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  • Les coeurs suspendus, de Myriam Gallot

    à paraître fin mars, Les Coeurs suspendus, recueil de nouvelles de  Myriam Gallot, aux éditions Noviny 44, avec les dessins de Jean-Philippe Bretin. 

    Je vous invite à découvrir sa prose, publiée entre autres dans le célèbre Zaporogue de Sébastien Doubinsky.

    Myriam a longtemps collaboré à Sitartmag - elle écrit aussi de la poésie et tient un blog

    http://lemeilleurdesmondes.blogs.courrierinternational.com/



    A cette occasion, les éditrices organisent deux soirées de lancement les 9 et 12 mars de 18h30 à 21h30 à la galerie Mycroft, 13 ter rue Ternaux Paris 11ème (Métro Parmentier ou Oberkampf).

    Une exposition de dessins est prévue. Vous pourrez découvrir en avant-première deux livres : « Kicked ass » de Benjamin Peurey (dont « Hollywood en larme » est déjà paru chez Noviny 44), et « Les Cœurs Suspendus ».

    novinypetit2-fly.jpg

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  • Sobriété, rigueur, suspense

    mat.jpgMat de Ronan Bennett
    Traduit de l'anglais par Danielle Mazingarbe, Editions Sonatine, 2009 (titre original, Zugzwang, Bloomsbury)

    St Pétersbourg, 1914. Un tournoi d'échecs international se prépare. Otto Spethmann, un veuf sans histoires, psychanalyste et amateur d'échecs, est interrogé par la police secrète, qui soutient que le docteur et sa fille de dix-huit ans, Catherine, seraient impliqués dans le meurtre d'un jeune poète. Parmi ses patients, Otto compte trois personnages relativement importants : Rozental, champion d'échecs (pressenti comme favori pour le tournoi mais sujet à de profondes angoisses), Gregory Petrov, député bolchevique, défenseur des ouvriers, et Anna Ziatdinov, épuisée par des cauchemars récurrents. Otto, très attiré par elle, lui parle de la visite de la police et la jeune femme tâche de faire intervenir son père, un industriel influent.

    Ainsi débute ce thriller qui n'est pas à proprement parler un roman historique, même si à l'arrière-plan de l'intrigue, se dessine une époque trouble de l'histoire russe ; en contraste avec ses quartiers sordides, la magnificence de la ville est évoquée, un faste qui incarne un impérialisme tremblant sur ses fondations - les attentats, le peuple affamé, les manifestations réprimées dans le sang, les différentes factions politiques (autocrates, anarchistes, bolcheviques, Juifs polonais...). La guerre aussi approche et la révolution est insidieusement en marche, ce dont le narrateur, Otto Spethmann, est convaincu ; pour lui, les puissants sont « en Zugzwang » (terme allemand, signifiant "obligation de jouer", lorsqu'un joueur est contraint de jouer un coup perdant) : « When things reach this pitch, we are all in Zugzwang. Past wrongs will not be forgiven. Rage and numbers will tell. » Les échecs (un jeu « meurtrier ») sont en effet omniprésents : Otto s'efforce de réfléchir en stratège quand la situation paraît inextricable et, en parallèle à l'intrigue, on suit la longue partie qui l'oppose à un ami violoniste, Kopelzon, une partie qui rejoint l'évolution de l'amitié entre les deux hommes. Dans le même temps, plus Otto avance, et quoi qu'il fasse, plus le piège se referme sur lui, un engrenage terrible et peut-être mortel. En définitive, lui qui s'oppose à toute forme de violence devra à son tour tuer un homme, plutôt que de voir des centaines d'autres mourir, et 'idée de libre-arbitre est sans cesse remise en cause : selon le député Petrov, un individu n'a jamais le choix de ses actes.

