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  • Assouplir les règles

    J'apprends que Sabine Wyckaert vient de me "taguer"... plus précisément, elle m'invite à devenir le maillon d'une "chaîne" littéraire (dont je n'ai pas cherché à retrouver la source pour l'instant) qui consiste à citer un extrait d'un livre en cours de lecture - ou, à défaut (!) d'un livre que l'on apprécie particulièrement. Bon. C'est une excuse comme une autre pour parler de livres. Aussi, ai-je décidé de jouer le jeu, en variant quelque peu les règles, histoire de les adapter aux ouvrages que j'ai envie de citer...

    Le protocole est le suivant :

    1) Indiquez le nom de celui qui vous a tagué et ajoutez un lien vers son blog - C'est fait !

    2) Rendez-vous à la page 123 du livre que vous lisez en ce moment ou que vous préférez. - Je présenterai deux ouvrages, bien différents l'un de l'autre, lus récemment. Le premier ne comporte que 54 pages... je citerai quelques phrases de la page 15. Quant au second, la page 123 étant quasiment vierge, j'empiéterai sur la 122...

    3) Recopiez la cinquième phrase et les trois suivantes. On va tâcher... sans trop tricher.

    4) Indiquez le titre et l'auteur du livre. Evidemment.

    5) Choisissez 4 autres blogueurs. Les prochains maillons potentiels se trouveront en fin de billet...

     

    candelaria-ne-viendra-pas.jpg"Elle ne pouvait affirmer si prendre le café en tête à tête avec son mari lui faisait plaisir.
    Elle rejeta une mèche de cheveux en arrière et se concentra sur la disposition des tasses.
    Son regard s'arrêta sur ses mains. Souvent, à table, pour plaisanter devant les enfants, il lui ordonnait d'aller se laver les mains, car on ne s'asseyait pas à table si on n'avait pas les mains parfaitement propres."

    Candelaria ne viendra pas de Mercedes Deambrosis, vu par Marko Velk - Editions du Chemin de fer, 2008.

     

    mercifulw.jpg"They then told themselves, with practical reasonableness, that their best chance lay not in the big cities but in the peace and quiet of the country. If solitary shepherds, condemned to forced abstinence, were allowed by their baser instincts to enjoy the company of their cursed sheep, how could my sisters possibly be worse received than in the cities? They admitted that they were old, but however much past their prime they might be, it was unthinkable that they should not be preferred to foul-smelling woolly beasts. But since precaution is a wise counsellor, they did teach themselves how to bleat."

    The Merciful Women (Las Piadosas) de Federico Andahazi - traduit de l'espagnol (Argentine) par Alberto Manguel (Doubleday, 2000)
    (la traduction française est de Claude Bleton : La Villa des Mystères, éditions Métailié, 2000 - je n'ai pas l'ouvrage sous la main...)

     

    Pour finir, je remercie Sabine (traductrice et auteure, dont je recommande le site de nouvelles) et je propose à ceux qui le voudront de se faire maillon (et d'éventuellement plier la chaîne à leurs désirs - ou de lâchement la rompre... !) sur leur blog ou dans les commentaires ci-dessous.

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  • « Un geste humain, aussi infime soit-il »…

    nilstrede.jpgLa Vie pétrifiée de Nils Trede, Quidam éditeur, 2008

     

    Xavier, un homme à la vie bien ordonnée, médecin le jour et restaurateur le soir, lutte contre une solitude dans laquelle il semble d’abord se complaire quelque peu – par goût de la liberté et dégoût des convenances – mais dont il souffre profondément, malgré la présence d’une mère âgée à laquelle il est très attachée. Quand surgit dans son existence une jeune femme, incarnation de son idéal, mais inaccessible et déjà amoureuse d’un autre, le manque et le désir engendrent en lui des réactions physiques incontrôlables, presque pathologiques, et des symptômes psychologiques qui se rapprochent, entre autres, de la paranoïa.

