout cas, dans ce court roman dont la justesse de ton est fort appréciable, car au-delà de la « thématique », l’auteure a donné vie à un personnage complexe, loin de tout stéréotype, que l’on découvre intimement à travers de nombreux dialogues bien menés et de menues anecdotes d’un quotidien qui se voit soudain bouleversé. 

     

     

    jturin.jpgJustement, j’ai sous les yeux un ouvrage qui a retenu mon attention : Ces livres qui font grandir les enfants, de Joëlle Turin (Didier jeunesse, collection Passeurs d’histoires). L’auteure développe nombre d’analyses pointues à partir d’un matériau d’une grande richesse : l’album jeunesse. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre, il n’est nullement question d’ouvrages didactiques ou formatés, mais de livres qui « ne s’embarrassent pas d’intentions pédagogiques explicites, de principes éducatifs affirmés et trop évidents, de propos lénifiants censés protéger le jeune lecteur de tout traumatisme. » Des albums dont les niveaux de lecture multiples font qu’ils sont pétris d’implicite : tout en donnant du plaisir au lecteur (enfant ou plus grand…), ils sont susceptibles de susciter nombre d’émotions et de questionnements, en lien direct avec le quotidien, mais aussi de participer au développement de la vie psychique et de l’imaginaire de chacun. L’auteure a choisi quelques grands thèmes (le jeu, les peurs, les « grandes questions » - la vie, la mort, les origines - les relations avec autrui, les chagrins) autour desquels elle bâtit ses analyses, toujours à l’aune d’albums représentatifs et tous différents les uns des autres (de Claude Ponti à Anaïs Vaugelade, en passant par Beatrix Potter ou Quentin Blake), nécessairement singuliers, sans jamais instrumentaliser son objet d’étude : les livres, écrit-elle entre autres, ne sont pas « des outils thérapeutiques », mais des « œuvres artistiques ». Et on lui en sait gré.

     

     

    annees70.jpgÀ propos d’album, et pour finir en beauté, un grand format que je recommande tout particulièrement : le dernier-né de Claudine Desmarteau, Mes années 70 (Panama), qui donne sacrément envie de (re)descendre dans la rue, de clamer « peace and love » ou d’écouter du Janis Joplin… L’impertinence salutaire et l’humour vivifiant de ce revival se goûtent sans modération et l’auteure, qui parle d’expérience, a l’habileté de mêler souvenirs personnels (sa garde-robe, ses lectures, ses goûts et ses activités, etc.) et thèmes plus vastes (libération de la femme, interdits et progrès sociaux, mode et musique, politique, etc.) ; une façon d’offrir une fresque variée, entre documentaire très subjectif et album de famille, qui met en avant la culture, au sens large du terme, caractéristique de l’époque. La drôlerie de l’ensemble permet de toucher un vaste lectorat - certains pourront revivre leur enfance en partie, d’autres (plus jeunes), n’en reviendront pas de découvrir qu’il est possible de survivre sans mangas ni mp3, affublés de sous-pulls synthétiques et entourés d’affreux papiers peints orange… c’est à eux que l’album, (où l’auteure ne craint pas de représenter des corps nus ou des hippies le joint au bec) s’adresse avant tout (« Quand j’avais ton âge, c’était les années 70 »).

     

    http://www.desmarteau.fr/index.html

     

     

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  • Vie rêvée d'un roi

    sandrinewillems3.jpgLe roman dans les ronces ou la légende de Charles VI, roi fou, et de sa servante, de Sandrine Willems, Les Impressions Nouvelles

    Sandrine Willems signe là un beau roman, cruel, émouvant, poétique, nostalgique, tour à tour lyrique et lucide… les adjectifs manquent pour donner une idée de la profondeur des pensées qui habitent chaque ligne de ce journal atypique : celui d’une vieille religieuse qui se remémore sa sœur, cette sœur bergère qui l’abandonna pour devenir la maîtresse d’un roi que l’on surnommait le fol ou le bien-aimé, Charles VI l’illuminé…
    On pourrait croire à un conte de fées ou à un récit d’amour courtois, il n’en est rien : cette rêverie historique débute sur un déni : « Tu es morte. Il n’y a plus rien à dire. », et l’on se dit que tout pourrait s’arrêter là, sur cette affirmation suspendue qui se suffit à elle-même. Elle a cependant tant à raconter, la petite bergère devenue religieuse, une religieuse secrètement hérétique qui avoue ne plus croire en rien « si ce n’est en ta chair pourrie », celle qui autrefois eut une sœur et qui s’étonne de cette ironie du sort : « Dire qu’on ne m’appelle jamais plus que Ma Sœur. Comme si, ne pouvant être la tienne, j’avais voulu devenir la sœur universelle. »
    Livre aux multiples facettes, entrelacs rugueux de réflexions mystiques et historiques, de réminiscences et d’amers regrets, de reproches et de rêveries, Le Roman dans les ronces (dont le titre même laisse entrevoir la beauté du texte et brutalité des sentiments) s’inspire de faits réels mais développe aussi un univers imaginaire unique et abrupt, qui ne manque pas de toucher le lecteur, de même que la maîtrise parfaite d’une langue poétique à la fois sophistiquée et simple, riche en trouvailles métaphoriques. Au-delà de l’histoire d’un attachement hors du commun, c’est cette inventivité que l’on voudra retenir.
    On se laisse ainsi porter par les pensées de la narratrice qui souhaite léguer ces mémoires particulières à un lecteur inconnu, mais qui, paradoxalement, doute pourtant de l’histoire qu’elle conte : « Tu étais, tu n’es plus (…) Peut-être ai-je tout inventé, mes souvenirs mêmes, et notre enfance. » et qui s’interroge encore sur l’utilité de ses écrits (« Quand on aime à ce point, est-il besoin de le dire ? ») et sur la validité du Verbe en général, insuffisant à retranscrire l’ineffable. L’auteure pousse ainsi l’écriture dans ses retranchements, mettant en doute l’acte même d’écrire ; une mise en abîme intéressante, dans une œuvre qui est pourtant vouée à célébrer la puissance du rêve et de l’imagination, par le biais, justement, des mots.

    (B. Longre)

    http://www.lesimpressionsnouvelles.com/

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  • Quelques lectures... variées.

    mazard.jpgUn cow-boy dans les étoiles de Claire Mazard, Seuil jeunesse, collection chapitre, 2008

     

    Une fillette passe des vacances estivales à la Fariguette, où elle a retrouvé ses grands cousins, Louis et Tristan, qu’elle admire ; en leur compagnie, Anne se fait aventurière, partage leurs rêves et découvre un trésor (un vrai, qui sera en quelque sorte l’un des fils conducteurs du récit) et grandit un peu. Ces instants presque idylliques sont pourtant anéantis, peu de temps après, par un coup du sort sur lequel aucun des personnages n’aura de prise. Des années plus tard, Anne se souvient, revenant sur cette période figée dans un passé à jamais révolu, mais pourtant inoubliable, toujours vivante en elle. Une évocation nostalgique de l’insouciance bouleversée, un récit entre enfance et adolescence qui se goûte avec un plaisir rare.

