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Le bel écart

coudray3.jpgNona, récits de Jean-Luc Coudray, illustration Philippe Coudray - L'Amourier

Le premier texte, Nona, pourrait passer pour trompeur, tant la logique narrative semble y aller de soi : une histoire d’amour sans conséquence (ou presque) entre le narrateur, pour un temps réfugié loin du monde dans une auberge espagnole, et la servante du lieu, une femme aux « jolis yeux ronds », qui lui offre chaque nuit un réconfort quasi maternel ; une toquade charnelle dont il ne reste, bien plus tard, que des poussières de souvenirs... En dépit de la netteté du récit, un indice met sur la voie de l’insolite : « Nona n’était pas belle. Mais, ainsi, c’était Nona. Je n’ai jamais vu de beauté que banale. » Des mots que l’on appliquera à la création littéraire en général… Et tout particulièrement à la prose de Jean-Luc Coudray qui, après cette nouvelle relativement paisible et sobre, ne cessera de malmener son lecteur, l’entraînant loin des normes et de la logique raisonnable du récit réaliste. Au gré de la lecture, les décalages se font plus ou moins grands entre le monde tel que nous le connaissons (ou pensons le comprendre) et l’univers parfois sans queue ni tête mais réjouissant que nous découvrons sans méfiance…

Car Jean-Luc Coudray cultive l'absurde et l'insolite dans cette série de textes brefs et remarquables, limpides en apparence ; s’amusant à remanier le réel par petites touches et à perturber notre vision du réel et du langage, opérant des renversements inattendus ; les personnages se fourvoient (volontairement ou non) dans des situations défiant parfois tout sens de la logique, comme dans Le Pique-nique (un homme passe une journée à la campagne en compagnie de sa femme – au « cerveau marié » - et de sa belle-mère, et se retrouve soudain à devoir sauver son épouse de la noyade, puis une jeune fille suicidaire…) ; dans Monsieur Silhouette, un « arrêt sur image » surprend une petite ville enneigée tandis que dans Le docteur ou dans Quatorze juillet, les déplacements sans but avéré des personnages illustrent une certaine idée de l’existence et de sa vacuité ; même chose dans Une année facile où le narrateur avoue être « homme à ne rien faire », « socialement ailleurs » et l’assume.

D’autres événements ou conversations, en surface inexplicables, ponctuent le recueil, tout particulièrement dans deux farces pseudo politiques à la fois sombres et facétieuses (L’empereur et Le fou du roi), où l’absurde joue un rôle essentiel comme dénonciateur du réel ; même chose dans le milieu bourgeois gonflé d’invisibles fêlures que l’écrivain met en scène avec un sens aigu de l’observation : la fuite (par la fenêtre de la salle de bain…) du respectable personnage éponyme dans Madame de Roncevac, l’ordinaire désir éprouvé par le Monsieur pour sa bonne (La faute de Monsieur) et qui, une fois satisfait, rejoint la somme des banalités du monde, plus loin, la voisine et son «chignon qui lui tirait les pensées, sa robe qui lui étriquait le désir. » (Les Morts).
Se jouant habilement de nos horizons d’attente, l’auteur se permet ainsi tous les écarts imaginables, une démarche qui tout naturellement se propage au style élégant mais parsemé d’assemblages langagiers inventifs, source d’un jaillissement poétique certain. La combinaison est heureuse, entre cocasserie et noirceur, cynisme et fantaisie et met en exergue la vacuité d’existences vouées au banalement correct et à un ordonnancement existentiel qui va se déréglant, pour le pire ou le meilleur…
(B. Longre)

http://www.amourier.com/

http://www.philippe-coudray.com/

(Oui, je sais, je devrais parler de la rentrée littéraire... mais j'aime beaucoup Nona.)

Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature francophone 1 commentaire 1 commentaire

Commentaires

  • Merci Blandine de nous parler de ce que tu aimes beaucoup (je note ce livre, tu me donnes envie de le lire), qu'il soit de la rentrée ou pas.
    Pour moi et peut-être aussi par définition, le thème de rentrée littéraire est un non-sens puisque la littérature ne s'apprécie que dans la durée.

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