Deux points de vue divergents sur la librairie et le prix des livres : l'article de Thierry Wolton paru hier dans le Monde, qui attaque (violemment selon Melico) les libraires, qui perpétueraient un "corporatisme désuet" , tout en défendant le fait que le site Amazon ne respecte pas la loi (malgré une condamnation en décembre 2007, qui l'oblige à ne ne plus proposer de frais de port gratuits).
Ensuite, un "Appel pour le livre", en réaction à cet article, lancé par Lekti-écriture, qui explique : "La politique commerciale très agressive de ce groupe [Amazon], qui demande des marges commerciales extrêmement élevées aux plus petits éditeurs, les fragilisant de manière excessive, afin de financer leur politique de frais de port offerts, menace de manière profonde la promesse d’une plus grande accessibilité au livre pour tous, sur l’Internet." et demande à ce que les politiques renforcent la loi Lang, tout en obligeant Amazon à respecter le jugement de décembre 2007...
On appréciera ou non les arguments de Thierry Wolton, qui met tous les libraires dans le même panier (selon lui, ils n'auraient plus le temps de conseiller leurs clients et ne sauraient plus ce qu'ils vendent...) et qui souligne (très égoïstement) que peu importent les moyens, seule compte la fin ("l'essentiel pour moi (...) est de pouvoir trouver quand je veux, où je veux, les ouvrages qui m'intéressent"), mais soulève en même temps deux points intéressants : les libraires sont "les principaux bénéficiaires de l'économie du livre" (ce qui est vrai) et "la seule profession commerciale à ne prendre aucun risque avec le produit qu'elle vend, puisque le libraire paye à l'éditeur les seuls livres qui lui ont été achetés, puis il lui renvoie le reste à ses frais" (le système des "retours" qui pénalise évidemment les éditeurs et, indirectement, les auteurs).
Il reste que l'Appel pour le livre, de bon sens, entend protéger la librairie indépendante, sans nécessairement rejeter la vente en ligne (Lekti la pratique depuis plus de deux ans, l'avantage étant que les livres partent d'une librairie non-virtuelle située à Albi).
A lire en prolongement : entretien avec Joël Faucilhon, fondateur de Lekti (octobre 2005)
Commentaires
Thierry Wolton est un con.
Au moins, on est prévenu...
Concernant les libraires, je rejoins ceux qui ne les mettent pas tous dans le même panier. Et il ne s'agit pas de taille ou de volume d'affaires. Certains petits libraires indépendants mériteraient de se faire botter aussi fort que les gros acteurs du marché, virtuel ou non. Et j'ai rencontré dans de grandes chaînes du livre (Decitre, voilà, je l'ai dit) des passionnés que l'on ilmaginerait plus volontier au fond d'officines confidentielles au nom rêveur. Alors... Ben rien, c'est une question de personne, et aucune loi, aucun appel, ne rendra les fumistes compétents.
Oui, les libraires sont bien formés, je crois, en France et en général, ils aiment lire... mais c'est comme tout, et ça n'a rien à voir avec la taille du magasin : certains parviennent à transmettre ce plaisir et à conseiller en fonction des acheteurs, d'autres en sont incapables (je ne parlent même pas de ceux qui font la gueule dès qu'on met un pied dans leur antre ! Il y en a...). En revanche, ce qui m'étonne toujours, c'est la part réservée aux éditeurs et aux auteurs sur le prix des livres...
Quoi ? Il y a une part réservée à l'auteur ? On m'aurait caché des choses... ;-)
C'est comme partout, Blandine, ce sont toujours les intermédiaires qui se servent le plus (pareil pour les agriculteurs :-)).
Oui, Don Lo, renseigne-toi (relis ton contrat !!!)...
Pascale : surtout les distributeurs, je crois...
Le texte assez virulent de Thierry Wolton m'a surpris de la part d'un homme de culture. Il faut tout de même préciser certaines choses. 1. Ses remarques quant au libraires "principaux bénéficiaires de l'économie du livre"sont fondées s'agissant des maisons de la presse, des chaînes, et des hypermarchés, dont on connait la politique (réduire l'assortiment et obtenir de grosses marges en misant sur la quantité); ce qui n'a plus rien à voir avec le métier de libraire! 2. Les retours sur offices : ce sont les diffuseurs (Sodis-Gallimard et Le Seuil-Volumen en tête) qui ont poussé à ce système, certainement pas les libraires, dont certains ont d'ailleurs été asphyxiés (il faut tout de même savoir que le libraire achète tous les livres, y compris les offices : le principe du dépôt a disparu depuis longtemps). Un livre placé à l'office, pour les beaux yeux de l'éditeur, et qui ne se vend pas coûte de l'argent au libraire (trésorerie mobilisée, frais d'exposition pendant 6 à 12 mois avant de récupérer sa valeur en note de crédit , etc). 3. Enfin, Wolton semble ignorer que, à côté de cette industrie du bouquin, un grand nombre de libraires indépendants, qu'ils soient ou non spécialisés, continuent de jouer un rôle culturel et social important, que ni Amazon ni Internet ne remplaceront jamais.
Les arguments de Thierry Wolton trahissent une méconnaissance de l'économie de la librairie et de la chaîne du livre en général, à tel point que la publication de son texte dans un journal comme Le Monde est affligeante.