     

     

     

    truc.jpgMoi, mon truc, de M. Lisa et D. Perret, L’Atelier du poisson soluble / musée du Louvre, 2008

     

    Un titre du Poisson soluble à classer, une fois encore, parmi les inclassables et autres curiosités… D’abord, la couverture astucieuse de ce petit ouvrage souple offre la possibilité de l’envoyer tel quel par la poste ; mais on insistera davantage sur ce qu’il contient : une énumération de situations où l’on se sent en position d’infériorité, par la faute de petits détails en réalité bien anodins ; des situations qui sentent assurément le vécu et qui partent d’un postulat commun à nombre d’entre nous (« Quand je ne peux plus me voir en peinture… », d’où l’une des raisons du partenariat éditorial avec le Louvres). Les auteures nous offre une petite solution simple mais efficace pour s’accepter tel que l’on est – encore fallait-il y penser.

     

     http://www.poissonsoluble.com/

     

     

    soon.jpgApocalypse Maya de Frédérique Lorient, Syros, collection Soon, 2008

     

    Une nouvelle collection a vu le jour aux éditions Syros : dirigé par Denis Guiot, Soon entend proposer des romans de SF intelligents, ouverts sur l’ailleurs – une façon comme une autre d’inciter à réfléchir à l’ici et au maintenant, mais aussi de divertir le lecteur. Des caractéristiques habilement conjuguées dans Apocalypse Maya, qui peut se lire de diverses manières – comme un roman d’apprentissage relatant l’éveil d’une conscience sociale et environnementale ; comme une fable qui rappellerait que l’Histoire est composée de situations cycliques et d’atrocités (il est ici question de deux génocides, à des décennies de distance) vouées à se répéter à moins d’agir pour en atténuer l’ampleur ; comme une illustration de ce qui ne manque pas d’arriver si on laisse la rentabilité l’emporter sur l’humain, sur l’éthique et sur l’équilibre naturel (le fameux « science sans conscience »…) ; ou encore comme une aventure plutôt bien menée et écrite, qui réserve nombre de rebondissements. Certaines « leçons » écologiques ou historiques sont parfois amenées de manière très explicite (trop, peut-être), mais on lit d’une traite l’histoire du jeune Jové, du vieil Indien qui le convertit à ses valeurs et de l’étonnant peuple des Suris (leur langage, en particulier, fascine, tout comme leur propension artistique), confrontés à l’organisation toute-puissante qui a colonisé la planète Maya.

     

    (B. Longre, septembre 2008)

     

     

    http://www.syros.fr/nouveautes.asp

     

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  • Les femmes à la cuisine...

    Si j'avais su j'aurais fait des chiens de Stanislas Cotton - Lansman Editeur

    Angéline Patatras possède un patronyme joliment adapté à sa destinée… Depuis la petite «cuisine» où elle a atterri, elle retrace le chaos de sa vie, son « marécage » : grandir tant bien que mal entre une mère obnubilée par les travaux ménagers (« le bonheur est fait de petits riens (...) Cuisine dégraissée bien sûr Propre Nette (…) quelle belle invention le frigidaire ») et son père bricoleur (« ma voiture est rouge Neuve (…) le premier connard qui touche ma voiture je l’explose »), et qui aujourd'hui encore occupent l'esprit d’Angéline, en empiétant sur le territoire de sa conscience (et en envahissant concrètement l'espace scénique). Grandir, donc, comme une « jolie petite fille », aux côtés d'un frère vite rattrapé par le désespoir qu'engendre l'univers sclérosé et matérialiste de ses parents, un frère inadapté à l'existence : « Drogué Voleur / je ne le sais pas ce qui me retient de / tu me fais honte » dit le père.

    Pas d’avenir non plus pour Angeline, hormis la serpillière que sa mère lui transmet allègrement, pour en faire, comme elle, une « boniche ». La jeune fille n'est pas satisfaite, change brusquement d'orientation et s'engage dans l'armée (en réalité une autre façon de « faire le ménage»...), au grand dam de ses parents. Puis c’est la guerre, et Angéline se retrouve sur le front, incapable d’assurer sa tâche sans frémir ; on la place alors dans un centre de détention, comme gardienne, un lieu où elle obéit aveuglément à ses chefs, s’adonnant au plaisir de la torture tandis que d'autres photographient… Des gestes qui la mènent au procès, puis en prison (sa « cuisine ») à son tour. Elle est consciente de l’ironie de sa situation, et son récit en vers libres ne manque pas d'acidité, un aspect renforcé par l'effet de ritournelle qu'ils procurent :

    « Je suis dans ma cuisine
    Ma jolie cuisine
    comme elle est jolie
    il y a si longtemps
    j'y suis revenue »

    Le ton chantant, faussement joyeux, engendre un décalage tel avec la situation de la jeune femme, que l'ironie n'en est que plus mordante, la cruauté plus radicale et le cercle vicieux de l'existence plus fermé. En montrant l’incapacité à s'extraire de cette spirale (à travers la dernière scène où l'on voit Angéline et sa fille, une relation qui fait écho à celle d'Angéline et de sa propre mère), l'auteur nous enferme aussi dans le calvaire sans fin de la narratrice, celle qui en voulant échapper à la cuisine de sa mère s'est vue remise à cette place… peu d'espoir, donc, même quand la poésie s'en mêle... «… Ad Libitum » nous dit l’auteur, pour qui l'écriture vaut néanmoins engagement : "l'écriture dramatique contemporaine (...) pourrait avoir un véritable statut d'utilité publique, car son regard révèle, questionne et propose, dissèque aises et malaises de nos sociétés."

    (B. Longre)

    http://www.lansman.org/

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  • J'ai lu L'âge d'ange

    agedange.jpg

    L'âge d'Ange d'Anne Percin - L'école des loisirs, Médium, 2008

    Retenez ce titre : L'âge d'ange. Un roman dont il est bien difficile de parler, pour diverses raisons dont certaines n'apparaissent qu'au fil de la lecture... Disons simplement qu’il s'agit d'une rencontre inattendue autour d'un livre fascinant (d’abord adoré, puis désacralisé, et pour finir inoubliable), de l'éveil d'une conscience et d’un corps, d’une émancipation et, surtout, du bouleversement intime (« Le choc fut si violent que, des années plus tard, alors que j’écris ces lignes, je tremble. ») qu’éprouve un ange solitaire, au contact d’un autre ange, peut-être : « A la limite, on pouvait presque lui trouver une tête romaine. Un peu comme Marlon Brando, du temps de sa splendeur. »
    L’histoire, d’une grande justesse, est teintée de nostalgie mais aussi de fatum, et l’intrigue emprunte nécessairement à la tragédie grecque, entre terreur et pitié, violence et tension (mais il faut le lire pour comprendre). L’ensemble va bien au-delà du très conventionnel roman d’apprentissage et le regard rétrospectif de la narration confère une richesse certaine au récit, qui navigue entre impressions et sensations passées et souvenirs au présent de ces moments d’une rare intensité.

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  • À qui la faute ?

    Laïos de Vincent Magos, Les Impressions Nouvelles, Théâtre.

