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Littérature - Page 12

  • Déconstruire les stéréotypes ?

    7f2ee483ee159b9fc13957fa5d1737ba.jpgLe premier prix lab-elle 2007 jury adultes a été décerné le 7 novembre à l'Université de Genève à Un bon point pour Zoé, de Peter H. Reynolds (Milan).

    L'association suisse lab-elle – "laboratoire pour elle" - a pour objectif d’œuvrer pour une attention soutenue aux potentiels féminins dans le domaine de la littérature enfantine et de rendre visibles les albums allant dans ce sens.
    On lit sur leur site : "Afin de permettre à chacun et à chacune de faire des choix qui ne soient pas dictés par les stéréotypes de genre, il est important de proposer aux enfants des albums qui contiennent des représentations d'hommes et de femmes, de garçons et de filles, non figés dans des rôles cloisonnés. De tels livres, même rares, existent !"

    Je n'ai rien contre la déconstruction des stéréotypes et l'égalité dans tous les domaines (bien au contraire) et la démarche mérite d'être soulignée. Il reste que je suis partagée... Je me dis qu'en instrumentalisant ainsi un domaine qui reste avant tout littéraire et artistique, en multipliant les étiquettes (dans ce cas, littéralement, en proposant un autocollant à placer sur les ouvrages sélectionnés, indiquant "Album attentif aux potentiels féminins"), on risque aussi de cloisonner davantage... et de moins tenir compte (voire d'oublier) d'autres critères (esthétiques, graphiques, narratifs, rapports texte-images et subversions des genres ou clichés littéraires...), qui restent essentiels. Signaler que certains ouvrages abordent des thématiques qui vont dans le sens d'un progrès procède d'une démarche évidemment louable, et je ne remets pas en cause le bien-fondé du travail de Lab-elle, mais je m'interroge sur les dérives possibles de ces étiquetages, qui peuvent inciter à choisir un livre sur ce seul critère et à construire, justement, de nouveaux stéréotypes... tout en insistant là encore sur la fonctionalité de tel ou tel ouvrage, au détriment de ses qualités propres.

    En parlant de stéréotype... le choix d'une fillette en rose sur le logo ci-dessus reste étonnant. L'association s'explique ainsi : "Reste le ROSE, couleur souvent décriée car massivement associée de manière peu valorisée au féminin. C'est justement pour cela que le rose a été délibérément retenu. En effet, le but du label est de mettre en évidence les potentiels féminins à travers toutes les catégories de personnages: fille, garçon, femme et homme. Il s’agit clairement d’une action de discrimination positive envers le féminin. Dès lors, pourquoi ne pas le faire avec du rose, mais décliné de manière positive?"

    Si on veut. Se réapproprier une couleur qui est déjà associée, traditionnellement au féminin... ? Choix paradoxal... qui pourrait même desservir le projet en ayant l'effet inverse. Pourquoi pas les couleurs de l'arc-en-ciel ? Car "Il s’agit clairement d’une action de discrimination positive envers le féminin " ?  J'avoue que la discrimination positive en général n'est pas ma tasse de thé. D'où ces réticences, probablement, qui n'engagent que moi.

    Qu'il existe (voir les travaux d'Anne Dafflon Novelle, chercheuse) des asymétries entre héros et héroïnes, est une évidence, mais ce constat : "les enfants des deux sexes préfèrent lire des histoires avec un personnage de leur propre sexe." me paraît, par expérience, sujet à controverse... Tout dépend (justement) de la qualité de l'ouvrage (et dans ce cas, le lecteur se moque bien de savoir si le héros est fille ou garçon) mais aussi des "passeurs" (bibliothécaires, parents, libraires, enseignants, médias...), qui peuvent eux aussi véhiculer des stéréotypes et autres valeurs sexistes... Et là encore, la démarche est paradoxale, car si on pousse la logique, le vrai progrès ne serait-il pas, justement, d'inciter les enfants à lire des livres avec des héros ou des héroïnes, indifféremment... ? (et ils le font déjà souvent).

     

    http://www.lab-elle.org/

     

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  • Aventuriers du monde

    Les éditions MONDE GLOBAL lancent une nouvelle collection de romans pour la jeunesse intitulée AVENTURIERS DU MONDE, des "romans pour s’ouvrir au monde et rêver la planète."