    Le narrateur, ultra sensible à son environnement – susceptible de jouer sur ses humeurs –, le décrit minutieusement, à l’instar de ses états d’âme et de ses dérapages, parfois calculés, entre fébrilité, sérénité et introversion, fatalisme et regain d’espoir. Une minutie quasi monocorde, qui participe cependant de la construction d’un décor souvent apaisant, par instants irréel, en contraste avec l’agitation intérieure du protagoniste et la menace sourde qui plane, presque imperceptible, sur le récit.

    La quête de Xavier peut se résumer simplement : conquérir l’âme sœur et vivre en harmonie avec elle. Une simplicité à l’image de la langue sobre, retenue, qui parfois se charge de répétitions – en écho aux ressassements du narrateur ; des répétitions qui expriment aussi son besoin de formuler les choses avec limpidité, comme pour se donner l’illusion de contrôler son existence.
    Et malgré cette simplicité de surface, Nils Trede, dont c’est là le premier roman, a imaginé un personnage complexe, pétri de contradictions, un homme qui tente de se bâtir des points d’ancrage et une histoire qui ne se soit pas qu'une longue errance. Au-delà des singularités de l’intrigue, l’auteur parle de la solitude et des frustrations qu’elle entraîne avec une sensibilité et une acuité remarquables (sans oublier les tentations factices qui s'offrent aux solitaires, auxquelles le personnage refuse de céder, par crainte de perdre son intégrité) : « Je sais que la solitude, cette solitude qui s’est imposée, qui ne laisse aucune chance de lui échapper, est le pire des maux. Et pourtant, même si la solitude est définitive, on ne peut pas rester en place, on ne peut pas attendre, il faut bouger avant qu’elle nous tue. Elle fait naître une agitation immaîtrisable, un besoin impératif de fuir, de chercher un autre, un mot, un geste humain, aussi infime soit-il. » Bouger, fuir, s'agiter... tout, plutôt que de subir une lente fossilisation.

     

    (B. Longre, août 2008)

     

    http://www.quidamediteur.com

     

    Chez le même éditeur, on pourra aussi lire Le Pilon, de Paul Desalmand.

    Les livres de Quidam sont aussi présentés ici : http://www.lekti-ecriture.com/editeurs/-Quidam-Editeur-.html (vente en ligne)

     

     

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  • Faire court

    novelettes.jpgSept novelettes de Pascal Blondiau - Editions les carnets du dessert de Lune

    En littérature, il n'est pas toujours besoin de longs discours pour convaincre ou émerveiller : la parcimonie audacieuse de ces novelettes en témoigne. Sept récits dont la brièveté incite le lecteur à savourer chaque mot, à goûter frugalement à chaque assemblage d'images poétiques. Ces évocations sont parfois tirées du quotidien (L'acrobate, La Vitupère), peuvent se faire poignantes (comme dans Point du jour, où l'auteur déroule une phrase unique) ou bien se gorgent de mélancolie (La ruelle des froids enfants) et de cruauté (Toussa). Confronté à de tels textes, le lecteur se doit de les lire et de les relire de façon à ce que chaque relecture permette d'en savoir un peu plus, de découvrir ce qui lui avait d'abord échappé et d'apprécier chaque invention langagière, chaque virgule ou saut de ligne... Ces fragments d'histoires, sans début ni fin, sont de précieux instantanés qui ne nous laissent pas sur notre faim, mais poussent à la rêverie, nourrissant notre imaginaire.