    Eclipsé par la figure d’Œdipe et son inévitable complexe, Laïos demeure, dans la conscience collective, un personnage de seconde zone, sans épaisseur, juste bon à remplir son rôle symbolique en étant assassiné par le fils... Ainsi, en s'attaquant à la figure du père et à la pré-histoire du mythe, Vincent Magos (psychanalyste et romancier) comble un creux littéraire et dramatique, mais pas seulement ; car lorsque l’on aborde le champ de la psychanalyse, c'est la tragédie de Sophocle qui vient à l'esprit, et l'on sait que le dramaturge antique, en recentrant l'action autour du fils, a relégué le père à l'arrière-plan. En réalité, Œdipe Roi n’est que le dernier acte de l'histoire (que ce soit celle du mythe ou du complexe élaboré par Freud…) et l'on oublie (ou on ignore) que la faute originelle revient à Laïos, coupable d'avoir abusé sexuellement d'un petit enfant (un garçon qui aurait pu être Œdipe ou qui, en tout cas, préfigure symboliquement le fils), en prenant ses désirs au pied de la lettre, aveuglé par la jouissance à venir, indissociable de celle que confère toute position de pouvoir, qu'il soit d'ordre intime ou politique.

    littérature,théâtre,Œdipe,vincent magos,impressions nouvellesLe roi de Thèbes a été chassé de sa ville par Amphion et Zéthos, fils de Zeus et d’Antiope (pour l’anecdote, les jumeaux ont été abandonnés, enfants, sur le mont Cithéron, puis recueillis par des bergers – l’histoire se répétera avec Œdipe) ; Laïos s'est réfugié dans le Péloponnèse chez le roi Pélops, où il s'affaire à la reconquête de Thèbes. C'est là qu'il tombe sous le charme de Chrysippos, jeune prince encore choyé par sa mère. Contre l’avis du fidèle Phorbas, il parvient à apprivoiser l'enfant, avant de le violer ; de honte, Chrysippos se suicide. Laïos, craignant la colère du père, s'enfuit pour rejoindre Thèbes, après avoir été visité par un spectre qui lui fait part de la malédiction : " Que ta descendance se dessèche dans le sein de ta femme. N’aie jamais d'enfant. Jamais ! Essaie d'avoir un fils, il te tuera et couchera avec sa mère." À nouveau maître de Thèbes, il décide de prendre pour femme la toute jeune Jocaste. Sa touchante naïveté et sa joie d’être reine sont vite émoussées quand elle comprend quel homme elle a épousé : vulgaire, brutal et lubrique, politicien sans scrupules, il refuse son amour et elle doit ruser afin de l'obliger à concevoir un enfant – condamné par son père avant même de naître. Le troisième acte débute, comme les précédents, par un discours de Laïos, homme public, s'adressant à ses "chers compatriotes" pour annoncer qu'il va prendre en main "la crise - j'ai nommé la Sphinge". Ce dernier personnage devient omniprésent au fur et à mesure qu’avance l’intrigue – elle intervient, de litanies glaçantes en énigmes, et se joue des personnages-marionnettes avec habileté, incarnation du mal ou des pulsions inconscientes qui existent en chaque humain ; mieux, elle tente de mettre Œdipe en garde : « C’est moi qui possède la connaissance. Et voici pourquoi – écoute ceci Œdipe - : je suis le fruit de la passion de ma mère Echidna pour son propre fils ! (…) Débrouille-toi. Joue les hommes conscients, les pères responsables, les rois attentifs, les gestionnaires avisés… L’obscurité est plus profonde que tu n’imagines.». Œdipe pense avoir vaincu la Sphinge... en réalité, elle a le dernier mot et on connaît la suite.

    Tout comme Tendre et Cruel de Martin Crimp réinterprète la fin du général Héraclès, Laïos est une relecture passionnante du mythe et prouve que si l'on veut parler du fils, il faut aussi parler du père et remonter aux origines pour appréhender la chute. Mais au-delà de la simple allégorie qui a tant servi à Freud, c’est la contemporanéité du texte qui domine. Vincent Magos ponctue la parole de Laïos de termes et de points de vue assurément modernes, conférant au personnage des traits que l'on retrouve chez bon nombre d'hommes politiques. La pédophilie initiale de Laïos (sujet intéressant particulièrement l'auteur, qui a aussi dirigé un ouvrage collectif, Procès Dutroux : penser l'émotion) et ses violentes pulsions sexuelles incarnent toute une gamme de perversions intimes, quelles qu’elles soient, plus tard sublimées à travers le savant exercice du pouvoir ; il offre le visage paisible d’un bon démocrate désirant le meilleur pour son peuple ou d’un guerrier paradoxalement assoiffé de justice, de «pureté» et de paix, mais le lecteur n’est pas dupe : habile orateur abusant de clichés redondants, fieffé manipulateur, c’est dans l’intimité qu’il se dévoile.

    D’abord avec Phorbas, à qui il confesse son attirance compulsive pour Chrysippos : «Depuis mon arrivée, Chrysippos me cherche. Mais il est timide, ne sait comment s'y prendre. C'est à moi de le guider. Pas à pas. Et lentement, patiemment, de l'ouvrir aux délices de la chair. (...) Sous quel prétexte empêcherait-on les plus jeunes de jouir de leur corps ? N'est-ce pas notre devoir que de les aider à s'épanouir ? ». En se prenant pour un pédagogue afin de légitimiser ses actes pédocriminels, en faisant passer sa propre jouissance avant toute chose, en semant la confusion entre générations, entre la sphère privée et la sphère publique, en brisant les interdits, en transgressant outrancièrement « l'ordre établi », Laïos voudrait faire croire qu'il pose les fondations «d'une véritable démocratie... », alors qu'il ne fait que rationaliser ses perversions. Dans le même temps, son cynisme apparaît au grand jour quand il confie à Phorbas la mission de corrompre, non plus un enfant, mais... la presse thébaine: «C'est grâce aux médias que s'éliminent les ennemis et se gagnent les guerres : fictions et réalités ne sont jamais qu’interprétations d'une même chanson… » Un refrain, justement, dont on connaît les effets. Laïos est aussi l'incarnation de l'impérialisme expansionniste qui, sous couvert de «progrès», cherche à étendre sa puissance économique ; il parle de «productivité», et d'«entrepreneurs», explique qu'il faut «rénover agriculture, entreprise et commerce» et s'autoproclame «l'homme nouveau, celui qui n'a plus peur des dieux.»...

    L’auteur reste fidèle au mythe, ce qui rassure le lecteur, mais en poussant toujours plus loin la caricature d'une figure paradoxalement complexe, qui cristallise dans un même mouvement tous les effets pervers du pouvoir (paternel, royal...) mêlant ainsi différentes strates de lectures possibles (le politique, l'intime, et les désirs inconscients qui traversent le personnage), favorisant une pluralité d’interprétations et de questionnements - une richesse textuelle et une polysémie dramaturgique qui ravivent brillamment le mythe et étendent ses significations jusqu'à toucher chacun d'entre nous.