    2b0f4292cd732afa0ac79e3e36266165.jpgTitres à paraître en novembre 2007
    Embrouille en brousse
    de Yves Pinguilly
    Faut pas tuer les goélands
    de Jocelyne Sauvard
    et les suivants...
    La caresse du tigre et autres racontars
    de Christine Beigel
    Pour qui siffle le Motocki
    de Ouaga Bellé Danaï

    "Chaque lecteur étant exceptionnel", les romans se répartissent en deux "tranches d'âge" : ALTO (tous ceux, qui, entre 10 et 110 ans, aiment les histoires…) et MEZZO (tous ceux, qui, entre 8 et 88 ans, aiment les histoires...)
    La collection est dirigée par Jocelyne Sauvard, et Christian Epanya, illustrateur, est chargé de la direction artistique des titres.
    Les jeunes éditions du Monde Global ont érigé la « globalisation » en principe, non pas à la manière nos géopoliticiens matérialistes ou autres experts en économie mondiale, mais en favorisant une approche humaniste et pluriculturelle fondée sur le partage, l’échange et la découverte – d’idéaux, de points de vue, d’artistes, d’écrivains ou de représentations. Cette maison, créée par des universitaires français et canadien d'origine africaine, propose déjà plusieurs ouvrages qui s’inscrivent dans cette démarche – romans, recueils de contes, albums ou essais ; des réalisations qui rassemblent des auteurs et des illustrateurs venus de plusieurs coins du monde, travaillant de conserve.

    Les éditions seront présentes au salon du livre de Montreuil.

    www.mondeglobal.com/

    www.jocelynesauvard.fr

    www.yvespinguilly.fr/

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  • Mon nom est Salma

    En écho à la note précédente, j'ai eu envie de mettre en avant un roman paru récemment en français, qui traite de l'exil mais aussi des violences auxquelles sont confrontées les femmes dans certains pays (ou parfois tout près de chez nous), pour peu qu'elles s'écartent du chemin qu'on leur a tracé... parmi ces persécutions, le "crime d'honneur" fait de nombreuses victimes.

    On trouvera des informations sur le site de l'association ICAHK (International Campaign Against Honour Killings), qui explique que selon l'ONU, plus de 5000 femmes et filles sont tuées chaque année par leurs proches dans ce cadre précis. L'association GRAF (Groupe Asile et Femmes), quant à elle, milite pour un "Droit d'asile pour les femmes persécutées en tant que femmes."

     

    91b77f7d2abe1218b7cb274bf5645241.jpgMon nom est Salma, de Fadia Faqir
    (traduit de l'anglais par Michele Herpe -Voslinsky, Editions Liana Levi, 2007 / My name is Salma, Doubleday, 2007)

     

    De Salma à Sally et vice-versa

    C’est après un long périple que Salma, petite bergère bédouine, arrive en Grande-Bretagne et devient Sally, laissant derrière elle une autre vie qu’elle ne peut pourtant se résoudre à oublier et qui la hante, en dépit de son « intégration » en apparence réussie dans le pays d’accueil. Sa vie à l’anglaise, qu’elle nous conte d’une voix fluide et épurée, est rythmée par son travail de couturière, par quelques rencontres masculines, par les cours de littérature qu’elle suit avec ténacité, par ses amitiés – avec Parvin, jeune anglaise d’origine pakistanaise qui a fui la maison familiale pour éviter un mariage arrangé, ou avec Gwen, une vieille dame érudite. Mais le sentiment de solitude et la culpabilité qui l’habitent, ainsi que la sensation d’être «amputée» d’une partie d’elle-même, font resurgir les souvenirs, qui la ramènent inexorablement à la fille qu’on lui a enlevée à la naissance, seize ans plus tôt, à l’homme qui l’a séduite puis violée, à la prison où elle a vécu plusieurs années à seule fin d’échapper à la fureur de son frère, à son séjour au Liban…

    Des détours mémoriels qui viennent s’entrelacer au temps présent – une narration chaotique, qui progresse par à-coups, allusions et indices : le récit, volontairement éclaté, recouvre diverses époques de son existence. Aussi, le lecteur endosse le rôle d’observateur mais aussi d’enquêteur – en reconstruisant peu à peu le parcours kaléidoscopique de Salma, qui ne dévoile les choses qu’avec une grande parcimonie, tout en s’étonnant des mœurs occidentales (qu’elle critique avec autant de lucidité que certains traits orientaux), du racisme ordinaire, de l’exploitation des plus déshérités – des passages souvent cocasses qui mettent le doigt sur les paradoxes et les dysfonctionnements de nos sociétés démocratiques.

    a5d68827a1953d21e86d1ecba068a3e9.jpgL’auteure dénonce évidemment la condition des femmes d’orient, confrontées à l’obscurantisme religieux et au poids des traditions qui perdurent au-delà des frontières, et insiste sur le fait que le salut passe nécessairement par l’instruction et la lecture ; mais c’est d’abord la difficulté d’être en exil, d’être « autre » qui l’emporte sur tout le reste : Salma a bien du mal à se métamorphoser en Sally, à « s’ajuster », et elle commet nombre de bévues, même si la liberté dont elle jouit est inestimable à ses yeux. Malgré tout, mérite-t-elle d’être encore en vie ? Comment peut-elle vraiment devenir Sally avec son statut d’étrangère et sa peau sombre?

