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Lydia Devos

  • Petite métaphysique manchote

    En attendant de nouveaux articles, voici ce que je disais d'Ôsolémio de Lydia Devos et Kot Kit Lo (Editions Points de Suspension, 2005)

     

    Petite métaphysique manchote

    "Dors, la beauté de la rose est sans pourquoi !"

    d0eca06e6e352f4f9bfbb4c4c5376909.jpgA quoi pensent les manchots ? Cet ouvrage entend aborder la question, même s'il n'apporte pas nécessairement de réponses tranchées aux questionnements d'Ôsolémio ; celui-ci est un petit manchot singulier qui, l'hiver venu, ne peut se résoudre à rejoindre le groupe de ses congénères serrés les uns contre les autres pour se protéger du froid et dormir en paix. Tant de questions se bousculent dans son jeune esprit, qu'à force de les poser à haute voix, il réveille les autres manchots, allant jusqu'à en secouer certains afin d'obtenir des réponses à ses cogitations : "Pourquoi y a-t-il tout ce qu'il y a ? Pourquoi n'y a-t-il pas rien ?" demande, avec obstination, Ôsolémio (qui fait écho, sans le savoir, à Leibniz). Les autres ne semblent pas enclins à partager ses questionnements existentiels mais lui répondent malgré tout, d'abord avec mauvaise grâce (n'oublions pas qu'on les empêche de dormir...), puis en prenant un peu d'intérêt à l'affaire qui secoue le jeune manchot ; l'un des premiers à répondre invoque une instance divine, indiscutable ("Par la grâce de Dieu"), une réponse malheureuse (personne, bien entendu, n'étant d'accord) qui provoque bientôt un grande bataille, les coups remplaçant immédiatement les arguments verbaux... Du coup, Ôsolémio décide de faire les questions et les réponses, découvrant ainsi le libre-arbitre à travers sa capacité de penser par lui-même : "Si rien ni personne ne peut me dire ce que je fais là, c'est donc à moi d'en décider !"

    Beau récit d'affirmation de soi, ode à la curiosité, Ôsolémio prône aussi l'autonomisation de la pensée dès le plus jeune âge - l'auteure (professeure de philosophie) s'étant inspirée de Leibniz, de Hölderlin et de Heidegger pour composer ce texte accessible qui renferme cependant une vaste complexité philosophique. Plusieurs collections philosophiques destinées aux enfants sont nées ces derniers temps, mais ce sont généralement des ouvrages de genre documentaire ou des guides qui leur sont proposés, le plus souvent ancrés dans la réalité, et même s'ils possèdent nombre de qualités, ils ne peuvent esthétiquement rivaliser avec cet album qui combine à la fois fiction et création, le travail langagier et conceptuel de Lydia Devos et les créations picturales de Kot Kit Lo (tous deux auteurs de Coâ Encore ! chez le même éditeur) - une réalisation qui ne se veut pas délibérément pégagogique ou éducative, et qui fait la part belle à la poétique.

    Le format classique de l'album ne le laisse pas nécessairement voir au premier abord, mais les toiles de Kot Kit Lo forment en réalité une fresque continue, composée de mouvements calculés, de courbes et de vagues, en totale harmonie avec le milieu naturel supposé des manchots et avec l'esprit de corps de la petite communauté, qui vit en bonne entente, solidaire quand vient le grand froid de la nuit : "Ils s'enroulent sur eux-mêmes comme la coquille de l'escargot (...) ils dessinent sur le sol une belle spirale." — une réalisation géométrique dont la perfection est soudain réduite à néant quand les manchots se mettent à s'opposer les uns aux autres et à se bagarrer. Mais l'on se surprend aussi à voir dans les gracieux mouvements du pinceau sur la toile (dont le grain a été habilement conservé par l'impression de belle qualité) les circonvolutions cérébrales et les méandres vertigineux de l'esprit en général, rejoignant ainsi les questionnements d'Ôsolémio. Ce dernier a la témérité de s'interroger sur l'être et le non-être ("pourquoi quelque chose existe plutôt que rien ?") - une question qui taraude assurément les enfants - et à montrer, par son chant final (bientôt repris par les autres manchots), que la poésie ou l'art sont peut-être les seules manifestations de l'esprit humain permettant de dépasser ces questions. © Blandine Longre

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature jeunesse 0 commentaire 0 commentaire