    (B. Longre)

    http://www.lesimpressionsnouvelles.com/

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  • Gris-brouillages d'enfance

    Un autre ouvrage des éditions Esperluète, après La petite sirène de Myriam Mallié et Alexandra Duprez.

    petite3.jpgLa petite de Pascale Tison, illustrations de Loren Capelli - Esperluète

    La petite, dont nous ne saurons jamais le prénom, grandit dans un univers provincial petit-bourgeois étriqué, un lieu où les maisons sont « basses » et la terre « noire » ; une existence en vase clos (« le dehors n'avait pas encore percé le mur gris»), dans une maison aux allures de prison, entre des femmes terrifiées (à l'affût d’improbables menaces) dont la présence oppresse, et un père silencieux. Cet enfermement initial prédétermine en quelque sorte le rejet que la petite va subir à l'école, quand, pour échapper aux moqueries, aux coups des enfants et aux humiliations imposées par les maîtres, elle se retire dans un monde connu d’elle seule, et parcourt chaque nuit la maison obscure en quête d'aventures imaginaires. Puis vient la césure totale, quand le repli se fait si pesant que la petite « désapprend », prenant un retard démesuré sur les autres enfants, refusant d'entrer dans les moules prévus pour elle - elle se met à bégayer (une façon de protester face à l’impossibilité de communiquer ses souffrances à son père) et son mutisme irrite encore davantage ses tortionnaires : « il lui arrive aussi de ne plus pouvoir dire son nom quand on le lui demande. », mais toujours elle « prolifère à l’abri de la lumière» : car elle a beau désapprendre, certains noms restent gravés dans son esprit, des mots « collectés dans les cours de géographie » et qui évoquent des ailleurs possibles.

    Le texte saccadé, aux brutales syncopes qui coupent le souffle de lecture, sans pour autant perdre de sa poésie, s’accorde parfaitement aux illustrations faussement malhabiles de Loren Capelli : aplats de gris ou gribouillages au stylo bille bleu qui recouvrent peu à peu les représentations de la petite – annulant ainsi son identité, fracturée : « elle ne s'est pas rejointe», nous dit-on : dans l'incapacité de construire une image synthétique d'elle-même, ne sachant qui elle est face aux regards destructeurs et déstructurants subis jour après jour ; les seuls êtres auxquels elle est en mesure de s'identifier sont les enfants tziganes qui, comme elle, ont été assignés en fond de classe, éternels parias tant dans le monde adulte que dans celui de l’enfance.
    Ce beau conte glaçant et poignant, à l'écriture aiguisée (à l'image des traits et des hachures au stylo qui vont jusqu'à empiéter sur l'espace textuel), s'affaire à dire l’innommable et à explorer les sources d'une souffrance lointaine mais que rien ne peut effacer : l'enfance dans les Vosges, pays des origines, que la petite, devenue grande, fuira, tout en ne cessant de se le remémorer par le biais de quelques sensations fugaces.
    (B. Longre)

    http://www.esperluete.org

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  • Le bel écart

    coudray3.jpgNona, récits de Jean-Luc Coudray, illustration Philippe Coudray - L'Amourier

    Le premier texte, Nona, pourrait passer pour trompeur, tant la logique narrative semble y aller de soi : une histoire d’amour sans conséquence (ou presque) entre le narrateur, pour un temps réfugié loin du monde dans une auberge espagnole, et la servante du lieu, une femme aux « jolis yeux ronds », qui lui offre chaque nuit un réconfort quasi maternel ; une toquade charnelle dont il ne reste, bien plus tard, que des poussières de souvenirs... En dépit de la netteté du récit, un indice met sur la voie de l’insolite : « Nona n’était pas belle. Mais, ainsi, c’était Nona. Je n’ai jamais vu de beauté que banale. » Des mots que l’on appliquera à la création littéraire en général… Et tout particulièrement à la prose de Jean-Luc Coudray qui, après cette nouvelle relativement paisible et sobre, ne cessera de malmener son lecteur, l’entraînant loin des normes et de la logique raisonnable du récit réaliste. Au gré de la lecture, les décalages se font plus ou moins grands entre le monde tel que nous le connaissons (ou pensons le comprendre) et l’univers parfois sans queue ni tête mais réjouissant que nous découvrons sans méfiance…

    Car Jean-Luc Coudray cultive l'absurde et l'insolite dans cette série de textes brefs et remarquables, limpides en apparence ; s’amusant à remanier le réel par petites touches et à perturber notre vision du réel et du langage, opérant des renversements inattendus ; les personnages se fourvoient (volontairement ou non) dans des situations défiant parfois tout sens de la logique, comme dans Le Pique-nique (un homme passe une journée à la campagne en compagnie de sa femme – au « cerveau marié » - et de sa belle-mère, et se retrouve soudain à devoir sauver son épouse de la noyade, puis une jeune fille suicidaire…) ; dans Monsieur Silhouette, un « arrêt sur image » surprend une petite ville enneigée tandis que dans Le docteur ou dans Quatorze juillet, les déplacements sans but avéré des personnages illustrent une certaine idée de l’existence et de sa vacuité ; même chose dans Une année facile où le narrateur avoue être « homme à ne rien faire », « socialement ailleurs » et l’assume.

    D’autres événements ou conversations, en surface inexplicables, ponctuent le recueil, tout particulièrement dans deux farces pseudo politiques à la fois sombres et facétieuses (L’empereur et Le fou du roi), où l’absurde joue un rôle essentiel comme dénonciateur du réel ; même chose dans le milieu bourgeois gonflé d’invisibles fêlures que l’écrivain met en scène avec un sens aigu de l’observation : la fuite (par la fenêtre de la salle de bain…) du respectable personnage éponyme dans Madame de Roncevac, l’ordinaire désir éprouvé par le Monsieur pour sa bonne (La faute de Monsieur) et qui, une fois satisfait, rejoint la somme des banalités du monde, plus loin, la voisine et son «chignon qui lui tirait les pensées, sa robe qui lui étriquait le désir. » (Les Morts).
    Se jouant habilement de nos horizons d’attente, l’auteur se permet ainsi tous les écarts imaginables, une démarche qui tout naturellement se propage au style élégant mais parsemé d’assemblages langagiers inventifs, source d’un jaillissement poétique certain. La combinaison est heureuse, entre cocasserie et noirceur, cynisme et fantaisie et met en exergue la vacuité d’existences vouées au banalement correct et à un ordonnancement existentiel qui va se déréglant, pour le pire ou le meilleur…
    (B. Longre)

    http://www.amourier.com/

    http://www.philippe-coudray.com/

    (Oui, je sais, je devrais parler de la rentrée littéraire... mais j'aime beaucoup Nona.)

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  • Une nouvelle n’est pas un roman comme les autres…

    rgodenne3.jpgLa nouvelle de A à Z, ou troisième tour du monde de la nouvelle en langue française, de René Godenne - Editions Rhubarbe, 2008

    Déambulations nouvellistiques

    Une nouvelle n’est pas un roman comme les autres… Pour preuve, René Godenne, qui lui a déjà consacré nombre d’anthologies, d’ouvrages et de bibliographies critiques, propose aujourd’hui ce dictionnaire qui se compulse avec plaisir, que l’on soit, comme son auteur, grand « liseur de nouvelles », ou bien moins féru du genre, ou même petit amateur. Car ce «tour du monde » sous forme de glossaire, émaillé de citations, de références, d’anecdotes et de tentatives de définitions, devrait passionner tout lecteur un tant soit peu intéressé par la fiction, qu’elle soit brève ou longue.