    mat2.jpgAussi, ce psychanalyste sans allégeances politiques, qui mène une existence paisible, se retrouve aux prises avec des forces d'abord invisibles, en tout cas quasi omnipotentes. Sa situation rappelle immanquablement celle du personnage central de Havoc in its third year, roman précédent de Ronan Bennett, fresque fascinante qui se déroulait dans l'Angleterre des années 1630, période de bouleversements religieux et politiques. Pour Mat, l'auteur a choisi un contexte spatio-temporel bien différent, mais similaire sur de nombreux points (une crise politique, une société sur le point d'exploser) ; les problèmes abordés et le schéma éthique (la façon dont Otto perçoit ces changements mais aussi les actes criminels qui se succèdent) restent en effet semblables, comme les grands thèmes qui traversent le roman : les mécanismes du pouvoir, ses dangers et ses limites, les dérives qui l'accompagnent quand il est entre les mains de fanatiques (antisémites, bolcheviques, tyrans...) ou sous l'influence d'idéologies qui, en dépit de leurs éventuelles qualités premières, mènent à des compromis, à des trahisons et corrompent les individus.

    Otto possède malgré tout un pouvoir sur la psyché, son matériau de travail ; son rôle consiste à décrypter les troubles psychologiques et à appréhender l'esprit humain, sans toutefois être en position de tout saisir : d'abord dans la position du candide qui croit pouvoir se distancer du monde et des troubles du pays, il comprend peu à peu qu'il lui est impossible de conserver une position neutre. Il s'agit donc ici (comme dans Havoc in its third year) du roman d'un homme seul contre tous, héros malgré lui, écartelé entre ses valeurs morales, son honnêteté intellectuelle, sa quête de bonheur privé, et les actes de violence ou les compromis que requiert la situation. Lui aussi est faillible : il tombe amoureux d'une patiente (déontologiquement, une faute) dont il doute parfois de la sincérité et dont on se méfie. De même, on l'accuse de passivité, de s'être assoupi dans son confort bourgeois (la visite de la police secrète est sa première confrontation réelle avec le despotisme), tandis que d'autres Juifs sont des victimes (la menace des pogroms n'est jamais loin) et vivent misérablement en Pologne.

    On apprécie l'écriture sobre, rigoureuse (à l'image du narrateur), le style sans fioritures, la narration linéaire, avant tout au service de l'action et de son inéluctable progression, mais encore le très classique procédé d'ironie dramatique employé par l'auteur, quand Otto reste aveugle face à des événements et des ramifications qui n'échappent pas au lecteur, qui s'identifie malgré tout très vite au personnage malmené par son créateur. Le suspense est amplifié par les multiples rebondissements (les masques tombent successivement, aucun personnage n'étant en réalité celui qu'il donnait l'impression d'être) et par la progressive accélération de l'action. Efficace et savoureux, malgré sa relative complexité, le roman possède d'évidentes résonances contemporaines dans le traitement du fanatisme (politique ou religieux, il mène aux mêmes exactions et actes sacrificiels) et ouvre de multiples pistes de réflexions.

    B. Longre, février 2010

    http://www.sonatine-editions.fr/

    Ronan Bennett

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  • Après Désordres, Laurence Viallet

    couv_quichotte.jpgLaurence Viallet crée les Éditions Laurence Viallet, maison indépendante dont les publications vont s'inscrire dans la lignée de la collection Désordres et s'attacheront "à publier une littérature ambitieuse, à faire circuler des pensées, des formes originales et iconoclastes. Loin du consensus, du divertissement neutre, du produit de consommation courante rapidement oublié, il nous apparaît que la littérature a vocation à semer le désordre partout où l'ordre s'installe." On se réjouit de ce retour dans le paysage littéraire.

    à paraître

    Don Quichotte, de Kathy Acker (18 mars 2010), traduit de l'anglais par L. Viallet.

    Numbers de John Rechy (16 avril 2010)

    http://www.editions-laurence-viallet.com/

     

    Lire aussi, parmi les parutions précédentes

    Yapou, Bétail humain de Shozo Numa (trad. du japonais par Sylvain Cardonnel)

    Chroniques des quais de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

    Au bord du gouffre de David Wojnarowicz (trad. de l’anglais L. Viallet)

     

    à propos de Kathy Acker

    (Don Quixote which was a dream, Grandes espérances, La vie enfantine de la Tarentule Noire, Spread Wide, Sang et Stupre au lycée...)