    Salma oscille dans un entre-deux (culturel, affectif, spatial et temporel) qui rappellera d’autres romans tout aussi réussis (de Chitra Divakaruni ou de Maggie Gee) ; l'auteure capte admirablement la schizophrénie de l'exil, cette douleur d’être « double » et d’appartenir à deux mondes divergents qui ont tant de mal à se rapprocher : une situation qui brouille le concept d’identité et crée de multiples incertitudes dans l’esprit déjà déraciné du personnage. Roman poignant, pudique et intelligent, qui joue avec nos émotions tout en se préservant de toute mièvrerie ou de tout pathos larmoyant, My name is Salma tient de la tragédie ordinaire et lointaine, le beau récit d'un déracinement et d’un déchirement, entre Orient et Occident. (B. Longre)

     

    Fadia Faquir, jordanienne et britannique, fait entre autres partie du conseil d'administration de Al-Raida, une revue féministe publiée par l'Université Américaine de Beyrouth.

    http://www.fadiafaqir.com/

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  • Nos amis les Yapous...

    Le volume 3 de Yapou, betail humain de Shozo Numa, est en librairie depuis le 15 novembre (éditions Désordres). Oeuvre majeure de la littérature japonaise, livre total, démesuré, fresque échevelée considérée par Yukio Mishima comme « le plus grand roman idéologique qu’un Japonais ait écrit après-guerre ». Voici ce que je disais du premier tome.

    Yapou, bétail humain, volume 1 (traduit du japonais par Sylvain Cardonnel)

    L'homme dominé, l'écrivain dominant...

    "In the struggle for survival, the fittest win out at the expense of their rivals because they succeed in adapting themselves best to their environment." (Charles Darwin)

    "J'avais beau comprendre qu'une oeuvre échappât à son auteur, je ne pouvais m'empêcher d'en être troublé." (Shozo Numa)

     

    b1c8f556a02c83ab4057c89bd5a8d02a.jpgLe grand oeuvre de Shozo Numa paraît en français : les éditions Désordres, décidément à l'avant-garde d'une littérature libérée de ses tabous (après David Wojnarowicz, Kathy Acker ou Peter Sotos) ont fait le pas.

    Roman fleuve d’abord publié en feuilleton à partir de 1956 dans la revue japonaise Kitan Club, Yapou, bétail humain appartient à la veine littéraire masochiste ; il fut composé pour servir de formidable exutoire à des pulsions que Shozo Numa est loin de renier et qui sont nées quand, tout jeune soldat, il fut fait prisonnier et « placé dans une situation qui me contraignait à éprouver un plaisir sexuel aux tourments sadiques que me faisait subir une femme blanche. » ; une « déviance » qui n’appartient donc qu’à lui, indissociable de son histoire personnelle, une expérience intime pourtant surdéterminée par son appartenance au peuple japonais... Car l'écrivain voit le Japonais comme un être modelé par un perpétuel sentiment d’infériorité, sentiment exacerbé par un contexte géopolitique spécifique, dans un Japon d’après-guerre vaincu, humilié et soumis à la mainmise occidentale. « Le caractère divin de l’empereur (…) était soudain détruit. C’est sans doute cette désillusion qui se transforma en moi en excitation masochiste. » explique-t-il dans sa postface à l’édition japonaise de 1970.

    L'auteur prend toutefois ses distances avec l'époque et c’est dans un monde imaginaire (quoique...) qu'il a choisi d’ancrer son récit : au XLe siècle, dans l’Empire des cent soleils (EHS – de l’anglais « Empire of Hundred Suns »), une société interplanétaire régentée par une aristocratie dont les caractéristiques (blanche, anglophone et féminine…) font essentiellement écho aux fantasmes de soumission de l’auteur. Au plus bas de l’échelle du vivant, les Yapous, matière première animée, intelligente, destinée à satisfaire les moindres besoins et désirs des blancs d’EHS : un bétail indispensable à la bonne marche de l’empire, aussi nécessaire, par analogie, que les esclaves africains pouvaient l’être dans les états sudistes des Etats-Unis ; à la différence que cette exploitation systématique et institutionnalisée du Yapou n’est nullement considérée, par les habitants d’EHS, comme un « necessary evil » (un mal nécessaire, euphémisme employé par nombre d’Américains pour justifier l'esclavage), mais comme un état de fait «naturel» reposant sur une distinction biologique de taille… la peau « jaune » des Yapous. Sur EHS, les esclaves noirs eux-mêmes jouissent de droits et de privilèges interdits aux Yapous…