    Pourtant, l’un des premiers constats de René Godenne est le suivant : « Les lecteurs, dans leur grande majorité, n’aiment pas lire des nouvelles ». Défaitisme ou lucidité ? Plus loin, à l’article « nouvelle », il écrit : « Comment ce terme peut-il être autant l’objet de méfiance, de rejet de la part des éditeurs qui publient peu de nouvelles, des lecteurs qui en lisent rarement, de la critique qui en parle à peine, des historiens de la littérature qui l’ignorent ? (…) L’histoire du genre à travers les siècles c’est l’histoire d’un handicap jamais comblé. » Si l’on en croit ces remarques, personne ne lirait de nouvelles et d’aucuns y verraient de « petits romans » sans envergure, leur déniant leur valeur générique et les reléguant au rang de« brouillons »… Ainsi, André Breton, qui disait : « Je n’ai jamais écrit de nouvelle, n’ayant de temps ni à perdre, ni à faire perdre (…) Aujourd’hui, pour compter écrire ou désirer lire une « nouvelle », il faut être un bien pauvre diable » (1948). Des propos plus que surprenants, teintés d’un incompréhensible mépris. (on en trouvera d’autres à l’entrée « Bêtisier »… !)

    Si l’on peut répondre que nombre de recueils continuent d’être publiés (par la plupart des éditeurs de fiction, sans parler des maisons d’édition qui se spécialisent dans le genre), on constate néanmoins que la nouvelle ne jouit pas du même statut que le roman auprès des lecteurs. Les raisons en sont multiples. Souvent, certains lui préfèrent le conte (qui serait, contrairement à la nouvelle, « chargé de sens » pour un Michel Tournier) alors que selon R. Godenne, un conte est tout simplement « synonyme de nouvelle » ; d’autres vont arguer qu’à l’hétérogénéité d’un recueil de nouvelles, ils préfèrent la cohésion d’une œuvre « suivie » : un recueil contraint en effet le lecteur à fournir un effort plusieurs fois de suite afin d’entrer dans plusieurs histoires, plusieurs intrigues successives. On pourra cependant rétorquer qu’un recueil n’est pas nécessairement un éparpillement de textes et de pensées et peut aussi former un tout, présenter une cohérence interne, proposer un fil conducteur qui permet au lecteur de rester dans un univers, une poétique, une thématique (c’est le cas, par exemple, de Tokyo : vol annulé de Rana Dasgupta, qui prend le Décaméron de Boccace pour modèle, avec un récit cadre au sein duquel s’insèrent les différents récits, ou de La vie en flammes de Scott Wolven, un recueil où les motifs narratifs se répètent si bien d’un récit à l’autre, ou encore – pour citer un francophone - Quelques nobles causes pour rébellions en panne et Un clown s’est échappé du cirque d’Eric Faye), ce que René Godenne nomme « recueil-ensemble de nouvelles », un assemblage « construit sur une unité d’ordre organique » ; des recueils qu’il semble juger trop ambigus à son goût, en cela qu’ils se rapprochent parfois du roman et brouillent les frontières génériques.

    Justement, hormis la longueur (et encore, à côté de « novelettes » de moins d’une page, on trouve des nouvelles de 100 pages…) quels traits distinguent une nouvelle d’un roman (voire d’une novella…) ? Sa discrétion et son aspect confidentiel d'abord, malgré ses six siècles d’existence (le premier recueil français n’est pas L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, comme on le croit souvent, mais Les Cent Nouvelles Nouvelles, ouvrage collectif composé entre 1456 et 1467, soit près d’un siècle plus tôt), l’idée de « cadre » et de « chute » (procédés encore répandus aujourd’hui), sa densité… Toute tentative de définition tranchée échappe et René Godenne se garde bien d'en proposer une seule.

    L’auteur tâche aussi de trier le bon grain de l’ivraie en donnant des pistes qualitatives forcément très subjectives, quand il donne des exemples de ce qu’il considère comme une « mauvaise nouvelle» (« Quand la nouvelle devient un objet formel. (…) dans le prolongement du nouveau roman », des textes « illisibles et distillant l’ennui le plus profond ! ») ; en revanche, il est d’accord avec F.S. Fitzgerald, selon lequel une nouvelle est « bonne » quand « elle s’articule autour de moments si grands et si bouleversants qu’il semble que quiconque ne les ait jamais saisis. »
    Cet ouvrage, qui se préserve de tout dogmatisme et n’impose aucune vision de théorie littéraire, se lit davantage comme un vagabondage érudit, une exploration désordonnée et éclectique d’un univers qui possède plus de « mille et un visages » et dont l’auteur propose quelques facettes seulement, avec un objectif en tête : « faire aimer, faire lire la nouvelle », car… « mieux vaut ouvrir un bon recueil qu’un mauvais roman » ...
    (B. Longre)

    http://www.editions-rhubarbe.com/

    http://www.centrejacquespetit.com/godenne/index.php

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  • « Un geste humain, aussi infime soit-il »…

    nilstrede.jpgLa Vie pétrifiée de Nils Trede, Quidam éditeur, 2008

     

    Xavier, un homme à la vie bien ordonnée, médecin le jour et restaurateur le soir, lutte contre une solitude dans laquelle il semble d’abord se complaire quelque peu – par goût de la liberté et dégoût des convenances – mais dont il souffre profondément, malgré la présence d’une mère âgée à laquelle il est très attachée. Quand surgit dans son existence une jeune femme, incarnation de son idéal, mais inaccessible et déjà amoureuse d’un autre, le manque et le désir engendrent en lui des réactions physiques incontrôlables, presque pathologiques, et des symptômes psychologiques qui se rapprochent, entre autres, de la paranoïa.

    Le narrateur, ultra sensible à son environnement – susceptible de jouer sur ses humeurs –, le décrit minutieusement, à l’instar de ses états d’âme et de ses dérapages, parfois calculés, entre fébrilité, sérénité et introversion, fatalisme et regain d’espoir. Une minutie quasi monocorde, qui participe cependant de la construction d’un décor souvent apaisant, par instants irréel, en contraste avec l’agitation intérieure du protagoniste et la menace sourde qui plane, presque imperceptible, sur le récit.

    La quête de Xavier peut se résumer simplement : conquérir l’âme sœur et vivre en harmonie avec elle. Une simplicité à l’image de la langue sobre, retenue, qui parfois se charge de répétitions – en écho aux ressassements du narrateur ; des répétitions qui expriment aussi son besoin de formuler les choses avec limpidité, comme pour se donner l’illusion de contrôler son existence.
    Et malgré cette simplicité de surface, Nils Trede, dont c’est là le premier roman, a imaginé un personnage complexe, pétri de contradictions, un homme qui tente de se bâtir des points d’ancrage et une histoire qui ne se soit pas qu'une longue errance. Au-delà des singularités de l’intrigue, l’auteur parle de la solitude et des frustrations qu’elle entraîne avec une sensibilité et une acuité remarquables (sans oublier les tentations factices qui s'offrent aux solitaires, auxquelles le personnage refuse de céder, par crainte de perdre son intégrité) : « Je sais que la solitude, cette solitude qui s’est imposée, qui ne laisse aucune chance de lui échapper, est le pire des maux. Et pourtant, même si la solitude est définitive, on ne peut pas rester en place, on ne peut pas attendre, il faut bouger avant qu’elle nous tue. Elle fait naître une agitation immaîtrisable, un besoin impératif de fuir, de chercher un autre, un mot, un geste humain, aussi infime soit-il. » Bouger, fuir, s'agiter... tout, plutôt que de subir une lente fossilisation.