    (B. Longre)

    L'auteur définit ainsi la "novelette" : "une histoire au format carte postale. C’est un instant figé, une histoire saisie au millimètre, à la seconde - mais dont les aboutissements, la logique cruauté, l’absence de morale ou la poésie accompagnent le lecteur pendant des heures. Qu’il le veuille ou non."

    http://www.dessertdelune.be/

    et quelques novelettes en ligne

    http://www.novelettes.be

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  • Paula, la clandestine

    paula3.jpgQui se souvient de Paula ? de Romain Slocombe
    Rat noir, Syros, 2008

    Le prologue, glaçant, reprend une source historique primaire, sans la modifier : la circulaire 173-42 du 13 juillet 1942 émise par l’autorité en place agissant avec zèle pour le compte de l’occupant nazi, qui ordonne aux commissaires de police parisiens de procéder à une rafle froidement planifiée et tristement célèbre : l’arrestation de plusieurs milliers de Juifs et leur rassemblement à Drancy ou au Vélodrome d’Hiver, le 16 juillet 1942. Un rappel qui donne le ton et permet d’entrer de plain-pied dans l’atmosphère sinistre des années d’occupation, et plus particulièrement dans la vie de Paula Karlinski (ou Paule Carlin), qui échappe de justesse à l’arrestation. Son père Chaïm, peintre, a la présence d’esprit de se réfugier chez une voisine qui les accueille temporairement, puis emmène sa fille dans une autre cachette avant de l’envoyer à Lyon, en zone libre, où se trouvent déjà la mère et le petit frère de Paula ; la jeune fille va les rejoindre, tout en regrettant de laisser son père, dont elle est très proche, derrière elle ; ce dernier préfère rester sur place afin d’aider d’autres Juifs, désormais clandestins, comme lui.

    C’est de Lyon que Paula écrit à Jacques, son amoureux parti se réfugier à Londres. Une longue lettre, dense et précise, dans laquelle elle relate les derniers jours passés à Paris et son périple pour passer en zone libre. Une lettre que Jacques gardera jusqu’à son retour en France, à la Libération, sans savoir que Paula n’est pas longtemps restée à Lyon : inquiète pour son père, elle remonte à Paris en janvier 1943. Commence alors une errance urbaine déstabilisante, tandis que la jeune fille, qui s’imagine pouvoir trouver de l’aide auprès d’anciennes connaissances, voit ses repères s’effondrer encore davantage. Le récit reprend des décennies plus tard, quand le passé fait à nouveau irruption dans la vie de Jacques, qui partira sur les traces de Paula, porté par le souvenir de celle qu’il avait aimée.

    L'on éprouve, à la lecture, les mêmes émotions que Paula, de l’angoisse à la peur, de la déception à l’incompréhension, de la paranoïa (souvent justifiée) au brefs instants de soulagement : lors de son voyage en train, de ses déambulations dans les rues de la capitale, où elle prend des risques, sans forcément en être consciente, lors de sa rencontre avec un ancien camarade de classe prépa, qui cherche à profiter de la situation, ou encore quand elle apprend que son ancienne voisine, celle qui les avait cachés, son père et elle, vient d’être arrêtée.
    L’auteur offre un roman étayé par une solide documentation et le dédie, entre autres, à Louise Jakobson, lycéenne captive à Drancy et assassinée à Auschwitz, qui a laissé des lettres qui font partie de la bibliographie. Récit poignant, sombre et palpitant, proposant des points de vue variés, Qui se souvient de Paula ? relate l’histoire d’une enquête et d’une vengeance, rappelle le devoir de mémoire, mais surtout, raconte le parcours singulier d’une jeune fille brillante, à la fois candide et lucide, pas toujours très au fait de ce qu’elle risque en partant à la recherche de son père, même si elle agit avec courage et détermination ; une existence similaire à des millions d’autres, prise dans le tumulte de l’occupation et dans les atrocités de la seconde guerre. Car en toile de fond, plane l’ombre tangible des camps d’extermination, l’indifférence des uns, les trahisons des autres (même si la compassion l’emporte parfois), ainsi que l’exclusion d'une partie de la population mise au banc de la société et décrétée hors la loi par l’occupant, avec la complicité délibérée de la police française. Paula a vécu tout cela de près, et c’est avec amertume qu’elle se souvient, dans sa lettre, des regards « agacés, critiques, hostiles » que lui lancent des passagères d’un omnibus pour Lyon : « Et moi qui suis née à paris, qui ai été naturalisée française ensuite par la loi de 1927 reconnaissant le droit du sol, qui parle leur langue aussi bien que ces femmes et même mieux, qui vivait jusqu’à récemment la vie sans histoire d’une étudiante parisienne, camarade de classe des rejetons de la plus haute bourgeoisie, fille d’un artiste reconnu par ses pairs !... Voilà que pour ces Français égoïstes, je faisais partie du troupeau étranger et indésirable… » Étranger et indésirable, deux épithètes encore associés aujourd’hui, l'idée latente qui sous-tend ce roman (engagé sans être didactique) étant aussi d'établir des liens entre le passé et le présent, entre les destins des uns et des autres, du singulier à l'universel.