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  • Apocalyptique, métaphysique, subversive

    capturepstubbs.jpgEn ligne, le site de Paul Stubbs, dont la poésie ne se résume pas aux quelques adjectifs ci-dessus, adoptés en guise de titre.

    The Icon Maker, by Paul Stubbbs (Arc Publications, 2008)

    Paul Stubbs's disruptive poems definitely go off every known trodden path: fraught with paradox, saturnian-like reversals, universal questioning about death, decay, doom, cosmic and spiritual disorder, fragmentation of selves and human condition, they generate stunning images that reach heart and mind alike and that are rooted in the metaphysical but also in the concreteness of the flesh; the way the poet spontaneously subverts language triggers a constant enthusing stimulation as the recurrent synctatic ruptures produce an almost unexpected rhythmic fluidity that constantly rings true, vividly spontaneous yet cerebral and never dully trite nor mainstream at all, the least that can be said – a voice whose genuine uniqueness stands out above that of many other living poets, charged with Donnian & visionary Blakian overtones (without mentioning Yeats, Trakl, Holderlin or Milton, among others) and which, as such, will undoubtedly withstand the test of time.

     (B. Longre, sept 2009)

     

    Deathbed vision of Ungaretti

    in the desert: the trinity
    like a mirage of some giant
                                      termite

    (using Adam's lost
    rib as a pincer)

    Writing man's last
    date into the sand.

    © Paul Stubbs.

    Vision d’Ungaretti sur son lit de mort

     

    dans le désert : la trinité,

    pareille au mirage d’un termite

    géant.

     

    (se servant de la côte perdue

     d’Adam comme d’une tenaille)

     

    Inscrivant la dernière date

    de l’homme dans le sable.

    (© traduction : B. Longre)

     

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  • Hommage à la démesure et à l'implacable

    sarahkane5.jpg

    Love me or Kill me
    Sarah Kane et le théâtre
    de Graham Saunders
    traduit de l'anglais par Georges Bas
    (titre original Love me or Kill me : Sarah Kane and the theatre of extremes)
    L'Arche Editeur, 2004

    "Livre pionnier" selon Edward Bond, Love me or Kill me : Sarah Kane et le théâtre (la traduction française n'a pas retenu l'expression "le théâtre des extrêmes", sans raison apparente) retrace le parcours atypique d'une jeune dramaturge qui s'est suicidée en février 1999, en laissant derrière elle cinq pièces qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre et qui forment déjà une œuvre - chose que l'auteur souhaite démontrer dans cet ouvrage passionnant. On est cependant en droit de se demander si l'intérêt que suscite encore Sarah Kane n'est pas dû à sa mort prématurée et aux réactions parfois scandalisées qui avaient pu accueillir ses pièces en Grande-Bretagne ; ou bien si, au contraire, elle fut réellement novatrice et si sa dramaturgie est de l'ordre de la création véritable. Graham Saunders, dans la préface, lance cet avertissement : "dans sa dernière pièce, 4.48 Psychose, la plupart des critiques ne virent guère plus que la version théâtrale d'un billet annonçant un suicide, et l'appréciation des pièces précédentes se fit dans une optique biographique : on tentait de découvrir des liens entre son œuvre et sa vie. Quiconque attendrait de l'ouvrage qui suit une méthodologie analogue risque d'être fort déçu." C'est donc l'œuvre per se que Graham Saunders s'est donné pour tâche d'analyser et d'éclairer, se proposant de livrer quelques clés afin d'y pénétrer et de s'en imprégner. Il est vrai que dans le cas de Sarah Kane, il paraît quasi impossible de ne pas tenir compte de la désespérance individuelle qui rejaillit dans l'œuvre (elle-même disait : "je n'ai jamais écrit que pour échapper à l'enfer - et ça n'a jamais marché."), de sa sombre vision du monde, de son statut d'auteure "torturée", du grand chaos psychique ou extérieur dans lequel nous évoluons et qu'elle recréait dans ses pièces.