    Science-fiction, donc, mais qui s’appuie sur des données contemporaines et/ou historiques connues ; un genre délibérément choisi pour la grande liberté idéologique et littéraire qu’il présuppose ; et Shozo Numa évoque ce monde (utopique et dystopique - selon sa position en tant que lecteur) avec érudition, élaborant une description savante et quasi encyclopédique de chaque facette de cette société ultra-hiérarchisée et policée (sur le modèle de la Rome Antique, du Japon impérial ou de l’impérialisme britannique…), des sciences aux arts, des moeurs à la politique… Panorama foisonnant permettant à l’écrivain de coucher sur le papier tous ses fantasmes scatologiques, masochistes, sexuels – des plus sordides aux plus cocasses… des plus dérangeants aux plus conventionnels. Car les Yapous (descendants des Japonais, on aura compris le glissement phonologique) sont tout, sauf humains et, de toutes les formes et tailles, font office de jouets sexuels, de meubles «viandeux», de sanitaires (une obsession qui traverse l'ouvrage) ou de sacs à main, de vomitoires ou de jouets miniatures, de mères porteuses (libérant ainsi les femmes blanches de l’esclavage de la maternité et expliquant la "révolution féminine"), et on en passe, l’imagination de l’auteur se montrant sans bornes dans ce domaine.

    En dépit de son caractère (prétendument) scientifique et ethnologique (entretenu par le biais d'archives, d'extraits littéraires, d'ouvrages théoriques, de notes de bas de page, de renvois multiples, etc. bien entendu inventés de toutes pièces), Yapou reste un roman : la découverte progressive de ce monde hors nomes s’effectue par le biais de deux personnages dont la fonction naïve s’apparente à celle d’un Gulliver ou à celle des narrateurs des Lettres persanes – procédé certes classique mais néanmoins efficace : tout débute quand Clara, une jeune Allemande, et son fiancé japonais, Rinichiro, assistent à la chute d’un engin spatial… à l’intérieur de l’ovni, ils découvrent Pauline Jansen, une aristocrate d’EHS ; lors d’un voyage dans le temps, cette dernière s’est laissée distraire par la dextérité de son cunnilinger télépathe (« une sorte de meuble vivant dont la principale fonction est de contenter les femmes qui dorment seules »...) et a perdu le contrôle de son appareil. Mais Pauline, maîtresse femme, prend bien vite les choses en main, comprenant que Clara et son "Yapou" appartiennent à l’époque « anhistorique » (ère précédant la conquête de l’espace) et qu'ils n’ont pas nécessairement conscience de leurs différences respectives…

    Elle invite Clara à visiter son monde et là, les privilèges reviennent à la blanche jeune fille et la yapounisation à Rinichiro, un "beau" spécimen de Yapou d'origine qu’il va falloir conditionner… Les métamorphoses successives (physiques et psychologiques) que les deux explorateurs (malgré eux) vont subir (ou peu à peu accepter, dans le cas de Clara) se déroulent sur moins de vingt-quatre heures, mais sont analysées de manière si détaillée que le lecteur, à défaut de les accepter, les assimile sans mal. Là réside la force de cet ouvrage, qui nous transporte d’un monde à l’autre sans que l’on s’étonne outre mesure des retournements que l’auteur fait subir à notre conscience. Les valeurs humanistes que nous connaissons se voient renversées en totalité, à grande échelle... rien de surprenant à ce que Sade et Jonathan Swift, chantres du renversement, soient de la partie, en tant que sources d’inspiration récurrentes et explicites : Yapous et Yahoos (ces créatures primitives que l’on rencontre dans le dernier voyage de Gulliver) ne se ressemblent pas (les capacités intellectuelles des premiers les placent à l’opposé des second) mais l’analogie homophonique existe bel et bien… De même, le leitmotiv scatologique (certains Yapous apprennent, dès l'enfance, à se délecter des déjections "sacrées" des Blancs, qui peuvent désormais satisfaire sans gêne leurs besoins en public tout en nourissant leurs Yapous...) nous renvoient aux grands textes de la littérature sado-masochiste, tandis que d’autres scènes semblent tout droit sorties du monde de Brobdingnag (le combat entre Yapous pygmées par exemple) ; la relative indépendance dont jouissent les Yapous géants (destinés pour la plupart à devenir des montures), qui grandissent à l’écart des « dieux blancs » sur la planète Titan, paraît pour partie calquée sur l’existence des Houyhnhnms (des chevaux très rationnels) que côtoie Gulliver. On pourrait établir de nombreux autres parallèles... il suffit de dire que Yapou, bétail humain, vaste métaphore de la condition japonaise, s’inscrit dans la veine des grands romans philosophiques et il serait erroné de prendre au pied de la lettre tout ce que prétend l’écrivain…