    (B. Longre, juillet 2008)

    http://www.syros.fr/nouveautes.asp

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  • Good and/or Evil ?

    mattruff.jpgBad Monkeys de Matt Ruff, traduit de l’anglais par Laurence Viallet, 10-18, 2008

     

    Joli tour de force narratif, Bad Monkeys démarre comme une chronique adolescente, se mue en polar, puis navigue inlassablement entre les genres et les atmosphères, de la farce tragique à la parodie la plus grotesque - sans oublier l’anticipation et le fantastique. On trouve ici un mixe qui a de quoi réjouir : un rythme échevelé, un enchaînement d’événements de prime abord invraisemblables qui obéissent pourtant à une logique implacable, et une narratrice à la fois désinvolte et surmenée, à laquelle on s’attache (est-ce bien raisonnable ?) dès les premières pages – Jane Charlotte, enfermée dans « l’aile des barjots » de la prison de Las Vegas, accusée de meurtre. Là, elle se confie à un psychiatre et tâche de justifier ses actes en racontant qu’elle oeuvre pour le compte d’une société secrète… « L’organisation », qui « lutte contre le mal », rend sa propre justice en surveillant et exécutant sommairement des « malfaisants », forcément irrécupérables – meurtriers, fous dangereux, kidnappeurs d’enfants – en partant du principe que le monde se portera mieux sans eux. Jane Charlotte est-elle une affabulatrice hors pair ? Comme le soupçonne son médecin, ment-elle par omission, préférant laisser dans l’ombre certains pans de son existence ? Qui cherche-t-elle à convaincre ? Ou bien, tout simplement, se contente-t-elle de raconter sa vérité ? À chacun de le découvrir en lisant d’une traite ce roman inclassable, époustouflant, qui s'interroge sur la frontière, décidément perméable, entre bien et mal.

    (B. Longre, août 2008)

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  • Quand Je se fait Tu

    marietfemme.jpgMari et femme de Régis de Sa Moreira, Diable Vauvert, 2008

     

    Le postulat de départ intrigue d’emblée : un homme, dont le couple bat de l’aile, se réveille un matin dans le corps de sa femme… et vice-versa. D’abord terrifiés par leur nouvelle apparence, mari et femme, contraints et forcés, vont peu à peu découvrir le corps de l’autre, un univers à la fois connu et inconnu, puis s’accoutumer à cette nouvelle enveloppe en passant par différentes phases émotionnelles et situations sociales qui, peut-être, les amèneront à repenser leur relation et le sens à donner à leur vie. À partir d’une idée simple et déjà exploitée en littérature, l’auteur développe une trame construite et parfois imprévisible, qui va bien au-delà du désenchantement d’un homme (écrivain sans inspiration, de surcroît) en pleine crise existentielle et des clichés parfois associés aux protagonistes trentenaires. La causticité et la sécheresse de ton (alliées, par instants, à une certaine tendresse) confèrent à l’ensemble une épure qui esquive toute tentation mélodramatique et va de pair avec la concision des chapitres – succession d’épisodes ramassés où chaque mot est pesé. Le choix d’imposer un « tu » – auquel on s’habitue très vite – à la narration n’a rien de gratuit, ni ne répond à une approche accusatrice, mais permet justement de mettre le protagoniste face à lui-même et à son propre corps (désormais investi par sa femme) dont il devient l’observateur privilégié, et à cet autre, féminin, qu’il est devenu, tout en faisant écho aux jeux déstabilisant sur les pronoms qui parsèment le texte et permettent de lancer nombre de questions sur le regard que l’on pose sur autrui, sur la part de soi-même que l’on retrouve chez l’autre... et vice-versa.