    Chacune des cinq pièces est commentée avec soin, dans une approche qui se réfère aux productions et aux réactions de la presse ou du public, mais aussi à la genèse et à l'évolution des textes (que la dramaturge ne cessait de retoucher), à un commentaire serré et rigoureux des thématiques qui traversent ce théâtre, des éléments qui font de cet ouvrage un merveilleux outil d'approfondissement destiné non seulement aux metteurs en scène ou aux comédiens potentiels mais aussi aux spectateurs passés et espérons-le à venir.

    Que trouve-t-on dans les pièces de Sarah Kane qui mérite que l'on s'y attarde ? Un radicalisme (structurel et langagier) proche du nihilisme, une volonté affirmée d'inventer de nouvelles formes éclatées, impossible à ranger dans les petits tiroirs génériques conventionnels ; un déséquilibre désiré, comme dans Anéantis (Blasted), où le désordre structurel de la pièce incarne le désordre engendré par la guerre ; un théâtre où, selon la dramaturge elle-même, "la forme et le fond s'efforcent de ne faire qu'un - la forme, c'est le sens.", mais capable par instants de conserver les unités classiques, qui voleront en éclats dans 4.48 Psychose ; on y trouve aussi des dialogues minimalistes, volontairement épurés, dans lesquels les silences comptent autant que les mots ; puis de moins en moins de caractérisation, les personnages devenant des réceptacles incarnant davantage des états d'âme que des individus fictifs ; des violences et une cruauté mentales et physiques réitérées, une violence aux allures artaudiennes ; enfin, une "théâtralité explosive, le lyrisme, la puissance d'émotion et l'humour glacé" selon le dramaturge David Greig.

    Graham Saunders établit un judicieux parallèle entre Sarah Kane et John Osborne, chef de file des "angry young men", et dont la pièce contestataire Look back in anger (La paix du dimanche) fustigeait l'Establishment dans les années 1950 ("une véritable explosion qui régénéra un théâtre britannique dont l'état avait jusqu'alors été celui d'un déclin distingué") ; et il est vrai que certains critiques ont tenté, début 1995 (quelques semaines après la mort d'Osborne), lors de la création d'Anéantis au Royal Court Theatre, de faire de Sarah Kane l'égérie d'un renouveau théâtral en Grande-Bretagne (marqué entre autres par Shopping and fucking de Mark Ravenhill), d'un mouvement nommé "Cool britannia" ou "New Brutality" - ce que rejetait la dramaturge : "On a estimé qu'Anéantis marquait le début d'un mouvement qualifié de «Brutalité Nouvelle». Ce n'est rien d'autre qu'une étiquette utilisée par les médias pour désigner certaines choses qui pourraient se produire dans une pièce particulière. En fait ça ne sert pas à grand-chose. (...) Je ne me considère pas comme relevant d'une Brutalité Nouvelle."

    Quoi qu'il en soit, l'analogie entre les effets qu'eut le théâtre d'Osborne (puis d'Arden et de Wesker), et ceux du théâtre de Sarah Kane permet de rattacher ce dernier à l'histoire du théâtre britannique, à l'histoire du théâtre tout court et à la littérature en général ; car les pièces de Kane sont pétries d'intertextualité et ces influences diverses et éclectiques se conjuguent formidablement : les textes et les créations d'Ibsen, Shakespeare, Beckett, Pinter, Brecht, Camus, Kafka, Orwell, Büchner, Strindberg, Crimp, Sénèque, Fassbinder, TS Eliott, etc. etc. résonnent à travers ses pièces, même si elles obéissent d'abord aux règles ultra-personnelles que l'auteure a développées. C'est ainsi que dans 4.48 Psychose, la dramaturge supprime toute didascalie, tout personnage à proprement parler, ne nous laissant que des voix mêlées, comme pour marquer l'irruption d'une fusion entre la vie et le rêve, le réel et le cauchemar, l'extérieur et l'intérieur, la matière et l'âme, créant ainsi un flottement indéfinissable de "discours" qui n'en forment, en définitive, qu'un seul.