    L’écriture de ce roman lui a apporté, il est vrai, un vaste espace de liberté et lui a permis « d’apaiser » sa « soif », de donner un cadre à sa vision très personnelle de la volupté et du plaisir, ainsi qu’il le confesse ; mais au-delà de sa fonction d’exutoire sexuel et psychologique, fonction liée au souci d’explorer l’image en négatif que le peuple japonais a de lui-même et entretient depuis des décennies (en particulier à travers le sentiment d’infériorité qu’éprouverait, plus ou moins consciemment, tout Japonais face à l’occident sadique incarné par ces femmes blanches omnipotentes), cette œuvre pléthorique se lit de diverses façons tandis que les interprétations se télescopent ou se superposent : les questions politiques soulevées par l’auteur (en particulier sa réflexion continue sur l’impérialisme anglo-saxon, qu’il soit territorial, linguistique, économique…) possèdent par exemple des résonances très contemporaines : « La civilisation blanche occidentale a hérité de l’esprit de la Grèce antique, société qui reposait sur le travail des esclaves. Cette psychologie de dominants s’est développée le temps que dura la colonisation-domination des populations de couleur. C’est elle qui préside à l’aliénation des Yapous sur EHS. » Similairement, le féminisme extrême et volontairement exagéré qui traverse l’œuvre (bien qu’accessoire – et inventé pour que la société EHS puisse être en adéquation avec les pulsions masochistes de l’écrivain) ravira nombre de lecteurs par ce qu’il nous apprend indirectement de la société patriarcale actuelle, faisant prendre conscience de son absurdité et de son injustice – et même si telle n’était pas l’intention originelle de l’auteur, le procédé du retournement, associé à l'amplification et au grossissement de certains traits (jusqu’au grotesque — procédé dont usait si bien l'écrivain Edogawa Rampo, en particulier dans ses nouvelles du genre ero-guro, comme La chenille ou La chaise humaine...), met en lumière nombre de ces dysfonctionnements.

    La terrifiante acceptation des Yapous (certes conditionnés dès l’enfance à vénérer les Blancs) fait écho à la passivité politique ou à la mollesse de l’engagement d’une majorité de groupes humains soumis à des volontés individuelles tyranniques – comme si les souffrances engendrées par une soumission non choisie procuraient cependant un plaisir d'une intensité telle que rien ne pourrait convaincre les victimes de changer de condition. L’auteur est suffisamment modeste (cela participe-t-il du "gène de servitude" que posséderait, selon le narrateur, tout japonais ?...) pour ne rien dire de ses engagements dans la sphère du collectif, résumant son œuvre à une tentative individuelle de survie, destinée à un petit nombre de lecteurs ; mais à l’évidence, il ne fait nul doute que le bouillonnement d’idées que procure la lecture ne peut laisser le lecteur indifférent à ces questions qui se dessinent en filigrane. On voit ainsi comment l’œuvre peut échapper à son auteur, sur de nombreux plans.
    Un autre paradoxe frappe aussi (que l’on retrouve dans l’interdépendance de la relation sado-masochiste) : l’assujettissement du Yapou, créature à qui l’on nie toute humanité, exploitée de toutes les manières imaginables, s'accompagne d’un pouvoir illimité ; l’auteur l’a saisi lorsqu’il parle de « la suprématie du Yapou », sans qui la société d’EHS ne serait pas ce qu’elle est… Une société totalitaire dont les valeurs sont susceptibles de révulser, sans pour autant perdre de sa capacité à nous fasciner, justement par ce qu’elle contient de repoussant…

    A l’heure où nous achevons la lecture de ce premier tome (le deuxième est à paraître d’ici quelques mois – il faudra faire preuve de patience) Clara, qui a succombé, sans trop se faire prier, au confort et aux charmes libertins de la très idéale communauté des nobles d'EHS, a enfin admis consciemment que son fiancé n’est en définitive qu’un Yapou et elle s’apprête à le dresser ; de son côté, Rinichiro, sur lequel le processus de yapounisation semble fonctionner à merveille, s'abandonne peu à peu à sa nouvelle condition, tout en étant nimbé d'ironie cosmique... C'est ainsi qu'en dépit de ses aspects sulfureux (et réjouissants), cette fresque romanesque inégalable mais très ambiguë ne présente que peu de danger : nous nous distançons sans mal de l'univers rêvé par Shozo Numa, qui reste personnel et singulier, en partie par le biais du grotesque et d’une très saine ironie, engendrée par le caractère assurément superficiel et souvent risible de nombre de personnages – marionnettes blanches, jaunes et noires (très paradoxalement) soumises au bon vouloir de leur créateur…   Blandine Longre (novembre 2005)

    Les éditions Désordres

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  • Lectures achevées et en cours...

    Parmi les ouvrages lus ces dernières semaines, en voici quelques-uns… Je n’ai pas écrit sur tous (ou pas encore) mais je les recommande vivement à la lecture, ça coule de source !

     

    *** Fiction

    Silences de Catherine Leblanc (Les Découvertes de la Lucioles, 2007) - un beau recueil de nouvelles, chez un petit éditeur à découvrir. article en ligne

    Chicago, je reviendrai de Gisèle Bienne (Médium de l’école des loisirs 2007) article en ligne 
    j'ajoute que Gisèle Bienne est aussi l'auteure d'un de mes "livres de chevet"...