     

    (B. Longre, août 2008)

     

    http://www.quidamediteur.com

     

    Chez le même éditeur, on pourra aussi lire Le Pilon, de Paul Desalmand.

    Les livres de Quidam sont aussi présentés ici : http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-Quidam-Editeur-.html (vente en ligne)

     

     

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  • Faire court

    novelettes.jpgSept novelettes de Pascal Blondiau - Editions les carnets du dessert de Lune

    En littérature, il n'est pas toujours besoin de longs discours pour convaincre ou émerveiller : la parcimonie audacieuse de ces novelettes en témoigne. Sept récits dont la brièveté incite le lecteur à savourer chaque mot, à goûter frugalement à chaque assemblage d'images poétiques. Ces évocations sont parfois tirées du quotidien (L'acrobate, La Vitupère), peuvent se faire poignantes (comme dans Point du jour, où l'auteur déroule une phrase unique) ou bien se gorgent de mélancolie (La ruelle des froids enfants) et de cruauté (Toussa). Confronté à de tels textes, le lecteur se doit de les lire et de les relire de façon à ce que chaque relecture permette d'en savoir un peu plus, de découvrir ce qui lui avait d'abord échappé et d'apprécier chaque invention langagière, chaque virgule ou saut de ligne... Ces fragments d'histoires, sans début ni fin, sont de précieux instantanés qui ne nous laissent pas sur notre faim, mais poussent à la rêverie, nourrissant notre imaginaire.

    (B. Longre)

    L'auteur définit ainsi la "novelette" : "une histoire au format carte postale. C’est un instant figé, une histoire saisie au millimètre, à la seconde - mais dont les aboutissements, la logique cruauté, l’absence de morale ou la poésie accompagnent le lecteur pendant des heures. Qu’il le veuille ou non."

    http://www.dessertdelune.be/

    et quelques novelettes en ligne

    http://www.novelettes.be

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  • Paula, la clandestine

    paula3.jpgQui se souvient de Paula ? de Romain Slocombe
    Rat noir, Syros, 2008

    Le prologue, glaçant, reprend une source historique primaire, sans la modifier : la circulaire 173-42 du 13 juillet 1942 émise par l’autorité en place agissant avec zèle pour le compte de l’occupant nazi, qui ordonne aux commissaires de police parisiens de procéder à une rafle froidement planifiée et tristement célèbre : l’arrestation de plusieurs milliers de Juifs et leur rassemblement à Drancy ou au Vélodrome d’Hiver, le 16 juillet 1942. Un rappel qui donne le ton et permet d’entrer de plain-pied dans l’atmosphère sinistre des années d’occupation, et plus particulièrement dans la vie de Paula Karlinski (ou Paule Carlin), qui échappe de justesse à l’arrestation. Son père Chaïm, peintre, a la présence d’esprit de se réfugier chez une voisine qui les accueille temporairement, puis emmène sa fille dans une autre cachette avant de l’envoyer à Lyon, en zone libre, où se trouvent déjà la mère et le petit frère de Paula ; la jeune fille va les rejoindre, tout en regrettant de laisser son père, dont elle est très proche, derrière elle ; ce dernier préfère rester sur place afin d’aider d’autres Juifs, désormais clandestins, comme lui.

    C’est de Lyon que Paula écrit à Jacques, son amoureux parti se réfugier à Londres. Une longue lettre, dense et précise, dans laquelle elle relate les derniers jours passés à Paris et son périple pour passer en zone libre. Une lettre que Jacques gardera jusqu’à son retour en France, à la Libération, sans savoir que Paula n’est pas longtemps restée à Lyon : inquiète pour son père, elle remonte à Paris en janvier 1943. Commence alors une errance urbaine déstabilisante, tandis que la jeune fille, qui s’imagine pouvoir trouver de l’aide auprès d’anciennes connaissances, voit ses repères s’effondrer encore davantage. Le récit reprend des décennies plus tard, quand le passé fait à nouveau irruption dans la vie de Jacques, qui partira sur les traces de Paula, porté par le souvenir de celle qu’il avait aimée.

    L'on éprouve, à la lecture, les mêmes émotions que Paula, de l’angoisse à la peur, de la déception à l’incompréhension, de la paranoïa (souvent justifiée) au brefs instants de soulagement : lors de son voyage en train, de ses déambulations dans les rues de la capitale, où elle prend des risques, sans forcément en être consciente, lors de sa rencontre avec un ancien camarade de classe prépa, qui cherche à profiter de la situation, ou encore quand elle apprend que son ancienne voisine, celle qui les avait cachés, son père et elle, vient d’être arrêtée.
    L’auteur offre un roman étayé par une solide documentation et le dédie, entre autres, à Louise Jakobson, lycéenne captive à Drancy et assassinée à Auschwitz, qui a laissé des lettres qui font partie de la bibliographie. Récit poignant, sombre et palpitant, proposant des points de vue variés, Qui se souvient de Paula ? relate l’histoire d’une enquête et d’une vengeance, rappelle le devoir de mémoire, mais surtout, raconte le parcours singulier d’une jeune fille brillante, à la fois candide et lucide, pas toujours très au fait de ce qu’elle risque en partant à la recherche de son père, même si elle agit avec courage et détermination ; une existence similaire à des millions d’autres, prise dans le tumulte de l’occupation et dans les atrocités de la seconde guerre. Car en toile de fond, plane l’ombre tangible des camps d’extermination, l’indifférence des uns, les trahisons des autres (même si la compassion l’emporte parfois), ainsi que l’exclusion d'une partie de la population mise au banc de la société et décrétée hors la loi par l’occupant, avec la complicité délibérée de la police française. Paula a vécu tout cela de près, et c’est avec amertume qu’elle se souvient, dans sa lettre, des regards « agacés, critiques, hostiles » que lui lancent des passagères d’un omnibus pour Lyon : « Et moi qui suis née à paris, qui ai été naturalisée française ensuite par la loi de 1927 reconnaissant le droit du sol, qui parle leur langue aussi bien que ces femmes et même mieux, qui vivait jusqu’à récemment la vie sans histoire d’une étudiante parisienne, camarade de classe des rejetons de la plus haute bourgeoisie, fille d’un artiste reconnu par ses pairs !... Voilà que pour ces Français égoïstes, je faisais partie du troupeau étranger et indésirable… » Étranger et indésirable, deux épithètes encore associés aujourd’hui, l'idée latente qui sous-tend ce roman (engagé sans être didactique) étant aussi d'établir des liens entre le passé et le présent, entre les destins des uns et des autres, du singulier à l'universel.