    (B. Longre, août 2008)

     

     http://www.audiable.com/

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  • Dérives existentielles

    dpetres3.jpgTu vas me manquer de Danièle Pétrès - Denoël, 2008

     

     

    « La vie, ça n’est pas une maladie. »

     

    Un ton décalé, un brin acerbe, caractérise la plupart de ces courts récits, des novelettes qui observent avec acuité nos contemporains et décrivent avec finesse quelques-unes des maladies et des paradoxes qui les accablent : couples englués dans des histoires qui n’en finissent pas de s’achever, comme dans Tu vas me manquer ou dans Boulevard Suchet (« Il était parti, c’est ce qu’elle avait voulu. Puis elle n’avait plus voulu qu’il ne soit plus là. »), quand l’impossibilité du départ emplit l’existence et ne laisse pas de repos – ainsi, dans Le jour du saumon, où une femme est enchaînée au quotidien que son compagnon lui fait subir, un train-train culinaire si monotone qu’il en devient cercle vicieux ; femmes solitaires, dont les vies creuses, vides d’émotions, s’accélèrent parfois quand un événement jubilatoire vient leur procurer quelques sensations qui leur donnent l’impression d’être en vie (Le charme discret de la pauvreté, quand une bourgeoise se réjouit de la vente privée à laquelle elle a été conviée, qui va lui permettre de côtoyer, quelques heures durant, des « gens ordinaires »…) ; l’ennui du « temps qui s’étire et qui ne sert à rien », pour une correctrice dont la profession a contaminé la moindre pensée…

     

    Quelques textes plus longs rappellent aussi combien la vie en collectivité, incarnée par le monde de l’entreprise, est un univers sclérosé, synonyme d’enfermement (La cabine du papillon) à l’instar de toute situation où les individus se trouvent face aux aspects les plus terrifiants du monde du travail (Dommages collatéraux) et aux tragédies individuelles qui glissent sur les autres, eux-mêmes enfermés dans leur bulle. Parfois décapantes et subversives, certaines nouvelles portent pourtant en elles quelques regains d’espoir ; ainsi, dans La preuve par la chaussure, une femme retrouve enfin sa vraie nature et recouvre, après de multiples tergiversations, une liberté qui lui manquait. Ailleurs, un autre personnage finit par renoncer à une quête qui, des années durant, l’a obligée à ressembler à une amie dont « l’image parfaite » la hantait (La petite robe noire) : une autre libération, après une aliénation qui montre comment chacun se forge des masques et des accoutrements qui sont comme de pathétiques béquilles, pour tenter d’exister… 

     

    La liberté reconquise n’est cependant pas donnée à tous les protagonistes, pris aux piège des entraves de la vie moderne et de la société de consommation : la séance de thérapie de groupe relatée dans Autodafé expose l’inadaptation maladive de certains – après les obsessions liées aux chaussures, ce sont d’autres achats compulsifs qui traduisent un mal-être insurmontable : « l’addiction empêche de voir le monde extérieur. Il isole l’objet du désir du monde réel, cet objet prend alors toute la place et l’on ne voit plus que lui », précise le psychothérapeute, dont les conseils, sans qu’il en ait conscience, vont bientôt engendrer une petite tragédie… Les bizarreries, les petites manies et les idiosyncrasies de personnages pris au piège de leur propre existence se succèdent ainsi, sous nos yeux amusés ; des personnages jusqu’au-boutistes qui cherchent parfois à concrétiser leurs obsessions, quitte à se trouver désemparés une fois que le réel s’impose de nouveau à eux, dans toute sa matérialité. Des Je féminins, parfois masculins, des « elle » et quelques « nous » s’accumulent au fil de ces trente récits qui forment un recueil d’intrigues banales, mais seulement en apparence, parmi lesquelles chaque lecteur retrouvera assurément une part de lui-même.