    Paranoid Park de Blake Nelson (traduit de l'anglais par Daniel Bismuth, Hachette Littératures 2007) - le fameux roman dont Gus Van Sant s'est inspiré pour le film du même nom. Un bon roman pour grands ados et adultes, qui relate les tourments d'un jeune homme, seul face à un secret qui pèse lourd.

    La Rivière d'Annie Saumont, vu par Anne Laure Sacriste (Editions du chemin de fer 2007) - une nouvelle illustrée dont je reparlerai certainement.

    Faut-il croire les mimes sur parole ? de Céline Robinet (Au Diable Vauvert, 2007) - excellent recueil - Article en ligne

    *** Inclassables

    Imagier de Cécile Holveck (R-Editions 2007) - un "imagier" pour grands.

    Le chien de Nourreev d'Elke Heidenreich et Michael Sowa (traduit de l'allemand par Christine Lecerf, éditions Sarbacane)

    Le Mur, mon enfance derrière le rideau de fer, de Peter Sís (traduit de l’anglais par Alice Marchand, Grasset, 2007)

     

    *** Jeunesse

    8a81a1ba8a12eac35a0dc0b619b17037.jpgYllavu de Gambhiro Bhikkhu, illustrations de Samuel Ribeyron (Hongfei, 2007) j'en parle ici

    ça devait arriver de Gaëtan Dorémus (éditions Belize)

    Pas cochon de Christine Beigel (Gautier-Languereau)

    Mais qui a volé le maillot de la Maîtresse en maillot de bain ? de Lilas Nord et Carole Chaix (Après la lune jeunesse)

    Thésée  d'Yvan Pommaux (L'école des loisirs) - un bel album grand format.

    Le village aux mille trésors de Véronique Massenot et Joanna Boillat (Gautier-Languereau)

     

    *** Lectures en cours… à des stades plus ou moins avancés, que je livre en vrac...

    Servais des Collines d’Anne Percin (éditions Oskar 2007)

    Entre dieu et moi, c’est fini de Katarina Mazetti (Gaïa 2007)

    Van Gogh – la biographie signée David Haziot , qui vient de paraître dans la collection Folio Biographie.

    Boris Vian et moi de Lou Delachair (Exprim' Sarbacane)

    Quoi de neuf chez les filles, entre stéréotypes et libertés de Christian Baudelot et Roger Establet (Nathan, l'enfance en questions)

    If you liked school, you'll love work de Irvine Welsh (J. Cape 2007) auteur dont je recommande TOUS les livres... dont Une ordure, qui vient de paraître en poche.

    Le 3e tome (paru ce mois) de la série signée Stephenie Meyer, composée de Fascination, Tentation et Hésitation (Hachette roman jeunesse, collection Black Moon, traduit de l’anglais par Luc Rigoureau) – je le lis dans sa version anglaise, of course (Twilight, New Moon, Eclipse). Incontournable quand on a commencé le premier tome... (il suffit de me parler de vampires pour que je me laisse tenter...)

    Je ne dresse pas la liste de ceux qui attendent.

    Pour finir, quelques mots sur...

     

    aa3d7c113af70341bd31a9cf7bc89430.jpgMon cher ennemi de Yang Zhengguang, traduit du chinois et annoté par Raymond Rocher et Chen Xiangrong, Bleu de Chine, 2007

    Lao Dan, un vieux paysan qui se morfond auprès de son fils célibataire endurci (bon garçon soumis à son tyran de père), cherche à pallier son ennui et redonner un sens à sa vie… il s’invente pour cela un ennemi, sans raison apparente, et son choix se porte sur Zhao Zhen, trafiquant de femmes (entre autres), dont les affaires florissantes agacent le vieil homme. Mais le jour où Zhao Zhen revient accompagné d’une jeune femme d’une province voisine, Lao Dan se met en tête de marier son fils et les rapports de force se voient bouleversés… Entre farce tragi-comique et fable absurde, Mon cher ennemi relate une suite de mésaventures (certes entrecoupée de succès éphémères) qui se concentre sur un personnage entêté, à l’esprit tordu, cocasse et irritant à souhait. Tout se déroule à huis clos ou presque, dans ce court roman satirique et pourtant très réaliste, qui en dit long sur les idiosyncrasies et les caprices de l’esprit humain, qui a toujours besoin d'un "autre" pour se définir. B. Longre (novembre 2007)

    http://www.bleudechine.fr/

     

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  • Salons

    Quelques rendez-vous à retenir

    3cc0d3fd2046ebbde211c044442e93c1.jpgLe 8è salon PETITE EDITION JEUNE ILLUSTRATION se tiendra du 9 au 11 novembre au Château de Saint-Priest (69), une manifestation qui est devenue un rendez-vous des amoureux des livres de jeunesse et de l’univers de l’édition indépendante. L'occasion de croiser les univers de petites maisons d’édition novatrices et d’illustrateurs originaux.

    a8b26216dbd20979b81054db7548e6b2.jpgL’association L’autre livre organise, en partenariat avec le Secours populaire, le 5ème Salon de L’autre livre, sur le thème de la solidarité, du vendredi 7 au dimanche 9 décembre 2007 de 10h à 20h, à la Maison des métallos (94 rue JP Timbaut, Paris 11e). Une centaine d'éditeurs présents. dont l'Atelier du gué
    Plus d'informations.