    (B. Longre, juillet 2008)

    http://www.syros.fr/nouveautes.asp

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  • Quand Je se fait Tu

    marietfemme.jpgMari et femme de Régis de Sa Moreira, Diable Vauvert, 2008

     

    Le postulat de départ intrigue d’emblée : un homme, dont le couple bat de l’aile, se réveille un matin dans le corps de sa femme… et vice-versa. D’abord terrifiés par leur nouvelle apparence, mari et femme, contraints et forcés, vont peu à peu découvrir le corps de l’autre, un univers à la fois connu et inconnu, puis s’accoutumer à cette nouvelle enveloppe en passant par différentes phases émotionnelles et situations sociales qui, peut-être, les amèneront à repenser leur relation et le sens à donner à leur vie. À partir d’une idée simple et déjà exploitée en littérature, l’auteur développe une trame construite et parfois imprévisible, qui va bien au-delà du désenchantement d’un homme (écrivain sans inspiration, de surcroît) en pleine crise existentielle et des clichés parfois associés aux protagonistes trentenaires. La causticité et la sécheresse de ton (alliées, par instants, à une certaine tendresse) confèrent à l’ensemble une épure qui esquive toute tentation mélodramatique et va de pair avec la concision des chapitres – succession d’épisodes ramassés où chaque mot est pesé. Le choix d’imposer un « tu » – auquel on s’habitue très vite – à la narration n’a rien de gratuit, ni ne répond à une approche accusatrice, mais permet justement de mettre le protagoniste face à lui-même et à son propre corps (désormais investi par sa femme) dont il devient l’observateur privilégié, et à cet autre, féminin, qu’il est devenu, tout en faisant écho aux jeux déstabilisant sur les pronoms qui parsèment le texte et permettent de lancer nombre de questions sur le regard que l’on pose sur autrui, sur la part de soi-même que l’on retrouve chez l’autre... et vice-versa.

    (B. Longre, août 2008)

     

     http://www.audiable.com/

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  • Dérives existentielles

    dpetres3.jpgTu vas me manquer de Danièle Pétrès - Denoël, 2008

     

     

    « La vie, ça n’est pas une maladie. »

     

    Un ton décalé, un brin acerbe, caractérise la plupart de ces courts récits, des novelettes qui observent avec acuité nos contemporains et décrivent avec finesse quelques-unes des maladies et des paradoxes qui les accablent : couples englués dans des histoires qui n’en finissent pas de s’achever, comme dans Tu vas me manquer ou dans Boulevard Suchet (« Il était parti, c’est ce qu’elle avait voulu. Puis elle n’avait plus voulu qu’il ne soit plus là. »), quand l’impossibilité du départ emplit l’existence et ne laisse pas de repos – ainsi, dans Le jour du saumon, où une femme est enchaînée au quotidien que son compagnon lui fait subir, un train-train culinaire si monotone qu’il en devient cercle vicieux ; femmes solitaires, dont les vies creuses, vides d’émotions, s’accélèrent parfois quand un événement jubilatoire vient leur procurer quelques sensations qui leur donnent l’impression d’être en vie (Le charme discret de la pauvreté, quand une bourgeoise se réjouit de la vente privée à laquelle elle a été conviée, qui va lui permettre de côtoyer, quelques heures durant, des « gens ordinaires »…) ; l’ennui du « temps qui s’étire et qui ne sert à rien », pour une correctrice dont la profession a contaminé la moindre pensée…

     

    Quelques textes plus longs rappellent aussi combien la vie en collectivité, incarnée par le monde de l’entreprise, est un univers sclérosé, synonyme d’enfermement (La cabine du papillon) à l’instar de toute situation où les individus se trouvent face aux aspects les plus terrifiants du monde du travail (Dommages collatéraux) et aux tragédies individuelles qui glissent sur les autres, eux-mêmes enfermés dans leur bulle. Parfois décapantes et subversives, certaines nouvelles portent pourtant en elles quelques regains d’espoir ; ainsi, dans La preuve par la chaussure, une femme retrouve enfin sa vraie nature et recouvre, après de multiples tergiversations, une liberté qui lui manquait. Ailleurs, un autre personnage finit par renoncer à une quête qui, des années durant, l’a obligée à ressembler à une amie dont « l’image parfaite » la hantait (La petite robe noire) : une autre libération, après une aliénation qui montre comment chacun se forge des masques et des accoutrements qui sont comme de pathétiques béquilles, pour tenter d’exister… 

     

    La liberté reconquise n’est cependant pas donnée à tous les protagonistes, pris aux piège des entraves de la vie moderne et de la société de consommation : la séance de thérapie de groupe relatée dans Autodafé expose l’inadaptation maladive de certains – après les obsessions liées aux chaussures, ce sont d’autres achats compulsifs qui traduisent un mal-être insurmontable : « l’addiction empêche de voir le monde extérieur. Il isole l’objet du désir du monde réel, cet objet prend alors toute la place et l’on ne voit plus que lui », précise le psychothérapeute, dont les conseils, sans qu’il en ait conscience, vont bientôt engendrer une petite tragédie… Les bizarreries, les petites manies et les idiosyncrasies de personnages pris au piège de leur propre existence se succèdent ainsi, sous nos yeux amusés ; des personnages jusqu’au-boutistes qui cherchent parfois à concrétiser leurs obsessions, quitte à se trouver désemparés une fois que le réel s’impose de nouveau à eux, dans toute sa matérialité. Des Je féminins, parfois masculins, des « elle » et quelques « nous » s’accumulent au fil de ces trente récits qui forment un recueil d’intrigues banales, mais seulement en apparence, parmi lesquelles chaque lecteur retrouvera assurément une part de lui-même.

     

    (B. Longre, août 2008)

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  • Au voleur !

    9782211089395.gifJe suis la fille du voleur de Jean-François Chabas, Neuf de l’école des loisirs

     

    Ce roman relate, sous la forme d’un journal intime, quelques mois de la vie d’une fillette de onze ans, seule face aux « autres » (la police, la prison, les institutions…) qui lui ont enlevé son père en détention provisoire, en attente de son procès. Il a beau être un voleur, les « autres » ont beau dire qu’il ne serait qu’un inadapté, il n’en demeure pas moins l’unique repère de la narratrice, un homme doux et gentil dont elle a hérité l’esprit subversif qui transparaît dans les émotions successives confiées à son journal – à défaut de pouvoir se faire comprendre et entendre par l’oncle et la tante mesquins qui l’hébergent. Malgré quelques situations un peu stéréotypées, on s’attache à la jeune diariste qui manie bien l’ironie, et l’on suit avec plaisir son parcours, émaillé de questionnements sociologiques essentiels : comment vivre la pauvreté au quotidien, comment faire la part des choses entre l’être et l’avoir, entre la solidarité et la pitié, et faire en sorte de ne jamais baisser les bras face aux injustices.

