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Biljana Srbljanovic

  • Biljana Srbljanovic

    Supermarché (suivi de La chute), de Biljana Srbljanovic, L'Arche, 2001

     

    Grande surface supranationale cherche citoyens...

    Supermarché, sous-titré "soap opera", se déroule sur une semaine, sept jours particuliers qui ne forment en réalité qu'une seule et unique journée paraissant se répéter sans fin ; c'est du moins ainsi que l'enchaînement temporel est perçu par l'un des personnages : Leo Schwartz, directeur d'une école "pour les étrangers" dans une petite ville autrichienne ; nous savons qu'il y vit depuis treize ans, exilé de sa terre natale, un pays de l'Est. Britta, journaliste local, lui rend visite un lundi matin car il souhaite l'interviewer sur un sujet rebattu, la chute du mur, dont l'anniversaire est imminent. Leo, lui, voudrait que Britta s'intéresse à son passé et il l'incite à lire un dossier intitulé " Léonid Crnojevic, Dossier", un récapitulatif de ses activités dissidentes à l'Est, puis invite le journaliste à revenir le lendemain. La deuxième journée débute en tous points comme la première et l'on comprend vite que Leo est bien le seul à se croire un mardi... Et ainsi de suite. "Un terrible complot. J'ai l'impression de vivre tout le temps un seul et même jour" déclare Leo, le mercredi. Une impression qui se fait certitude, mais qui ne touche que Leo, les autres protagonistes repartant tous à zéro chaque matin.

    Dans le même temps, l'on suit ces derniers, tout occupés à régler des affaires qui apparaissent plutôt sordides, ou du moins d'une monotonie désespérante, un ennui qui se reflète dans la structure même de la pièce. Il y a les professeurs Müller et Mayer (amants en secret), Gamin, un élève qui semble porter en lui toutes les horreurs que des adultes peuvent infliger aux enfants (et qui s'en vante) et Diana, la fille du directeur, mi-vamp, mi-gamine. Le rôle qu'elle joue respire l'ambiguïté et comme son père, l'on ne parvient pas à savoir si ce qu'elle déclare avec effronterie est vrai ou inventé.

    Perdu dans ce "trou du temps" qui l'anéantit, accablé par le comportement et les mensonges des autres, et les siens propres, Leo perd peu à peu toutes ses illusions, une révélation qui précède celle du lecteur/spectateur, à qui il ne restait plus que Leo comme repère stable (étant le seul à réaliser le dérèglement chronologique) et qui le perd lui aussi. Car plus l'on avance dans cette semaine à jour unique, plus la détérioration sociale s'intensifie, représentée par la dégradation psychologique, morale et mentale des personnages ; la folie et l'obscénité gagnent du terrain et les personnages ne jouent plus du tout leur rôle réglé à l'avance. L'on sent que l'auteur s'est plu à composer ces variations sur le thème du quotidien qui sort des rails, des situations qui s'aggravent en cascade et où la mort et les fausses tragédies font bientôt irruption ; désormais incontrôlables, les personnages, comme des élèves indisciplinés, semblent ainsi ne plus vouloir obéir à leur créatrice, et l'intrigue se dépouille du réalisme de départ, de la rigueur scolaire de la première scène et nous plonge dans l'absurdité et le grotesque : ces dernières journées sont un total chaos, pervers et scabreux, durant lesquelles les masques de l'hypocrisie tombent, et se révèle enfin le vrai visage de l'être humain : stéréotypé, à l'imaginaire étriqué, qui rêve de l'Amérique et qui vit dans le "supermarché" mondial où toutes les barrières politiques ont été abolies (le fameux mur, entre autres), sans pour autant y trouver un bonheur individuel ou une harmonie politique.

    Mais un soap-opéra n'en serait pas un sans le traditionnel "Happy end", qui clôture cette pièce où l'allégorie n'est jamais bien loin : on assiste alors, médusés, à des scènes de réconciliations, de rabibochage général, des retrouvailles qui ne sont pourtant que d'ironiques mascarades, truffées de faux attendrissements et de tendresse truquée, où la perversité, toujours présente, ne se lit plus que dans les gestes. Une pièce engagée et critique, qui ne manque ni d'humour, ni de sarcasme bien pesé.
    © Blandine Longre

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature étrangère, Théâtre - lire & voir 0 commentaire 0 commentaire