    604d88341250e537491d16f73a9efb12.jpgDu 28 novembre au 3 décembre 2007, Salon du  livre et de la presse jeunesse de montreuil.
    Invité cette année, le Royaume-Uni.
    Site officiel

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  • Salon du livre de Lyon - quelques éditeurs

    Place aux Livres ! salon National du Livre en Région, réunit depuis quelques années tous les professionnels de la chaîne du livre : auteurs, éditeurs et libraires qui s’unissent pour offrir aux Lyonnais la plus belle librairie de la Cité. Fort de son succès en 2003, 2004, 2005 et 2006 le Salon du Livre prend de l’ampleur et poursuit son ouverture aux régions francophones, entamée en 2006 avec la participation du Québec.
    Lyon, du 9 au 11 novembre 2007 - Place Bellecour
    http://www.salonlivrelyon.com

    Plusieurs éditeurs venant d'autres régions sont invités, dont les éditions du Chemin de fer, qui proposent des ouvrages soignés, qui allient art et littérature, D'un Noir si Bleu, éditeur de nouvelles, ou encore les éditions du Jasmin, spécialisée en jeunesse, mais pas seulement... Quelques présentations d'ouvrages qui méritent le détour, ci-dessous.

     

    ce7b1aa68b0ad77a4f2de9049972aab3.jpgOn a marché sur la tête de Marie Le Drian, vu par Raphaël Larre, Editions du chemin de fer, 2006

    Les éditions du chemin de fer ont la particularité de proposer des textes de fiction d’excellente qualité, accompagnés d’illustrations ; des ouvrages format poche qui mettent en vis à vis deux univers expressifs, l’un langagier, l’autre visuel, parfois contrastés ou d’autres fois en symbiose, comme ici avec les croquis décalés de cimetières de Raphaël Larre ; Albert-Léonard, un vieux célibataire, a en effet décidé, de son vivant, d’organiser ses funérailles. Il fait appel à une entreprise de pompes funèbres moderne et organisée, qui lui envoie une commerciale chargée de monter le contrat… La narration est à la première personne mais ce court récit enlevé, un long dialogue ponctué de réflexions en aparté d’Albert-Léonard pourrait tout aussi bien être adapté pour le théâtre. La naïveté, la circonspection et l’étonnement du futur décédé face aux complexités inattendues de cet arrangement amusent beaucoup et la froideur détachée (toute professionnelle) de l’employée permet de mettre en exergue l’acidité et l’ironie qui se dégage de la démarche même du « vieux gars ». Une nouvelle pour plaisanter d’un sujet grave et rire des absurdités des vivants face à la mort. B. Longre (mars 2007
    http://www.chemindefer.org

     

    819aa456d0c643cc4ea9c1e7a6e06fb7.jpgLa Mosaïque du fou de Sylvie Huguet, D’un Noir si bleu, 2006

    En dix nouvelles, Sylvie Huguet nous fait traverser bien des mondes intimes, et rencontrer des personnages solitaires qui tous ont en commun un certain penchant morbide, une tendance à se rapprocher inéluctablement des portes de la folie ou à y sombrer sans espoir de rémission. La plus terrifiante de toutes est peut-être Le Cri, le récit d’une emprise, quand la fascination (fatale) que le narrateur éprouve pour le célèbre tableau de Munch l’incite à se rendre à Oslo. D’autres récits, souvent en lien avec l’art, basculent dans le fantastique ou l’hallucinatoire, telle La dernière toile ou Agonie. On s’arrêtera aussi sur une série de brefs tableaux intitulée Névroses, qui illustre différentes pathologies, en écho avec Camouflage, l’histoire d’un effondrement psychique. Des histoires grinçantes ou glaçantes, mais toujours réjouissantes, qui parlent avec finesse de l’angoisse d’être humain et de celle de la mort, toujours présente en creux, au cœur des choses. B. Longre (déc. 2006)
    http://dnsb.chez-alice.fr

     