    Le théâtre de Kane est un théâtre du bouleversement, un théâtre expérimental et extrême, mais pourtant abouti, dans lequel la violence et la provocation démesurée ne sont jamais gratuites, et répondent à un besoin vital de transmettre une vision bouleversante du monde ; l'écriture y est peut-être thérapeutique, un formidable exutoire pour qui la compose, mais, comme nous l'avons déjà précisé, il est nécessaire d'aller au-delà des tentations biographiques ; ce que fait Graham Saunders en explorant les thèmes de ce théâtre et les procédés dramaturgiques : rejet du réalisme, humour noir, caractère éphémère de la représentation, souci de créer un langage théâtral "capable de susciter une forte réaction affective et intellectuelle (...) Même si de telles réactions provoquent inconfort et douleur" ; le caractère viscéral et physique de ce théâtre (qui le rapproche du Théâtre de la cruauté ou du Théâtre de la catastrophe de Howard Barker) à l'opposé du théâtre "psychologique" classique ; pour l'auteur : "la vision de Kane, comme celle de ses prédécesseurs de la Renaissance, est elle aussi dépourvue de compromis. Pour elle, la tragédie est une situation où l'auteur, l'acteur et le public « descendent en enfer dans leur imagination afin de ne pas avoir à y aller dans la réalité. » (...) Et le théâtre de Kane semble lui aussi faire sienne la conviction que des actions extrêmes et brutales peuvent servir à susciter, chez ses spectateurs, une révélation ou un changement."... On est bien là dans le domaine de la catharsis. D'autres thématiques sont analysées : l'amour, la tendresse et l'espoir sont sans cesse juxtaposés à la violence, l'exploration des relations entre les êtres (Kane refusant le manichéisme d'un "monde comme se divisant entre les hommes et femmes, les oppresseurs et les victimes.")

    Cet ouvrage essentiel pour qui s'intéresse un tant soit peu au théâtre contemporain mais aussi à l'intertextualité en général comprend une deuxième partie, composée des entretiens réalisés par Graham Saunders, qu'il retranscrit de façon brute, sans commentaire aucun, laissant à chacun le soin de se faire une opinion ; il a rencontré plusieurs personnes qui, à un moment ou un autre, se sont retrouvés au cœur des créations de Sarah Kane, ou en contact avec elle : les metteurs en scène James MacDonald et Vicky Featherstone, Nils Tabert, qui a collaboré aux traductions en allemand des pièces de Kane, la dramaturge Phyllis Nagy, son agente, Mel Kenyon, et les comédiens Kate Ashfield, Daniel Evans et Stuart McQuarrie. Une œuvre à laquelle Edward Bond ("l'un des tout premiers commentateurs de l'œuvre de Kane et l'un des plus perspicaces") rend aussi hommage en fin d'ouvrage : "il existe deux types de dramaturges. Ceux du premier type s'amusent à des jeux théâtraux avec la réalité. Les dramaturges du second type changent la réalité. (...) L'œuvre dramatique du second type affronte le stade ultime de l'expérience humaine pour que nous puissions tenter de comprendre ce que sont les humains et comment ils créent leur humanité. (...) Sarah Kane était une dramaturge du second type. C'est l'affrontement de l'implacable qui a créé ses pièces."

    À leur tour, les pièces et leurs mises en scène devraient influer sur d'autres œuvres en devenir ; pour Graham Saunders, le théâtre hanté, rageur mais généreux et lucide de Sarah Kane ne peut sombrer dans l'oubli ; comme Look back in anger, en son temps, cette œuvre fulgurante est cependant vouée à ne pas disparaître, en témoignent les nombreuses traductions (en allemand et en français, entre autres) et les mises en scène passées et à venir. Un ouvrage critique approfondi, le tout premier à analyser l'œuvre d'une dramaturge partie trop tôt.

     © B. Longre (article paru en 2004 dans Sitartmag).

    http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Sarah-Kane/

    http://www.arche-editeur.com

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  • Online poetry

    3am.jpgLe magazine 3:AM (critiques littéraires, fiction, poésie, flash fiction, interviews, essais...) publie trois de mes poèmes ce jour.

    Merci à Darran Anderson, rédacteur de la rubrique poésie et lui-même poète , dont je recommande vivement le recueil Tesla's Ghost (Blackheath Press, 2010).