     

    (B. Longre, août 2008)

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  • Au voleur !

    9782211089395.gifJe suis la fille du voleur de Jean-François Chabas, Neuf de l’école des loisirs

     

    Ce roman relate, sous la forme d’un journal intime, quelques mois de la vie d’une fillette de onze ans, seule face aux « autres » (la police, la prison, les institutions…) qui lui ont enlevé son père en détention provisoire, en attente de son procès. Il a beau être un voleur, les « autres » ont beau dire qu’il ne serait qu’un inadapté, il n’en demeure pas moins l’unique repère de la narratrice, un homme doux et gentil dont elle a hérité l’esprit subversif qui transparaît dans les émotions successives confiées à son journal – à défaut de pouvoir se faire comprendre et entendre par l’oncle et la tante mesquins qui l’hébergent. Malgré quelques situations un peu stéréotypées, on s’attache à la jeune diariste qui manie bien l’ironie, et l’on suit avec plaisir son parcours, émaillé de questionnements sociologiques essentiels : comment vivre la pauvreté au quotidien, comment faire la part des choses entre l’être et l’avoir, entre la solidarité et la pitié, et faire en sorte de ne jamais baisser les bras face aux injustices.

    (B. Longre, août 2008)

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  • Re-naissance

    shapeimage_1.jpgMonsieur Truc
    de Thierry Cazals et Julia Chausson
    - Editions de la renarde Rouge, 2008

     

    Thierry Cazals a déjà de nombreux ouvrages derrière lui, dont quelques-uns publiés par les éditions Motus (dans la collection Mouchoir de poche, ainsi que Le petit cul tout blanc du lièvre, recueil de haïkus) – sans oublier Olga et les masques, bel album illustré par Maurizio A.C. Quarello (Editions Sarbacane). Il signe là un conte initiatique, album de belle facture accompagné des gravures sur bois épurées et soignées de Julia Chausson : le périple mouvementé d’un certain Monsieur Truc, bien obligé de laisser de côté son « train-train » le jour où il croise brutalement la route d’un oiseau noir et rouge et que, soudain, des ailes lui poussent… littéralement. Devenu homme-oiseau, il dérive, se laisse emporter loin de chez lui et atterrit dans un volcan en éruption ; là, il prendra conscience de l’absurdité de sa condition solitaire :

     

     « Si tout est vivant,

    si tout est peuplé et habité,

    se demanda Monsieur Truc,

    comment se fait-il que je me sente

    si seul ? »

     

    Cette épreuve par le feu (là encore littérale et symbolique) est incarnée par l’oiseau flamboyant qui a fait de lui un être hybride, en éveil, prêt à accepter que sa vie puisse basculer. Cette histoire d’une renaissance au monde et aux autres, narrée en vers libres, donne à voir ce qui se dissimule derrière la réalité : elle ouvre les portes d’un univers poétique singulier, peuplé de créatures imaginaires et habité par un personnage en marge, qui apprend à se réconcilier avec l’existence.

    (B. Longre, août 2008)

     

     

    www.thierrycazals.fr

     

    www.juliachausson.com

     

    Fondées en 1994 par Joëlle Brière, les éditions La Renarde Rouge proposent des romans et de la poésie à destination des adultes et des enfants, « des textes courts, forts, de tout genres littéraires et pour tous ».

