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La bataille des langues

f266c89973b4d0c32ce194e240f3bc90.jpg"Il faut être naïf ou ignorant pour ne voir dans une langue vivante qu’un outil de communication, comme le sont les langues artificielles. Au-delà des barrières sociales, et comme le démontrent d’innombrables travaux de neurophysiologistes et de psychologues, elle ne se réduit pas à un simple code pour l’échange d’informations, mais elle constitue le creuset même de l’identité de chacun."

Le dernier numéro de Manière de voir, publié par le Monde Diplomatique, est consacré aux langues - rapports de force, domination linguistique, multilinguisme, francophonie, fonction politique, etc.

Sommaire complet et édito.

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Commentaires

  • La bataille des langues date… pour l’illustrer, je vous soumets un extrait d'une lettre de Marina Tsvetaeva à Rilke en juillet 1926 :


    "Cher Rainer,

    Goethe dit quelque part qu'on ne peut rien réaliser de grand dans une langue étrangère - cela m'a toujours paru sonner faux. (Goethe dans son ensemble sonne toujours juste, il n'est valable qu'en tant que somme, c'est pourquoi je suis injuste en ce moment envers lui.)

    Écrire des poèmes, c'est déjà traduire, de sa langue maternelle dans une autre, peu importe qu'il s'agisse de français ou d'allemand. Aucune langue n'est langue maternelle. Ecrire des poèmes, c'est écrire d'après. C'est pourquoi je ne comprends pas qu'on parle de poètes français ou russes, etc. Un poète peut écrire en français, il ne peut pas être un poète français. C'est ridicule.

    Je ne suis pas un poète russe et c'est toujours un étonnement pour moi d'être tenue pour telle, considérée comme telle. On devient poète (si tant est qu'on puisse le devenir, qu'on ne le soit pas tous d'avance!) non pour être français, riusse, etc., mais pour être tout. Ou encore : one est poète parce qu'on n'est pas français. La nationalité est forclusion et inclusion. Orphée fait éclater la nationalité, ou l'élargit à tel point que tous (présents et passés) y sont inclus. Le bel Allemand que voilà! Le beau Russe!

    Néanmoins, chaque langue a quelque chose qui lui appartient en propre, qui la fait ce qu'elle est. C'est pourquoi tu sonnes en français autrement qu'en allemand - et c'est la raison même pour laquelle tu as choisi le français! L'allemand est plus profond que le français, plus plein, plus dilaté, plus sombre. Le français : une horloge sans résonance ; l'allemand : plutôt une résonance qu'une horloge (ses coups). L'allemand, le lecteur le retranspose sans cesse, à l'infini ; le français est là. L'allemand - devient, le français est. Une langue ingrate pour le poète, c'est bien pourquoi tu l'as choisie. Une langue presque impossible!

    L'allemand est une promesse infinie (ce qui est tout de même un don!), le français est un don définitif. Platen écrit en français. Toi (Vergers*), tu écris en allemand - tu t'écris, toi, le poète. Car l'allemand est tout de même ce qu'il y a de plus proche d'une langue maternelle pour toi. Plus proche que le russe, je crois. Encore plus proche. […] »

    *Vergers : recueil de vers de Rilke en français



    À propos de ce recueil de vers de Rilke en français, Pasternak écrivait au poète balkar Kaïssym Kouliev, le 10.08.53:

    « Rilke, le très grand, le très nouveau poète allemand, à présent reconnu comme très grand poète européen, a beaucoup voyagé, aimé la Russie, bien connu la Scandinavie et longtemps vécu à Paris ; il a été le secrétaire de Rodin et s’est lié d’amitié avec les écrivains et les artistes français. Il a écrit sa dernière œuvre, posthume, en français. Il lui semblait sans doute qu’il était allé jusqu’au bout du monde de l’expression allemande, jusqu’aux dernières abstractions et aux dernières généralisations, et ne se sentait pas la possibilité de revenir à ses particularités initiales dont la parole poétique ne saurait se passer, tandis qu’en matière de poésie française, il pouvait redevenir un débutant. »


    In Correspondance à trois, Rilke, Pasternak, Tsvetaeva, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire, 2005.

  • "Écrire des poèmes, c'est déjà traduire, de sa langue maternelle dans une autre,"

    Cette phrase me rappelle un texte de Nuno Judice :


    "On dit souvent que la poésie est intraduisible, et qu'il faut apprendre une langue pour lire un tel poète - Mallarmé, Rilke, Pessoa - Je pose le problème d'un autre point de vue. Dans quelle mesure le poème original n'est-il pas, au départ, une traduction ? En effet quand j'écris et je cherche les mots qui vont composer le poème, ce que je fais est une sorte de traduction d'un texte abstrait, immémorial, dont je connais le sens général, et qu'il me faut mettre dans ma langue. Le résultat, donc, est une transposition de ce texte qui a traversé les âges - et que Mallarmé a essayé de fixer dans son “Livre” - vers ma langue, où il me faut toujours avancer à partir de chaque poème, vers d'autres qui poursuivent ce travail d'écriture de ce qui ne pourra jamais être exprimé dans la page. C'est pour ça que la voix du poète, dans ses lectures, ajoute toujours quelque chose au poème - et nous dit quelque chose qu'on ne trouvera jamais dans une lecture solitaire.

    […]

    Et là j'arrive à ce qui me semble être la singularité de l'expression poétique : au-delà d'une musique des mots, elle construit aussi - à un niveau inconscient, probablement, mais pleinement maîtrisé dans la tradition poétique - une musique du sens. C'est cette musique qui subsiste, dans la traduction, et qui permet de garder (même dans la traduction la plus littérale - et je dirais paradoxalement surtout dans la traduction littérale) l'”esprit” de l'original qui permet au lecteur de remonter jusqu'à cet archétype."

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