     

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  • A paraître en mars 2010

    cto6.jpgLes Chroniques des Temps Obscurs, Chasseur de Fantômes, tome 6

    de Michelle Paver (traduction de l'anglais Blandine Longre)

    Eostra, la dernière Mangeuse d’Âme encore en vie, s’est installée dans les Montagnes, depuis lesquelles elle tourmente les clans : elle leur envoie la maladie des ombres afin de les terroriser et n’a qu’un but en tête, contrôler les esprits des morts, et en particulier ceux des autres Mangeurs d’Âme. Elle s’attend aussi à ce que Torak, l’Esprit qui Marche, Celui-Qui-Écoute, vienne la trouver afin de le vaincre une bonne fois pour toutes. En effet, Torak part l’affronter seul, contre l’avis de son père adoptif, Fin-Kedinn, et sans prévenir Renn et Loup...

     

    Hachette romans jeunesse

    Les tomes 4 et 5

    Critique en ligne

    http://www.torak.info/

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  • Si j'ai une âme

     

    vpeyrel3.jpgSi j'ai une âme

    De Vincent Peyrel

    Dessin à la pierre noire d'Ernest Pignon-Ernest, Editions de L'Amourier

     

    Inhumaine humanité

    « Il n'existe pas de phénomènes moraux, mais seulement une interprétation morale des phénomènes. » Nietzsche.


    « Je m'appelle Hans. Je m'appelais Hans. Déjà. Le 7 novembre 1919. J'ai rencontré Frédéric à la gare de Hanovre. Il faisait froid. »

    « Les flics sont venus le 23 juin 1924. Frédéric n'était pas là. Le piano ne jouait pas depuis quelques jours. Je dormais. Encore. »

    Si j'ai une âme pourrait être contenu dans ces deux déclarations, qui ponctuent le récit de temps à autre, à la manière d'un refrain lancinant qui semble aider Hans, le narrateur, à garder un point d'ancrage dans le réel ou à reprendre le fil de son monologue. Entre ces deux dates, l'histoire d'un couple atypique : un tout jeune homme et un homme mûr ; le premier, très beau, le second, beaucoup moins. Hans, débrouillard, fugueur depuis quelques années déjà quand il rencontre Frédéric, après avoir survécu seul, au jour le jour, vendant son corps à des dizaines d'hommes croisés au hasard des gares, pour l'argent mais aussi par goût, parce qu'il a « presque toujours envie de baiser. Avec n'importe qui. » La relation de Hans et Frédéric n'a rien à voir avec l'amour, tel qu'on l'entend communément, ni avec une quelconque forme de bonheur, mais avec cet homme, Hans sait qu'il est « à sa place » ; « On ne cherche pas le bonheur, ni la vérité », dit un jour Frédéric, « on veut l'attention, le contact, la chaleur et le goût des autres », ajoute-t-il. Frédéric est respecté, intelligent, plutôt cultivé, peut-être informateur pour la police, au-dessus de tout soupçon, même s'il ramène régulièrement chez lui de jeunes garçons qu'il tue, découpe, cuisine et mange, en fin gastronome, et dont il vend quelques morceaux - à une époque où le marché noir est en pleine expansion. Hans le découvre peu à peu, mais reste avec lui, comprenant que « Manger. Tuer.» sont des actes auxquels il prend goût, lui aussi.

    Le long monologue (qui n'est pas à proprement parler une confession) de Hans, enfermé dans une cellule dans l'attente de l'issue de son procès, se construit autour de quelques motifs récurrents, ressassés jusqu'à l'obsession avec une apparente froideur qui épouse la posture mentale du narrateur, capable d'objectiver et de se détacher du réel ; il évolue dans une sorte d'état d'indifférence au monde, derrière laquelle se devine la frénésie sexuelle - comme si cet acte seul pouvait l'animer, l'humaniser ; c'est avec Frédéric qu'il « se sent » à nouveau, qu'il se trouve et s'habitue à une vie stable, qu'il se retrouve aussi dans sa chair - dans le mélange des corps et de la viande qu'ils partagent, même s'il reconnaît, sans pourtant exprimer de regrets, qu'il n'aimait pas vraiment tuer, que c'était « douloureux », « un peu comme si je me tuais moi-même. » et peu à peu, il s'autorise des pensées qui ne lui auraient pas traversé l'esprit quelques mois plut tôt.

