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Mon nom est Salma

En écho à la note précédente, j'ai eu envie de mettre en avant un roman paru récemment en français, qui traite de l'exil mais aussi des violences auxquelles sont confrontées les femmes dans certains pays (ou parfois tout près de chez nous), pour peu qu'elles s'écartent du chemin qu'on leur a tracé... parmi ces persécutions, le "crime d'honneur" fait de nombreuses victimes.

On trouvera des informations sur le site de l'association ICAHK (International Campaign Against Honour Killings), qui explique que selon l'ONU, plus de 5000 femmes et filles sont tuées chaque année par leurs proches dans ce cadre précis. L'association GRAF (Groupe Asile et Femmes), quant à elle, milite pour un "Droit d'asile pour les femmes persécutées en tant que femmes."

 

91b77f7d2abe1218b7cb274bf5645241.jpgMon nom est Salma, de Fadia Faqir
(traduit de l'anglais par Michele Herpe -Voslinsky, Editions Liana Levi, 2007 / My name is Salma, Doubleday, 2007)

 

De Salma à Sally et vice-versa

C’est après un long périple que Salma, petite bergère bédouine, arrive en Grande-Bretagne et devient Sally, laissant derrière elle une autre vie qu’elle ne peut pourtant se résoudre à oublier et qui la hante, en dépit de son « intégration » en apparence réussie dans le pays d’accueil. Sa vie à l’anglaise, qu’elle nous conte d’une voix fluide et épurée, est rythmée par son travail de couturière, par quelques rencontres masculines, par les cours de littérature qu’elle suit avec ténacité, par ses amitiés – avec Parvin, jeune anglaise d’origine pakistanaise qui a fui la maison familiale pour éviter un mariage arrangé, ou avec Gwen, une vieille dame érudite. Mais le sentiment de solitude et la culpabilité qui l’habitent, ainsi que la sensation d’être «amputée» d’une partie d’elle-même, font resurgir les souvenirs, qui la ramènent inexorablement à la fille qu’on lui a enlevée à la naissance, seize ans plus tôt, à l’homme qui l’a séduite puis violée, à la prison où elle a vécu plusieurs années à seule fin d’échapper à la fureur de son frère, à son séjour au Liban…

Des détours mémoriels qui viennent s’entrelacer au temps présent – une narration chaotique, qui progresse par à-coups, allusions et indices : le récit, volontairement éclaté, recouvre diverses époques de son existence. Aussi, le lecteur endosse le rôle d’observateur mais aussi d’enquêteur – en reconstruisant peu à peu le parcours kaléidoscopique de Salma, qui ne dévoile les choses qu’avec une grande parcimonie, tout en s’étonnant des mœurs occidentales (qu’elle critique avec autant de lucidité que certains traits orientaux), du racisme ordinaire, de l’exploitation des plus déshérités – des passages souvent cocasses qui mettent le doigt sur les paradoxes et les dysfonctionnements de nos sociétés démocratiques.

a5d68827a1953d21e86d1ecba068a3e9.jpgL’auteure dénonce évidemment la condition des femmes d’orient, confrontées à l’obscurantisme religieux et au poids des traditions qui perdurent au-delà des frontières, et insiste sur le fait que le salut passe nécessairement par l’instruction et la lecture ; mais c’est d’abord la difficulté d’être en exil, d’être « autre » qui l’emporte sur tout le reste : Salma a bien du mal à se métamorphoser en Sally, à « s’ajuster », et elle commet nombre de bévues, même si la liberté dont elle jouit est inestimable à ses yeux. Malgré tout, mérite-t-elle d’être encore en vie ? Comment peut-elle vraiment devenir Sally avec son statut d’étrangère et sa peau sombre?

Salma oscille dans un entre-deux (culturel, affectif, spatial et temporel) qui rappellera d’autres romans tout aussi réussis (de Chitra Divakaruni ou de Maggie Gee) ; l'auteure capte admirablement la schizophrénie de l'exil, cette douleur d’être « double » et d’appartenir à deux mondes divergents qui ont tant de mal à se rapprocher : une situation qui brouille le concept d’identité et crée de multiples incertitudes dans l’esprit déjà déraciné du personnage. Roman poignant, pudique et intelligent, qui joue avec nos émotions tout en se préservant de toute mièvrerie ou de tout pathos larmoyant, My name is Salma tient de la tragédie ordinaire et lointaine, le beau récit d'un déracinement et d’un déchirement, entre Orient et Occident. (B. Longre)

 

Fadia Faquir, jordanienne et britannique, fait entre autres partie du conseil d'administration de Al-Raida, une revue féministe publiée par l'Université Américaine de Beyrouth.

http://www.fadiafaqir.com/

Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature étrangère 0 commentaire 0 commentaire

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