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  • Trouver sa langue

    ptesirene3.jpgLa petite sirène de Myriam Mallié, Illustrations Alexandra Duprez - éditions Esperluète

     

     

    « Ce conte a hanté, et enchanté, mon enfance. Mais le personnage de la sorcière qui arrache la langue de la petite sirène en échange de jambes de femmes m’a autant fascinée que terrifiée », écrit Myriam Mallié en introduction à ce texte dense et envoutant. Aussi, a-t-elle décidé de donner la parole à la « Mutilante », celle qui tranche la langue. D’un point de vue symbolique, cette mutilation peut faire l’objet de plusieurs interprétations, mais l’auteure part de l’idée qu’en devenant femme et en quittant son royaume marin natal, la mer maternelle, la jeune fille en exil sur terre perd sa « langue maternelle », qu’elle n’aura de cesse que de retrouver, à moins d’en inventer une autre, tiraillée entre deux mondes, entre l’enfance et l’amour éprouvé pour un homme ; un désir envahissant, qui s’impose à elle : « Le désir n’est pas la conscience. Le désir est un ordre issu brutalement du fond qui vous retient », lui dit la Mutilante, qui n’a rien de maléfique dans cette réinvention. Au contraire, malgré sa lucidité, la sorcière, figure de la mère, se fait très maternante, surveille sa protégée par la pensée, suit son parcours en s’identifiant à elle. Un parcours semé d’embûches, car la sirène a voulu « franchir la frontière » qui sépare l’enfance de l’âge adulte, coupure qui « veut s’inscrire dans la chair » par le biais des jambes ; en sacrifiant la queue de poisson qui la retenait en enfance, en recevant aussi un « sexe, lumineux et fendu », elle se met en route sur la voie de l’émancipation et de la jouissance possible, un affranchissement difficile à assumer, quand, étrangère aux yeux de tous, elle ne saura se faire entendre de celui qu’elle aime. Car où trouver les mots ? « Pour trouver sa place, d’abord s’occuper de trouver sa langue », lui conseille alors la Mutilante, pour qui « la parole est le territoire » - celui de la sirène, mais aussi de chacun de nous, du lecteur comme de l’auteure.

    À partir d’un conte d’Andersen qui, comme de nombreux autres, se voit souvent édulcoré et ainsi privé de sens, l’auteure substitue sa propre vision et tisse une variation entêtante, où les symboles et les métaphores textuelles, réinterprétés visuellement à travers les peintures en noir et blanc, presque surréalistes, d'Alexandra Duprez, s’entrelacent sans relâche : un écheveau entre poésie et conte moderne, cruel et émouvant, qui parle à notre inconscient et explore tous les paradoxes et les passages de l’existence, de la vie donnée à l’arrachement, de l’amour à la souffrance, quand les deux ne sont pas mêlés.

    (B. Longre, août 2008)

     

    http://users.swing.be/esperluete/

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  • Petites errances au féminin

    virginiejr3.jpgL’amour est un carburant propre, de Virginie Jouannet Roussel

    Les 400 coups, 2008

     

     

    « Les gens ne sont pas toujours tels qu’on les imagine », pense l’une des narratrices imaginées par Virginie Jouannet Roussel, en découvrant qu’un homme, amant d’un soir, possède quelques aspects touchants qu’elle n’aurait pas soupçonnés (Juste avant l’amour). La réalité n’est en effet pas toujours aussi prévisible qu’on croit et la vie peut jouer des tours ou réserver des surprises là où on s’attendait au pire – l’inverse est vrai. Ainsi, Hécate (dans la nouvelle du même nom) pense-t-elle avoir à faire à un violeur alors qu’il se passera entre eux tout autre chose, une « étreinte étrange » qui dévoile à quel point rien n’est jamais tranché ou figé, ni les émotions, fluctuantes, ni les sentiments, ambivalents, ni même les jugements que l’on peut porter sur autrui.

