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roman visuel

  • La pomme de la discorde, les ailes de l'avenir

    The Three Incestuous Sisters, d'Audrey Niffenegger
    Jonathan Cape, 2005

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    L'album n'est pas réservé aux seuls enfants et Audrey Niffenegger s'est approprié ce support avec finesse et talent ; de même, elle a choisi de créer un conte tendre et cruel – le merveilleux n'étant pas non plus une exclusivité enfantine. The Three Incestuous Sisters n'est pas un ouvrage pour la jeunesse, le titre en atteste, quand bien même le récit débuterait par le très classique "Il était une fois trois sœurs...". Trois sœurs, donc, qui ne se ressemblent pas - Clothilde, la talentueuse, Ophile la plus intelligente et Bettine, la plus jolie. Elles vivent en bonne entente jusqu'à l'arrivée d'un garçon nommé Paris - incarnation de la discorde à venir. Le choix du garçon se porte sur Bettine, la benjamine, et tandis que la fantasque Clothilde s'enferme dans un monde de folie douce tout en restant attentive aux étreintes de Bettine et de Paris, le cœur d'Ophile est noirci par la jalousie.

    Les deux amoureux apprennent à se connaître et un enfant est conçu - un fœtus avec lequel Clothilde communique tendrement, lui enseignant les étoiles et les sciences, en lui apprenant aussi à voler... Mais la sombre douleur qui ronge Ophile l'incite à commettre l'irréparable : Bettine meurt et Paris s'enfuit ; quant au fœtus... Clothilde a cessé d'entendre sa voix. Ophile, dont l'existence est devenue un calvaire saturé de fantômes, met fin à ses jours. Clothilde, restée seule dans la grande maison, se languit du bébé de sa sœur, quand, bien des années plus tard, elle entend à nouveau sa voix.

     

    sisters3.jpgLes trois sœurs sont des êtres hybrides, tour à tour fées, déesses, sorcières ou simples mortelles dont les sentiments se mêlent - rendant l'histoire de chacune indissociable de celle des deux autres, tandis que que toutes trois convoitent le même homme. Des histoires de séparations, d'amour et de mort, puis de retrouvailles, au-delà de la mort, dans un happy end qui remet en mémoire certains passages du roman d'Audrey Niffenegger, The Time Traveler's Wife.

    Le texte, délibérément bref et incisif, se superpose habilement aux illustrations, parfois à la manière d'une légende qui les accompagnerait humblement. Car l'artiste a d'abord composé cette histoire visuellement, à la façon d'un story-board, et le récit fut écrit postérieurement, à partir des esquisses. "C'est mon livre de cœur, un travail amoureux de quatorze années." explique-t-elle en postface, ajoutant qu'elle préfère le qualificatif de "visuel" plutôt que celui de "graphique" pour ce roman atypique.

     

    D'instinct, le lecteur est aspiré par les quelque quatre-vingt gravures (pas moins) qui composent l'ouvrage - des aquatintes homogènes, dans les tons de gris pour les décors, les personnages, en particulier les visages, se détachant ainsi singulièrement. Des illustrations pleine page, qui peuvent aussi se lire indépendamment du texte, ceci permettant de donner libre cours à sa propre imagination. Ce travail assidu, que l'auteure compare "au long siège d'une forteresse" - mûri avec le temps et patiné par l'acide mordant le cuivre - fut d'abord purement artisanal, Audrey Niffenegger ne prévoyant de réaliser, à la main, que dix exemplaires. Cette parution, par nécessité "industrielle", demeure esthétiquement exemplaire (et entre dans la belle collection graphique de l'éditeur Jonathan Cape), un "beau livre" dont le récit illustré et les trois sœurs aux longs cheveux reviennent inlassablement hanter le lecteur.  (B. Longre)

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature étrangère 5 commentaires 5 commentaires