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espaces 34

  • Voyage en inoccident

    c858cadbb1527f4f0580dc5091b50a3a.jpgLe tireur occidental de William Pellier, éditions Espaces 34

    Quand tel est pris...

    William Pellier signe un texte théâtral habilement construit, qui tient de la fable morale, du conte philosophique, du pamphlet politique, et dont on sort le sourire aux lèvres…
    Rodolphe, jeune candide à la « cervelle bien pleine » de savoir théorique, assoiffé d’aventures et de découvertes exotico-ethnologiques, voit « à l’horizon cette tâche exaltante / Une étude grandeur nature enfin » : un périple de plusieurs semaines le mène aux confins du monde connu (c'est-à-dire « occidental »), à la rencontre de celui qui lui servira de guide, le «matricule KVV », un Tireur occidental zélé et soucieux de sa mission (dont les détails ne nous seront révélés que plus tard). Rodolphe prépare un mémoire portant sur les « races inférieures » et, afin de valider son diplôme de fin d’études, va vivre six mois durant aux côtés de ce tireur rompu à la solitude, et étudier les énigmatiques « indigènes » vivant de l’autre côté de la muraille que surveille inlassablement le Tireur – un territoire aride, « l’inoccident, paysage d’os, de crânes, d’éléments de squelette, d’ossements en couche ».
    La satire prend toute son ampleur quand Rodolphe ne peut laisser passer l’opportunité scientifique (!) d’étudier de près un « spécimen » blessé qui s’est réfugié au pied de la muraille, et il le recueille en dépit des réticences du tireur, qui l’avertit en ces termes, prévoyant une inexorable contamination : « Nous deux aux prises immédiate avec sa pustule, malgré les barreaux / En un tour de main, au travers de sa cage ses infections / Son zona, son eczéma Monsieur / Ses puces et ses poux / Le fumet suffocatoire de son haleine, d’abord ici, puis dans l’occident tout entier / la chute de nos nations comme perspective.»

    Car le Tireur est là pour veiller à ce que les « races basses » qui errent de l’autre côté ne puissent franchir la muraille protectrice : des tribus « inlassablement enclines à la férocité » – comme « le juif et l’arabe » -, des « troupeaux de roumins » ou autre « rad-jik »… Rodolphe les étudie avec la passion du débutant, et note consciencieusement ses observations naïves (qui, on l’aura compris, empruntent aux classifications pseudo-scientifiques des siècles passés), du genre :
    « B – Caractères morphologiques, suite à une première observation :
    Maigreur de leurs bras le long de leur corps
    Yeux dans le lointain de leur crâne
    Délitescence de leurs molaires
    Allure générale de batracien
    »

    Quant au prisonnier, Rodolphe (documentation à l’appui) ne peut s’empêcher de remarquer combien son visage est « si éloigné de notre beauté occidentale », et il entreprend de lui faire subir nombre de tests qui prêtent à rire. Rodolphe et le Tireur forment un étrange duo incarnant une vision exacerbée de nos politiques de surprotection et d’immigration (on se référera aux récents événements qui en France ont secoué l’opinion – arrestations diverses, évacuations et autres «invitations à quitter le territoire »…) et de l’enthousiasme candide (que sous-tend une « science » sans conscience) du premier à la glaçante sagacité du second (sans parler de son habileté à manier le fusil), tous deux dévoués corps et âme à leur mission respective, il n’y a qu’un pas.
    L’on part dans le texte de William Pellier avec l’impression diffuse de se retrouver dans un bildungsroman du XVIIIe, avec l’idée, vite démentie, que l’on va y trouver ses marques ; mais notre voyage prend des tournures imprévisibles : une ironie mordante entoure le complexe de supériorité de l’occidental et la détermination du Tireur, prompt à obéir aveuglément aux ordres qui ont été inscrits dans son cerveau, illustre à merveille l’inhumanité de sa tâche et la barbarie enfouie en chaque être, malgré le joli vernis que la "civilisation" peut conférer.
    On pense au roman de Coetzee, En attendant les barbares, fable atemporelle située aux frontières d’un empire anonyme, à une époque incertaine, où l’écrivain sud-africain dénonçait les ravages engendrés par la peur irrationnelle de l’autre ; Le tireur occidental propose une vision certes plus parodique (le dénouement est particulièrement réjouissant), plus légère (le personnage-narrateur, Rodolphe, étant le dindon de la farce), mais pas moins cauchemardesque des rapports que l’occident n’a pas cessé d’entretenir avec les pays les plus défavorisés ou avec des populations rejetées. Dans le même temps, la parole théâtrale donne un impact singulier à cette œuvre pourtant inclassable – parole qui peut néanmoins être lue et être appréciée comme telle, la versification (libérée de toute contrainte classique) apportant un aspect faussement solennel à l’ensemble et s’accordant parfaitement au ton sérieux de Rodolphe, persuadé du bien-fondé de sa mission. Une œuvre brève, il est vrai, mais qui renferme tous les paradoxes de notre civilisation moderne, et parfaitement conçue à éveiller les consciences. B. Longre

    L'éditeur (Espaces 34)

    forets.free.fr/wp/textes.html

     

    A Lyon, la Compagnie Germ36 présente Le Tireur occidental

    Mise en scène Pierre Germain, Avec Sébastien Baylet, Michel Le Gouis, Pauline Hercule, Sarah Richit, Précédé d’une lecture de l’« Avertissement » (extrait de Grammaire des mammifères (Éditions Espaces 34)) par Pierre Germain
    du mardi 8 au samedi 12 janvier 2008 à 20h 30 à l’Étoile royale - 17 rue Royale – 69001 Lyon - 04 78 28 66 98
    et le mardi 29 janvier à 12h30 à la médiathèque de Vaise - Entrée libre Place Valmy – 69009 Lyon


    A Paris, la compagnie Influenscènes présente aussi Le Tireur occidental

    Version pupitre de Jean-Luc Paliès, Avec  Frédéric Andrau, Jean-Pierre Hutinet, Maria Luisa Jamye Kosta, Musique : Francesco Agnello - lundi 28 janvier à 20h 30, dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin, Découverte de l’écriture contemporaine — Entrée libre - Espace Gérard Philippe, 26, Rue Gérard Philipe - 94120 Fontenay-sous-Bois
    le mardi 29 janvier à 12h 30, dans le cadre des Mardis midi - Lectures de pièces inédites — Entrée libre, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt — 75008 Paris
    le mercredi 30 janvier à 18h, dans le cadre des Mercredi 18 heures - Lecture d’écrivains du XXIe siècle — Entrée libre, Théâtre de l’Est Parisien, 159, Avenue Gambetta - 75020 Paris

    Influenscènes : http://www.influenscenes.com/influenscenes-2.htm

    Théâtre du Rond-point : http://www.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/42617-les-mardis-midi.html

    Théâtre de l’Est Parisien : http://www.theatre-estparisien.net/Les-Mercredis-du-Theatre-de-l-Est

    Lien permanent Catégories : Critiques, Littérature francophone, Théâtre - lire & voir 0 commentaire 0 commentaire