"les libraires sont "les principaux bénéficiaires de l'économie du livre" (ce qui est vrai)" Non, ceci est faux. Je comprends l'erreur des personnes qui ne connaissent pas précisément les rouages de l'économie du livre et qui voient les pourcentage de répartition du prix d'un livre (cf http://www.unionpresse.fr/diversification/librairie_chiffres.php#repartition ) or il faut savoir qu'en dessous d'une remise de 36% le libraire indépendant ne fait pas de profit ( cf étude DLL/SNE/SLF http://www.centrenationaldulivre.fr/?Situation-economique-de-la ), on considère d'ailleurs la librairie comme le maillon le plus fragile économiquement de la chaine, d'ou la création d'un label ( http://www.centrenationaldulivre.fr/?Rapport-Gallimard-sur-la-librairie ). Je n'expliquerait pas les rouages précisément dans un commentaire, mais il faut bien faire attention : un camembert avec des pourcentages n'est pas suffisant pour comprendre un secteur économique qui a dimension d'écosystème.
Merci à Stéphane et à Melle F. pour toutes ces précieuses informations.
Quand je parlai des bénéficiaires, je n'entendais pas forcément les seuls libraires indépendants...
Quant au rôle culturel des libraires, évidemment : plusieurs types de rencontres, lectures, organisations d'événements divers n'existeraient pas sans eux !
Le texte de Wolton est un amalgame de choses n'ayant rien à voir entre elles (souhaitait-il règler ses comptes avec les libraires qui vendraient "mal" ses livres ?!)
Les précisions de F. sont parfaitement vraies. Non seulement le fonctionnement actuel de la "chaîne du livre" fait bel et bien du libraire le maillon faible (il a face à lui un monolithe puissant qui intègre diffusion et distribution), mais la concentration verticale dans le secteur du livre menace aussi la diversité. J'ajoute que, contrairement à ce qu'avance M. Wolton, la loi Lang n'a guère protégé les libraires contre la concurrence (Internet n'existait pas...), mais par contre, elle continue de faire les choux gras de certains groupes d'édition qui, grâce à elle, inondent le marché sans crainte de sanction de la part du consommateur : les invendus (1 bouquin 3) sont détruits au lieu d'être éventuellement bradés, ce qui permet aux grands groupes de déclarer de lourdes pertes.
Pour avoir travaillé en librairie (pas de gestion, seulement du conseil et de la vente), m'être cassé le dos avec les 10 cartons d'offices hebdomadaire (et c'était une petite librairie), j'ai une question à poser aux libraires: pouvez-vous m'expliquer comment certains libraires parviennent à choisir de ne pas les recevoir ? Quel choix délicat s'opère alors, concrètement ?
Pascale : d'après ce que j'ai compris, ils sont pénalisés s'ils n'acceptent pas les offices (mais mieux vaut attendre une réponse de spécialiste, ce n'est pas vraiment mon rayon !)
Tout dépend de la situation de la librairie, de sa taille et des relations entretenues avec les diffuseurs. En règle générale, le fait de remplir les grilles d'office (cet usage est de moins en moins systématique) n'est pas un critère pour l'attribution des points de remise ; mais bien le fait de recevoir les représentants des diffuseurs.
Les choix : lorsque libraire et représentant (du diffuseur) accordent leurs violons, les choix s'opèrent au préalable, voire avant même l'impression du livre. Ceci permet, en principe, à l'éditeur d'ajuster le tirage en vue des sorties (l'éditeur commence par fixer un nombre de sorties à atteindre pour les représentants, par exemple la moitié du tirage envisagé ; puis, en fonction des commandes récoltées, si les délais le permettent, il peut ajuster le tirage in extremis ; dans la pratique, ceci reste un idéal difficile à atteindre...).
Ceci vaut pour les librairies "de premier niveau" (dans le jargon des diffuseurs : les librairies où le produit livre constitue l'essentiel du chiffre d'affaires, et qui entretiennent un fonds). Pour ce qui est des surfaces de vente de produits culturels où le livre est un segment parmi d'autres ("deuxième niveau") et des hypermarchés, les diffuseurs sont beaucoup plus actifs, allant jusqu'à réassortir eux-mêmes les linéaires...
Bien, parlons seulement des librairies "de premier niveau", les seules que je fréquente. Pourquoi n'arrivent-elles pas à diminuer le nombre d'offices si ce n'est pas lié à un problème financier ? (excusez-moi si mes questions sont bêtes, mais j'aime être bête pour tenter de comprendre)
"Bien, parlons seulement des librairies "de premier niveau", les seules que je fréquente" Vous seriez étonné de constater que certaines excellentes librairies que vous fréquentez ne sont pas du premier niveau. C'est une classification de diffuseur qui dépend de chaque groupe. Vous savez, la diffusion c'est assez complexe et technique alors je ne pense pas pouvoir faire court sur ce sujet et il me déplait de squatter les commentaires des autres, le mieux est de lire l'étude SNE/SLF/DLL, ne serit-ce que la synthèse.
Je n'en sais rien Mlle f, mais je ne comprends pas vos explications donc il nous faut réduire le champ pour tenter de cerner le problème (ceci dit, je vis à la campagne et le peu de librairies que je fréquente font entre 20 et 30 m2, parfois sur deux niveaux, vous avez raison!). Je crois que si les libraires veulent avoir l'appui des lecteurs, ils doivent nous expliquer simplement un problème complexe pour qu'on l'intègre.
Hé bien le mieux Pascale, c'est de vous laisser en parler à votre libraire et l'interroger, rien ne remplace le contact humain direct!!