    Si j'ai une âme n'a rien d'un exutoire complaisant ni d'un épanchement gratuit : toute parole y est mesurée, parfois hésitante, posée avec sobriété, même les séquences les plus crues ou les plus sanglantes. Dans une écriture saccadée, qui avance par à-coups, Hans passe très vite sur l'enfance, retraçant quelques épisodes de sa courte vie dans un ordre aléatoire, ses errances et rencontres furtives dans les toilettes des gares, puis la vie à deux, les nombreux clients et leurs désirs pervers dont il se moque, ses meurtres (seulement trois) et ceux de Frédéric, leur anthropophagie naturelle et leurs fantasmes de dévoration, qu'ils prennent au mot. Un monologue entrecoupé de quelques saynètes dialoguées - des interludes théâtraux qui nous placent en voyeurs de l'intimité du couple, entre la logorrhée de Frédéric et les nombreux silences de Hans, à l'écoute des mots de son amant, sauf lorsque la parole se délie avec le vin

    Exhumant de l'oubli le « boucher de Hanovre » (Fritz Haarmann, 1879-1925), l'auteur s'en est emparé pour construire un récit ambivalent, par instants glaçant, mais qui n'appelle aucun jugement moral - surtout pas : au lecteur de le recevoir sans se voiler la face, d'écouter le narrateur tel qu'il se livre, de ne pas voir en lui le « monstre » à montrer du doigt... car l'humanité est là, au cœur des mots, au-delà des actes inhumains qui, paradoxalement, montrent à quel point Hans n'est qu'un humain, faillible, fragile et fluctuant - aussi fluctuant que la "morale". On perçoit aussi ses tentatives pour éprouver des sentiments et donner un sens, même infime, au monde et à son existence ; on entend sa solitude extrême, celle d'un esprit prompt à se détacher des autres (« je ne suis pas comme eux »), martelant sa différence et affirmant par-là même son individualité, en réaction à la société peu reluisante dans laquelle il vit, contre son gré.

    Happé par ce récit tortueux mais limpide, le lecteur se fraye un chemin dans les pensées de Hans, entre fascination, répulsion et compassion, tâchant de saisir l'essence de ce narrateur qui fait, quoi qu'on en dise, figure de victime sacrificielle ; son témoignage déplace le concept de «normalité» et affirme la relativité du bien et du mal, des notions qui n'apparaissent ici que comme de pures constructions sociales :« Je ne comprends toujours pas ce qui autorise quelqu'un à définir ce que l'on aime appeler le mal », dit Hans, dont les paroles dénoncent indirectement la société hypocrite et bien-pensante, garante de l'ordre moral, qui dissimule ses propres crimes en en dévoilant d'autres... éliminant les gêneurs et choisissant soigneusement ses boucs émissaires. « Un tribunal qui condamne quelqu'un à mort tue aussi. », constate le garçon, qui refuse d'être asservi à un monde qui l'a tué à la naissance, aspirant à une liberté qu'on lui refuse, dans une société qui, finalement, n'a que les "monstres" qu'elle mérite et qui lui ressemblent.

    © Blandine Longre

     

    http://www.amourier.com/

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  • Farce tragique et totalitarismes

    manea.jpgLes clowns : le dictateur et l'artiste, traduit du roumain par Marily Le Nir et Odile Serre, Le Seuil, 2009.

    L'enveloppe noire, traduit du roumain par Marily Le Nir, Le Seuil, « Fictions & Cie », 2009

    De Norman Manea

    Par Jean-Pierre Longre

    Les deux ouvrages de Norman Manea parus au Seuil en octobre 2009 peuvent se lire simultanément, en alternance, l'un après l'autre, selon l'humeur... L'un est un recueil d'essais qui, s'appuyant sur l'histoire récente de la Roumanie, aide à méditer non seulement sur le communisme et ses déviances (la dictature, le nationalisme), mais aussi sur des sujets plus généraux tels que les rapports de l'art avec le politique, la censure, l'ambiguïté des relations internationales, l'antisémitisme, le monde d'aujourd'hui et son « hystérie carnavalesque »... L'autre est un roman où l'étrange (des personnages et de leurs destinées) le dispute au réalisme (de la toile de fond, des situations), où l'imaginaire prend corps sur la cruelle absurdité des régimes dictatoriaux (des années 1940 et des années 1980).