     

    Tout au long de ces nouvelles, l’auteure décline le féminin (et, en creux, le masculin, pas toujours reluisant, même si le manichéisme n’est pas de mise ici) avec un sens de la formule réjouissant, sans jamais se départir d’une acidité bienvenue (mais non dénuée de tendre drôlerie), ni d’une étonnante lucidité, à l’instar de ses personnages : toutes, quel que soit leur statut social ou leur situation professionnelle, prennent conscience de leur condition au fil d’épisodes révélateurs, déclencheurs, pour certaines, de fuites et de prises de décisions qui bouleversent leur vie – comme Fanny (L’ange en plastique) qui instaure un dialogue imaginaire (et savoureux) avec un homme différent de ceux qu’elle a connus, un personnage qu’elle côtoie pourtant au quotidien.... Un féminin en perpétuel cheminement, parcouru de petites révoltes et de sursauts de liberté, jamais acquise si l’on ne s’en donne pas la peine ; des événements intimes qui viennent perturber le déterminisme social obligeant certaines à jouer des rôles éculés qui s’accompagnent de symptômes physiques et psychologiques (« Le corps mou, la tête vide, la fatigue, l’ennui. »).

     

    Les vies basculent, ne tiennent parfois qu’à un fil, un lien ténu qui raccroche les héroïnes au réel et les met soudain face à ce qu’elles veulent en faire : « Je suis fière de tenir debout. Sauf qu’aujourd’hui… Deux heures en compagnie d’une femme ont suffi à me retourner comme un gant… », pense la narratrice de Miss Cabas, récit qui se termine en suspens, sur une indécision, même si l’on sent que le virage a déjà été pris. Mais ainsi que l’énonce très judicieusement une autre protagoniste (Le grain de sable) : « Connaître la réponse, c’est comme refermer la porte et limiter l’horizon à une rature. »

     

    (B. Longre, août 2008)

     

     

    http://virginiejouannetroussel.wordpress.com/

     

    http://www.myspace.com/les400coupsfrance

     

    http://www.editions400coups.ca/

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  • Kaléidoscope

    Far West / Extrême-Orient, de Philippe Testa, éditions Navarino

     

    « Les aéroports sont des sas d’accès au monde, les points de départ des routes aériennes. C’est là que le voyage commence et que l’attention s’éveille. »

     

    Ces quelques mots ouvrent un carnet de voyage atypique et fragmenté, des USA au Vietnam en passant par le Japon, mais les saynètes à la fois dépaysantes et triviales qui le composent pourraient se dérouler, semble-t-il, dans une multitude d’endroits différents. L’auteur s’empare ici d’un matériau vivant (on rencontre en effet peu de passages sans présence humaine en leur centre) mais la plupart du temps, il s’efface devant les scènes décrites sur un ton laconique, minutieusement, cédant la place aux personnages, à des parcelles d’humanité qui, accumulées, forment un kaléidoscope déroutant et d’une grande justesse, des instantanés de la banalité ordinaire qui ne durent parfois que quelques secondes et possèdent une qualité quasiment cinématographique.

    Les impressions fugaces se succèdent, de motels en fast-foods, d’hôtels-capsules en autoroutes, de gares routières aux trottoirs des villes, fresque presque irréelle, à l’image de ces « collines passées à la couleur artificielle, le ciel trop profond pour être vrai ». Tout se déroule dans des cadres à la topographie clairement établie pour chaque texte, des décors qui varient peu, envers de cartes postales destinées aux touristes, tableaux que la plupart des voyageurs remarquent rarement et retiennent encore moins une fois de retour. D’où l’importance essentielle accordée au regard en éveil : œil impassible (en accord avec le ton adopté) mais acéré du voyageur que plus rien ne semble étonner, qui parcourt des kilomètres, de Santa Barbara au Mississippi, de la Caroline du Nord à Kyoto, de Saigon à Hô Chi Minh-Ville et observe ce qui l’entoure, comme des débuts d’histoires à imaginer.

    (B. Longre, août 2008)

     

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