    (B. Longre, août 2008)

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  • Re-naissance

    shapeimage_1.jpgMonsieur Truc
    de Thierry Cazals et Julia Chausson
    - Editions de la renarde Rouge, 2008

     

    Thierry Cazals a déjà de nombreux ouvrages derrière lui, dont quelques-uns publiés par les éditions Motus (dans la collection Mouchoir de poche, ainsi que Le petit cul tout blanc du lièvre, recueil de haïkus) – sans oublier Olga et les masques, bel album illustré par Maurizio A.C. Quarello (Editions Sarbacane). Il signe là un conte initiatique, album de belle facture accompagné des gravures sur bois épurées et soignées de Julia Chausson : le périple mouvementé d’un certain Monsieur Truc, bien obligé de laisser de côté son « train-train » le jour où il croise brutalement la route d’un oiseau noir et rouge et que, soudain, des ailes lui poussent… littéralement. Devenu homme-oiseau, il dérive, se laisse emporter loin de chez lui et atterrit dans un volcan en éruption ; là, il prendra conscience de l’absurdité de sa condition solitaire :

     

     « Si tout est vivant,

    si tout est peuplé et habité,

    se demanda Monsieur Truc,

    comment se fait-il que je me sente

    si seul ? »

     

    Cette épreuve par le feu (là encore littérale et symbolique) est incarnée par l’oiseau flamboyant qui a fait de lui un être hybride, en éveil, prêt à accepter que sa vie puisse basculer. Cette histoire d’une renaissance au monde et aux autres, narrée en vers libres, donne à voir ce qui se dissimule derrière la réalité : elle ouvre les portes d’un univers poétique singulier, peuplé de créatures imaginaires et habité par un personnage en marge, qui apprend à se réconcilier avec l’existence.

    (B. Longre, août 2008)

     

     

    www.thierrycazals.fr

     

    www.juliachausson.com

     

    Fondées en 1994 par Joëlle Brière, les éditions La Renarde Rouge proposent des romans et de la poésie à destination des adultes et des enfants, « des textes courts, forts, de tout genres littéraires et pour tous ».

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  • Trouver sa langue

    ptesirene3.jpgLa petite sirène de Myriam Mallié, Illustrations Alexandra Duprez - éditions Esperluète

     

     

    « Ce conte a hanté, et enchanté, mon enfance. Mais le personnage de la sorcière qui arrache la langue de la petite sirène en échange de jambes de femmes m’a autant fascinée que terrifiée », écrit Myriam Mallié en introduction à ce texte dense et envoutant. Aussi, a-t-elle décidé de donner la parole à la « Mutilante », celle qui tranche la langue. D’un point de vue symbolique, cette mutilation peut faire l’objet de plusieurs interprétations, mais l’auteure part de l’idée qu’en devenant femme et en quittant son royaume marin natal, la mer maternelle, la jeune fille en exil sur terre perd sa « langue maternelle », qu’elle n’aura de cesse que de retrouver, à moins d’en inventer une autre, tiraillée entre deux mondes, entre l’enfance et l’amour éprouvé pour un homme ; un désir envahissant, qui s’impose à elle : « Le désir n’est pas la conscience. Le désir est un ordre issu brutalement du fond qui vous retient », lui dit la Mutilante, qui n’a rien de maléfique dans cette réinvention. Au contraire, malgré sa lucidité, la sorcière, figure de la mère, se fait très maternante, surveille sa protégée par la pensée, suit son parcours en s’identifiant à elle. Un parcours semé d’embûches, car la sirène a voulu « franchir la frontière » qui sépare l’enfance de l’âge adulte, coupure qui « veut s’inscrire dans la chair » par le biais des jambes ; en sacrifiant la queue de poisson qui la retenait en enfance, en recevant aussi un « sexe, lumineux et fendu », elle se met en route sur la voie de l’émancipation et de la jouissance possible, un affranchissement difficile à assumer, quand, étrangère aux yeux de tous, elle ne saura se faire entendre de celui qu’elle aime. Car où trouver les mots ? « Pour trouver sa place, d’abord s’occuper de trouver sa langue », lui conseille alors la Mutilante, pour qui « la parole est le territoire » - celui de la sirène, mais aussi de chacun de nous, du lecteur comme de l’auteure.

    À partir d’un conte d’Andersen qui, comme de nombreux autres, se voit souvent édulcoré et ainsi privé de sens, l’auteure substitue sa propre vision et tisse une variation entêtante, où les symboles et les métaphores textuelles, réinterprétés visuellement à travers les peintures en noir et blanc, presque surréalistes, d'Alexandra Duprez, s’entrelacent sans relâche : un écheveau entre poésie et conte moderne, cruel et émouvant, qui parle à notre inconscient et explore tous les paradoxes et les passages de l’existence, de la vie donnée à l’arrachement, de l’amour à la souffrance, quand les deux ne sont pas mêlés.

    (B. Longre, août 2008)

     

    http://users.swing.be/esperluete/

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  • Petites errances au féminin

    virginiejr3.jpgL’amour est un carburant propre, de Virginie Jouannet Roussel

    Les 400 coups, 2008

     

     

    « Les gens ne sont pas toujours tels qu’on les imagine », pense l’une des narratrices imaginées par Virginie Jouannet Roussel, en découvrant qu’un homme, amant d’un soir, possède quelques aspects touchants qu’elle n’aurait pas soupçonnés (Juste avant l’amour). La réalité n’est en effet pas toujours aussi prévisible qu’on croit et la vie peut jouer des tours ou réserver des surprises là où on s’attendait au pire – l’inverse est vrai. Ainsi, Hécate (dans la nouvelle du même nom) pense-t-elle avoir à faire à un violeur alors qu’il se passera entre eux tout autre chose, une « étreinte étrange » qui dévoile à quel point rien n’est jamais tranché ou figé, ni les émotions, fluctuantes, ni les sentiments, ambivalents, ni même les jugements que l’on peut porter sur autrui.

     

    Tout au long de ces nouvelles, l’auteure décline le féminin (et, en creux, le masculin, pas toujours reluisant, même si le manichéisme n’est pas de mise ici) avec un sens de la formule réjouissant, sans jamais se départir d’une acidité bienvenue (mais non dénuée de tendre drôlerie), ni d’une étonnante lucidité, à l’instar de ses personnages : toutes, quel que soit leur statut social ou leur situation professionnelle, prennent conscience de leur condition au fil d’épisodes révélateurs, déclencheurs, pour certaines, de fuites et de prises de décisions qui bouleversent leur vie – comme Fanny (L’ange en plastique) qui instaure un dialogue imaginaire (et savoureux) avec un homme différent de ceux qu’elle a connus, un personnage qu’elle côtoie pourtant au quotidien.... Un féminin en perpétuel cheminement, parcouru de petites révoltes et de sursauts de liberté, jamais acquise si l’on ne s’en donne pas la peine ; des événements intimes qui viennent perturber le déterminisme social obligeant certaines à jouer des rôles éculés qui s’accompagnent de symptômes physiques et psychologiques (« Le corps mou, la tête vide, la fatigue, l’ennui. »).

     

    Les vies basculent, ne tiennent parfois qu’à un fil, un lien ténu qui raccroche les héroïnes au réel et les met soudain face à ce qu’elles veulent en faire : « Je suis fière de tenir debout. Sauf qu’aujourd’hui… Deux heures en compagnie d’une femme ont suffi à me retourner comme un gant… », pense la narratrice de Miss Cabas, récit qui se termine en suspens, sur une indécision, même si l’on sent que le virage a déjà été pris. Mais ainsi que l’énonce très judicieusement une autre protagoniste (Le grain de sable) : « Connaître la réponse, c’est comme refermer la porte et limiter l’horizon à une rature. »

     

    (B. Longre, août 2008)

     

     

    http://virginiejouannetroussel.wordpress.com/

     

    http://www.myspace.com/les400coupsfrance

     

    http://www.editions400coups.ca/

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