    Les clowns : le dictateur et l'artiste répond, selon l'auteur, à une urgence : celles de « décrire la vie sous la dictature roumaine » et d'en « tirer enseignement », notamment en ce qui concerne « la relation entre l'écrivain, l'idéologie et la société totalitaire ». Chaque texte vise ainsi à peindre la tyrannie (sous un jour tragique ou comique, burlesque ou insupportable), et à en tirer des réflexions qui se fondent sur l'expérience personnelle. Car Norman Manea a vécu, comme un certain nombre d'autres, le triple drame du siècle : « l'Holocauste, le totalitarisme, l'exil » ; son mérite exceptionnel est de ne jamais prendre la posture de la victime, de se donner suffisamment de recul pour analyser avec lucidité et vigueur, d'une plume implacable, parfois violente, voire sarcastique, les débats, les aberrations, les contradictions, les ridicules, les abus de la grotesque dictature de Ceauşescu. Sans négliger les échos et comparaisons (nazisme et communisme, Hitler et Staline), Norma Manea met en avant les spécificités roumaines des années 1980 - la volonté de cacher la diversité sous les proclamations nationalistes, les subtilités de la censure, la récupération des positions nationalistes de Mircea Eliade, l'antisémitisme, les rapports avec (et de) la Securitate, les hypocrisies (et les révoltes plus ou moins larvées) du monde intellectuel... Tout cela mis en perspective, selon le « mouvement simultané en avant - en arrière » qu'il revendique en tête de son essai sur le Journal de Mihail Sebastian. « Les fondements de l'avenir tiennent à la qualité et à la probité de l'appréhension du passé » : la dernière phrase est une belle synthèse de ce qui est mis en œuvre tout au long du livre.

    L'enveloppe noire est, dans le domaine de la fiction, une sorte de caisse de résonance artistique des Clowns, dont l'un des chapitres relate d'ailleurs l'histoire de la difficile publication du roman, soumis à l'approbation pleine d'embûches du « Conseil de la Culture et de l'Éducation Socialistes - Service Lecture » (disons : la Censure) ; et ce n'est pas un hasard si, quelques mois après sa parution, en 1986, Norman Manea quittait la Roumanie.

    Dans le roman, Anatol Dominic Vancea Voinov, dit plus simplement Tolia, a été privé de son poste de professeur pour se retrouver réceptionniste à l'hôtel TRANZIT ; confronté aux vicissitudes de la vie quotidienne sous la dictature et aux soubresauts de sa propre personnalité, il est en même temps en proie aux souvenirs et à la quête des circonstances de la mort de son père, « suicidé ou trucidé » sous une autre dictature, celle des années 1940 - et cela jusqu'à l'irruption du rêve dans les souvenirs et dans la vie, jusqu'à la folie. L'enveloppe noire  est certes le roman d'un individu qui bute sur « les arêtes du concret », mais aussi celui d'une société, des relations humaines, et de l'histoire d'un demi-siècle ; le roman des destins individuels et de la destinée collective. On y assiste à la mise en scène, en instantanés tragi-comiques, des absurdités d'un système où « les poursuivants sont à leur tour poursuivis, la suspicion, la peur stimulent et font dévier leurs propres ondes », où « tout se dilate, glisse, s'effiloche », où le mieux considéré est, par exemple, « Toma, le sourd-muet exemplaire ! Qui voit tout, sait tout, est informé de tout, mais n'en parle qu'à qui de droit, quand il le faut ». Spectacle plein d'échos (dont celui de la fameuse pièce de Ion Luca Caragiale La lettre volée), écriture foisonnante et débordante, humour salutaire et absurde abyssal... Le roman de Norman Manea est une porte ouverte sur un hors-scène infini, « un vide grandiose » dont il est difficile de sortir indemne.

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