    1ed67fb2f30297c3981f2160fe6bc7cf.jpg

    Papa-barque de Magali Turquin et Yan Thomas - Editions du Jasmin, 2007

    Papa invisible

    Magali Turquin, qui dédie cet album à son « père pardonné », donne ici la parole à un enfant « né sans papa ». C’est en tout cas ce que prétend la mère, bien décidée à élever seule son petit garçon. Mais celui-ci n’est pas dupe, et pour combler le vide qu’il ressent, il s’invente l’histoire d’un « papa seul », un papa-barque qui aurait « une ancre énorme à la place du cœur », un poids qui l’empêcherait d’avancer et de venir le retrouver. Dans l’incapacité de se confier à sa mère, il se parle à lui-même, s’interroge sur l’absence et le manque, sur l’histoire de ses parents... Lire la suite
    http://www.editions-du-jasmin.com

     

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  • Miniatures

    b89654156e86ebb3b79ae93ac126d4f4.jpgMiniatures de Youssouf Amine Elalamy - Editions Hors'champs (Casablanca)
    prix 12 €, Maroc 65 dh

    Portraits collés

    Recueil atypique et stimulant, Miniatures se compose de cinquante portraits hétéroclites, graves et/ou légers, de brefs tableaux vivants qui renforcent l'idée shakespearienne de l'existence comme une scène (l'auteur avouant en introduction aimer "l'idée d'un livre qui se donne en spectacle") sur laquelle se démènent des personnages pathétiques, amusants, effrayants ou tragiques, à tous les âges de la vie, issus de toutes catégories sociales : on y croise une comédienne obnubilée par le rôle d'Ophélie au point d’en mourir, un journaliste partageant une cellule avec de "vrais" criminels, le seul "trash artist" marocain, un jeune publicitaire sans scrupules, une institutrice battue par son mari et qui maltraite à son tour ses élèves, un enseignant islamiste "hypocrite pratiquant", un foetus ignorant du sort social qui l'attend, une secrétaire qui rêve de romantisme, une fillette que son grand frère rejoint la nuit, un "diplômé-chômeur", un cyber-dragueur, une jeune prostituée, un apprenti kamikaze qui rêve d'un glorieux destin... La société marocaine est ici passée au crible d'une plume acide et réjouissante, faussement neutre, et la satire n'est jamais loin, même lorsque l'auteur se contente de raconter très factuellement, avec un détachement délibéré, et d'accumuler des visions juxtaposées dévoilant avec acuité l'absurdité du monde et les contradictions de la condition humaine en général.

    Saynètes satiriques teintées d'un cynisme amusé, ces Miniatures de Youssouf Amine Elalamy révèlent donc les petits et les grands dysfonctionnements d'un monde entre tradition et modernité, saturé d'images contradictoires et de miroirs déformants, un monde qui oscille entre désespoir (lié au chômage, à la misère sexuelle, aux rapports faussés entre les hommes et les femmes...) et enthousiasme pour des progrès technologiques factices qui apportent un réconfort dérisoire et purement matérialiste ; l'auteur, ne pouvant prendre parti pour l'un ou pour l'autre, rejette avec la même intelligence et la même force à la fois les hypocrisies de l'obscurantisme traditionnel et la misère morale et/ou sociale qui l'accompagne, et la vision d'une humanité manufacturée et posée sur papier glacé — à l'image de Rochdi, ce golden boy qui imite maladroitement le modèle américain, de Btissam, une étudiante qui, ayant posé pour la couverture d'un magazine féminin, est maintenant prise au piège de sa propre image, ou de Soraya, qui "ne peut survivre sans porter de masque", victime d'une "crise de masquillage aiguë"...

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  • Magazine TOC - Chroniques 2005-06

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     Les Démons caca de Fabienne Loodts, Editions Esperluète, 15 euros.

    Vade retro…

    « Nous avons tous notre démon caca », raconte Fabienne Loodts, talentueuse auteure-illustratrice belge ; dans cette étonnante série de portraits pleine page exécutés au fusain, chaque personnage se retrouve affublé, en guise de couvre-chef, d’une étrange bestiole (démon grimaçant, dragon difforme, gargouille aux griffes acérées, gremlins en noir et blanc…), à la manière d’un ornement maléfique qui le suit partout où il va : ces diablotins sont l’incarnation de la noirceur que l’on porte en soi, et on peut accepter leur tyrannie, s’en accommoder, ou l’accueillir à bras ouverts, on peut aussi tenter de dissimuler son démon ou l’affronter violemment, en vain ; l’on choisira alors d’apprivoiser la bête et de minimiser son emprise par le biais d’un dialogue lucide…
    En dépit de son titre surprenant, cet ouvrage n’a rien de scatologique (hormis la malfaisance infantile et primaire de nos propres démons), et c’est d’abord un objet artistique remarquable où les textes, brefs et limpides, accompagnent les illustrations sous forme de légende. L’allégorie évoque quelque ancienne vision infernale, tel un bestiaire moyenâgeux remis au goût du jour –  et sous-entend l’idée que l’humain est bel et bien une créature hybride, capable du meilleur comme du pire, mais seule responsable de ses choix.
    © B. Longre

    www.esperluete.org/

    www.wesentlich.com/fabienne

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